Des évolutions historiques de la qualité : du sanitaire vers l’éducatif et le développement de l’enfant 29

La conception de la qualité des modes d'accueil a accompagné, au fil du temps, toutes les transformations sociétales, théoriques, idéologiques et économiques qui ont successivement concerné le secteur de la petite enfance. Ainsi, s’est-elle concentrée, dans un premier temps, sur la préoccupation sanitaire et de lutte contre la mortalité infantile, avant de se mobiliser sur le service aux familles et de soutien à la parentalité, notamment pour faciliter la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle, et les services à caractère social. Par la suite, les modes d'accueil ont acquis une image de laboratoires d'éducation précoce et de réduction des inégalités sociales.

Aujourd'hui, la question de la qualité de l'accueil se pose de façon aigüe sous l'effet de plusieurs facteurs :

- une prise de conscience progressive des capacités précoces des enfants, et du rôle des interactions entre l'environnement social et familial sur la réalisation de leurs potentialités.

- un effet dit « de masse » lié au développement des modes d'accueil réglementés dans la plupart des pays où les femmes et les hommes travaillent. Une tension entre les enjeux économiques et sociaux du maintien dans l'emploi des deux parents qui le peuvent et le souhaitent, et une nécessité de meilleure égalité et inclusion de tous les enfants dans ce contexte.

- la convention des droits de l'enfant ratifiée par la France qui présente un cadre consensuel sur le fait notamment, de prendre en compte l'intérêt supérieur de l'enfant, dès sa naissance, dans les politiques des États signataires. Dans les années 80 un cap important a, par exemple, été franchi notamment avec rapport de Bernadette Roussille (IGAS) et Nicole Bouyala¹³ (élue) qui a conduit à abandonner la sémantique « mode de garde » pour mode d’accueil, signant un déplacement des attentions sur les besoins de l’enfant. En 2018, le rapport de la Défenseure des Enfants¹⁴ au service du Défenseur de Droits insiste sur le fait que le non-respect des droits pendant la petite enfance est un facteur de difficultés pour l’avenir.

13 Nicole Bouyala, Bernadette Roussille– L'Enfant dans la vie : une politique pour la petite enfance. Rapport au secrétaire d'État chargé de la Famille, 1982. Paris : La Documentation française

14 Défenseur des droits, De la naissance à 6 ans : au commencement des droits, 2018 https://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/184000734.pdf

- la montée du projet de préparer l'avenir scolaire et social des enfants dès la toute petite enfance (dès le rapport Tabarot qui pose la notion « de pré-élève de deux ans), soutenu par l’entrée des théories économiques dans le champ de la petite enfance, notamment de la notion « d’investissement social ».

Un consensus a progressivement émergé sur la nécessité de retenir une approche plus large de la qualité, qui ne se limite pas à la dimension sanitaire, mais qui considère également la question des publics spécifiques, la qualité du service rendu et se centre davantage sur les nécessités développementales de l’enfant. Cela s’est fait sur une longue durée. L’attention aux besoins de l’enfant a conduit à enrichir progressivement la vision de la qualité en fonction des besoins globaux d’éducation et de soin global. Le cadre national pour l’accueil du jeune enfant¹⁵, édité par le Gouvernement en 2017, est porteur de cette vision globale de la qualité, dont on développera ici les principaux aspects. Les organismes internationaux pointent depuis des années le manque de préoccupation pédagogique dans les repères de qualité, en petite enfance.

La qualité dans les enseignements des rapports Starting Strong de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE)

L’OCDE s’est fait l’écho, à partir de 2001, (série des rapports Starting Strong) de l’importance de la qualité des modes d’accueil du jeune enfant.

Le rapport de 2001 alerte sur le fait qu’une « bonne partie de la gestion de la qualité alors en place (dans les pays de l’OCDE) s’occupait des standards minimums de santé et de sécurité et non de la qualité pédagogique des structures ». Il pointe également « le bas niveau de formation des personnels ».

Dans un deuxième rapport publié en 2006 l’OCDE fait le constat d’une insuffisante réglementation de la qualité dans la plupart des pays. S’agissant de la formation et des conditions de travail des professionnels, le rapport distingue les pays nordiques, où les niveaux de qualification sont acceptables, des autres pays où ils sont insuffisants pour les enfants de la tranche 0-3 ans. Il souligne aussi l’incapacité de la plupart des structures à financer la formation continue de leurs professionnels et à leur donner des temps d’échange et de réflexion sur leurs pratiques pédagogiques.

Plus récemment, dans une série de rapports nationaux intitulée Quality Matters in Early Childhood Education and Care (2012 et 2013), l’OCDE va jusqu’à affirmer que les nombreux bénéfices de l’accueil et de l’éducation des jeunes enfants sont conditionnés à la qualité suffisante de ces temps d’échange.

Désormais, la fonction éducative de l’accueil du jeune enfant est entrée dans les pratiques des EAJE qui organisent les soins, la journée et les activités des enfants autour d’un projet pédagogique, notamment en accueil collectif.

15 http://www.egalite-femmes-hommes.gouv.fr/un-texte-cadre-pour-donner-des-valeurs-et-principes-communs-a-tous-les-acteurs-de-laccueil-du-jeune-enfant-en-france/

Une étude pilotée par la DREES¹⁶ en 2010 a fait le point sur les modes d’organisation des crèches.

Elle donne des éléments d’information sur la place de la fonction éducative dans ces structures. Il est constaté que si la fonction éducative est très valorisée dans le discours de la plupart des professionnels de la petite enfance, et notamment des éducateurs de jeunes enfants, la place réellement dévolue dans les faits aux activités éducatives encadrées est encore limitée.

Chez les assistants maternels, en RAM et MAM la construction de la qualité a également suivi une trajectoire calquée sur l’évolution de la société dans laquelle le soucis "d'apprendre très tôt des choses aux enfants" s'est considérablement développé, sans toujours être assorti d'une diffusion des savoir-faire qui devraient accompagner ce désir pédagogique précoce.

Le projet « Premières pages »¹⁷

Inscrit dans le cadre du projet national d'Éducation artistique et culturelle (EAC), ce projet

"premières pages" qui repose sur une expérience approfondie, vise à établir un rapport précoce au livre et à la lecture sous toutes ses formes, prétextes à des relations ludiques et langagières, avant l'entrée à l'école maternelle ou pendant la période de pré-scolarisation. Il favorise également une familiarisation précoce aux arts et à la culture et tisse des partenariats entre les structures petite enfance et les structures culturelles.

Cette opération qui vise :

- à réduire les inégalités en matière d'accès au livre et à la culture de l'écrit

- à sensibiliser les familles, notamment les plus fragiles et les plus éloignées du livre, à l'importance de la lecture, dès le plus jeune âge

- à favoriser la collaboration entre les acteurs du livre et ceux de la petite enfance - à valoriser la littérature jeunesse et des supports livresques

1.3 La qualité en 2019 : entre critiques nécessaires et manque de données objectives

Aujourd’hui, certains observateurs¹⁸ considèrent comme acquise la qualité concernant la santé et la sécurité dans les modes d'accueil ainsi que la prise en compte des besoins psychomoteurs et de socialisation des enfants. Ce courant de pensée ne tient cependant pas compte des récentes régressions qu’a connues le secteur de la petite enfance, notamment en terme de formation. De plus, les nouvelles formes d'accueil (MAM, Micro-crèches), la montée en charge de nouveaux acteurs gestionnaires (privés lucratifs, délégations de service publics), les récessions des partenaires associatifs non lucratifs, les difficultés et le recul des collectivités territoriales sur l’accueil de la petite enfance, et le manque de professionnels qualifiés requestionnent les acquis des années 80-90.

16 Julie Micheau, Eric Molière, Sophie Ohnheiser (Plein Sens), Joëlle Chazal, Les modes d’organisations des crèches collectives et les métiers de la petite enfance, DREES, juillet 2010

17https://www.premierespages.fr/editorial/55

18 Florent de Bodman, Clément de Chaisemartin, Romain Dugravier, Marc Gurgand, Investissons dans la petite enfance – L’égalité des chances se joue avant la maternelle, Terra Nova 2017 http://tnova.fr/rapports/investissons-dans-la-petite-enfance-l-egalite-des-chances-se-joue-avant-la-maternelle

et le rapport Olivier Noblecourt, Suzanne de Bellescize, Laurent Evenos, Liem Binh Luong Nguyen, Arthur Muller, Liegey Muller Pons, Laëtitia de Villepin, La lutte contre les inégalités commence dans les crèches, Terra Nova, 2013 http://tnova.fr/system/contents/files/000/000/242/original/Terra_Nova_V14_%285%29.pdf?1432549177

C'est dans ce contexte que doit malgré tout être renforcée la dimension de « prime éducation¹⁹ », qui intègre les spécificités du développement avant 3 ans (notamment la place prépondérante du climat affectif dans les acquisitions) ainsi que, l'accompagnement, voire le soutien aux parents, les enjeux d'articulation avec le travail, l'égalité entre hommes et femmes autant qu'entre pères et mères dans la présence et l'éducation dès la petite enfance.

Bien que l’on observe une grande hétérogénéité entre les différents types de structures, certaines pratiques font l’objet de critiques :

 Des activités insuffisamment individualisées et interactives

 Un manque d’explicitation et de formalisation des pratiques ; un manque de dialogue entre le terrain et la recherche scientifique

 Un manque de temps accordé aux enfants pour s'exprimer, ou pour apprendre en faisant par eux-mêmes

 Une communication quotidienne avec les parents portant essentiellement sur les questions sanitaires (alimentation, sommeil, rythmes…) reléguant dans les réunions de parents (encore rares) le dialogue pédagogique et éducatif.

Nous disposons à ce jour de trop peu d'analyses d’impact des modes d’accueil. Celles dont on dispose montrent des écarts entre les types d’accueil, qui seraient à approfondir. Le constat partagé reste que la qualité éducative des modes d'accueil collectifs est davantage développée du fait de la professionnalisation, des réflexions et partages de pratiques, de la pluridisciplinarité de la prise en charge des enfants et des interlocuteurs pour les parents.

19 La notion de prime éducation, renvoie à la notion de "prime enfance" (Botanski 1969), et considère que l'éducation de la très petite enfance ne peut être envisagée sans une connaissance précise et une prise en considération des particularités développementales de l'enfant avant 3 ans notamment : la polysensorialité du rapport à soi et au monde, la place prépondérante du climat affectif dans les acquisitions, le développement par vagues et en spirale, les interférences entre toutes les sphères du développement (physique, affectif, relationnel, social, cognitif…)

Les modes d’accueil et le développement différencié du jeune enfant

La cohorte Mère-Enfant « EDEN » (étude des déterminants pré et postnatals de la santé et du développement de l’enfant), étudiée par l’INSERM, Sorbonne Université et l’Université de Bordeaux, met en évidence les bienfaits des modes d’accueils formels sur deux aspects principaux du développement de l’enfant²⁰ : l’apprentissage de la gestion des émotions²¹, ainsi que l’apprentissage du langage²². A été observé que globalement « les enfants accueillis dans un mode de garde professionnel avant d’entrer à l’école avaient ensuite moins de difficultés émotionnelles que ceux gardés à la maison, par leurs parents, leurs grands-parents ou d’autres proches²³ ». Le bénéfice s’observe également chez les assistants maternels, bien que de manière plus limitée²⁴ ».

Etant en contact avec d’autres jeunes enfants, les bébés apprennent ainsi l’empathie et le partage grâce au contact avec leurs pairs.

D’autre part, une étude parue dans le Bulletin Epidémiologique Hebdomadaire²⁵ de Santé Publique France, a utilisé la cohorte de l’enquête Elfe pour étudier l’impact des disparités socioéconomiques dans le recours aux modes d’accueils formels sur le développement du langage des enfants. Partant du principe selon lequel la petite enfance représente une période clé dans l’apprentissage de l’enfant, il a été ainsi démontré que le mode de garde dont bénéficie l’enfant joue un rôle sur développement du langage. « Les enfants gardés en crèche ou par une assistante maternelle ont acquis un vocabulaire plus riche que ceux gardés par les parents ou les grands-parents » ; c’est notamment en raison du contact avec un professionnel qui lui proposerait des activités éducatives adaptées à son âge et à son profil, que l’enfant aura l’occasion de développer un vocabulaire plus riche.

La pluridisciplinarité des équipes bien qu’en diminution pour des raisons budgétaires, apparaît néanmoins essentielle à la prise en charge du jeune enfant. Son développement étant multimodal, il convient que plusieurs professions travaillent ensemble pour trouver l’ensemble des réponses que les collègues ou même les parents se posent. Le rapport Giampino prônait déjà en 2016 la nécessité d’adjoindre aux équipes permanentes des personnes ressources telles que des psychologues, médecins, psychomotriciens, ergothérapeutes, haptothérapeutes, intervenants artistiques et de la culture, ludothèque… Ces derniers peuvent également incarner le rôle de formateurs, endosser des fonctions d’animation de réunions d’informations et discuter avec les familles.

20 Présentation au séminaire données du Conseil enfance du HCFEA par Barbara Heude et Maria Melchior, épidémiologiste et directrice de recherche à l’INSERM : 1428 enfants font partie de la cohorte étudiée. Des mères et leurs enfants ont été suivis depuis la grossesse jusqu’aux huit ans de l’enfant.

21 https://presse.inserm.fr/creche-et-autres-modes-de-garde-une-influence-sur-le-developpement-comportemental-et-emotionnel-des-enfants/32623/

22 Sébastien Grobon, Lidia Panico, Anne Solaz, « Inégalités socioéconomiques dans le développement langagier et moteur des enfants à 2 ans », Bulletin Epidémiologique Hebdomadaire, Santé Publique France, 8 janvier 2019.

23 https://www.lassmat.fr/actualites/profession/developpement-des-enfants-et-modes-d-accueil-une-etude-scientifique-inedite

24 Idem.

25 Sébastien Grobon, Lidia Panico, Anne Solaz, 2019, op Cit.

Les diverses réflexions qui portent sur le développement de la qualité dans les modes d’accueil convergent toutes sur la nécessité de renforcer la qualité de l'environnement dans lequel évoluent les enfants dans les premières années de leur vie, en tenant compte de l'évolution des recherches dans toutes les disciplines concernées qui en démontrent l'importance. La difficulté réside dans le choix des priorités, et des bases sur lesquelles ces choix se fondent.

1.4. Débats sur les finalités des modes d’accueil pour l’enfant : consensus pour des