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D ISCUSSIONS ET CONCLUSIONS GÉNÉRALES

5 Agenda de recherche

5.1 Multidisciplinarité dans l’analyse des processus d’innovation agricole

L’analyse de l’innovation ne se limite pas à la sphère économique et évolue de plus en plus vers une collaboration entre les économistes et les sociologues. L’enjeu est alors d’élargir à d’autres disciplines en associant la gestion, la géographie et l’agronomie dans l’analyse des processus d’innovation (Temple et al., 2018b).

L’étude de cas à Madagascar menée dans le cadre de cette thèse confirme l’intérêt de combiner l’économie et la sociologie avec l’agronomie, en utilisant des méthodes d’analyses diverses et complémentaires (quantitatives et qualitatives, analyse statiques et dynamiqueds) pour mieux conduire les recherches sur les processus d’innovation. Une analyse agronomique à l’échelle de la parcelle est par exemple nécessaire pour identifier les systèmes de cultures réellement mis en œuvre par les exploitants quand ils adoptent de façon continue et discontinue l’AC. Etant donné les contraintes d’adoption spécifiques à l’AC à base de stylosanthes (chapitre 4), particulièrement en termes de travail, il serait également intéressant d’approfondir la recherche agronomique sur l’AC afin de proposer une gamme de systèmes d’AC plus diversifiée pour s’adapter à la diversité des situations des exploitations agricoles. Une analyse en sociologie ou en sociologie économique est nécessaire pour se pencher davantage sur l’analyse de la dimension sociale ayant un poids important sur la dynamique d’adoption de l’AC. Notre étude a par exemple mis en évidence que cette dimension sociale intervient à travers les formes d’apprentissage social, le rôle des groupements de paysans dans la dissémination de l’AC, la relation de confiance ou de conflit entre les techniciens de vulgarisation et le paysan, ou encore les normes sociales en prenant l’exemple des pâturages libres pour les zébus au sein de communauté.

5.2 Approfondir la recherche sur l’accompagnement et le conseil

L’approche diffusionniste a été critiquée par les évolutionnistes depuis les années 1980, pour ses limites à fournir des innovations adaptées aux contextes des exploitations agricoles. Cette même approche a encore dominé la dissémination de l’AC en Afrique subsaharienne et à Madagascar dans les années 1990. Il s’agit d’une approche « top-down », caractérisée par un conseil très dirigé et prescriptif sur l’AC. Il en résulte un faible niveau d’adoption de l’AC par les exploitations agricoles.

Il serait intéressant d’adapter les méthodes et les dispositifs de conseil et d’accompagnement des exploitants et de développer une approche plus participative. La mise en place de structures qui s’apparentent aux systèmes d’innovation souvent formalisés par des plateformes d’innovation serait intéressant à développer à différentes échelles :

 L’une à l’échelle régionale, faisant intervenir un réseau d’acteurs à différents niveaux de la chaîne de valeur, comprenant les exploitants agricoles, les groupements de paysan, les coopératives, les fournisseurs de services, les consommateurs, les chercheurs. Cette plateforme à l’échelle régionale aurait vocation à produire des connaissances sur l’AC, en combinant les savoir-faire des exploitants et des autres acteurs de la chaîne de valeur et les connaissances scientifiques des chercheurs. Les innovations qui émergent dans les plateformes d’innovation sont jugées techniquement adaptées et économiquement faisables pour les exploitants, ainsi que socialement et politiquement acceptables (Schut et al., 2018). C’est une approche qui est encore peu développée à Madagascar et qui pourrait être une piste de recherche intéressante à creuser.

 L’autre à l’échelle nationale, faisant intervenir tous les acteurs : les institutions de recherche, les fédérations des groupements de paysans, les coopératives … Des plateformes similaires, nommés Task force nationale agriculture de conservation sont déjà coordonnées par la FAO pour la promotion de l’AC à Madagascar et dans d’autres pays d’Afrique subsaharienne. Approfondir la recherche sur une telle approche serait également intéressant pour faciliter la transition vers l’AC.

5.3 Adoption discontinue de l’agriculture de conservation

Ce travail a permis de mettre en évidence l’existence d’une pratique discontinue de l’AC. L’étude n’a pas pu approfondir les recherches sur les raisons de reprise de l’AC pour ces exploitations. Cependant, des liens entre ce comportement d’adoption et le mode de faire-valoir des terres semblent exister. Certaines exploitations qui adoptent l’AC de façon discontinue sont par exemple des « grands propriétaires » qui mettent une grande partie de leurs terres en métayage et en location. Il serait ainsi intéressant d’approfondir la recherche sur ce comportement « novateur » d’adoption de l’AC : Quelles sont les caractéristiques de ces exploitations ? Quelles sont les stratégies sous-jacentes ? Quelles sont les performances de cas pratiques ? Quels sont les liens entre l’adoption discontinue de l’AC et le mode de faire-valoir des terres ?

5.4 Seuils d’adoption de l’agriculture de conservation à valider sur un échantillon plus grand

Cette étude a permis de mettre en évidence que l’adoption de l’AC requiert un seuil minimum d’adoption de 2 ha de tanety. Pour maintenir cette adoption dans le temps, il faut atteindre le seuil minimum de 3 ha. Il serait intéressant de répliquer de telles analyses pour d’autres systèmes d’AC et/ou dans d’autres zones agroécologiques de Madagascar sur un échantillon plus grand pour mieux cibler les actions de promotion de l’AC.

5.5 Production de base de données pour l’analyse des processus d’innovation

Une des limites de cette recherche est l’inexistence de données de panels permettant de suivre la dynamique des processus d’innovation. Les données disponibles sont souvent issues des bases de données de projet, qui sont limités dans le temps et mobilisent des méthodes non uniformisées. Le temps de la thèse ne permettait pas d’en produire. Il serait intéressant de produire des bases de données avec des méthodes harmonisées permettant de suivre et d’accompagner les processus d’innovation à l’échelle nationale.

L’étude a mis en évidence que la perception de la fertilité du sol influence les décisions d’adoption et d’abandon de l’AC. Toutefois, des données précises sur le statut de fertilité du sol et le degré de dégradation du sol n’existent pas non plus à Madagascar. Ces informations sont nécessaires pour valider les perceptions paysannes sur la fertilité et permettent de mieux cibler les actions de promotion de l’AC ainsi que les recherches y afférentes.