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Acquisition de la morphosyntaxe en L2

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Acquisition et traitement de la morphosyntaxe en L2

5.1 Acquisition de la morphosyntaxe en L2

5.1.1 Un ou deux mécanismes de traitement ?

La manière dont les locuteurs natifs traitent la morphosyntaxe de leur langue en temps réel fait l'objet d'un débat particulier qui éclaire aussi le traitement mor-phosyntaxique en L2. Ce débat tient son origine dans l'étude du passé en anglais, et la diérence entre les verbes réguliers, dont la forme passée peut être obtenue par une règle compositionnelle, et les verbes irréguliers, qui doivent nécessairement être appris en tant que forme complète. La question est donc de savoir si les locu-teurs natifs traitent ces deux types de verbes de la même manière, au sein d'un seul système associatif, ou via deux systèmes incluant d'une part le stockage des formes entières et de l'autre la décomposition morphosyntaxique des formes verbales.

Dans les modèles comprenant un seul système, essentiellement issus du courant de pensée connexionniste, les verbes réguliers et irréguliers sont traités de la même manière (Rumelhart et McCleelland, 1986). Ces modèles sont fondés sur l'observa-tion que les verbes irréguliers suivent des motifs morphologiques qui ne sont pas arbitraires mais peuvent être regroupés en familles (ex. cut/cut et put/put ou teach/taught et catch/caught). Toutes les formes verbales du passé seraient donc traitées par des processus de mémoire associative fondés sur les représentations et similarités phonologiques et sémantiques, éliminant le besoin d'un niveau de re-présentation spéciquement morphologique. Ces études s'appuient majoritairement sur des simulations (Seidenberg et Elman, 1999) qui montrent que ces associations susent pour produire les formes correctement échies des verbes au passé.

Les modèles à deux systèmes (ex.Words and Rules, Pinker et Ullman, 2002) postulent deux mécanismes séparés : les verbes réguliers sont composés en temps réel par l'application de règles, alors que les formes irrégulières sont stockées de manière entière en mémoire déclarative, et peuvent également être récupérées par

des associations phonologiques. Ce modèle est compatible et associé avec le modèle Déclaratif et Procédural deUllman(2001a,2004) : les verbes irréguliers sont conser-vés en mémoire déclarative alors que les formes régulières font appel à la mémoire procédurale pour le processus de composition. Dans cette théorie, la mémoire est partiellement associative et les deux systèmes fonctionnent en parallèle : une forme régulière peut toujours être conservée et récupérée en mémoire déclarative, selon la fréquence dans l'input ou les préférences du locuteur. Le soutien empirique pour ces modèles vient premièrement du fait que des eets de fréquence sont observés pour les verbes irréguliers alors que les résultats sont mitigés pour les verbes réguliers (voir Alegre et Gordon, 1999). Mais les principaux éléments en faveur de ce modèle sont issus d'études neuropsychologiques observant des dissociations à la suite de lé-sions cérébrales. Ainsi, les patients anomiques, ayant des dicultés à trouver leurs mots, sont plus performants avec les verbes réguliers qu'irréguliers et régularisent des verbes irréguliers (Tyler et al.,2002; Ullman et al., 1997), alors que les patients sourant d'agrammatisme rencontrent plus de dicultés pour produire les formes régulières et pour échir des non-mots (Ullman et al., 1997).

Cependant, une des principales critiques à l'encontre de ces modèles à deux sys-tèmes est qu'ils sont essentiellement focalisés sur les eets de fréquence observés en anglais, mais que très peu de preuves existent que ce système s'applique à d'autres langues. Dans des langues comme le russe, aucun eet diérent entre réguliers et irréguliers n'a été trouvé ni en L1 ni en L2 (voir Gor et Cook, 2010), et les don-nées de ces langues supportent plutôt une gradation entre réguliers et irréguliers et donc les modèles à un seul système. Certains modèles hybrides comme le modèle à deux trajectoires (dual-route model ou dual-access theory) proposent que les deux systèmes  l'application des règles symboliques et la recherche et récupération en mémoire associative des formes échies  fonctionnent en parallèle, la production ou compréhension nale dépendant du réseau le plus rapide (Baayen et al., 1997). Cette théorie est appuyée par des études en neuroimagerie. Par exemple, l'étude

de Hickok et Poeppel (2004) a révélé l'existence de deux réseaux indépendants de

traitement du langage : d'une part un trajet dorsal impliqué dans la décomposition phonologique et dans le traitement de la morphologie exionnelle, et d'autre part un trajet ventral chargé du traitement sémantique. Le réseau dominant peut être diérent en L2 et en L1. Les règles peuvent donc constituer une bonne description de la production des apprenants sans pour autant rendre compte des mécanismes d'apprentissage. L'étude deKempe et al. (2010) montre qu'une plus grande variété de processus est à l'÷uvre lors de l'acquisition d'une L2 que d'une L1 : des méca-nismes s'appuyant sur la mémoire associative et d'autres reposant sur l'extraction de règles co-existent chez les apprenants adultes.

Si plusieurs mécanismes sont à l'÷uvre en parallèle lors du traitement et de l'ac-quisition de laL2, ils peuvent ne pas être aussi ecaces l'un que l'autre et contribuer

aux dicultés morphosyntaxiques des apprenants. Ces dicultés peuvent être ex-pliquées de deux manières. Elles peuvent soit se situer au niveau des représentations mentales  les apprenants n'ont alors pas la compétence nécessaire  soit être le résultat de problèmes de traitement ou d'accès à ces représentations.

5.1.2 Un décit de compétence ou de performance ?

Certaines théories stipulent que les connaissances morphosyntaxiques et syn-taxiques des apprenants sont bien intégrées, mais qu'ils rencontrent des problèmes pour associer la forme phonologique et la fonction syntaxique. En eet, plusieurs études montrent qu'il est possible pour des apprenants d'une L2 de traiter de nou-velles structures comme des locuteurs natifs : la diérence entre voix passive et participe-passé en allemand (Weber et Lavric,2008), l'accord de genre en espagnol

(Alemán Bañón et al., 2014) ou même des structures dans une langue articielle

telle que Brocanto ou Brocanto2 (Friederici,2002;Morgan-Short et al.,2010,2012). Si les représentations des apprenants sont similaires à celles des natifs, d'autres facteurs doivent expliquer leur performance très variable. McDonald (2006) a testé d'abord des apprenants et des locuteurs natifs sur les mêmes tâches : des mesures d'empan en mémoire de travail (ré-ordonner des items entendus par groupe de 3, 4, 5 ou 6), de décodage de la parole (deviner le plus rapidement possible un mot découpé en segments très courts), de rapidité de traitement (appuyer sur une touche lorsqu'un mot particulier est entendu) et de jugement de grammaticalité. Sans sur-prise, les apprenants étaient moins performants que les natifs sur toutes les tâches. Ils rencontraient également plus de dicultés pour certaines structures morphosyn-taxiques comme la morphologie du passé que pour d'autres points de syntaxe comme l'ordre des mots. McDonald et ses collègues ont ensuite testé des locuteurs natifs soumis à des conditions de stress : plus ou moins de chires à retenir en mémoire de travail, bruit blanc ajouté dans la tâche de décodage, pression de temps pour répondre à la tâche de détection du mot ou parole compressée. Dans ces conditions, les locuteurs natifs avaient une performance similaire à celle des apprenants, avec des décits de jugement sélectifs : des structures telles que la morphologie du passé étaient plus vulnérables que d'autres telles que l'ordre des mots. Cette étude suggère donc que les erreurs observées chez les apprenants seraient le résultat de dicultés d'accès, de récupération ou de contrôle des connaissances, à cause d'une capacité de décodage inférieure à celle des natifs, d'un traitement plus lent, et/ou d'une limita-tion des ressources cognitives et notamment d'une plus faible capacité de mémoire de travail en L2. Un des problèmes principaux des théories de la performance est l'observation que les dicultés des apprenants avec la morphosyntaxe ne se limitent pas à la production mais s'étendent à la compréhension : les apprenants n'utilisent pas toujours les indices morphosyntaxiques présents dans l'input pour interpréter celui-ci.

Certaines théories (celle de l'intégration sélective des connaissances linguistiques

deJiang, 2007ou l'hypothèse de la Structure Syntaxique Creuse de Clahsen et

Fel-ser, 2006) estiment donc que les dicultés auxquelles les apprenants font face vont au-delà d'un problème de traitement en temps réel et impliquent l'état de leurs re-présentations mentales. Les connaissances morphologiques sont considérées comme n'étant pas complètement acquises : elles peuvent exister (et potentiellement être parfaitement exprimées dans une tâche métalinguistique hors-ligne) mais ne sont pas intégrées, et pas utilisées en parole spontanée. Par exemple, l'expérience de

Mc-Carthy(2008) montre que des apprenants L2avancés adoptent souvent le masculin

comme forme par défaut au lieu de l'accord de genre correct : les auteurs inter-prètent cela comme un décit dans les représentations au niveau morphologique. En revanche, Alemán Bañón et al. (2017) n'ont pas trouvé d'adoption excessive des défauts masculins chez leurs participants avancés qui, comme ceux de Gruter

et al. (2012), font peut d'erreurs d'inconstances : les violations d'accord sont dues

à une mauvaise représentation lexicale du genre, c'est-à-dire à une représentation mentale de mots féminins comme masculins et vice-versa. Pour les théories postu-lant un décit de compétence, les occurrences d'utilisation correcte de la morpho-logie exionnelle chez les apprenants seraient uniquement dues à leur utilisation de

connaissances explicites. La notion de compétence est comprise comme la capacité à utiliser une structure correctement en parole spontanée sans y prêter attention et sans recourir à desconnaissances explicites. Selon les diérents modèles, ce problème de représentations mentales s'applique soit à l'intégralité de l'acquisition de la L2, soit seulement aux stades initiaux.

Les études neurocognitives récentes (voir Roncaglia-Denissen et Kotz, 2016) tendent à soutenir des modèles de décit de la compétence, du moins au début de l'apprentissage de la L2. Cependant, comme nous l'avons vu plus haut (voir 2.1.3), une meilleure maitrise de la L2 est accompagnée par le développement et l'impor-tance croissante de lamémoire procédurale, ce qui se traduit par une internalisation des règles et une utilisation des indices morphosyntaxiques plus similaire à celle des natifs. SelonSteinhauer (2014), les études en potentiels évoqués bien contrôlées vont également dans le sens de cette hypothèse de la convergence : les mécanismes de traitement entre L1 et L2 sont diérents au départ puis deviennent de plus en plus semblables à mesure que le niveau de compétence des apprenants augmente. Mais même à des niveaux de compétence très élevés, des erreurs persistent. Les dif-cultés des apprenants varient entre les individus mais aussi entre les structures, et plusieurs facteurs semblent avoir un impact sur la maitrise du système exionnel d'une L2, allant de diérences individuelles de capacités cognitives aux conditions d'exposition ou à la similarité entre les deux langues de l'apprenant.

5.2 Plusieurs facteurs inuencent le succès de

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