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« Comment des gens comme nous, qui fuient comme la peste les positions officielles, peuvent-ils avoir leur place dans un "parti" ? Que nous importe un "parti", à nous qui crachons sur la popularité, à nous qui commençons à ne plus savoir où nous en sommes dès que nous nous mettons à devenir populaires ? Que nous importe un "parti" c'est-à-dire une bande d'ânes qui ne jurent que par nous parce qu'ils nous considèrent comme leurs égaux ?1 »

La fin des positions officielles

Le transfert de la direction de la Ligue à Cologne signait le début de la fin de l'organisation, frappée dès le mois de mai 1851 par une vague d'arrestations orchestrée par la police prussienne. Dès l'automne 1850, Marx était redevenu simple adhérent du cercle londonien, au grand regret de Röser, le nouveau président de l'autorité centrale, qui, dans une lettre datée du 25 septembre, déclarait qu'il aurait largement préféré que « le meilleur élément du parti2 » puisse rester à sa tête. Lorsqu'il choisira de prononcer officiellement, depuis Londres, la dissolution de la Ligue quelques semaines après le procès des communistes de Cologne de l'automne 1852, Marx dira à Engels, dans une lettre du 19 novembre, que l'organisation « n'avait plus lieu de continuer d'exister sur le continent non plus, où du reste depuis l'arrestation de Bürgers-Röser elle avait déjà cessé d'exister en fait3 ». De façon plus générale, on a souvent affirmé que, dans la nouvelle conjoncture marquée à la fois par l'exil, l'éloignement de la perspective révolutionnaire et la déstructuration du principal vecteur de l'action communiste internationale, Marx avait préféré se tenir à l'écart du mouvement ouvrier organisé en attendant des jours meilleurs. La période de reflux des années 1850 et du début des années 1860 est ainsi régulièrement perçue comme une phase d'inactivité politique, au cours de laquelle Marx aurait essentiellement profité des commodités offertes par la bibliothèque du British Museum pour approfondir ses recherches dans le domaine de l'économie politique4. Sans aucun doute, dès le début de l'année 1851, c'est l'isolement qui prédomine5, et un isolement qui, s'il est subi, n'est manifestement pas mal vécu. Dans une

1 Lettre d'Engels à Marx du 13 février 1851, in MEGA² III/4, p. 42 ; Cor. II, p. 143. 2 MEGA² III/3, p. 646.

3 MEGA² III/6, p. 88 ; Cor. III, p. 282.

4 C'est ce qu'implique notamment la périodisation de l'intervention politique de Marx proposée par Wolfgang Schieder, qui tend pour l'essentiel à la réduire à deux phases correspondant respectivement à son rôle actif au sein de la Ligue des communistes (1847-1852) et au sein de l'AIT (1864-1872), et qui considère que la césure marquée par la dissolution de la Ligue avait conduit Marx à négliger le travail politique au profit de l'étude scientifique. Cf. Wolfgang SCHIEDER, Karl Marx als Politiker, op.cit., p. 67.

lettre à Engels du 11 février 1851, Marx affirmait même que « cet isolement authentique » lui « pla[isait] beaucoup » parce qu'il permettait de mettre fin au « devoir d'assumer aux yeux du public sa part de ridicule dans le parti en compagnie de tous ces ânes1 ».

Cependant, on aurait tort de considérer cette prise de distance comme la marque d'un abandon de la perspective de l'intervention communiste comprise comme travail de parti telle qu'elle avait été élaborée au milieu des années 18402. Les sévères déclarations à l'encontre du pseudo-parti – le mot « parti » étant entre guillemets – que l'on trouve dans la lettre d'Engels à Marx du 13 février 1851 doivent être replacées dans le contexte très particulier de l'exopolitie3 des réfugiés politiques en Angleterre. Très rapidement, les deux hommes ont pris conscience de l'impuissance et de la vanité des tentatives menées par les « petits grands hommes4 », visant à former à quelques-uns le gouvernement révolutionnaire de l'avenir. De ce point de vue, tout porte à croire que la critique du concept de parti exprimée dans la lettre d'Engels du 13 février 1851 n'avait pas de valeur de vérité générale, mais était étroitement dépendante non seulement des déceptions éprouvées par Marx et Engels à l'égard de l'attitude de certains de leurs camarades de lutte5, mais surtout d'un diagnostic d'ensemble concernant l'impossibilité d'ancrer la pratique politique communiste dans le mouvement réel de la classe ouvrière dans de telles circonstances. S'impliquer activement dans des querelles de chapelles sans disposer de la moindre chance d'acquérir une influence significative sur la masse du prolétariat, ne pouvait être perçu que comme une perte de temps tout à fait risible. L'ascèse partisane à laquelle invitait Engels dans sa lettre doit avant tout être comprise comme le choix de se soustraire à cette « grande bataille des rats et des grenouilles6 » dans laquelle les autres exilés

comme un « homme isolé » plus que comme l' « homme d'un parti ». Cf. Sylvie APRILE, « Le pain amer de l'exil », in Karl MARX, Friedrich ENGELS, Les Grands hommes de l'exil, Marseille, Agone, 2015 [1852], p. XXXVII.

1 MEGA² III/4, p. 37 ; Cor. II, p. 138.

2 À ce titre, Karl-Heinz Leidigkeit a raison de dire que l'isolement évoqué par Marx n'était pas tant un « isolement à l'égard du parti [von der Partei] qu'un isolement pour le parti [für die Partei] » compris comme communauté de conviction. Cf. Karl-Heinz LEIDIGKEIT, « Das kontinuierliche Ringen von Marx und Engels um die Partei der Arbeiterklasse (1852-1860) », in Beiträge zur Geschichte der Arbeiterbewegung, N°6, Berlin, 1977, p. 972. Sans cela, il serait incompréhensible que Marx ait pu déclarer, dans une lettre à Engels du 10 mars 1853, qu'il fallait « absolument renouveler le recrutement de notre parti ». Cf. MEGA² III/6, p. 134 ; Cor. III, p. 333.

3 Le terme « exopolitie » a été forgé par Stéphane Dufoix pour désigner le champ très spécifique des alliances et des oppositions conclues par des opposants politiques en situation d'émigration. Cf. Stéphane DUFOIX,

Politiques d'exil. Hongrois, Polonais, Tchécoslovaques en France après 1945, Paris, PUF, 2002.

4 MEGA² III/4, p. 42 ; Cor. II, p. 143.

5 La déclaration d'Engels faisait notamment suite à la participation de Harney à un meeting à la mémoire du révolutionnaire polonais Józef Bem organisé quelques jours plus tôt par Schapper et Willich, perçue comme une trahison.

6 MEGA² I/11, p. 297 ; Karl MARX, Friedrich ENGELS, Les Grands hommes de l'exil, op.cit., p. 129. La référence à la « grande batrachomyomachie » est également présente dans Le Chevalier de la noble

politiques se précipitaient. L'image développée dans Les Grands hommes de l'exil mérite d'être prise au sérieux : les intrigues de la « politique de comptoir séparée de la politique officielle1 » étaient à la construction d'un véritable parti communiste ce que la

Batrachomyomachie était à l'Iliade, c'est-à-dire une parodie. En cela, on peut considérer que

les recommandations formulées par Engels dans sa lettre à Marx du 13 février 1851 ne concernaient, comme il le disait lui-même, que le « proche avenir2 », et qu'elles n'avaient pas vocation à valoir au-delà. S'il convenait de n'accepter « aucune position officielle » ni « siège dans des comités », ce n'était que dans la stricte mesure où ce type de fonctions amenait inévitablement, dans un tel contexte, à assumer une « responsabilité pour des ânes3 ». Cette ligne de conduite, que Marx résumera dans une lettre à Engels du 8 octobre 1853, après avoir été une fois de plus exposé aux divers ragots des exilés politiques – en l'occurrence, Joseph Daniels venait, semble-t-il, de l'accuser d'être à l'origine de l'arrestation de son frère Roland, l'un des condamnés du procès de Cologne – en affirmant qu'il avait « l'intention de déclarer

publiquement, à la prochaine occasion » qu'il n'était « lié à aucun parti4 », sera suivie, pour

l'essentiel, jusqu'à la fondation de l'AIT. Cependant, elle ne signifie nullement que Marx aurait abandonné, même temporairement, l'ambition de constituer un parti communiste ancré dans la pratique réelle du mouvement ouvrier.

Au cœur du mouvement ouvrier britannique

Symptomatiquement, les réserves exprimées par Marx en matière de prise de parti au cours des années 1850 ne semblent pas s'être appliquées au mouvement ouvrier britannique, ou en tout cas dans une bien moindre mesure. Contrairement aux rodomontades de l'émigration politique, ce dernier disposait d'une assise bien réelle et n'était pas réduit à former une « histoire propre située en dehors de l'histoire universelle5 ». Même si les grandes heures du mouvement chartiste étaient déjà passées, les travailleurs anglais représentaient une force non négligeable, susceptible de donner tout son sens aux efforts d'intervention communiste déployés par Marx et Engels. Dans ce contexte, la fondation du People's Paper par le

conscience, en conclusion d'un paragraphe dans lequel Marx et Engels affirmaient s'être retirés « de toutes les

organisations, démonstrations et manifestations publiques » depuis l'automne 1850, afin d'éviter de se prêter à ces querelles stériles. Cf. MEGA² I/12, p. 511 ; Pléiade IV, p. 656.

1 Ibid.

2 MEGA² III/4, p. 42 ; Cor. II, p. 144. 3 Ibid.

4 MEGA² III/7, p. 32 ; Cor. IV, p. 39.

dirigeant des Démocrates fraternels Ernest Jones en 1852 ne pouvait que susciter leur intérêt. Dans une lettre à Marx du 18 mars 1852, Engels considérait ainsi que Jones était en mesure de cultiver la haine de classe des ouvriers anglais à l'égard de la bourgeoisie, « seule base sur laquelle on p[ouvai]t reconstruire le parti chartiste, mais encore l'élargir, le développer en l'utilisant comme soubassement du travail d'explication1 ». La collaboration de Marx au

People's Paper n'était évidemment pas comparable, par son ampleur, au travail mené à

Cologne à la tête de la rédaction de la Nouvelle Gazette Rhénane. Pour autant, il y a lieu de penser que les deux journaux revêtaient à ses yeux une fonction analogue, celle d'offrir un cadre d'expression pour l'intervention communiste au sein d'un mouvement de masse2.

Malgré le déclin du chartisme après 1848, il n'était pas incongru de considérer que le

People's Paper allait pouvoir jouer le rôle de ferment dans le cadre d'un processus de

restructuration du prolétariat britannique sur une base révolutionnaire. Dès le début de l'année 1853, quelques mois après la fondation du journal, l'Angleterre était frappée par une vague de grèves de grande ampleur. Cette conjoncture nouvelle, qui laissait présager un essor inédit du seul mouvement ouvrier encore actif en Europe, ouvrait la voie à des modalités d'intervention sur le terrain de l'organisation de classe tout autant que sur celui de la bataille des idées. De ce point de vue, il n'est pas étonnant que l'appel à constituer un Parlement du travail, lancé depuis Manchester le 20 novembre 1853 à l'initiative de Jones, ait rencontré le plein assentiment de Marx. Sans commune mesure avec les gesticulations des exilés politiques, le projet de Parlement du travail était ancré dans la pratique réelle du mouvement ouvrier britannique. Même si, dans les faits, le Parlement du travail ne s'est réuni qu'une seule fois, au mois de mars 1854, et n'est pas parvenu à offrir un prolongement politique à la vague de grèves qui avait présidé à sa naissance, son existence même semble avoir fait date. Invité à siéger en qualité de délégué d'honneur, Marx avait, comme il le dirait lui-même dans sa lettre adressée au Parlement du travail le 9 mars 1854 et publiée dans le People's Paper quelques jours plus tard, « regrett[é] profondément3 » de ne pouvoir se rendre à Manchester pour participer aux travaux de l'assemblée. Sans mâcher ses mots, il avait par la même occasion qualifié la convocation du Parlement du travail d'événement témoignant à lui seul de l'entrée

1 MEGA² III/5, p. 79 ; Cor. III, p. 83.

2 L'analogie fonctionnelle entre les deux journaux a notamment été suggérée par Hans-Jürgen Bochinski. Cf. Hans-Jürgen BOCHINSKI, « Marx' Mitarbeit an der chartistischen Zeitung "The People's Paper" im Jahre 1853 », in Marx-Engels-Jahrbuch 3, Berlin, 1980, p. 175.

« dans une nouvelle ère de l'histoire mondiale1 », parce qu'il ouvrait la voie à la constitution de la classe ouvrière la plus avancée d'Europe en parti politique de masse. Il est permis de penser que cette lettre n'était pas qu'une marque de courtoisie envoyée en réponse à l'invitation qu'il avait reçue2. S'il n'a pas lui-même siégé au Parlement du travail, Marx semble en tout cas avoir cherché à élaborer une réflexion stratégique sur son action. C'est ce dont témoigne notamment l'article qu'il a consacré à l'ouverture du Parlement du travail, rédigé le 7 mars 1854 et paru dans le New York Daily Tribune une quinzaine de jours plus tard, dont l'objectif explicite était de mettre en garde l'assemblée contre les erreurs qu'elle était susceptible de commettre, et dont on peut penser que le contenu n'était pas destiné qu'au seul public nord-américain. Le premier paragraphe de l'article développait une longue comparaison entre le Parlement du travail et la Commission du Luxembourg du printemps 1848, afin de montrer tout ce qui séparait – et devait séparer – les deux assemblées. Le parallèle n'était ni anodin, ni innocent, puisque Marx savait pertinemment que Martin Nadaud et surtout Louis Blanc avaient été, comme lui, invités à siéger au Parlement du travail en qualité de délégués d'honneur3. Pour que l'action du Parlement du travail ne soit pas condamnée à l'échec, elle devait se fixer pour objectif non pas « la dénommée organisation du travail » – allusion transparente à Louis Blanc – mais bien « l'organisation de la classe laborieuse4 ». À cet égard, il est tout à fait significatif que Marx ait invité le Parlement du travail à mener à bien cette tâche en préparant la voie à « la constitution effective d'un parti national5 », seule solution à même de le faire échapper aux déboires qu'avait connus la Commission du Luxembourg.

La convocation du Parlement du travail n'est pas le seul épisode de l'histoire du mouvement ouvrier britannique des années 1850 qui ait conduit Marx à sortir de l' « isolement authentique » qu'il évoquait dans sa lettre à Engels du 11 février 1851. La création à l'automne 1854 du Comité d'accueil et de protestation, à l'occasion de l'annonce de la venue à Londres d'Armand Barbès d'une part et de Napoléon III d'autre part, dont Jones a été un des maîtres d’œuvre, constituait un nouvel effort de relance de l'activité chartiste sur des bases internationalistes. Rebaptisé Comité international en février 1855, il allait constituer le noyau

1 Ibid.

2 Il ne nous semble donc pas que l'on puisse dire, comme l'a fait Wolfgang Schieder, que la lettre du 9 mars 1854 témoignerait uniquement du jugement réservé avec lequel Marx aurait accueilli la nouvelle de la convocation du Parlement du travail. Cf. Wolfgang SCHIEDER, Karl Marx als Politiker, op.cit., p. 69.

3 La lettre de Marx à Engels du 9 mars 1854 en témoigne. Cf. MEGA² III/7, p. 69 ; Cor. IV, p. 82. 4 MEGA² I/13, p. 100 ; Pléiade IV, p. 752.

de l'éphémère Association internationale, fondée en août 1856 et souvent considérée comme un précurseur de l'AIT1. Il est intéressant de prêter attention au regard porté par Marx sur cette entreprise, car il témoigne là encore d'un indéniable intérêt en même temps que d'une distance prudente.

Incontestablement, la première impression de Marx était fort négative, précisément parce que le projet initial du Comité d'accueil et de protestation faisait la part belle à cette émigration politique qu'il exécrait – notamment les proscrits français, qu'il taxait régulièrement de « crapauds » dans sa correspondance. Évoquant dans une lettre à Engels du 2 décembre 1854 sa nomination comme membre d'honneur du Comité à l'initiative de Jones, il racontait ainsi s'être « moqué de lui » et lui avoir « rappelé que si le move [mouvement] voulait être efficace ici même et sur le continent, il devait garder un caractère purement anglais2 ». Il ne faut pas se méprendre sur le sens de cette déclaration, qui n'était évidemment pas une manière de tourner le dos à l'ambition internationaliste du combat ouvrier, mais qui constituait bien plutôt un appel à ne pas négliger l'ancrage de l'intervention communiste dans la pratique réelle du prolétariat britannique au profit de la pseudo-politique des exilés. Au début de l'année 1855, Marx semblait encore tout aussi réticent à l'égard des initiatives du Comité d'accueil et de protestation. En témoigne le récit plein d'ironie que l'on trouve dans la lettre qu'il adressait à Engels le 2 février 1855, dans laquelle il racontait s'être « offert le plaisir » d'assister à une des réunions organisées par Jones simplement pour profiter du spectacle que constituait cette « farce3 ». Mettant un point d'honneur à souligner que lui et son ami Theodor Götz n'avaient assisté à la réunion en question qu'en qualité de « spectateurs muets4 », il se sentira d'ailleurs contraint de prendre officiellement ses distances avec le Comité lorsqu'il sera invité, quelques jours plus tard, à participer à un grand meeting public commémorant la révolution de février 1848. Listant, dans sa lettre à Engels du 13 février

1 C'est la thèse qui anime la principale monographie consacrée à l'Association internationale, due à l'historien anarchiste néerlandais Arthur Müller-Lehning. Cf. Arthur MÜLLER-LEHNING, « The International Association (1855-1859). A Contribution to the Preliminary History of the First International », in International Review

for Social History, N°3, Leyde, 1938, p. 185-284. Plus récemment, Fabrice Bensimon a porté un nouveau

regard sur le rôle de l'Association internationale dans la préhistoire de l'AIT. Cf. Fabrice BENSIMON, « The IWMA and Its Precursors in London, c. 1830-1860 », in Fabrice BENSIMON, Quentin DELUERMOZ, Jeanne MOISAND (dir.), « Arise Ye Wretched of the Earth ». The First International in a Global Perspective, Leyde, Brill, 2018, p. 31-33.

2 MEGA² III/7, p. 159 ; Cor. IV, p. 179 sq. 3 MEGA² III/7, p. 178 sq. ; Cor. IV, p. 205 sq. 4 MEGA² III/7, p. 179 ; Cor. IV, p. 206.

1855, les raisons de son refus, il affirmera notamment que « des meetings de ce genre ne sont que du cirque1 ».

Un peu plus d'un an plus tard, cependant, Marx allait faire le choix de passer outre les réticences qu'il éprouvait à l'égard des initiatives du Comité international en participant au banquet organisé à l'occasion du quatrième anniversaire du People's Paper le 14 avril 1856. Dans une lettre à Engels écrite deux jours plus tard, Marx dira qu'il avait pris cette décision « car la situation semblait l'exiger2 ». Sans commune mesure avec la réunion du Comité d'accueil et de protestation du début de l'année 1855, cette initiative lui donnait au contraire l'occasion de prendre la parole à la tribune, à rebours de l'impératif qu'Engels et lui s'étaient fixé de s'abstenir des « manifestations publiques3 ». Il y a en effet prononcé un discours, reproduit le 19 avril dans le People's Paper, dans lequel il comparait la révolution à Robin Goodfellow4, le lutin espiègle immortalisé par Shakespeare dans Le Songe d'une nuit d'été. Si l'on en croit la lettre à Engels du 16 avril 1856, il semble que les conditions d'intervention proposées par Jones ont largement contribué à convaincre Marx d'accepter l'offre qui lui était faite, puisqu'il lui était proposé de porter « le premier toast5 », mais surtout parce qu'il était le seul émigré à pouvoir s'exprimer. De ce point de vue, c'est bien vis-à-vis du mouvement chartiste, dont Marx constatait le regain de vivacité quelques jours plus tôt dans une autre lettre à Engels6, que l'intervention communiste elle-même reprenait son sens. Dès lors qu'existait un cadre organisationnel permettant de gagner l'oreille du prolétariat anglais, l'occasion se devait d'être saisie. La démonstration pouvait ainsi être faite que « les seuls alliés "intimes" » des chartistes étaient Marx et ses partisans, et non les émigrés français qui « flirt[ai]ent publiquement7 » avec eux.

Un journal pour les travailleurs allemands de Londres

Dès 1857, cependant, la perspective d'une réactivation durable de l'intervention communiste au sein du mouvement chartiste s'est amenuisée. Plutôt que de mettre à profit la conjoncture nouvelle qu'ouvrait la crise économique, Jones cherchait à trouver un accord avec la bourgeoisie radicale en vue d'une réforme électorale garantissant le suffrage universel

1 MEGA² III/7, p. 180 ; Cor. IV, p. 207. 2 MEGA² III/8, p. 12 ; Cor. IV, p. 298. 3 MEGA² III/8, p. 13 ; Cor. IV, p. 298. 4 MECW 14, p. 656.

5 MEGA² III/8, p. 12 ; Cor. IV, p. 298.