• Aucun résultat trouvé

---Acte III, scène 8

Notes - Vers 979 : «effet» : «Résultat».

- Vers 982 : La coupe 4 / 8 met bien en valeur les mots «vertu» et «criminelle».

- Vers 984 : Hector fut tué sous les murs de Troie par le propre père de Pyrrhus, Achille (voir vers 1019).

- Vers 985 : «vous ravissent» : «veulent vous ravir», «vous enlever».

- Vers 986 : «mânes» : Nom donné aux âmes des morts dans la religion romaine. Les faire rougir est donc une alliance de mots hardie.

- Vers 987 : «Qu’il méprisât» : Subjonctif imparfait marquant le conditionnel qui était admis au XVIIe siècle.

- Vers 987-991 : Il faut remarquer l’anaphore.

- Vers 991 : «dément ses exploits» : Pyrrhus irait à l’encontre des actes qu’il a commis à Troie puisqu’il s’offre à relever la ville qu’il a lui-même ruinée.

- Vers 992-995 : Nouvelle anaphore.

- Vers 994 : Après avoir tué Hector, Achille l’avait attaché à son char pour le traîner autour des remparts de Troie.

- Vers 996 : «Ensanglantant l’autel qu’il tenait embrassé» : Dans le chant II de l’’’Énéide’’, «Pyrrhus traîne au pied même de l’autel Priam qui tremble et glisse dans le sang de son fils ; de la main gauche, Pyrrhus saisit la chevelure, de la droite il brandit son étincelante épée et la plonge dans le flanc du vieillard jusqu’à la garde.» Priam était en position de suppliant, sous la protection des dieux.

- Vers 1000 : «palais brûlants» : L’accord du participe employé comme verbe était admis au XVIIe siècle.

- Vers 1001 : «frères» : Il s’agit en réalité de ses beaux-frères.

- Vers 1002 : «échauffant le carnage» : Le «stimulant». L’alliance de ces deux termes concrets est hardie.

- Vers 1006 : «comme» : «comment».

- Vers 1011 : Il faut comprendre : «Je n’aurais plus le droit de le haïr».

- Vers 1013 : «Vous frémissez, Madame?» : Il y a ici un procédé scénique, assez neuf alors, pour attirer l’attention sur un autre acteur que celui qui parle.

- Vers 1016 : «l’image d’Hector» : Andromaque aime son mari à travers son fils.

- Vers 1018 : «le jour que» : La langue classique utilisait ces formes : «au moment que», «du côté que».

- Vers 1020 : Racine emprunta à Homère (‘’Iliade’’, VI) la fameuse scène des adieux d’Hector et d’Andromaque. Mais, par souci de psychologie, il transposa habilement la situation et les paroles.

- Vers 1023 : «foi» : «fidélité».

- Vers 1024 : «je prétends» : «J’aspire à ce que…».

- Vers 1025 : «hymen» : «Mariage».

- Vers 1029 : «entraîne» : «Entraîne sa perte».

- Vers 1032 : «qu’il ne sent pas» : parce qu’il est trop jeune.

- Vers 1034 : «Le fer» : «l’épée».

- Vers 1039 : «de mon fils l’amour» : Il faut rétablir l’inversion : «l’amour que j’éprouve pour mon fils».

- Vers 1043 : «foi» : «amour et fidélité».

- Vers 1045 : «mon père» : Andromaque était la fille d’Éétion, et pense plutôt ici à son beau-père, Priam.

- Vers 1046 : Dans ‘’Andromaque’’ d’Euripide, on lit : «Ö mon fils, moi, ta mère, pour que tu ne meures pas chez Hadès ; pour toi, si tu échappes au destin, souviens-toi de ta mère et rappelle-toi dans quelles souffrances je suis morte.» (vers 414-416).

- Vers 1048 : «tombeau» : «cénotaphe élevé par Andromaque en mémoire de son époux». Au vers 924, Andromaque avait dit : «Allons rejoindre mon époux.»

Intérêt de l’action

Depuis plus de deux actes, le sort du petit Astyanax et le devenir d'Andromaque semblaient totalement dépendre des caprices de Pyrrhus, Racine ne s'écartant pas de la figure légendaire du prince cruel et instable, dont les décisions autoritaires s'inversent au gré de son humeur. Mais continuer ainsi aurait ôté tout rôle tragique à son Andromaque. La dernière scène de l'acte III est donc l'occasion de recentrer le conflit tragique sur sa personne, de la rendre maîtresse d'un impossible choix, de lui faire trancher une douloureuse alternative.

La scène se déroule ainsi :

1. Au souvenir des horreurs qu’il a commises à Troie, la vision de la ville en flammes s’imposant dans sa mémoire, Andromaque refuse d’épouser Pyrrhus (vers 977-1011).

2. Au souvenir de l’amour que lui portait Hector, elle refuse d’abandonner Astyanax (vers 1012-1038).

3. Dans ce désarroi, elle connaît de suprêmes hésitations (vers 1039-1048).

Comme Andromaque converse avec sa confidente, Céphise, Racine transposa habilement en un dialogue ce qui aurait pu n’être qu’une lutte intérieure. Les différentes résolutions d’Andromaque créent un mouvement dans la scène, mais chacune de ses tirades aboutit à une décision opposée, leur contradiction reparaissant dans la fin de la scène où elles s’annulent apparemment, la scène n’aboutissant qu’à cette décision : aller «consulter» Hector «sur son tombeau», l’acte se terminant sur cette incertitude. On pourrait penser que Racine ne fait que reproduire la situation qui existait à la fin de l’acte I ; mais, en réalité, l’action a progressé en ce sens que la crise et plus aiguë, et que l’évolution est avant tout psychologique.

Intérêt littéraire

Andromaque est hantée d’images obsessionnelles, qui sont développées en remarquables hypotyposes, descriptions réalistes, animées et frappantes de la scène dont on veut donner une représentation comme vécue à l'instant de son expression. C’est ainsi que :

- Dans sa première tirade (vers 992-1008), elle évoque le terrible le carnage des Grecs dans Troie défaite, prise et envahie,

- en s’exprimant sur un ton épique :

«Songe, songe, Céphise, à cette nuit cruelle Qui fut pour tout un peuple une nuit éternelle...» ;

- en usant de plusieurs anaphores («Songe» présent quatre fois, «Voilà» présent deux fois), et d'impératifs de renforcement («Figure-toi» [vers 999], «Peins-toi» [vers 1005]) ;

- en situant chaque personnage car, en dépit du désordre provoqué par le carnage, l’action est parfaitement ordonnée ;

- en montrant en particulier la sauvagerie de Pyrrhus, selon son strict point de vue ;

- en nous rendant perceptible cette couleur rouge de l'incendie et du sang, éclaboussant les victimes comme les bourreaux (vers 993-996, 999), et ce vacarme assourdissant du combat (vers 1003-1004).

Ce spectacle en son et lumière, qu'elle revit en le décrivant, lui permet de refuser de nouveau avec force (vers 1004-1006) de s'allier avec le responsable du génocide de son peuple. Aussi, au vers 1010, préfère-t-elle condamner elle et son enfant à mourir. Cette évocation poétique de la chute de Troie, et des horreurs qu’elle connut, est conforme aux meilleures et aux plus fâcheuses traditions de la tragédie et de la rhétorique classiques. C’est un morceau de bravoure où il s’agissait pour Racine d’employer adroitement toutes les ressouces des figures de pensée et des figures de style ; où il lui fallut, autant que possible, se souvenir brillamment des Anciens, rivaliser avec le genre épique de l'Antiquité ; où il abrégea et transposa (en se souciant des bienséances et du style noble) et l’’’Iliade’’

et l’’’Énéide’’.

- Dans sa seconde tirade (vers 1018-1026), elle est envahie par une autre vague de souvenirs, se rappelle les dernières paroles d’Hector, évoque les tendres adieux entre elle et Hector. Racine passant habilement du registre épique au registre lyrique, elle est élégiaque à travers les souvenirs de son bonheur (vers 1014-1026). À partir de «II demanda son fils et le prit dans ses bras» (vers 1020), l'hallucination devient complète : devant ce qu'elle voit, elle oublie Troie pour Hector ; c'est une voix d’outre-tombe qui parle dans les vers qui suivent, plus émouvante que celle d'Andromaque ; l'épouse, comme une devineresse habitée, fait parler à travers elle, en style direct, le défunt ; c'est une forme de prosopopée.

Chacune des tirades est marquée de phrases interrogatives ou exclamatives, qui traduisent l’incertitude, l’angoisse et l’exaspération d’Andromaque contre Pyrrhus. Chacune aboutit à une décision opposée, et leur contradiction reparaît dans la fin de la scène, où les répliques entre Andromaque et sa suivante s'enchaînent plus vite, parfois même en stichomythies (vers 1038-1039, 1043, 1047).

Racine, voulant ressusciter des âmes proches encore de cette nature où la férocité et la générosité s'alliaient dans une grandeur sans artifice, garda quelques détails familiers d’Homère, souligna une simplicité qui mêle le sourire, les larmes et le silence. Mais il réécrivit la scène en mode halluciné. Il ne

s’agit plus alors de rhétorique : c’est le cri pathétique d’une âme en qui le passé ressuscite comme s’il était le présent.

Intérêt psychologique

Andromaque a pour interlocutrice sa confidente, Céphise, qui, tout comme Phoenix pour Pyrrhus, représente la raison, la logique, est comme un double de sa maîtresse. Ses interventions ont pour but de l’amener à se rendre compte du pouvoir dont elle dispose (vers 977-978), de lui montrer qu’elle seule condamnera son fils à mort ou le sauvera (vers 980, 1011-1012), de se libérer du scrupule de fidélité à Hector, et d’apprécier Pyrrhus (vers 985-991), de lui rappeler que les événements suivent leur cours (vers 985-992, 1012-1013), ou de lui poser des questions brutales sur la marche à suivre (vers 1038, 1043, 1047). Froidement, comme extérieure à la douleur d'Andromaque, elle incarne en quelque sorte le sablier tragique ; elle la presse toujours d'agir tout en soulignant les implications intolérables de chaque aspect de l'alternative : la princesse troyenne sera toujours infidèle à elle-même, quoi qu'elle fasse : à son peuple si elle épouse Pyrrhus, à son seul amour si elle laisse mourir son enfant. C'est grâce à Céphise qu'Andromaque, hantée par des souvenirs indélébiles, mesure sa double chaîne morale.

En I, 4, le spectateur a découvert Andromaque dans une disposition d'esprit intraitable, voire ironique (vers 270-272), et développant un discours habile, méthodique, pour exposer sa résolution de voir mourir son fils, et de mourir elle-même, plutôt que de céder aux avances de Pyrrhus.

L'acte III la lui montre très différente, parce qu'on croit alors la mort d'Astyanax imminente : à la scène 6, elle s'humilie d'abord aux pieds de Pyrrhus (vers 915-916), le suppliant de sauver son fils ; à la scène 8, elle se laisse miner par des souvenirs hallucinatoires, où cependant les exploits qui faisaient hier la grandeur de Pyrrhus sont maintenant des crimes (vers 992-1008), et, sa volonté brisée, se livre à une plainte funèbre, prononce un discours envahi par des voix étrangères, et bute sur des questions insolubles.

Toute cette scène montre la lutte intérieure qui se livre en elle, qui est partagée entre son amour maternel, et sa fidélité au souvenir et à l’amour de l’époux défunt, Hector, qui est, en somme, le personnage essentiel de la scène : ce sont ses dernières paroles qu’elle évoque ; c’est à lui finalement qu’elle ira demander conseil.

Dans la première tirade (vers 992-1011), accablée par l’ultimatum de Pyrrhus, elle se borne à revivre un passé douloureux, celui de la chute de Troie, qui sert d'explication à sa force de résistance contre l'espèce de harcèlement que lui fait subir I'homme dont la vue s'associe à tous ses plus cruels souvenirs, et pour lequel, dans son tréfonds, elle ressent une haine inextinguible. Le traumatisme a imprimé en elle de telles images d'horreur qu'une carapace émotionnelle lui évite les troubles du présent ; elle vit enfermée dans ce passé troyen, le passé de son couple, de son peuple, de la prise de Troie par les Grecs, qu’elle évoque intensément. Paradoxalement, on s’est appuyé sur les vers 999-1006 pour soutenir la thèse d’une Andromaque amoureuse de Pyrrhus. Il est vrai qu’Ériphile, dans ‘’Iphigénie’’, s’éprend d’Achille, son ravisseur sanglant. Mais Andromaque n’a pas la perversité d’Ériphile !

Dans sa seconde tirade, sa fidélité conjugale apparaît comme le fondement de ses sentiments maternels. Elle aime son enfant non seulement pour lui-même ou parce qu’il est son fils, mais parce qu’il est comme un substitut de son époux disparu ; on avait lu en I, 5 : «C’est Hector, disait-elle en l’embrassant toujours» ; ici, elle le voit comme «l'image d'Hector» (vers 1016). Ainsi, si elle perd Astyanax, elle perdra Hector une seconde fois.

Après avoir ainsi fait revivre son mari l'espace d'un souvenir, une Andromaque plus lucide considère la seconde partie du dilemme (vers 1027-1032) : dans une série de questions rhétoriques, dont la réponse est évidemment négative, elle s'adresse à elle-même des reproches implicites, puis invoque Pyrrhus (vers 1029-1032) pour souligner l'innocence de son fils, enfin (vers 1033-1037) s'imagine parler directement à l'enfant, le rassurant virtuellement (vers 1036) pour mieux s'interdire d'accepter sa mort, ce qui signifie qu'elle ira épouser Pyrrhus.

Mais elle a recours à Hector dans sa détresse : «Allons sur son tombeau consulter mon époux.» (vers 1048)

Dans cette scène, où elle éprouve les pires angoissses, dont la fin donne le spectacle de son complet désarroi, Andromaque révèle toute sa puissance de tendresse. Si elle est prise dans un dilemme où elle doit choisir entre deux décisions dont chacune est conforme à un devoir différent, et qui mènent toutes les deux à une catastrophe, elle nous émeut infiniment.