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Chapitre 2 : L’effet Wolff Chaikoff et ses applications

II. Les agents de contraste

Les agents iodés de contraste radiologique représentent une source de plus en plus fréquente d'excès d'iode (Sun Y. Lee et al., 2015). D’ailleurs, avec l’augmentation de l’utilisation de la tomodensitométrie en imagerie médicale, l’utilisation des agents iodés s’est amplifiée.

Tout d’abord, un agent de contraste est un produit qui permet de mieux visualiser un organe ou une forme pathologique (tumeur) en augmentant visuellement son contraste afin de pouvoir mieux l’observer et le distinguer des autres structures qui l’entourent. Ils sont couramment administrés aux patients par voie intraveineuse.

Ces agents de contraste iodées (ICA ) entrainent une diminution considérable de la captation de l’iode et du Pertechnetate dans la thyroïde (Grayson, 1960; Luster et al., 2008). Ce phénomène a également été observé chez les rats (Yu and Shaw, 2003), les chats (Lee, Pease and Berry, 2010) et les souris (Vassaux et al., 2018). Chez l'homme, l'administration intraveineuse d'ICA entraine une altération de l'absorption thyroïdienne pendant huit semaines.

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Tableau 1 Liste des différents agents de contraste, avec leur concentration en iode et leur osmolarité(Sun Y. Lee et al., 2015).

Les agents de contraste à faible osmolarité (600-1000 mOsm / kg) et iso-osmolaire (280-290 mOsm / kg) ont un ratio plus important d’atomes d’iode par rapport au nombre de particules de contraste comparé aux agents à osmolarité élevée et sont ainsi plus fortement concentré en iode (1500-2000 mOsm / kg) (Katzberg and Haller, 2006; Solomon, Biguori and Bettmann, 2006). Toutefois, que le produit ait une forte ou faible osmolarité, il a toujours une teneur en iode plus forte que la dose recommandée.

Lors d’un examen médical au scanner, les patients reçoivent, en général, une dose qui varie de 50 à 100 ml d’ICA. Ces doses typiques pour les tomodensitométries représentent 2500 à 5000 μg d'iode libre biodisponible et 15 à 37 g d'iode total (Thomsen et al., 2004). En outre, l'iode lié de manière covalente peut être libéré en iodure libre, en particulier lorsque le temps de circulation dans le corps augmente dans le cas d’une altération de la fonction rénale (van der Molen, Thomsen and Morcos, 2004; Moisey et al., 2007).

Après l'administration d’ICA, la quantité d'iode urinaire reste élevée pendant 4 à 8 semaines chez les patients normaux ayant une thyroïde ne présentant aucune anomalie ou dysfonctionnement (patients euthyroïdens) (Sun Y Lee et al., 2015). Une étude a été réalisée sur des adultes euthyroïdiens en bonne santé ayant une fonction thyroïdienne et rénale intacte. Elle a montré que les concentrations moyennes d'iode urinaire ont augmenté de 300% ,entre les valeurs initiales et maximales, et sont revenues à leur valeur initiale, uniquement, 43 jours après l’administration de l’ICA (Nimmons et al., 2013). Dans une étude portant sur des patients athyréotiques (privés de thyroïde) au Brésil, les taux d'iode urinaire ne se sont normalisés qu’un mois après avoir subi un scanner iodé (Padovani et al., 2012).

32 Dans une autre étude chez des patients sans dysfonctionnement thyroïdien sous-jacent et sans goitre palpable, l'iode de tomodensitométrie a entraîné une augmentation des concentrations sériques de TSH jusqu'à 6,4 mUI / L chez 18% des patients dans les 3-5 jours (valeur normale 4.4 mUI / L). Les concentrations de T4 et de T3 libres sont invariables, bien que dans l'étude, aucune évaluation n’a été réalisée pour estimer les variations légères dans les taux d'hormones thyroïdiennes (Gartner and Weissel, 2004).

Cependant, une étude clinique a constaté que l'exposition à l'ICA chez 39 patients autrefois euthyroïdiens était associée à une augmentation significative des taux sériques de T3 et T4, et à une absence de TSH (Breuel et al., 1979).En effet, un dysfonctionnement thyroïdien peut survenir après une administration d'ICA, même chez des individus sans dysfonctionnement thyroïdien antérieur et avec des glandes thyroïdiennes normales.

Dans ce cadre, des études se sont intéressées au développement d’une hyperthyroïdie après des examens utilisant des ICA (Wu et al., 1978; Jaffiol et al., 1982; Nygaard et al., 1998). D’autres ont démontrés que des développements d'hyperthyroïdie peuvent survenir jusqu'à plusieurs semaines après l'exposition à l'ICA (Padovani et al., 2012; Nimmons et al., 2013) : les concentrations sériques de TSH sont supprimées et les concentrations de T4 libre et / ou de T3 totales sont élevées. Conn et al (CONN et al., 1996) ont rapporté une tendance à l'hyperthyroïdie après radiographie de contraste non ionique dans une cohorte de 73 patients (âge moyen : 65,7 ans), un résultat similaire à celui rapporté par Nygaard et al (Nygaard et al., 1998), dont certains patients ont déjà des symptômes de maladie thyroïdienne, une seule patiente, dans cette étude, âgée de 53 ans a développé le symptôme d’une tempête thyroïdienne ayant entrainé un arrêt cardiopulmonaire immédiatement après une étude radiologique iodée. Dans une étude d’une cohorte de 101 patients ayant subi une angiographie coronarienne, 6% ont développé, également, une hyperthyroïdie subclinique à 8 semaines après l'exposition à l'iode (Ozkan et al., 2013).

Après un traitement avec un ICA, il est, notamment, possible de développer une hypothyroïdie. Une étude récente a démontré une association entre l'exposition à l'ICA et le développement de l'hypothyroïdie (Rhee et al., 2012). Certains patients atteints d'hypothyroïdie transitoire induite par l'iode développent plus tard une hypothyroïdie permanente (Braverman, Woeber and Ingbar, 1969). L'incapacité à échapper à l'effet aigu de Wolff-Chaikoff pourrait être liée à une auto-immunité thyroïdienne ou à des anomalies structurelles sous-jacentes de la glande thyroïdienne (Sun Y Lee et al., 2015).

33 Historiquement, cette réduction de captation d'iodure par les tissus thyroïdiens en réponse à l'ICA a été attribuée aux fortes quantités d'iodure libre associées (Laurie, Lyon and Lasser, 1992) et / ou libérées par l'ICA. Conformément à cette hypothèse, la teneur en iode urinaire est élevée pendant quatre à six semaines avant de revenir à des niveaux normaux. En effet, la teneur en iodure urinaire est utilisée comme marqueur de suivi (Haugen et al., 2016).

Toutefois, l'implication de l'iodure libre ou l’existence d’autres mécanismes dans la réduction de l'absorption d'iodure par la thyroïde en réponse à l'ICA n'ont jamais été formellement démontrées. Récemment, dans notre laboratoire nous avons montré, en utilisant l'imagerie SPECT chez la souris, que l'ICA réduit l'absorption d'iodure par la thyroïde à un degré plus élevé et plus durable et que l'iodure libre administré avec l'ICA n’explique pas l’inhibition observée (Vassaux et al., 2018).

La thyroïde s’autorégule dans le cas d’une augmentation de l’apport d’iode en déclenchant un mécanisme de protection « le Wolff-Chaikoff ». Ce mécanisme bien que très peu élucidé est notamment mis à profit dans la radioprotection vis-à-vis d’une exposition à l’iode radioactif. Une meilleure compréhension du mécanisme moléculaire sous-tendant l'effet de Wolff- Chaikoff, pourrait conduire à l'élaboration de nouvelles stratégies de radioprotection.

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