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L’évaluation du procédé de l’interprétation extensive : resserrer ou étendre la notion de décision ?

L’interprétation extensive de la notion de décision est un procédé pragmatique pour assurer le contrôle juridictionnel des actes matériels de l’administration. Mais cette solution n’est pas sans poser des problèmes de dogmatique juridique. Si la doctrine suisse est partagée sur la nécessité d’étendre ou de restreindre le concept de décision en raison des conséquences contentieuses d’une telle qualification, la doctrine allemande propose aujourd’hui une interprétation plutôt stricte183, même si tel n’est pas toujours le cas dans les faits, comme nous l’avons montré dans le chapitre précédent. Selon Ludwig Renck, il faudrait resserrer la notion de manière radicale et - revenant à l’origine même du concept en tant que figure de jugement184- se rappeler de la nature de titre du Verwaltungsakt185. La décision tranche avec force de chose décidée une situation individuelle et concrète, fournissant par là un titre exécutoire, à l’instar d’un jugement ; voilà l’acte administratif d'après lui :

« Wird der Verwaltungsakt streng verfahrensrechtlich als Titel, und zwar spezifisch als ein Verwaltungstitel, und nicht mehr länger mehr-[166]deutig manipulativ als Maßnahme verstanden, die alles mögliche und nicht bedeuten kann, dann ist der Zeitpunkt gekommen, den Verwaltungsakt so zu formalisieren, daß der schädliche Aufwand von selbst überflüssig wird, den sich die verwaltungsrechtliche Lehre und Praxis mit dieser Begriffsbildung mehr denn je leisten. Wer die Titelnatur des Verwaltungsakts anerkennt, dem müßte daran gelegen sein, dem Institut bereits äußerlich feste und eindeutige Umrisse zu geben, das heißt eine Form, die es überhaupt erst rechtfertigt, eine Rechtsanwendungshandlung der Verwaltung als beständige Rechtsverbriefung und gegebenenfalls als exekutierbare Vollstreckungsgrundlage zu qualifizieren. »186

Ludwig Renck critique à cet égard les tendances à la mode de la doctrine administrative contemporaine qu’il qualifie de « psychologisantes ». Elles s’opposeraient d’après lui à une pareille formalisation de l’acte administratif :

« In der Verwaltungspraxis läuft die Tendenz freilich eher gegen eine formale Bereinigung der üblichen Begriffsschwierigkeiten. Eine ebenso modern wie modisch psychologisierende Verwaltungslehre verunsichert im Ergebnis mit bürgertümlichen Vorstellungen die Verwaltungen. »187

On pourrait à la rigueur, selon Ludwig Renck, limiter la définition légale au strict minimum : les lois de procédure pénale et civile n’ont pas besoin de définir de manière aussi détaillée l’acte du jugement188. Une telle proposition est séduisante. Elle est toutefois trop simplificatrice : d’une part, l’acte administratif est plus qu’une simple figure de jugement189 ; d’autre part, renoncer à une définition précise [167] dans la loi ne

183 Maurer, Allgemeines Verwaltungsrecht, 1997, § 9 no 38 ; Renck, Für einen formalisierten Verwaltungsakt, 1996.

184 Cf. Otto Mayer cit. supra ch. 5.1.1.2.

185 Renck, Für einen formalisierten Verwaltungsakt, 1996, p. 293. Dans le même sens, cf. Fleiner-Gerster, VVDStRL 1987, p. 301.

186 Renck, Für einen formalisierten Verwaltungsakt, 1996, p. 294s.

187 Renck, Für einen formalisierten Verwaltungsakt, 1996, p. 295.

188 Renck, Für einen formalisierten Verwaltungsakt, 1996, p. 299 (avec une proposition de modification du

§ 35 VwVfG).

189 En dépit des analogies qu’il trace avec le jugement, Otto Mayer reconnaît la nature particulière de l’acte administratif :

5. L’extension de la notion de décision 105

va pas de ce seul fait éclaircir le concept. Cela aurait, au contraire, probablement un effet opposé190.

La démarche des auteurs qui exigent une interprétation stricte de la décision met en évidence une crainte latente des administrativistes modernes : celle de ne plus être capable de maîtriser l’inflation du concept central de leur discipline ; il ne faudrait pas que la grenouille devienne un bœuf. Pourtant, la décision ne doit pas être un tabou : y toucher ne va pas mettre l’âme des juristes en péril, ni conduire à la ruine de tout l’édifice si patiemment construit depuis le siècle passé. Cette forme juridique reste une création finalisée de la science administrative et - à ce titre - peut, dans une certaine mesure, être étendue ou restreinte au gré du législateur ou de l’interprète. Si l’existence de la décision est déterminante pour l’ouverture du procès administratif, elle devra être interprétée en fonction du besoin de protection juridique. Si en revanche elle ne détermine plus que le choix de la voie de droit, il nous paraît admissible de la considérer pour ce qu’elle apporte en sécurité juridique dans les relations de droit administratif (force de chose décidée, nature de titre) et la qualifier au regard de ses autres conséquences (droit d’être entendu, exigence de motivation, effet suspensif, etc.). Définir un acte quelconque de décision s’impose donc chaque fois que le principe de la légalité exige que l’acte litigieux respecte toutes les garanties qu’assure la procédure administrative non contentieuse ; lorsque seules quelques règles minimales doivent être suivies, déceler une décision reviendrait à formaliser l’activité de l’administration de manière excessive.

L’extension de l’objet de l’action ou du recours, dont nous avons décrit les rouages dans les chapitres 3 et 4, n’est pourtant pas le seul procédé permettant de parer à cette dernière conséquence : il suffit d’étendre le concept de décision négative (ch. 5.3.4) ou, dans certains cas, celui de décision en constatation (ch. 5.3.3 et 7.1.2.1). Dans ces deux configurations, l’acte matériel attaqué conserve sa nature informelle sans devoir revêtir le costume étriqué de la décision.

« Inconnu au cercle d’idées qui caractérisent le régime de la police, n’étant pas entièrement un jugement ni entièrement un acte de gestion, l’acte administratif doit être étudié dans sa nature particulière, si l’on veut comprendre le droit administratif moderne, car ce droit est dominé par lui. » (Mayer, Droit administratif allemand, 1903, p. 119).

Cf. ég. Moor, Droit administratif, vol. II, 1991, ch. 1.1.1.2 p. 5s et ch. 2.1.1 p. 105s ; Henneke, DÖV 1997, p. 770.

190 Cf. ég. la critique de Hans-Günter Henneke, DÖV 1997, p. 770s.

[169] 6. Les autres voies de droit

Les actes matériels étatiques soustraits au recours ne sont pas forcément privés de tout contrôle juridictionnel. Ils peuvent dans certains cas être examinés par un organe administratif ou par le juge ordinaire : soit indirectement lors d’un recours dirigé contre une décision ultérieure à l’acte litigieux, soit directement par la procédure d’expropriation ou par une action en responsabilité contre l’Etat pour les dommages causés par l’acte matériel. Les tribunaux ordinaires, civils ou pénaux, peuvent également être saisis d’actes matériels étatiques.