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III. Stress et troubles comportementaux

3. Étiologie des troubles du comportement

Le développement de troubles comportementaux est généralement associé à un environnement restrictif : environnement social inexistant ou incohérent, privation totale ou partielle de la mère pour un jeune, environnement physique trop simple et ne fournissant pas suffisamment de stimulations, manque d’activités… L’étiologie est multifactorielle (Latham et al., 2008 ; Mason et Rushen, 2006). Ces troubles indiquent une souffrance psychologique (Bradshaw et al., 2009). Ils peuvent être symptomatiques d’une maladie mentale.

3.1 Séparation maternelle prématurée

La déprivation sociale, et plus particulièrement la séparation maternelle, est un facteur de stress majeur chez les primates, ayant pour conséquence le développement de comportements anormaux chez les chimpanzés captifs (Martin, 2002) : de tels évènements sont traumatisants psychologiquement, et empêchent les individus d’apprendre des comportements appropriés. Une recherche récente réalisée dans un sanctuaire Africain a démontré que la majorité des chimpanzés y vivant ne développent pas de comportements anormaux, malgré des expériences négatives dans l’enfance (Wobber et Hare, 2011).

D’autres auteurs mettent en évidence que de nombreux comportements anormaux et signes de détresse psychologique sont irréversibles, et peuvent persister pendant des décennies après l’arrêt de la déprivation (Martin, 2002, 2005 ; Kalcher et al., 2008). Ces troubles persistent à l’âge adulte, non seulement lorsque les animaux ont été privés de leur mère lorsqu’ils étaient très jeunes, mais aussi lorsqu’ils en ont été privés pendant leur adolescence (Kalcher et al., 2008).

Chez des jeunes ayant été séparés de leur mère, les niveaux d’activité normale sont diminués, alors que ceux du répertoire de comportements anormaux sont élevés (Martin, 2005). Cependant, ces troubles comportementaux sont moins marqués lorsque les chimpanzés sont resocialisés et intégrés dans un groupe social (Martin, 2005). Ceci suggère que la vie en groupe, offrant des opportunités de développement de relations sociales appropriées, améliore les effets négatifs des expériences passées (Lutz et Novak (2005).

Le logement en groupe est ainsi le meilleur moyen de lutter contre l’apparition et le développement de comportements anormaux chez les primates (Lutz et Novak, 2005), en dépit du manque de consensus envers les raisons de ce type de comportement (Hosey, 2005).

3.2 Privation sensorielle / stimulation sensorielle pauvre

La mère, au cours des soins qu’elle procure à son enfant, lui apporte de nombreuses stimulations sensorielles. Les jeunes primates séparés de leur mère développent alors des comportements stéréotypés, qui semblent jouer un rôle dans l’auto-stimulation dans un contexte d’absence d’enrichissement adéquat, ou sont un moyen de faire face au stress (Brune et al., 2006 ; Birkett et Newton-Fisher, 2011 ; Bradshaw et al., 2008 ; Wobber et Hare, 2011 ;

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Reimers et al., 2007). Plus la séparation maternelle a lieu tôt et plus la vie en captivité est prolongée, et plus les aberrations comportementales sont élevées (Warniment et Brent, 1997). Dans un environnement improductif, comme c’est souvent le cas en captivité, l’animal se trouve en manque de stimulations sensorielles par manque de complexité physique. Conséquence inéluctable : il s’ennuie. Il peut alors répondre au stress d’une manière complètement inhabituelle, par exemple par l’expression de comportements stéréotypés. Ces comportements peuvent se développer comme une stratégie adaptative dont le rôle est de compenser les stimulations réduites. Ils semblent permettre le maintien d’un certain degré d’homéostasie et d’éthostasie en augmentant le niveau des stimulations par l’auto-stimulation dans l’isolement.

3.3 Confinement et isolement social

En captivité, les primates peuvent souffrir d’isolement de plusieurs façons : cela peut être un évènement bref associé à l’élevage ou aux aspects pratiques vétérinaires, ou à plus long terme en étant logé individuellement, avec ou sans contact sensoriel avec des congénères (Honess et Marin, 2006a). L’isolement social à un jeune âge peut engendrer chez les chimpanzés le développement d’une variété de comportements anormaux qui peuvent par la suite persister (Brune et al., 2006).

Les chimpanzés gardés en tant qu’« animaux de compagnie » ou utilisés pour des expériences traumatiques de recherche biomédicale dans des conditions de confinement et de relations sociales oppressives, peuvent développer un Complexe de PTSD (Post-Traumatic Stress Disorder), c’est-à-dire des troubles post-traumatiques dus au stress (Bradshaw et al., 2008). Il a été démontré que les individus qui développent ce type de complexe utilisent l’auto- blessure comme moyen d’auto-apaisement (Luxenberg et al., 2001). En effet, des recherches ont révélé que l’auto-blessure, et notamment la morsure, chez les chimpanzés captifs est communément dirigée vers des points corporels associés à des points d’acupuncture analgésiques (Novak, 2001).

Les comportements anormaux dus au confinement sont la conséquence directe du confinement, par définition. Par exemple, la coprophagie est une conséquence secondaire du confinement : si la cage n’est pas construite de façon à évacuer immédiatement les excréments, ceux-ci deviennent une partie intégrante du milieu de vie et attirent l’attention de l’animal.

Plus la privation sociale est complète et prolongée, plus les effets sur le comportement sont dévastateurs (Harlow et Harlow, 1962). La possibilité de contacts visuels et auditifs avec des individus de même espèce, sans contact tactile, ne semble pas diminuer significativement le degré de troubles comportementaux chez les chimpanzés en cage individuelle (Walsh et al., 1982). Un primate isolé dans une cage individuelle est privé de la possibilité de toilettage social qui joue un rôle anti-stress dans les groupes, après les moments d’intense excitation.

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Enfin, le confinement solitaire et la privation maternelle précoce peut mener à des personnalités plus timides, à moins d’activité sociale, moins de dominance et plus de susceptibilité au stress chez les chimpanzés orphelins (Reimers et al., 2007).

3.4 Humanisation

Les interactions avec l’homme sont parfois un substitut indispensable (élevage des animaux séparés de leur mère), mais peuvent être à l’origine de difficultés à interagir avec des primates de même espèce, et créer une dépendance importante vis-à-vis de l’homme. En effet, la dépendance vis-à-vis du contact humain après un certain âge peut potentiellement compromettre l’indépendance émotionnelle, nutritionnelle et sociale d’un individu, et faire obstacle à une intégration sociale appropriée avec des congénères (Riedler et al., 2010). Par ailleurs, dans le cas de zoos, les recherches ont démontré que de manière générale, le contact chronique avec les humains est stressant pour les animaux (Hosey, 2000). Pendant les visites, il a été mis en évidence que les niveaux d’agression envers les visiteurs sont élevés (Fa, 1992).

3.5 Alimentation pauvre

En captivité, les désordres alimentaires, comme la coprophagie et la régurgitation, sont associés avec le régime alimentaire : l’insuffisance de fibres dans la ration ou le manque d’opportunités de fourragement, incitent aux comportements alimentaires anormaux. Ces désordres sont également associés avec la privation sociale et le manque de stimulation adéquate (Walsh et al., 1982).