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La question de la poésie pure

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 180-189)

le modernisme de la lignée de Shi to shiron 「詩と詩論」

2.5. La question de la poésie pure

Dans ses considérations sur la nature du modernisme Clement Greenberg rele-vait que la préoccupation moderniste à l’égard de la valeur esthétique n’était pas exac-tement en soi une nouveauté. Ce qui rendait cette préoccupation nouvelle était plutôt l’« évidence », l’« auto conscience » et l’« intensité » avec laquelle cette autonomie du poétique était revendiquée. Dans ce courant de la poésie l’accent est mis naturellement sur le « medium » que représente le langage et sur la « qualité artisanale » d’un faire qui donne au poète le statut nouveau d’un « professionnel ». La notion de technique de-vient alors primordiale et la poésie se présente comme un artefact relevant d’un savoir ou d’une science. C’est ce renforcement de la nature artisanale et productive du faire poétique qui contribua à donner aux modernismes leurs aspects de « froideur » objec-tive, de précision ou de netteté qui contrastaient avec les approximations subjectives des poètes lyriques ou romantiques51. C’est à ce niveau que se situe la rupture

consom-(Un groupe sous la lune), Tôkyô daiichi Shobô, dans lequel furent publiées, parmi d’autres, les poésies

« Hachi » 「蜂 L’abeille」, « Fûjin »「風神 Le Sylphe」, « Ushinawareta bishu »「失はれた美酒 Le vin perdu」, « Nemuru onna »「眠る女 La dormeuse」. Les textes critiques de Valéry furent l’objet d’un intérêt encore plus grand et le premier texte de présentation de la poétique valéryenne, intitulé « Varerii no bôdorêru-ron no yaku » 「ヴァレリーのボードレール論の訳」 (Au sujet de la traduction des textes de Valéry sur Baudelaire), fut l’œuvre du spécialiste de la littérature française Nakajima Kenzô 中島健蔵 (1903-1979), en 1926, dans le deuxième numéro de la série d’ouvrage intitulée furansu bungaku kenkyû

『仏蘭西文学研究』 (Etudes sur la littérature française), publiée par les éditions Hakusuisha, Tôkyô.

Dans le prolongement, Nakajima fit paraître, en collaboration avec le spécialiste de la littérature française Satô Masaaki 佐藤正彰 (1905-1975), la traduction de Variété I (1924) : Variete Varieté 『ヴァリエテ Varieté 』, Tôkyô, Hakusuisha, 1932, qui connut un immense succès.

51 Op. cit., p. 136.

Clement Greenberg utilise le terme de « froideur » pour parler de la distance objective critique des textes modernistes. Au Japon, la poésie moderne à partir du modernisme acceptera volontiers de se situer par rapport à une « humidité » 湿潤 (jitsujun) ou « adhérence » 粘着 (nenchaku), définies comme endémiques dans la poésie lyrique, comme une poésie à l’« esprit de sécheresse» 乾いた精神 (kawaita seishin). Les propos que tient Ayukawa Nobuo pour évoquer sa rencontre avec la poétique de Nishiwaki Junzaburô sont à ce propos édifiants :

私がはじめて西脇順三郎の詩を読んだのは、中学三年の頃だったと思う。そのときの

mée par les poètes de Shi to shiron. Lorsque Haruyama Yukio dénonçait « l’absence de

新鮮なオドロキといったものを今でも忘れない。

中学一年の頃、私は生田春月の詩が好きで、もっぱら春月ばかり読んで、その感傷性 におぼれていた、中学二年で萩原朔太郎の詩集を手にし、衝撃を受けた。詩的な官能美の世 界をはじめて知ったといっていい。すぐに真似をして詩を書きはじめた。

やがて、西脇の詩に接して、それまでに知っていた詩の世界とは、全く別種の詩の世界 にふれるオドロキを味わったのである。まだ若かったから、もちろん、西脇の詩の世界がすっか り分ったとは言い難い。ただ、それまでに見知っていたウエットな日本的感性の詩とはちがっ た、明るい、エキゾティックな感覚の詩の美しさに魅了された。

« Ambarvalia »の冒頭の、

(覆された宝石)のやうな朝 何人か戸口にて誰かとささやく それは神の生誕の日

という「天気」という詩を読んだときは、大げさにいえば啓示を受けたような気持だっ た。どんな朝ともちがったまぶしい朝、見なれぬ神をむかえたオドロキだった。少年だった私 は、ほとんど失神せんばかりであった。その後、西脇の詩をたくさん読み、また詩論なども読むよ うになって、いくらかその楽屋がわかるようになった。

Je devais être en troisième année de lycée lorsque je lus pour la première fois la poésie de Nishiwaki. Je me souviens encore aujourd’hui de ce qui fut pour moi à cette époque une forme d’étonnement pour quelque chose de tout à fait nouveau.

En première année de lycée, j’appréciais la poésie d’Ikuta Shungetsu, je ne lisais plus que Shungetsu, submergé par sa sensibilité ; en deuxième année de lycée, je rencontrais la poésie de Hagiwara Sakutarô et j’en reçus un choc. Je peux dire que je découvrais alors un univers poétique sensuel. Je commençais sur le champ à écrire de la poésie en l’imitant.

Peu de temps après, avec la poésie de Nishiwaki Junzaburô, j’éprouvais l’étonnement d’une rencontre avec un univers poétique totalement différent de ce que je pouvais connaître jusque là. J’étais encore jeune et je ne pourrais dire que je comprenais parfaitement l’univers poétique de Nishiwaki, mais j’étais subjugué par la beauté sensorielle et exotique, joyeuse, radicalement différente de la sensibilité poétique japonaise humide que je connaissais.

La poésie d’ouverture d’Ambarvalia : Un matin comme (des gemmes renversées)

Quelqu’un sur le pas de la porte murmure à un autre C’est jour de naissance d’un dieu

Quand je lus cette poésie intitulée « Beau temps », j’eus, pour le dire de manière emphatique, l’impression d’avoir été touché par une révélation. Ce matin fut pour moi éblouissant comme aucun matin ne l’avait été, ce fut l’étonnement d’avoir offert hospitalité à une divinité avec laquelle je n’étais pas familier. Je n’étais qu’un jeune garçon et je m’étais pratiquement évanoui. Par la suite, je lus de

poétique » des poètes qui les avait précédés, en s’attaquant en particulier à Hagiwara Sakutarô, il dénonçait en fait une forme de « dilettantisme » qui témoignait d’une ingé-nuité à prendre pour certaine et assurée la réalité du langage sans mettre en discussion sa nature de médium et le caractère artisanal qui était lié au faire du poète. Certes il est risqué de parler de modernisme au Japon, mais du point de vue du professionnalisme qui s’inaugure à cette période, la dénomination de modernisme ne peut soulever au-cune objection.

Nishiwaki Junzaburô fut le premier poète au Japon à promouvoir la sur-naturalité 超自然性 (chôshizensei) de la poésie qui avait pris corps en Occident dans les écrits d’Edgar Allan Poe (1809-1849), très rapidement relayés en France par les thèses de Charles Baudelaire (1821-1867). En 1926, « PROFANUS » faisait état de ce passage vers une poésie pure et le texte mettait en évidence le rôle que l’imagination jouait en poésie pour affranchir l’homme de la prison dans laquelle l’enfermait le monde de l’expérience et de la réalité. En ce sens, « PROFANUS » est le premier texte qui dessine les contours d’une nouvelle fonction pour la poésie basée sur un refus de la mimesis et du naturalisme qui avait dominé jusque-là.

En 1929, Nishiwaki fera paraître un ouvrage intitulé Chôgenjitsushugi shiron 『超 現実主義詩論』 (Essais sur le surréalisme en poésie)52 dans lequel il donnera une ample respiration à ses réflexions. Les cinq essais qui constituent cet ouvrage53 sont tous destinés à mettre en discussion les deux tendances possibles que Nishiwaki reconnaît dans l’histoire de la poésie, le naturalisme ou le réalisme d’une part, et le sur-naturalisme d’autre part.

nombreuses poésies de Nishiwaki et en lisant aussi ses essais sur la poésie je commençais peu à peu à en percevoir les dessous. Ayukawa Nobuo, Ayukawa Nobuo zenshû IV 『鮎川信夫全集 IV』 (Œuvres complètes d’Ayukawa Nobuo IV), Tôkyô, Shichôsha, 1989, 8 vol., vol.4, p. 82-83.

52 Tôkyô, Kôseikaku Shobô.

53 « PROFANUS », « Shi no shômetsu » 「詩の消滅」 (La disparition de la poésie),

« ESTHETIQUE FORAINE » 「ESTHETIQUE FORAINE」, « Chôshizenshugi » 「超自然主義」

(Surnaturalisme), « Chôshizenshi no kachi » 「超自然主義の価値」 (Les valeurs du sur-naturalisme), textes précédés d’une préface et de l’épitaphe en latin: In memoriam fratis mei, « en mémoire de mes frères » (L’erreur dans l’orthographie du génitif appartient au texte).

Il n’est pas possible d’examiner en profondeur la poétique de Nishiwaki Junza-burô qui fut très influencé par l’Occident mais dont le travail ne peut en rien se résu-mer à une simple répétition de ce que nos poètes modernes avaient pu élaborer sur la nature de la poésie. Ceci ne veut pas dire que la poétique de Nishiwaki est inaccessible, mais il convient de reconnaître que les connaissances dont fait montre le poète et la manière avec laquelle il est capable de relativiser l’importance historique du natura-lisme, de l’Antiquité jusqu’à la Modernité, imposent un respect et une retenue. Le fait que Nishiwaki puisse considérer le surréalisme comme une tendance de l’art poétique et non pas comme un simple mouvement de la Modernité peut déjà nous permettre d’apprécier l’originalité de ce poète. Nishiwaki est en fait, dans l’histoire de la poésie moderne, au sens général et non pas seulement japonais, un monument dont la France n’a pas encore eu l’occasion de prendre sérieusement la mesure54. C’est pourquoi, loin de penser rendre justice à ce grand poète, il conviendra de se contenter de situer la place tout à fait unique qu’il occupe au sein du modernisme formaliste de Shi to shiron.

Pour Nishiwaki la poésie est avant tout une question de méthode utilisée par la pensée ou l’intellect, que le poète appelle dans son langage « l’encéphale » 脳髄 (nôzui), et qu’il utilise pour parvenir à une conscience de la réalité. Sa conception de la

poé-54 Il n’existe pas encore en France d’ouvrage de traduction rassemblant l’œuvre du poète, comme il n’existe d’ailleurs aucun ouvrage critique sur sa poétique. L’ouvrage de référence dans une langue occidentale demeure celui de Hirata Hosea intitulé The Poetry and Poetics of Nishiwaki Juzaburô : Modernism in translation (La poésie et la poétique de Nishiwaki Junzaburô : le modernisme en traduction), Princeton, Princeton University Press, 1993, 260p., dans lequel Hirata donne un éclairage sur le travail de Nishiwaki à partir de la notion de déconstruction telle qu’elle apparaît chez Jacques Derrida (1930-2004). Récemment, en 2007, un ensemble de poésies a été traduit en américain par Satô Hiroaki sous le titre de The Modern fable (La fable moderne), Los Angeles, Green Integer, 197p., ouvrage dans lequel il est possible de lire des poésies de Nishiwaki appartenant à six de ses recueils : Ambarvalia 『Ambarvalia』, Tôkyô, Shii no ki sha, 1933 ; Tabibito kaerazu 『旅人かへらず』 (Le voyageur ne revient pas), Tôkyô, Tôkyô shuppansha, 1947 ; Kindai no gûwa 『近代の寓話』 (La fable de la modernité), Tôkyô, Sôgensha, 1953 ; Daisan no shinwa 『第三の神話』 (Le troisième mythe), Tôkyô, Tôkyô Sôgensha, 1956 ; Hôseki no nemuri 『宝石の眠り』 (Le sommeil de la gemme), Tôkyô, Chikuma Shobô 1963 ; Raiki 『禮記』

(Le livre des rites), Tôkyô, Chikuma Shobô, 1967. Le poète publia vingt recueils tout au long de sa prolifique carrière. Pour une approche très succincte et générale de la notion de modernité chez Nishiwaki, le lecteur pourra se reporter à : Karine Arneodo, « Le rire du pâtre : Nishiwaki Junzaburô devant la modernité » dans : Japon pluriel 8 : La modernité japonaise en perspective, éd. Noriko Berlinguez-Kono, Bernard Thomann Bernard, Philippe Picquier, Arles, 2011, p. 177-186.

sie se fonde sur une antériorité de la faculté intellectuelle, indépendante du domaine de l’expérience. Dans la seconde section du texte « Shi no shômetsu » 「詩の消滅」

(La disparition de la poésie) Nishiwaki écrit55 :

客観的の意志(a priori の)それ自身を表現の対象に置くこと。

客観的の意志 (略) とは人間の意志が主観の世界(即ち現実)を破 り完全にならうとする力である。神の形態をとる様なものである。主 観の世界即ち現実から自由になることである。この種の芸術の表現 方法(即ち表現に用ひらるる材料)は現実の感情思想に反する又は それに対してalienusの表現をすることである。「ピストルの射撃は 一つの優しいメロデイである」などは通俗即ち現実の感情に反した 表現であるから客観の意志が主観を破る力を表現するに適した材 料である。然し若し此文句が現実の感情を表す様になった時はも はや客観の意志を表すための材料としては不適当となる。千九百 二十四年の十二月に « La Révolution Surréaliste » といふ雑誌が 巴里で出た。その序文には夢を材料にすることを奨励してゐる。要 するに夢は現実の感情思想に対してalienusなものであるから材料 に適するのである。超現実主義の詩とは人間の何処までも生きんと する盲目の意志が現実の世界を突き破って完全にならんとするエ ネルギーを表示する努力の詩であると簡単に論ずることが出来る。

生きんとする意志は創造者の意志である。人間はこの盲目の意志 を如何んともすることが出来ない。この如何んとも始末の出来ない 意志が人間に客観的にある。こんなツマラない意志があることは実 に癪に障る事である。時々この盲目の意志に対して反抗せんとする エスプリの驚くべき振動を脳髄全体に物理的に感じる。これは人類 創造の意志に反せんとする不思議な現象である。創造者の意志に 反せんとするものである。創造者は創造者自身の意志に反せんとす る創造者の意志であるともみられる。創造者は自らあざむくもので ある。この生きんとする意志が現実を破る努力それ自身に反せんと するエスプリのエネルギーを表示する努力の詩が次の領域を造る。

55 Nishiwaki Junzaburô, Nishiwaki Junzaburô zenshû 『西脇順三郎全集』 (Œuvres complètes de Nishiwaki Junzaburô), Tôkyô, Chikuma Shobô, 11 vol. (1971-1973), vol. 4 (1982), 680 p., p. 36-37.

Placer la volonté objective (qui est d’un a priori) elle-même dans l’objet de l’expression. Ce que j’appelle volonté objective (...) est une force qui cherche à porter la volonté de l’homme à un état de perfection en démontant le monde de la subjectivité (c’est-à-dire celui de la réalité).

C’est une force qui veut se mettre dans la position de Dieu. Il s’agit de s’affranchir du monde de la subjectivité, c’est-à-dire de la réalité. Cette forme de méthode d’expression de l’art (c’est-à-dire le matériau qui est utilisé pour l’expression) construit une expression contraire ou alienus à la pensée sentimentale de la réalité à laquelle elle s’oppose. Une phrase comme « Le coup de feu d’un pistolet est une douce mélodie » est une expression qui va à l’encontre du sens commun, autrement dit, de la réalité, et c’est pour cette raison qu’elle est un matériau qui permet à la volonté objective de donner une expression à l’énergie qui détruit la subjectivité.

Mais quand cette phrase en serait venue à rendre compte d’un sentiment de la réalité, elle ne serait plus dès lors appropriée en tant que matériau de l’expression de la volonté objective. Au mois de décembre 1924, paraissait à Paris la revue La Révolution Surréaliste. Dans la préface était exaltée la fonction du rêve en tant que matériau. En somme, il était établi que le rêve était un matériau approprié en ce qu’il s’agissait de quelque chose d’alienus au sentiment de la réalité. On peut sans aucune difficulté considérer la poésie surréaliste comme une poésie dont les efforts sont portés vers la représentation d’une énergie par laquelle la volonté de vivre aveugle de l’homme, qui est sans limite, tend à un idéal de perfection. Cette volonté

Mais quand cette phrase en serait venue à rendre compte d’un sentiment de la réalité, elle ne serait plus dès lors appropriée en tant que matériau de l’expression de la volonté objective. Au mois de décembre 1924, paraissait à Paris la revue La Révolution Surréaliste. Dans la préface était exaltée la fonction du rêve en tant que matériau. En somme, il était établi que le rêve était un matériau approprié en ce qu’il s’agissait de quelque chose d’alienus au sentiment de la réalité. On peut sans aucune difficulté considérer la poésie surréaliste comme une poésie dont les efforts sont portés vers la représentation d’une énergie par laquelle la volonté de vivre aveugle de l’homme, qui est sans limite, tend à un idéal de perfection. Cette volonté

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