• Aucun résultat trouvé

Une évolution nécessaire des pratiques : la gestion de carrière du RP

1. Des obligations légales de plus en plus contraignantes

1.2. Une évolution nécessaire des pratiques : la gestion de carrière du RP

La loi du 20 août 2008, et notamment son article 7, provoque une accélération dans la prise de conscience de la nécessaire gestion de carrière. Dès lors, il ne s’agit plus seulement de rechercher l’efficacité de l’activité syndicale par une politique de formation mais également de chercher à faire valoir les qualités induites par cette activité.

La carrière des représentants du personnel peut être conçue de deux façons, pas nécessairement exclusive l’une de l’autre : soit le modèle individuel où le représentant du personnel est lui-même agent de sa progression de carrière, soit le modèle structurel où la carrière de l’individu est organisée, structurée par les caractéristiques des politiques organisationnelles (1.2.1). En tout état de cause, l’activité représentative produit du savoir. Si une concordance existe sur ce principe, les discussions portent beaucoup plus sur l’acquisition et la reconnaissance de ce ou ces savoirs (1.2.2).

1.2.1. Les influences exogènes et endogènes

La gestion de carrière, dans l’absolu et en dehors de toutes spécificités relatives aux représentants du personnel, conduit à se poser au moins une question. Pourquoi certains réussissent mieux que d’autres ? Cette question mérite évidemment d’être posée pour les représentants du personnel.

78

Les facteurs influant sur la gestion de carrière sont plus au moins déterminants. Une rapide typologie peut être mise en exergue qui repose sur une dichotomie : facteurs individuels et facteurs contextuels.

Mais avant de s’attacher à étudier ces deux catégories de facteurs, il nous semble pertinent de définir dans une partie liminaire la notion de réussite de carrière. A cet égard, nous pouvons nous appuyer sur les travaux de Wayne, Liden, Kraimer et Graaf79 qui rappellent que le succès de carrière peut être défini « à la fois en termes objectifs, où le succès comprend des réalisations observables comme la progression de salaire ou le taux de promotion, et « en termes subjectifs », où l’indicateur principal de succès de carrière est la satisfaction de la personne envers sa propre carrière ».

Ce que nous retenons dans cette définition, ce sont les critères objectifs en ce qu’ils offrent une grille d’analyse permettant d’apprécier tous les facteurs d’influences (tant individuels que contextuels). En effet, les critères objectifs permettent de s’extraire de la satisfaction de la personne envers sa propre carrière sans pour autant éluder la motivation de la personne. Ces critères objectifs se rapportent essentiellement à la progression dans l’entreprise ou la société.

Au-delà de la diversité de positions, on peut s’entendre sur un consensus qui souligne l’importance des facteurs de contexte dans la dynamique de la gestion de carrière du représentant du personnel. A cet égard, on peut sérier, sans que cette liste présente un caractère complètement exhaustif, certains éléments prépondérants qui peuvent influer sur la gestion de carrière du représentant du personnel : la réputation du représentant dans l’entreprise qui est étroitement liée aux représentations des managers (représentations qui au demeurant sont souvent construites sur des conjectures et des schémas de pensée), le degré d’investissement dans l’activité représentative (représentant permanent ou non, cumul de mandats), l’optimisation du réseau social (c'est-à-dire existence d’un support de la part de l’organisation syndicale et nature du lien ; relation avec les acteurs économiques et politiques par exemple certains leaders syndicaux peuvent être amenés à rencontrer des personnalités politiques nationales ou locales, etc.)80.

Ces facteurs contextuels constituent une base à partir de laquelle il est possible d’expliquer la trajectoire de carrière des représentants du personnel. C’est une trajectoire d’exclusion, de déclassement ou de rebond.

L’effet d’une mauvaise réputation constitue un marqueur qui sera négatif, pour ne pas dire rédhibitoire pour la progression de carrière du représentant du personnel. En effet, les travaux de Rachel Beaujolin-Bellet et François Grima tendent à établir une corrélation étroite entre l’image attachée à l’étiquette syndicale et l’entrave à la progression de carrière. Ainsi, leur étude, dont ils nuancent le caractère représentatif puisqu’ils ont observé 29 cas de trajectoires de leaders syndicaux, souligne l’image négative de la CGT au sein du patronat. D’ailleurs, les représentants du personnel expriment être « marqués au fer rouge ».

79

S.J.WAYNE, R.C. LIDEN, M.L KRAIMER, et I.K. GRAF, “The role of human capital, motivation and supervisor sponsorship in predicting career success”, Journal of Organizational Behavior vol.20, n°5, 1999, p. 577-595.

80

Par ailleurs, le niveau d’investissement dans l’activité représentative constitue le socle d’une trajectoire de carrière réussie. En effet, le fait de ne jamais être totalement permanent et de conserver un lien avec leur fonction dans l’entreprise permet de rester en prise avec les exigences du terrain. Ce temps dédié aux fonctions professionnelles dans l’entreprise permet de maintenir l’expérience du métier.

Enfin, la capacité du représentant du personnel à mobiliser les acteurs externes constitue un truchement pour orienter sa trajectoire de carrière vers sa cible de la progression. Ainsi par exemple d’un délégué CFDT du groupe Lagardère qui occupa des fonctions importantes au sein du Racing Paris 1 entre 1983 et 1989.

Les facteurs contextuels ne sont pas les seuls à agir sur la gestion de carrière du représentant du personnel. Les facteurs individuels influent également sur la trajectoire de carrière.

En effet, la manière dont le représentant du personnel fait sien le champ du possible en matière de mobilité fonctionnelle et en fait usage pour développer ces projets à un effet sur sa carrière. Sans rentrer dans les considérations afférentes à l’intériorisation de norme et de valeur, c'est-à-dire les stratégies, les perceptions et les habitudes qui sont construites notamment par cette intériorisation, il conviendrait de souligner que le représentant du personnel est un acteur de sa propre carrière. En effet, il n’est pas possible de gérer la carrière de celui qui se met volontairement et consciemment au ban de l’entreprise. Au-delà des problématiques (évoquées précédemment) sur la méthode d’évaluation, il convient de souligner la difficulté d’évaluer une personne qui ne se prête pas à l’exercice. Et par contigüité, comment former un salarié qui s’y refuse surtout dans un contexte où le lien de subordination est relativisé par le statut protecteur ?

Aussi, le caractère proactif du représentant du personnel, plus que pour le salarié lambda, est déterminant pour la gestion de carrière.

Par ailleurs, d’autres facteurs individuels influent sur la gestion de carrière du représentant du personnel : l’âge, le genre ou la formation initiale.

Il ressort des travaux réalisés par Rachel Beaujolin-Bellet et François Grima que le genre est parmi les facteurs individuels celui qui agit le plus sur la gestion de carrière du représentant du personnel. En effet leur étude révèle que les femmes connaissent une meilleure progression de carrière. Ces résultats peuvent sembler contradictoires avec les travaux qui tendent à établir que les femmes sont entravées dans leur construction de carrière.

Pour autant, conscientes du plafond de verre qui les pénalise dans un parcours syndical durable, les représentantes du personnel s’engagent donc plus volontairement dans des parcours de formation professionnelle.

Faut-il souligner par ailleurs que l’expérience militante a pu jouer « pour ces femmes un rôle libérateur autorisant la construction d’un espace de réalisation de soi, voire une revanche sur l’histoire »81.

L’ensemble de ces facteurs, dont on a pu mesurer l’influence sont de nature à alimenter le débat sur la méthode pour acquérir et reconnaitre le savoir

1.2.2. Les éléments du débat

Les qualités et les savoirs acquis au cours de l’activité représentative doivent faire l’objet d’une reconnaissance. Mais cette reconnaissance est à double titre cautionnée. D’abord, on peut s’accorder à penser, et les études tendent à l’établir, qu’il y a une réticence à admettre l’existence d’autres formes sociales de constructions de savoirs en dehors des voies classiques et académiques (en l’occurrence l’école, l’université ...).

Ensuite, les connaissances acquises par l’activité représentative souffrent d’un déficit de notoriété, les connaissances et savoirs acquis au cours d’un mandat social ou politique sont plus facilement reconnus.

En toute hypothèse, force est de constater que cette reconnaissance est restée pendant longtemps négligée par les organisations syndicales elles mêmes.

Pour autant, bien que ne s’imposant pas par son caractère d’évidence, de nombreuses études, parmi lesquelles celles de l’université de North London82, distinguent différents « ensemble de savoirs induits » par l’activité représentative : des « savoirs spécifiques » (les méthodes de l’action revendicative par exemple) et un ensemble de « savoirs génériques » (technique de gestion du personnel, gestion de budget).

Dès lors qu’il est établi que l’activité représentative induit des savoirs et des connaissances, la question reste entière. En effet, quel type de reconnaissance doit-on envisager ?

La problématique qui sous tend cette interrogation est celle de la méthode à emprunter : doit-on emprunter les voies explorées pour les autres salariés ?

81

Rachel BEAUJOLIN-BELLET et François GRIMA, ibid.

82

P. PHILO, “Accrediting the Activism of English Trade Unionists on Higher Education”, dans Michel ROCCA. et al.(éds.), La validation d’acquis professionnels des responsables syndicaux en Europe : enjeux, pratiques et perspectives, Publications de la Commission des communautés européennes, DG XXII, pp. 9-17, 2001.

Cette question nous conduit à une remarque relative aux systèmes de reconnaissance des qualités et des connaissances ayant pour objet la certification des acquis pour faciliter la mobilité sur le marché du travail. Ces « dispositifs de reconnaissance-formation sont structurés par l’idée d’un accès à une profession codifiée par une nomenclature »83. Cette situation conduit le représentant du personnel à faire un choix entre une reconversion vers une profession à déterminer ou une profession syndicale, sachant que pour cette dernière option, demeure la question de savoir si la profession de syndicaliste constitue un métier.

Quoiqu’il en soit, Michel Rocca84 souligne à cet égard (à juste titre selon nous) « qu’il s’agisse du développement de la professionnalité représentative ou de la reconversion professionnelle, les exemples ne manquent pas ».

C’est ce que nous allons tenter de démontrer dans nos futurs développements, à travers les exemples de professionnalisation du parcours militant et la valorisation des compétences acquises en cours de mandat.

2. Les enjeux de la gestion de carrière des représentants du personnel pour les parties