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Affaires suisses pendantes devant la Cour européenne des droits de l’homme

changement de position en la matière272. A notre connaissance, le Tribunal fédéral n’a pas connu d’autres affaires depuis l’avis consultatif de la Cour européenne des droits de l’homme.

Toutefois, l’affaire saint-galloise s’est poursuivie aujourd’hui par le dépôt de deux requêtes le 20 novembre 2015 devant la Cour de Strasbourg : M.B. contre Suisse (Req. n° 58252/15) dans laquelle l’enfant est requérant, et D.B. et Ma.B. contre Suisse (Req. n°58817/15), dans laquelle les partenaires enregistrés sont requérants273. Ces requêtes révèlent que le deuxième père d’intention sans lien génétique, D.B., a pu adopter l’enfant le 21 décembre 2018274. Le processus d’adoption a donc duré moins d’une année, puisque le nouveau droit d’adoption par le partenaire enregistré était entré en vigueur le 1er janvier 2018275.

Cette décision n’a pas mené les requérants à retirer leurs requêtes, se sentant encore comme victimes des décisions prises par les autorités suisses. Ils affirment que l’enfant est resté insuffisamment protégé durant les huit ans entre sa naissance et son adoption par le deuxième père, qui ne bénéficiait pas de l’autorité parentale pendant cette période276. Dans les deux requêtes, les requérants invoquent une violation de l’art. 8 CEDH du fait de l’atteinte disproportionnée provoquée par les décisions de refus de la reconnaissance de la filiation entre D.B. et M.B.277.

Il reste à voir si l’avis consultatif du 10 avril 2019 pourrait avoir un quelconque impact sur cette affaire, puisqu’il est question ici de la reconnaissance de la filiation à l’égard du second père sans lien génétique et non d’une filiation maternelle. STEGMÜLLER est d’avis que « ces deux requêtes seront potentiellement déclarées irrecevables pour défaut manifeste de fondement », puisque les requérants ont pu établir la filiation par voie d’adoption278. Au cas où les requêtes sont déclarées recevable, la Cour de Strasbourg pourrait à tout le moins émettre une critique quant au manque d’effectivité et de rapidité de la procédure d’adoption en droit suisse et pousser ainsi la Suisse à réviser la législation actuelle en la matière. Mais ceci n’est qu’une spéculation qui ne pourra être vérifiée qu’à l’issue des affaires en cause.

de l’enfant né par gestation par autrui à Kiev, en Ukraine. La décision des juridictions françaises refusant la reconnaissance du lien de filiation entre l’enfant et la mère d’intention était prise antérieurement à l’avis consultatif de 2019. Dès lors, lorsque les parents d’intention ont saisi la Cour de Strasbourg, cette dernière n’a pas retenu de violation de l’art. 8 CEDH et a confirmé la décision des autorités françaises, pour autant que la voie de l’adoption leur était ouverte et respectait les conditions de l’avis consultatif. L’élément distinctif dans cette affaire est que la mère d’intention était également la mère génétique de l’enfant, mais cela n’a pas influencé la décision de la Cour, puisque les modalités de l’établissement du lien de filiation relèvent de la compétence des Etats.

272 Cf. supra p. 31, V.

273 STEGMÜLLER, PMA, N 496 ; STEGMÜLLER, Tourisme procréatif, p. 141. Voir les requêtes sur https://hudoc.echr.coe.int/fre#{%22itemid%22:[%22001-203851%22]} (4.05.21).

274 Arrêts D.B. et Ma.B. contre la Suisse et M.B. contre la Suisse, par. 17.

275 Arrêts D.B. et Ma.B. contre la Suisse et M.B. contre la Suisse, par. 16.

276 Ibid.

277 Arrêts D.B. et Ma.B. contre la Suisse et M.B. contre la Suisse, par. 25.

278 STEGMÜLLER, PMA, N 497.

VI. Conclusion

Pour synthétiser, on remarque en premier lieu que la Suisse se focalise principalement sur l’importance de maintenir la stabilité de sa législation interne. Le Tribunal fédéral accorde au lien génétique un rôle fondamental dans la reconnaissance de la filiation parentale établie à l’étranger. L’inégalité qui en résulte envers le parent d’intention sans lien génétique et l’inexistence temporaire de la filiation juridique avec l’enfant ne sauraient primer la réserve d’ordre public.

L’approche de l’Allemagne paraît la plus adaptée pour éviter de mettre l’enfant dans une situation juridique instable quant à sa filiation. Selon la Cour fédérale allemande, son intérêt supérieur à grandir dans une famille juridiquement reconnue prime le respect de l’interdiction nationale de la gestation pour autrui, cette législation ayant principalement un rôle préventif.

Quant à la France, nous avons pu relever la transformation de sa jurisprudence en une quinzaine d’années, qui s’est surtout accentuée suite à la demande d’un avis consultatif à la Cour européenne des droits de l’homme. L’inévitabilité du recours à la gestation pour autrui ainsi que l’inadéquation des voies internes alternatives pour reconnaître la filiation avec une mère d’intention sans lien de filiation a poussé la Cour de cassation à s’adapter à la réalité et à réviser sa jurisprudence.

A propos des juges de la Cour européenne des droits de l’homme, leur position semble se rapprocher lentement vers une acceptation de la gestation pour autrui. En effet, on remarque la prise de position de la Cour de Strasbourg – limitée mais tout de même évolutive – dans l’avis consultatif de 2019. Elle évite de statuer strictement et laisse finalement une grande marge de manœuvre aux Etats membres à la Convention.

En définitive, nous avons pu constater qu’une interdiction générale et absolue n’empêche de toute façon pas les parents d’intention à traverser les frontières pour réaliser leur projet parental.

Les Etats doivent s’adapter à l’évolution de la médecine reproductive et trouver un compromis adéquat qui ne préjudicie pas la situation juridique de l’enfant, ce dernier n’étant pas responsable des circonstances de sa conception. La parenté légale n’est finalement qu’une construction législative qui ne reflète pas nécessairement la réalité génétique.

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