• Aucun résultat trouvé

H ABILETÉS ET STRATÉGIES DE L ’ EXPERTISE EN LECTURE

2. Diffusion de l’activation des valeurs de connexions

1.5.2. H ABILETÉS ET STRATÉGIES DE L ’ EXPERTISE EN LECTURE

Tardif (1994) définit une compétence en lecture comme « un système de connaissan- ces, déclaratives ainsi que conditionnelles et procédurales, organisées en schémas opéra- toires et qui permettent, à l’intérieur d’une famille de situations, non seulement l’identification de problèmes, mais également leur résolution par une action efficace » (p. 83).

Adams, Davidster et Denyer (1998) distinguent deux types de compétences en lectu- re : les habiletés et les stratégies. Pendant la lecture,

les opérations mentales sont automatisées et donc infra-conscientes; en cas de difficulté, elles peuvent faire l’objet d’une prise de cons- cience, voire d’une décision. Chez un faible lecteur, elles sont soit inexistantes, soit toutes conscientes — et provoquent dès lors une sur- charge cognitive, l’esprit étant sollicité de toutes parts en même temps (p. 16).

9 Kintsch et Van Dijk (1978) indiquaient, par exemple, qu’une des plus importantes limitations de ce modèle tient au fait qu’il fonctionne toujours à partir de représentation sémantique du texte et non pas à partir du texte lui-même. De plus, les propriétés de la compréhension du langage naturel ont été négligées. Ils ont adopté pour ce modèle l’hypothèse qu’une compréhension complète d’un discours est possible même s’il est analysé uniquement au niveau sémantique. Selon eux, cette hypothèse mérite d’être revue ultérieurement.

Voir Kintsch et Van Dijk (1978) et Kintsch (1988) pour les différentes limitations du modèle. 22

Cornaire (1991) définit l’habileté « comme un savoir-faire qui a été automatisé par la répétition ou les expériences, tandis qu’une stratégie serait une démarche consciente mise en œuvre pour résoudre un problème ou pour atteindre un objectif » (p. 37).

Les habiletés infraconscientes

Selon les auteurs étudiés (Tardif, 1994; Adams, Davidster et Denyer, 1998; Cornaire, 1991), les habiletés infraconscientes sont nécessaires non seulement au développement d’une certaine expertise en lecture, mais aussi, plus simplement, pour permettre une lec- ture fluide et agréable. Le lecteur doit pouvoir utiliser ces habiletés automatiquement, rapidement et sans y réfléchir : c’est pourquoi ces habiletés sont qualifiées d’infraconscientes10. Ce sont toutes les habiletés de base qui vont permettre la lecture au

sens strict du terme, c’est-à-dire toutes celles qui dirigent l’œil sur le texte, permettent le déchiffrage et permettent au lecteur d’accéder au sens des mots.

Toutes les habiletés que nous allons présenter ici pourraient être présentées comme des stratégies de lecture, puisque seul le degré de conscience qui les caractérise différen- cie les habiletés des stratégies. Seulement, les habiletés infraconscientes, si elles sont des stratégies lorsque l’enfant apprend à lire, doivent à tout prix être devenues des habiletés utilisées automatiquement pour prétendre développer une certaine expertise en lecture.

Le lecteur doit donc, pour devenir expert, maîtriser et automatiser tous les mécanis- mes servant à la reconnaissance des mots (Baccino, 1995; 2004; Bell, 1994; Chartier, 1993; Chartier et Hébrard, 2000; Cornaire, 1991; Golder et Gaonac’h, 2004; Morais et al., 2003; Paquin, 1992; Rémond, 1999) et ceux qui permettent l’accès au sens des mots, ce qui est facilité par une bonne utilisation du contexte sémantique et grammatical immédiat autour du mot (Baccino, 1995; Cornaire, 1991).

10 Les habiletés infraconscientes sont des habiletés utilisées à la limite de la conscience, c’est-à-dire pratiquement sans qu’on en soit conscient. Le Grand dictionnaire terminologique définit le terme infraconscience comme un synonyme de subconscient : « Domaine de processus mentaux échappant plus ou moins complètement au champ de la connais- sance, tout en ayant pu y appartenir déjà et susceptible d'y revenir, mais exerçant toutefois une influence plus ou moins marquée sur le cours de la vie mentale. » (http://gdt.oqlf.gouv.qc.ca — Consulté le 9 septembre 2013).

23

Le passage, pour ces mécanismes, du stade de stratégies de lecture au stade d’habiletés infraconscientes, permet au lecteur de libérer suffisamment de ressources co- gnitives pour lui permettre de se concentrer sur la construction du sens du texte et sur la compréhension qu’il peut en tirer (Bianco, 2008; Chartier et Hébrard, 2000; Golder et Gaonac’h, 2004; Palincsar et Brown, 1984; Pressley et Wharton-McDonald, 1997; Ré- mond, 1999).

Le lecteur doit également avoir la capacité d’accéder très rapidement au lexique men- tal, grâce à un meilleur encodage du texte (Baccino, 1995) et une grande flexibilité dans l’utilisation des compétences qui gèrent la vitesse de lecture, la longueur de l’empan vi- suel utilisé par le lecteur, et dans la gestion des régressions visuelles (Baccino, 1995; Chartier, 1993; Chartier et Hébrard, 2000; Fayol, 1992; Golder et Gaonac’h, 2004; Pa- lincsar et Brown, 1984; Pressley et Wharton-McDonald, 1997; Rémond, 2008; Richau- deau, 1983).

Les stratégies de lecture

Adams et al. (1994) affirment qu’une stratégie est une démarche consciente mise en œuvre pour résoudre un problème ou pour atteindre un objectif.

Nous avons regroupé les stratégies de lecture en trois grandes catégories :

• les stratégies « types de lecture » vont fortement orienter la lecture et la façon de parcourir le texte;

• les stratégies de compréhension vont permettre au lecteur de faire des liens entre les informations du texte et ses connaissances préalables;

• les stratégies métacognitives vont permettre au lecteur de vérifier sa compréhen- sion du texte et lui permettre de résoudre les problèmes d’incompréhension. Les « types de lecture »

Différents types de lecture correspondent chacun à une façon différente de parcourir le texte, et peuvent être utilisés comme une habileté ou comme partie prenante d’une bat- terie de stratégies utilisées pour atteindre un ou des objectifs précis.

Il y aurait trois principales façons de balayer un texte :

• l’exploring, ou le survol, consiste à « inspecter le document sans buts bien défi- nis », indique Baccino (2004; p. 195). Pour Pigallet (1996), le survol est une « stra- tégie de lecture essentielle qui consiste en fait à évaluer le livre [ou le texte] avant d’en entreprendre la lecture proprement dite. Car il est important pour bien lire de savoir d’abord pourquoi on lit » (p. 88).

le balayage, le repérage ou le scanning, est une lecture sélective pendant laquelle

le lecteur inspecte visuellement le document « sans le lire, mais en couvrant une surface très large » (Baccino, 2004; p. 195). Pour Cornaire (1991), le « balayage consiste à repérer rapidement une information précise » (p. 40). Selon Pigallet, ce type de lecture « correspond à ce que l’on appelle communément la lecture en dia- gonale et consiste à parcourir un texte en supprimant tout ce qui n’est pas indis- pensable à sa compréhension » (Pigallet, 1996; p. 85) et l’objectif poursuivi,« est de trouver le plus rapidement possible un renseignement que l’on pense être contenu dans un texte — mais sans toutefois lire le texte. Il s’agit donc de laisser glisser les yeux jusqu’à ce que l’information requise frappe littéralement le re- gard » (Idem; p. 85).. D’après Bellenger (1980) cette habileté peut être très utile, voire nécessaire, lorsqu’un lecteur lit des textes dont il connaît déjà l’essentiel « mais à travers lesquels [il] espère accéder à de nouvelles connaissances (des dé- tails, des chiffres, des précisions) » (p. 27). Pressley et Afflerbach (1995), enfin, détaillent les décisions qu’un lecteur peut être amené à prendre grâce à ce type de lecture :

A. Noting characteristics of text, such as the length and structure; B. Noting important parts, especially important information covered in the text; C. Gathering information about what might be in the text that is relevant to the reading goal; D. Determining what to read and in what order; E. Determining what to read in detail; F. Determining what to ignore (p. 32).

La lecture critique est une lecture orientée vers la remise en question du texte, en effectuant des liens avec les lectures antérieures ou encore des rapprochements avec ce que d’autres auteurs pensent du même sujet, etc. : « La lecture est critique

quand elle est tournée vers [l’exercice de l’évaluation] et [du] jugement débou- chant sur une opinion » (Bellenger, 1980; p. 123). Selon Cornaire (1991), la lectu- re critique demande généralement qu’on parcoure le texte « d’un bout à l’autre, in- tégralement; il s’agit d’une lecture fine aux fins d’évaluation » (p. 41). Il s’agit donc d’une prise de position par rapport au sujet traité par le texte qui permet l’intégration des nouvelles informations aux connaissances antérieures du lecteur ou qui exige, en quelque sorte, une contre-vérification des éléments trouvés dans le texte.

Les stratégies de compréhension

Comme toutes les autres stratégies, celles qui servent principalement à assurer la bonne compréhension d’un texte seront utilisées, selon le contexte, soit comme une habi- leté, soit comme une stratégie.

L’utilisation du contexte, par exemple, est une habileté lorsque le lecteur se sert plus ou moins automatiquement du contexte immédiat entourant un mot (le cotex- te, en linguistique) pour en comprendre la signification. Lorsque l’utilisation du contexte réfère plutôt au contexte global entourant l’acte de lecture (conditions de lecture, buts de lecture, etc.) et permet de mieux comprendre le texte en entier, on parle alors d’une utilisation consciente du contexte, ce qui en fait une stratégie. L’utilisation du contexte, en tant que stratégie, servira à établir ou à reformuler des buts de lectures, à repérer les titres les plus pertinents, à sélectionner les stratégies de lec- ture les plus adaptées, à vérifier la compréhension du texte, etc.

L’utilisation consciente des connaissances antérieures facilite grandement la compréhension de texte. Les bons lecteurs, selon Baccino (1995), « bénéficient d’un large éventail de connaissances spécifiques qu’ils mobilisent en fonction des objectifs de la lecture et également parce qu’ils sont capables de traiter plus d’information à la fois » (p. 30).

Selon Blachowicz et Ogle (2001), la compréhension d’un lecteur, son évaluation du texte et ce qu’il retiendra de ses lectures sont influencés par ses connaissances, ses expé- riences et le contexte de la lecture (p. 27). Pour Deschênes (1986), si « elles peuvent faci-

liter la tâche de compréhension des sujets, ces connaissances [antérieures] peuvent aussi interférer » (p. 45) dans la construction de la compréhension. Il cite alors les travaux d’Alvermann et al.11 qui ont constaté que

dans certaines situations où les sujets possèdent des connaissances (ou des croyances) incompatibles avec les informations présentées dans un texte, les performances […] des sujets chez qui les croyances ont été préalablement activées sont inférieures à celles des sujets d’un groupe contrôle où ces connaissances n’ont pas été activées (ibidem).

La prédiction et l’anticipation sont définies par Deschênes (1986) comme « une activité cognitive qui consiste à prédire des informations non encore disponibles […] l’objectif de cette activité est souvent de pouvoir déterminer le sens réel de ce que l’individu est en train de lire » (p. 51). L’anticipation, selon lui, « fournit des indices facilitant le choix de l’interprétation la plus sûre pour la poursuite de la lec- ture » (ibidem).

Selon Bellenger (1980), lorsqu’elle est faite avant le début de la lecture, la prédiction revient à pratiquer un questionnement préalable du texte : « L’effort de questionnement aboutit à donner un cadre concret aux attentes. La lecture devient une réponse à ces atten- tes » (p. 119). Cette activité aide le lecteur à activer les connaissances antérieures dont il aura besoin pour sa lecture en s’appuyant à la fois sur le contenu du texte et sur le type de texte à lire (Blachowicz et Ogle, 2001; p. 32).

Lorsqu’elle est effectuée pendant la lecture, par contre, l’anticipation « permet au lec- teur un approfondissement [et] un développement de sa capacité personnelle de raison- nement » (Bellenger, 1980; p. 120).

11 ALVERMANN,D.E.,SMITH,L.C.et READENCE,J.E.(1985). « Prior Knowledge Activation and the Comprehension of Compatible and Incompatible Text », dans Reading Research Quarterly, XX, p. 420-436.

27

L’acceptation d’une certaine ambiguïté du texte peut être utile au lecteur dans les cas d’incompréhension mineure :

Il peut arriver en effet […] qu’il ne comprenne pas une phrase et dans ce cas, il peut contourner la difficulté en décidant par exemple de continuer à lire, car il sait que le sens […] de la phrase devrait se préciser à mesure que d’autres éléments d’information viennent s’ajouter (Cornaire, 1991; p. 40).

Les stratégies métacognitives

Les processus métacognitifs, indique Giasson (1990), « font référence aux connais- sances qu’un lecteur possède sur le processus de lecture; ils concernent également la ca- pacité du lecteur à se rendre compte d’une perte de compréhension et, dans ce cas, à utili- ser les stratégies appropriées pour remédier au problème » (p. 151).

L’objectivation/le monitoring de la compréhension peut s’effectuer de différentes façons, soit en paraphrasant différents passages du texte, soit en les imageant ou encore en se demandant « est-ce que ce que je viens de lire a du sens? » (Blacho- wicz et Ogle, 2001; p. 33). Le lecteur doit faire le point sur ce qu’il sait « par rap- port à son intention (projet) de lecture, à ses besoins, à ses intérêts. Il s’agit d’un genre d’activité de gestion qui va aboutir […] à l’intégration de nouvelles connais- sances et, par conséquent à une réorganisation de la structure cognitive » (Cornai- re, 1991; p. 41). Parce qu’ils contrôlent en permanence leur compréhension, indi- que Goigoux (2008), les lecteurs sont à même de s’engager

dans des activités stratégiques dès qu’un passage leur semble obscur […] C’est ainsi qu’ils sont capables d’arrêter leur lecture pour éva- luer régulièrement leur compréhension; de relire le texte plus lente- ment; de construire des résumés intermédiaires; de sélectionner les informations importantes […], etc. (p. 183).

La variabilité de l’allocation des ressources cognitives selon les difficultés ren- contrées ou les buts de lecture serait l’une des caractéristiques qui différencient le plus sûrement le lecteur expert du lecteur novice, selon Cornaire (1991) : « un bon lecteur est celui qui ajuste automatiquement son fonctionnement cognitif à la tâche qu’il doit réaliser ou au projet qui est le sien » (p. 39).

Avoir conscience des stratégies à la disposition du lecteur semble être une condi- tion essentielle au développement d’une certaine expertise en lecture, selon Goi- goux (2008) : « la compréhension d’un texte écrit exige la mise en œuvre délibérée de stratégies qui permettent de planifier et de contrôler les traitements cognitifs adéquats et d’organiser les informations retenues en mémoire à long terme » (p. 183).

La modulation de la vitesse de lecture serait un des points qui distinguent le plus sûrement experts et novices, selon Chartier et Hébrard (2000), car le fait de ralentir consciemment la vitesse de lecture, de revenir en arrière, de contrôler sa compré- hension est le signe d’une grande flexibilité du lecteur (p. 653). De plus, en déve- loppant la capacité de se concentrer sur les informations les plus pertinentes, le lec- teur peut lire plus rapidement tout en conservant davantage d’information en mé- moire de travail, ce qui facilite d’autant la compréhension du texte.