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1.2 Revue des objets célestes magnétiques

1.2.3 Des étoiles très particulières : les étoiles de type Ap

Quarante ans après l’observation de Hale et toujours au Mont Wilson, Babcock détecte les premières signatures de champs magnétiques à la surface d’étoiles de type A chimique- ment particulières, en premier lieu sur l’étoile Virginis 78, en 1947 [5]. Ce sera le début d’investigations passionnantes portant sur les champs magnétiques dans des populations stellaires extrasolaires, et nous verrons que les propriétés exhibées par ces premières sont bien différentes de ce qui était connu jusqu’alors pour le Soleil.

Les étoiles « CP »

Les étoiles CP (chimiquement particulières) sont des étoiles qui présentent des ano- malies d’abondances en éléments chimiques dans leur spectre par rapport aux abondances observées dans les étoiles normales à température effective et gravité égales. Ce sont géné- ralement des étoiles à vitesse de rotation plus faible que leurs homologues.

En 1974, Preston en proposa une classification suivant leurs particularités chimiques en quatre groupes [52], présentés en Tab. 1.1. On y distingue les étoiles de type Am (métal- liques), dont les abondances en Ca II et Sc II sont faibles alors que celles en métaux lourds sont anormalement élevées ; les étoiles de type Ap magnétiques (l’indice p indiquant la particularité chimique de ces étoiles), les étoiles HgMn, enrichies en mercure et manganèse et enfin les étoiles He-faibles, appauvries en hélium. Il a depuis lors été distingué un cin- quième groupe, les He-riches, dont le spectre montre des raies intenses en He I et avec des températures comprises entre 21 000 K et 30 000 K. Finalement, il existe une autre classe d’étoiles CP, mais possédant une vitesse de rotation comparable aux étoiles A normales : ce sont les λ Boo, du nom de leur prototype (λ Boötis).

Table1.1 – Classification de Preston (1974) [52] des étoiles CP suivant leurs particularités chimiques

Présentation des étoiles de type Ap magnétiques

Les étoiles de type Ap magnétiques7 représentent une fraction comprise entre 1.7 et 2.8% de toutes les étoiles de masses intermédiaires [51]. Néanmoins à l’heure actuelle on en dénombre un peu plus de 300 [24, 11]. Elles peuvent à leur tour être subdivisées en plusieurs classes :

– les Ap SrCrEu, présentant des excès d’abondance pour le strontium, le chrome et l’europium ;

– les Ap Si, présentant des excès d’abondances pour le silicium ;

– les He-faibles SiSrTi, présentant des excès d’abondances pour le silicium, le strontium et le titane ;

– les He-riches ;

certaines étoiles Ap présentant plusieurs de ces caractéristiques simultanément. Elles pos- sèdent comme toute étoile de type A un cœur convectif de faible extension radiale, une zone radiative étendue, et éventuellement une très fine couche convective en surface. Jus- qu’à présent, toutes les étoiles Ap présumées ne pas présenter de champ magnétique se sont révélées en accueillir un, après observation suffisamment prolongée.

Caractéristiques/problématiques associées aux étoiles Ap magnétiques

Vitesse de rotation Cette caractéristique est résumée en Fig. 1.6, d’après les travaux de Abt & Morrell (1995) [1] recensant les vitesses de rotation dans un échantillon de 1700 étoiles de type A et démontrant la bimodalité des distributions pour les étoiles Ap et les étoiles A normales. Si chronologiquement la particularité chimique des étoiles Ap a été

Figure 1.6 – Taux de rotation de populations d’étoiles de type A non magnétiques et de type Ap [1], pour les types spectraux A0-A1 (à gauche), A0-A4 (au centre) et A5-F0 (à droite).

observée avant leur faible taux de rotation, cette dernière propriété semble être la cause de la première. En effet, un faible taux de rotation permet de réduire l’efficacité de la circulation méridienne8 qui brasse la composition du milieu, favorisant de fait le triage gravitationnel et la diffusion chimique des éléments.

7. Notons que la notation Ap s’est étendue à des catégories d’étoiles plus massives que celles de stricte classe spectrale A, avec la découverte d’étoiles plus massives présentant les mêmes grandes caractéristiques qu’elles (typiquement les étoiles He-faibles et He-riches magnétiques, de type B).

8. La circulation méridienne est un processus de transport de matière et de moment angulaire – de rotation – dans le plan méridien, constituant une boucle allant de la surface aux pôles, d’où elle redescend jusqu’à des couches plus internes pour revenir à la surface à proximité de l’équateur (du moins dans le cas solaire, la tendance pouvant s’inverser sous d’autres conditions). Ce processus sera détaillé précisément

Topologie du champ magnétique Bien que les observations révèlent une variabilité temporelle, il est clair que cette variabilité doit être attribuée à la rotation de l’étoile elle- même plutôt qu’à une variabilité intrinsèque du champ magnétique (comme le cycle solaire ou des étoiles de type solaire). Aussi, ces étoiles particulières présentent des champs ma- gnétiques organisés à grandes échelles, avec une composante dipolaire souvent dominante. Le modèle dit du « rotateur oblique » , les représentant comme un dipôle dont l’axe ma- gnétique est incliné d’un angle β par rapport à l’axe de rotation (voir Fig. 1.7) permet en général de reproduire relativement bien les caractéristiques géométriques observées. Cepen- dant une description plus fine peut être nécessaire pour rendre compte des caractéristiques observées avant leur interprétation. Des modèles représentant les champs de surface comme la superposition d’un dipôle et d’un quadrupôle fournissent alors des résultats plus réalistes (cf. par exemple Landolfi et al., 1998 [37]). Notons toutefois que les méthodes proposées ne peuvent garantir une inambiguïté totale entre certaines configurations en raison des propriétés intrinsèques de symétrie du dipôle et du quadrupôle. De surcroît la possibilité de recouvrir la véritable configuration magnétique est entravée par les biais observation- nels. La détermination des topologies des étoiles CP magnétiques est nécessaire si l’on veut pouvoir répondre à ces questions, sans réponse tangible à ce jour : Quelle est l’origine de cette structuration à grande échelle ? Comment expliquer les disparités des configurations observées au sein de ces populations d’étoiles ? etc. Soulignons encore que Landstreet & Mathys (2000) [38] ont mis en évidence une corrélation entre la vitesse de rotation et l’angle β (celui-ci est inférieur à 20◦ pour les rotateurs lents, de périodes supérieures à 30 j.), elle aussi encore inexpliquée à ce jour.

y β.

Figure 1.7 – Modèle du rotateur oblique, où l’axe de rotation (R) et celui du dipôle ma- gnétique (M) sont inclinés d’un angle β. Des lignes de champ magnétique sont représentées en pointillés. L’angle i entre la ligne de visée de l’observateur et l’axe de rotation n’est pas représenté. Crédit : adapté de R. Townsend (2007) [58].

Intensité du champ magnétique Les étoiles Ap constituent les objets non-dégénérés9 présentant les plus hautes intensités de champ magnétiques de surface. Tout récemment, des études portant sur des populations d’étoiles Ap ont permis de mettre en lumière des propriétés remarquables concernant leur distribution en intensité. En 2003, Bychkov et al. [11] publient un catalogue d’observations décrivant la topologie et l’intensité de la plupart des étoiles magnétiques non-dégénérées connues jusqu’alors.

Généralement deux quantités différentes définissent l’intensité du champ magnétique à la surface d’une étoile :

– le champ longitudinal moyen Bℓ, composante parallèle à la ligne de visée, moyennée sur la surface de l’étoile ;

– le module du champ moyen BS, module du champ moyenné sur la surface de l’étoile. L’étude statistique à partir du champ longitudinal moyen (moyenné à son tour géomé- triquement sur le nombre d’observations) a permis d’établir que le nombre d’étoiles CP magnétiques décroît exponentiellement en fonction de l’intensité du champ magnétique (voir Fig. 1.8 (a)) ; ceci est en outre valable pour toute sous-catégorie particulière, i.e. à composition de surface donnée (le taux de décroissance différant cependant d’une catégorie à l’autre). Néanmoins les résultats en dessous de quelques centaines de gauss10demeuraient incertains. Une étude a donc été menée depuis pour mieux contraindre les distributions à faible intensité (travaux d’Aurière et al. [4] portant sur 28 étoiles). Il en est ressorti qu’il apparaît une limite d’environ 300 G en deçà de laquelle seules deux étoiles présentaient un champ magnétique (voir Fig. 1.8 (b)). L’interprétation de ce « seuil magnétique » comme une valeur critique nécessaire à la stabilité des champs de grandes échelles permet de rendre compte relativement simplement de la faible proportion d’étoiles magnétiques au sein des étoiles de faible masse et de leur quasi-absence parmi celles de types O et B.

0 10 20 30 40 50 60 70 80 90 0 1000 2000 3000 4000 5000 6000 7000 8000 0 20 40 60 80 100 All Ap stars N st a rs

Magnetic field in Gauss

F ra ct io n (% ) 1 10 100 1000 10000 Bd (G) 0 1 2 3 4 5 6 #

Fig. 6. Histogram of best-fit derived dipole field strengt

Figure1.8 – (a) Distribution en intensité du champ magnétique pour 352 étoiles Ap [11] (à gauche) ; (b) distribution en intensité du champ magnétique pour 28 étoiles Ap faiblement magnétiques [4] (à droite, échelle semi-logarithmique)

9. voir la section de ce chapitre consacrée aux objets compacts.

10. le gauss ( G) est l’unité couramment employée en astrophysique pour décrire l’intensité du champ magnétique. Le champ magnétique terrestre a une intensité égale à environ 1 gauss. L’unité du système international est le Tesla (T) ; 1 T = 104G.