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A-3 Accéder au sens par le mot, le début de la pensée philosophique

La différence entre les langues occidentales et le chinois est peut-être la suivante : la langue chinoise peut se contenter d’un mot pour expliquer un autre mot (n’oublions pas la puissance sémantique de l’idéogramme) alors qu’une langue occidentale utilise une proposition, ou phrase, entière explicative construite. La question « qu’est-ce que c’est ? » ne s’est pas posée en philosophie chinoise, et une réponse explicative impliquant une structure syntaxiquement bien construite (occidentale) n’existe donc pas. Philosophie et philologie sont étroitement liées par le sinogramme et un autre mode de pensée s’ensuit avec une autre démarche philosophique.

Il n’y a pas de questionnement ni de dialectique argumentée, simplement on peut montrer des différences-interprétations d’un mot.

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Les formules sont présentées telles que la subtilité ou les nuances d’interprétation exigent des philosophes (ou philologues) un engagement de toute leur énergie : comment utiliser les mots pour qu’unité et cohérence soient établies : Confucius est le centre du dispositif de légitimation de la dynastie, Annales des Printemps et Automnes (Chunqin)42, un mot peut distribuer « louanges ou blâmes » ; 微言大義 (wēiyándàyì) « le propos est subtile et le sens en est vaste ». En plus la polysémie

conduit la philosophie chinoise sur la voie d’un style simple mais condensé dans les phrases.

En conclusion, l’intérêt de l’investigation philosophique n’est pas dans le domaine de l’« extension » ou acception de concepts mais dans le domaine du contenu, synthétisé. La pensée chinoise pense à partir d’une unité, d’un mot, en examinant le mot, son origine, et son évolution, on cherche à cerner son sens.

Exemple : l'expression chinoise 格物致知 géwù zhìzhī

On ne fonctionne pas en analysant des phrases. L’origine de cette phrase est dans le Canonique Le classique des rites, La Grande Etude : 致知在格物,物格而后知 .

zhìzhī zài géwù, wù gé ér hòu zhī : « Chercher le principe des choses et le

comprendre à fond ». C’est un important courant concurrent de l’école du Principe (理學: Lǐxué :心學Xīn xué l’étude de l’esprit, littéralement, qui peut se dire aussi 道 學Dàoxué, qui qualifie l’étude des saints, comme un courant intellectuel au sein du néo-confucianisme). On ne peut pas considérer ces quatre mots comme une phrase, ou injonction. Mais on peut analyser chaque mot, le remettre dans le contexte afin de cerner le sens et avoir une compréhension totale.

Ceux qui, dans les temps anciens, voulaient faire briller, partout sous le ciel, les illustres vertus, commençaient d’abord par bien gouverner leur propre pays. Ceux qui voulaient bien gouverner leur pays, commençaient par mettre de l’ordre dans leur famille. Ceux qui voulaient mettre de l’ordre dans leur famille, commençaient par cultiver leur propre personne. Ceux qui voulaient cultiver leur personne, commençaient par rectifier leur cœur. Ceux qui voulaient rectifier leur cœur, commençaient par rendre authentique leur pensée. Ceux qui voulaient rendre authentique leur pensée, commençaient par développer au plus haut point leur savoir. Un tel développement du savoir dépend de l’examen des choses.43

42 Les Annales des Printemps et Automnes (春秋 Chūn Qiū), ou Annales du pays de Lu, est une

chronique des règnes des douze princes de l'État de Lu, de 722 à 481 av. J.-C.

43 Couvreur, Séraphin. Li ji, Traité des Rites (Li ji), Daxie, (Grand apprentissage), Chapitre I,

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Il s’agit d’approfondir le sens de chaque mot. On commence ainsi à philosopher. Le travail de base de la méthode philosophique chinoise commence par l’examen d’un mot, parvenir à une compréhension du mot. On peut saisir le li 理 Lǐ (cohérences et

valeurs de l’univers), ce qui est le fondement des choses et des cohérences. 44

Les caractères s’enchaînent pour former une phrase, la phrase se construit à partir de l’enchaînement des caractères (parataxe). Si un caractère demeure incompris, les autres caractères ne nous donnent pas nécessairement la compréhension globale.45

Les caractères se combinent (sémantiquement), ils se subordonnent, c'est-à-dire l’un peut dépendre de l’autre : ce sont des moyens lexicaux et ils n’ont pas à avoir recours à des structures grammaticales pour donner du sens.

La grammaire au sens occidental du terme n’existe pas, par exemple pas de singuliers ni de pluriels : le chinois résout ce problème par des moyens lexicaux (suffixes, mots-vides, mots de liaison, adverbes, auxiliaires, le redoublement de certains mots ou leur place dans la phrase). Ces moyens lexicaux permettent de donner un sens à d’autres mots, et il n’est pas nécessaire d’avoir une forme grammaticale logique et répétée, comme en français, pour aboutir à un sens.

Le wen est véhiculé par le Dao. Par l’écriture, par le mot se manifeste le Dao. L’investigation sur les mots est un moyen d’appréhender le monde : li (=cohérences et valeurs de l’univers).

L’écriture a été considérée comme une force primordiale pour les êtres et leur évolution. Entreprendre une activité de lecture, et pas seulement littéraire, est aussi une quête d’absolu.

N’est-on pas obligé de justifier une telle adéquation au nom d’une même logique d’ensemble des représentations quand une théorie esthétique se fait jour dans la tradition occidentale ? Mais aussi à partir de quoi, par rapport aux catégories matricielles de la pensée occidentale, une telle conceptualisation est-elle progressivement devenue possible ?

Parallèlement, vis-à-vis de la culture chinoise, il conviendrait non seulement de considérer le destin propre de telle représentation particulière mais d’envisager aussi,

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plus généralement, en rapport avec elle, les questions qui se posent sur la logique d'ensemble, ici une certaine cohérence, et son origine et sa potentialité d' existence.

B  –  LE  SHUOWEN  JIEZI,  par  Xu  Shen,  établit  les  six