5.4.1 Cas g´ en´ eral
Dans cette section, X et Y sont des espaces vectoriels norm´es sur le mˆeme corps K=R ou C. Soit T ∈ L(X, Y). Siy∗ ∈Y∗, alors l’applicationx7→ hy∗, T(x)iest une forme lin´eaire continue sur X. Comme cette application d´epend dey∗ et deT, il est acceptable de la noter T∗(y∗). On obtient ainsi une application T∗ :Y∗ →X∗, qui est enti`erement d´efinie par les identit´es
hT∗(y∗), xi=hy∗, T(x)i, o`u y∗ ∈Y∗ et x∈X.
Th´eor`eme 5.4.1 Si T ∈ L(X, Y), alors l’application T∗ :Y∗ →X∗ est lin´eaire continue, et on a kT∗k=kTk. L’op´erateur T∗ ∈ L(Y∗, X∗) s’appelle l’adjoint de l’op´erateur T.
Preuve. La lin´earit´e est ´evidente. De plus, on a sup
||y∗||≤1
||T∗(y∗)|| = sup
||y∗||≤1
sup
||x||≤1
|hT∗(y∗), xi|;
= sup
||x||≤1
sup
||y∗||≤1
|hy∗, T(x)i|
= sup
||x||≤1
||T(x)||,
o`u la derni`ere ´egalit´e d´ecoule du th´eor`eme de Hahn-Banach (voir 5.3.3). Par cons´equent, T∗ est continue et ||T∗||=||T||.
Exemple Soit F :L1([0; 2π])→c0(Z) la transformation de Fourier, d´efinie par Ff = (cn(f))n∈Z,
o`u les cn(f) sont les coefficients de Fourier de f. Alors l’op´erateur F∗ : `1(Z) → L∞([0; 2π]) est donn´e par la formule
F∗a(t) =
+∞
X
−∞
aneint.
La preuve du r´esultat suivant est imm´ediate.
Proposition 5.4.2 Si S ∈ L(X, Y) et T ∈ L(Y, Z), alors (T S)∗ =S∗T∗.
Le r´esultat suivant est ´egalement tr`es simple, mais souvent utile. Rappelons que siA est une partie d’un espace vectoriel norm´e E, on pose
A⊥ ={x∗ ∈X∗; hx∗, ai= 0 pour tout a∈A}. Proposition 5.4.3 Si T ∈ L(X, Y), alors Ker(T∗) = Im(T)⊥.
Preuve. Il suffit d’´ecrire que pour y∗ ∈ Y∗, on a T∗(y) = 0 si et seulement si hT∗(y), xi = 0 pour tout x∈X.
Corollaire 5.4.4 Si T ∈ L(X, Y), alorsT∗ est injectif si et seulement si T est `a image dense.
Preuve. Cela d´ecoule de la proposition et du crit`ere dual de densit´e.
Notons que ce r´esultat n’est pas sym´etrique : il n’est pas vrai que T∗ est n´ecessairement `a image dense siT est injectif. Par exemple, siF :L1([0; 2π])→c0(Z) est la transformation de Fourier, alors F est injectif, mais F∗ :`1(Z)→ L∞([0; 2π]) n’est pas `a image dense, car son image est contenue dans C([0; 2π]), qui n’est pas dense dansL∞([0; 2π]).
Dans le mˆeme esprit, voici un r´esultat caract´erisant la surjectivit´e en termes d’adjoint. La preuve est instructive, car elle m´elange le th´eor`eme de Hahn-Banach et le th´eor`eme de l’image ouverte.
C’est donc un excellent “r´esum´e” de la fa¸con dont ces r´esultats peuvent ˆetre utilis´es.
Proposition 5.4.5 SoientX et Y deux espaces de Banach r´eels. Pour un op´erateur T ∈ L(X, Y), les propri´et´es suivantes sont ´equivalentes.
(1) T est surjectif.
(2) Il existe une constante c >0 telle que ∀y∗ ∈Y∗ kT∗(y∗)k ≥cky∗k.
(3) T∗ est injectif et `a image ferm´ee.
Preuve. Si T est surjectif, alors, d’apr`es le th´eor`eme de l’image ouverte, on peut trouver une constante C < ∞ telle que BY ⊆ T(CBX). En ´ecrivant la d´efinition de la norme de T∗(y∗), on en d´eduit que (2) est v´erifi´ee avecc= C1 ; les d´etails sont laiss´es en exercice. Par cons´equent, (1) entraˆıne (2). L’´equivalence de (2) et (3) d´ecoule du th´eor`eme d’isomorphisme de Banach et a d´ej`a
´
et´e d´emontr´ee (voir 4.5.5). Il reste donc `a montrer que (2) entraˆıne (1).
Supposons (2) v´erifi´ee pour une certaine constante c >0. D’apr`es le th´eor`eme 4.5.8, il suffit, pour
´
etablir la surjectivit´e deT, de montrer qu’il existe une constanteC <∞telle queT(CBX) contient la boule BY. On va “bien sˆur” prendre C = 1c. Posons B =T(1cBX), et supposons qu’il existe un pointy0 ∈BY tel quey0 6∈B. D’apr`es le th´eor`eme de s´eparation des convexes, on peut alors trouver une forme lin´eaire y∗0 ∈Y∗ telle quehy∗0, y0i>sup{hy∗0, y; y∈B}. Comme ky0k ≤1, on a alors
ky0∗k ≥ hy0∗, y0i > sup
hy0∗, T(x)i; x∈ 1cBX
= sup
hT∗(y0∗), xi; kxk ≤ 1c
= 1ckT∗(y0∗)k,
ce qui contredit (2). On a donc bien montr´e que (2) entraˆıne (1).
Remarque. La proposition pr´ec´edente est en fait valable ´egalement pour des espaces de Banach complexes. Il faut juste adapter la preuve de l’implication “(1) entraˆıne (2)”. Le th´eor`eme de s´eparation des convexes fournit une forme R-lin´eaire Φ : Y → R. Cette forme R-lin´eaire Φ est la partie r´eelle d’une unique forme lin´eaire continue y0∗, d´efinie par hy∗0, yi = Φ(y)− iΦ(iy). En utilisanty0∗, la d´emonstration fonctionne encore si on observe que pour toute forme lin´eairex∗ ∈X∗ (ici x∗ =T∗(y∗0)), on a kx∗k= sup{Rehx∗, xi; kxk ≤1}.
5.4.2 Cas hilbertien
Dans cette section, les lettres H, K, Ld´esignent des espaces de Hilbert, sur le mˆeme corps K=R ou C. On note syst´ematiquement h , i les produits scalaires, avec la convention habituelle dans le cas complexe : hx, yi est lin´eaire par rapport `a y et antilin´eaire par rapport `a x.
Si T ∈ L(H, K), alors T∗ est par d´efinition un op´erateur lin´eaire de K∗ dans H∗. Mais comme K∗ s’identifie canoniquement `a K et H∗ `a H, l’op´erateur T∗ s’identifie `a un op´erateur de K dans H, que l’on notera encore T∗, et qu’on appelle toujours l’adjoint de T. Ainsi T∗ : K → H est d´efini par la propri´et´e suivante :
∀(x, y)∈K×H hT∗(x), yi=hx, T(y)i.
Il est important de noter que l’application T 7→ T∗ est lin´eaire de L(H, K) dans L(K, H) si les espaces de Hilbert H etK sont r´eels, mais antilin´eaire dans le cas complexe.
n v´erifie imm´ediatement que si T ∈ L(H, K), alors (T∗)∗ =T .Ainsi, l’application T 7→T∗ est une involution, et est donc en particulier bijective de L(H, K) surL(K, H). Une cons´equence de ce fait est que si un ´enonc´e g´en´eral concernantT etT∗est vrai, alors l’´enonc´e obtenu en ´echangeant les rˆoles de T et T∗ est ´egalement vrai (et vice versa). Par exemple, on sait qu’un op´erateur T ∈ L(H, K) est `a image dense si et seulement si T∗ est injectif, et on en d´eduit qu’un op´erateur T ∈ L(H, K) est injectif si et seulement si T∗ est `a image dense.
Exemple 1 Si on prend H = Kd muni de sa norme euclidienne usuelle, un op´erateur T ∈ L(Kd) s’identifie `a sa matrice M dans la base canonique de Kd. Alors la matrice M∗ de T∗ est la trans-conjugu´ee deM : si M = (aij), alors M∗ = (aji).
Preuve.Notons (e1, . . . , ed) la base canonique deKd. AlorsT(ej) =P
iaijei, et doncaij =heiT(ej)i pour tout couple (i, j). Par cons´equent, les coefficients de M∗ sont donn´es par a∗ij =hei, T∗(ej)i = hT(ei), eji=hej, T(ei)i=aji.
Exemple 2 L’exemple pr´ec´edent se g´en´eralise en dimension infinie. Soit H = `2(N), et notons ei le i-`eme vecteur de la “base canonique” de `2(N). SiT ∈ L(H), alors T est enti`erement d´etermin´ee par la “matrice infinie” M = (aij) = (hei, T(ej)i). La matrice associ´ee `a T∗ estM∗ = (aij).
L’exemple suivant g´en´eralise les deux pr´ec´edents.
Exemple 3 Soit (Ω,A, µ) un espace mesur´e (comme toujours σ-fini). Pour K ∈ L2(Ω × Ω), notons TK : L2(Ω) → L2(Ω) l’op´erateur associ´e au noyau K. On a alors (TK)∗ = TK∗, o`u K∗(x, y) =K(y, x).
Preuve. Rappelons que l’op´erateurTK est d´efini par TKf(x) =
Z
Ω
K(x, y)f(y)dµ(y). Si f ∈L2(Ω), on a formellement
hTKf, giL2 = Z
Ω
TKf(x)g(x)dµ(x)
= Z
Ω×Ω
f(y) K(x, y)g(x)dµ(x)dµ(y)
= Z
Ω×Ω
f(y) K∗(y, x)g(x)dµ(x)dµ(y)
= Z
Ω
f(y)TK∗g(y)dµ(y)
=hf, TK∗giL2,
ce qui est le r´esultat souhait´e. La justification de ce calcul repose bien entendu sur le th´eor`eme de Fubini : il suffit de montrer qu’on a R
Ω×Ω|K(x, y)| |f(y)| |g(x)|dµ(x)dµ(y)<∞, ce qui se prouve `a l’aide de l’in´egalit´e de Cauchy-Schwarz. Les d´etails sont laiss´es en exercice.
Exemple 4 Si p est une projection orthogonale, alors p∗ =p.
Preuve. Notons E l’image de p. Six, y ∈H, alors hx, p(y)i =hp(x), p(y)i car p(y)∈E et x−p(x) est orthogonal `a E. De mˆeme, on a hp(x), yi = hp(x), p(y)i car p(x) ∈ E et y−p(y) ∈ E⊥. Par cons´equent, on ahx, p(y)i=hp(x), yi pour tousx, y ∈H, d’o`u le r´esultat.
5.4.3 Norme d’un op´ erateur auto-adjoint
Si T ∈ L(H) est un op´erateur quelconque, alors, par d´efinition de kTk et grˆace `a l’identit´e kuk = sup{|hu, yi|; kyk ≤1}, on a
kTk= sup{|hT(x), yi|; kxk ≤1, kyk ≤1}.
Dans le cas o`u l’op´erateurT estauto-adjoint (T∗ =T), on a le r´esultat suivant, souvent utile.
Proposition 5.4.6 Si T ∈ L(H) est auto-adjoint, alors on a ||T|| = sup{|hT(x), xi|; ||x|| ≤ 1}. En particulier, si T est auto-adjoint et si hT(x), xi= 0 pour tout x∈H, alors T = 0.
Preuve. Posons M = sup{|hT(x), xi|; ||x|| ≤ 1}. D’apr`es l’in´egalit´e de Cauchy-Schwarz, on a
|hT(x), xi| ≤ ||T(x)|| ||x|| ≤ ||T|| pour toutx∈BH, et donc M ≤ ||T||. C’est l’in´egalit´e inverse qui est int´eressante.
Par d´efinition de M, on a
|hT(x), xi| ≤M||x||2
pour tout x∈H. D’autre part, comme T est auto-adjoint, on a par “polarisation” : RehT(x), yi= 1
4(hT(x+y), x+yi − hT(x−y), x−yi)
pour tous x, y ∈H. On en d´eduit RehT(x), yi ≤ M4 (||x+y||2+||x−y||2), autrement dit RehT(x), yi ≤ M
2 ||x||2+||y||2
pour tous x, y ∈ H. Le membre de droite ne change pas si on remplace y par λy, o`u |λ| = 1. En choisissant λ tel que hT(x), λyi=|hT(x), yi|, on obtient donc
|hT(x), yi| ≤ M
2 ||x||2+||y||2
pour tous x, y ∈H. En rempla¸cantx par tx ety par yt, o`u t >0 cela donne
|hT(x), yi| ≤ M 2
t2||x||2+||y||2 t2
,
d’o`u finalement, en optimisant par rapport `at2 :
∀x, y ∈H |hT(x), yi| ≤M||x|| ||y||. On a donc bien ||T|| ≤M, ce qui termine la d´emonstration.
Remarque Si on veut simplement montrer qu’on a M 6= 0 si T 6= 0, alors on peut aller beau-coup plus vite : si M = 0, alors hT(x+y), x+yi = 0 pour tous x, y ∈ H, d’o`u RehT(x), yi = 0 pour tous x, y ∈H (en d´eveloppant le produit scalaire), et donc T = 0. La mˆeme preuve fournit le r´esultat purement alg´ebrique suivant : si E est un K-espace vectoriel et si B :E×E →K est une forme hermitienne v´erifiant B(x, x) = 0 pour tout x∈E, alors B = 0.