• Aucun résultat trouvé

2. L’HISTORIQUE ET L’ÉVOLUTION DE LA PRATIQUE DE L’AGROÉCOLOGIE ET ALTERNATIVES

2.5 Alternatives pour une agriculture durable

2.5.3 Agriculture écologiquement intensive

Le concept d’agriculture écologiquement intensive a été proposé par Michel Griffon en 2008, suite à une série de débats quant à l’environnement et au développement durable entre divers acteurs

de la société française (Association internationale pour une agriculture Écologiquement Intensive (Association AEI), s.d.; Vedura, s.d.). Le concept d’intensification écologique est bien différent du concept d’intensification en agriculture conventionnelle où l’on cherche à dominer la nature. Il vise plutôt à devenir un allié de la nature (Association AEI, 2011; Bonny, 2011). D’ailleurs, l’idée principale derrière l’AEI est d’intensifier les mécanismes naturels d’un écosystème, et donc leur efficacité, par des techniques et des technologies qui vont maximiser la production agricole et les services écosystémiques, tout en réduisant les impacts négatifs sur l’environnement et en améliorant la gestion des ressources naturelles (El Gali et autres, 2012). L’agroécologie, misant aussi sur l’emploi des processus écosystémiques est donc assez similaire à l’AEI exceptée qu’elle ne les intensifie pas autant (Bonny, 2011).

L’AEI est autant destinée aux agriculteurs qui pratiquent l’agriculture conventionnelle que l’agriculture familiale dans les pays en voie de développement (Association AEI, s.d.). On peut définir l’agriculture familiale comme des exploitations d’une taille de moins d’un hectare majoritairement, dont les travailleurs agricoles sont les membres de la famille et ces derniers sont ceux qui consomment la production alimentaire en plus de fournir le capital (Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad), 2014a). Autant pour l’agriculture conventionnelle que familiale, l’AEI cherche à produire la même ou une plus grande quantité par un faible recours en intrants chimiques, en carburants fossiles et en main-d’œuvre. Par conséquent, la production écologiquement intensive est peu coûteuse, peu polluante en plus de garantir des revenus satisfaisants dûs au maintien des rendements (SOS Faim, 2013). L’AEI ne réfère pas seulement à l’exécution de pratiques agricoles spécifiques, mais réfère plutôt à un processus graduel d’évolution des pratiques déjà employées par les agriculteurs vers un meilleur respect de leur environnement. Cela dit, cette progression sera unique à chacun (Boulet, 2013).

Un bon raisonnement des paysans prime quant au choix des meilleures pratiques agricoles afin d’intensifier l’agroécosystème. Cela tend à le rendre plus complexe, ce qui est une caractéristique voulue en AEI, car la complexité est généralement associée à une biodiversité plus élevée, donc une fertilité accrue, en plus d’un agroécosystème résilient face aux changements climatiques et aux ravageurs (Cirad, 2010). Une façon de s’orienter vers ces bénéfices est de ne pas travailler le

sol par son labour et plutôt de conserver une couverture végétale permanente et miser sur les successions culturales appropriées. L’érosion sera également limitée, les ressources naturelles économisées ainsi que les intrants externes.

Pour la maximisation des processus naturels, il est essentiel d’avoir une compréhension poussée de ceux-ci. Afin de mieux connaître leur fonctionnement, l’acquisition et le développement de connaissances scientifiques sont essentiels, de même que leur validation sur le terrain (Association AEI, 2011). Ces savoirs ne seraient pas complets pour la pratique de l’AEI sans l’apport des connaissances traditionnelles des paysans. En effet, ces derniers sont également une source d’innovation de la pratique agricole puisqu’en observant leur agroécosystème, en étant attentifs à ce qui s’y déroule, en tentant de comprendre son fonctionnement et ses besoins au fil du temps (ibid.), les paysans contribuent à enrichir les connaissances sur leur milieu pour maximiser durablement ce qui peut en être retiré. En conséquence, les traitements et les interventions sur les cultures et les élevages sont mieux ajustés, dans l’espace et dans le temps, aux caractéristiques propres de l’agroécosystème et à son mode d’évolution (Bonny, 2011). La collaboration entre paysans est également mise en valeur par le partage de leurs expériences et de leurs connaissances qui peuvent susciter des idées nouvelles utiles (Association AEI, 2011). Un frein à l’adoption à plus grande échelle de cette agriculture concerne le côté intensif en connaissances, c’est-à-dire la difficulté de compréhension de processus écologiques complexes, difficiles à prévoir et à valoriser en plus qu’ils sont variables selon les milieux. Conséquemment, pour compléter les connaissances traditionnelles, la recherche scientifique est indispensable, toutefois elle n’est pas orientée dans le moment sur l’étude holistique des agroécosystèmes (Bonny, 2011).

L’AEI est considérée comme une agriculture de « bio-inspiration » puisqu’elle base ses pratiques intensifiées sur la connaissance du monde vivant. À titre d’exemple, en remplacement des intrants chimiques tels que les pesticides pour lutter contre les insectes néfastes, l’emploi d’espèces végétales résistantes ou l’association de variétés sont préconisés (ibid.). Les interactions bénéfiques dans les agroécosystèmes sont mises en valeur afin de diminuer graduellement l’emploi des intrants externes. Néanmoins, les pesticides ne sont pas interdits mais peuvent être employés lorsqu’il n’y a pas d’autres options naturelles. Cela dit, le recours aux intrants externes pourrait s’éterniser tout comme l’atteinte d’une agriculture plus durable visée par l’AEI, puisqu’il

peut devenir ambigu de savoir quelles situations sont réellement sans alternatives dépendamment du niveau de connaissances du paysan. Un autre exemple d’imitation de la nature est par l’emploi d’espèces végétales qui produisent elles-mêmes des substances qui agissent comme des herbicides naturels, ce qui implique alors une diminution de l’emploi de substances chimiques (Cirad, 2010). Les promoteurs de l’AEI font même l’éloge de tenter d’identifier, au niveau du génome, la molécule qui résulte en la production de cette substance herbicide. La molécule pourrait être produite synthétiquement ou par des bactéries génétiquement modifiées afin de l’employer dans les cultures pour accroître l’efficacité de la lutte aux ravageurs et aux mauvaises herbes (Roulot-Ganzmann, 2013). À cet effet, l’intégration des OGM n’est pas éliminée de la pratique écologiquement intensive. La recherche de mécanismes plus efficaces dans la nature qui pourraient améliorer un mécanisme plus faible chez une espèce végétale, par exemple, va dans le sens de la philosophie de l’AEI. En regard des risques évoqués par l’utilisation de technologies transgéniques (section 2.6.2), cette option semble plutôt s’éloigner d’une agriculture durable par l’application du principe de précaution et à remplacer potentiellement un problème par un autre.

3. LA PLACE DE L’AGROÉCOLOGIE AU SEIN DES POLITIQUES AGRICOLES DES PAYS AFRICAINS