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droits de l’homme et sont très similaires. Pour éviter d’inutiles répétitions, nous ne traiterons que de l’affaire Mennesson.

a. Résumé des faits

Madame MENNESSON, ressortissante française souffrant d’infertilité, a décidé de se rendre avec son époux en Californie pour conclure un contrat de gestation pour autrui. Les gamètes du mari et ceux d’une donneuse ont été utilisés pour procéder à une fécondation in vitro à la mère porteuse143. Des jumelles sont nées le 25 octobre 2000144. Entre temps, la Cour suprême de Californie a décrété que ces enfants auront le couple MENNESSON comme parents légaux145. Leurs actes de naissance ont été dressés conformément à ce jugement146. Le consulat français de Los Angeles a toutefois refusé leur transcription dans le registre de l’état civil de France, suspectant un cas de gestation pour autrui. Le dossier a donc été transmis au parquet de Nantes et une enquête a été ouverte147.

Le 25 novembre 2002, en suivant les instructions du parquet, le consulat a transcrit les actes de naissance des enfants dans le registre de l’état civil de Nantes148. Cependant, le procureur de la République de Créteil a assigné les parents d’intention devant le tribunal de grande instance de Créteil pour annuler la transcription des actes de naissance. Selon lui, la convention de gestation pour autrui était nulle et contrevenait « aux principes d’ordre public de l’indisponibilité du corps humain et de l’indisponibilité de l’état des personnes »149. Le 13 décembre 2005, ce tribunal a déclaré cette action irrecevable150. Le ministère public a donc saisi la cour d’appel de Paris le 25 octobre 2007, qui a confirmé le jugement précédent151. L’affaire a ensuite été portée devant la Cour de cassation qui a cassé la décision de la cour d’appel152. Sur renvoi de la cause, la cour d’appel de Paris a annulé la transcription des actes de naissance le 18 décembre 2010153.

142 CourEDH, 26 juin 2014, affaire Mennesson contre France, n°65192/11 ; CourEDH, 26 juin 2014, affaire Labassée contre France, n°65941/11 ; CourEDH Grande Chambre, 24 janvier 2017, affaire Paradiso et Campanelli contre Italie, n°25358/12.

143 Arrêt Mennesson contre France, 26 juin 2014, par. 7-8.

144 Arrêt Mennesson contre France, 26 juin 2014, par. 10.

145 Arrêt Mennesson contre France, 26 juin 2014, par. 9.

146 Arrêt Mennesson contre France, 26 juin 2014, par. 10.

147 Arrêt Mennesson contre France, 26 juin 2014, par. 12, 14.

148 Arrêt Mennesson contre France, 26 juin 2014, par. 17.

149 Arrêt Mennesson contre France, 26 juin 2014, par. 18.

150 Arrêt Mennesson contre France, 26 juin 2014, par. 19.

151 Arrêt Mennesson contre France, 26 juin 2014, par. 20.

152 Arrêt Mennesson contre France, 26 juin 2014, par. 21.

153 Arrêt Mennesson contre France, 26 juin 2014, par. 22.

Le couple MENNESSON a pourvu en cassation contre cette décision, qui fut rejetée le 6 avril 2011154. Les époux ont finalement saisi la Cour européenne des droits de l’homme.

b. Appréciation de la Cour européenne des droits de l’homme

Dans cette affaire, les époux invoquent une violation du droit au respect de leur vie privée et familiale découlant de l’art. 8 CEDH. L’applicabilité de cette disposition dépend de l’existence d’une famille et peut même se rapporter à des « liens familiaux de facto ». L’élément décisif est la réalité concrète de la relation des membres de cette famille. La Cour a confirmé l’invocabilité de l’art. 8 CEDH dans la présente affaire dès lors que les jumelles vivent avec les parents d’intention depuis leur naissance et rien ne permet de différencier leur situation d’une vie familiale dans son acceptation usuelle155.

Le volet « vie privée » de l’art. 8 CEDH vient également à s’appliquer puisque qu’il prend notamment en compte le droit de chaque personne « d’établir les détails de son identité d’être humain, ce qui inclut sa filiation »156.

La Cour invoque ensuite l’existence d’une ingérence à leur droit au respect de leur vie familiale dans le refus des autorités françaises de reconnaître le lien de filiation entre les parents d’intention et les enfants157. Une telle ingérence est toutefois justifiée si elle est prévue dans une base légale, poursuit un but légitime et est « nécessaire dans une société démocratique » (art. 8 par. 2 CEDH). La condition de nécessité doit également être proportionnelle au but légitime poursuivi158.

i. Base légale

Selon la jurisprudence de la Cour, la mesure incriminée doit être prévue dans une base légale interne, accessible à tout justiciable. La loi en cause doit également remplir la condition de prévisibilité, c’est-à-dire « énoncer avec suffisamment de précision les conditions dans lesquelles une mesure peut être appliquée, et ce pour permettre aux personnes concernées de régler leur conduite en s’entourant au besoin de conseils éclairés »159. La Cour est d’avis que cette condition est remplie dans le cas d’espèce, puisque l’interdiction de la gestation pour autrui est expressément prévue dans le droit interne français160.

ii. Buts légitimes

Les buts légitimes, protégés par l’art. 8 par. 2 CEDH, sont la sécurité nationale, la sûreté publique, le bien-être économique du pays, la défense de l’ordre et la prévention des infractions pénales, la protection de la santé ou de la morale, et la protection des droits et libertés d’autrui.

Le refus des autorités françaises de reconnaître le lien de filiation des jumelles avec les parents d’intention se comprend par leur volonté de décourager les ressortissants français de procéder

154 Arrêt Mennesson contre France, 26 juin 2014, par. 25, 27.

155 Arrêt Mennesson contre France, 26 juin 2014, par. 43, 45.

156 Arrêt Mennesson contre France, 26 juin 2014, par. 46 ; STEGMÜLLER, Tourisme procréatif, p. 135.

157 Arrêt Mennesson contre France, 26 juin 2014, par. 48-49.

158 Arrêt Mennesson contre France, 26 juin 2014, par. 50.

159 Arrêt Mennesson contre France, 26 juin 2014, par. 57.

160 Arrêt Mennesson contre France, 26 juin 2014, par. 58.

à l’étranger à des méthodes de procréation interdites en France, afin de préserver les enfants et la mère porteuse. La Cour admet qu’une telle ingérence poursuit deux buts légitimes : la protection de la santé et la protection des droits et libertés d’autrui161.

iii. Nécessité dans une société démocratique

La Cour a tout d’abord procédé à une distinction entre le respect de la vie familiale des parents d’intention et le respect de la vie privée des enfants162. Elle a estimé qu’il n’y avait pas d’atteinte au droit des parents, ces derniers n’ayant pas pu démontrer des obstacles insurmontables à leur vie de famille163. Leur situation était certes accompagnée de difficultés164 du fait de l’absence du lien de filiation, mais cela ne les pas empêché de s’établir avec les jumelles en France et de vivre comme toute autre famille ordinaire. Il n’y avait en plus pas de risque qu’ils soient séparés par les autorités françaises165.

Quant aux jumelles, la Cour a retenu une atteinte à leur droit au respect de leur vie privée166. En effet, elle soutient que les enfants se trouvent dans une situation juridique incertaine du fait qu’en droit français, elles ne sont pas identifiées comme les enfants des époux MENNESSON167. Elles n’ont non plus pas acquis la nationalité française – alors que leur père biologique est français – ce qui a un impact sur leur identité en tant qu’êtres humains168. De plus, une telle atteinte les met dans une situation précaire quant à leurs droits de succession169. La Cour s’interroge alors sur la compatibilité du refus des liens de filiation avec l’intérêt supérieur des enfants170. En rappelant que le père MENNESSON est aussi leur géniteur, elle précise « qu’on ne saurait prétendre qu’il est conforme à l’intérêt d’un enfant de le priver d’un lien juridique de cette nature alors que la réalité biologique de ce lien est établie et que l’enfant et le parent concerné revendiquent sa pleine reconnaissance »171.

En conclusion, les conditions d’une ingérence n’étant pas remplies, la Cour retient la violation de l’art. 8 CEDH s’agissant du droit des enfants au respect de leur vie privée. Elle n’admet pas, par contre, une violation du droit au respect de la vie familiale des requérants172.

161 Arrêt Mennesson contre France, 26 juin 2014, par. 62.

162 Arrêt Mennesson contre France, 26 juin 2014, par. 86.

163 Arrêt Mennesson contre France, 26 juin 2014, par. 102.

164 Arrêt Mennesson contre France, 26 juin 2014, par. 88-89 : les époux devaient présenter les actes de naissance américains avec leur traduction française pour accéder à des services qui devaient constater leur filiation. Ils avaient notamment des difficultés à inscrire les enfants à la sécurité sociale ou à obtenir l’aide financière de la caisse d’allocation familiale. Les enfants n’avaient non plus pas la nationalité française ce qui compliquaient leurs déplacements.

165 Arrêt Mennesson contre France, 26 juin 2014, par. 92.

166 Arrêt Mennesson contre France, 26 juin 2014, par. 102.

167 Arrêt Mennesson contre France, 26 juin 2014, par. 96.

168 Arrêt Mennesson contre France, 26 juin 2014, par. 97.

169 Arrêt Mennesson contre France, 26 juin 2014, par. 98.

170 Arrêt Mennesson contre France, 26 juin 2014, par. 99.

171 Arrêt Mennesson contre France, 26 juin 2014, par. 100.

172 Arrêt Mennesson contre France, 26 juin 2014, par. 102.

B. Affaire Paradiso et Campanelli contre Italie du 24 janvier 2017

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