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Les principes fondamentaux qui sont au cœur de l’éthique biomédicale nord-américaine sont étroitement interreliés, que ce soit dans le contexte d’un éthique a chevet du lit du patient ou celui d’un essai clinique impliquant des sujets humains. Comme l’expliquent Beauchamp et Childress, « Principles are general guides that leave considerable room for judgment in specific cases and that provide substantive guidance for the development of more detailed rules and policies » (Beauchamp et Childress 1994, 38). Ils leur allouent une importance égale, assortie de valeurs largement reconnues et partagées; ces principes ne sont pas en compétition, disent-ils, quoiqu’il puisse exister certaines tensions entre eux.

Ces principes sont assortis de règles (plus ou moins souples) pour proposer des solutions à certains dilemmes moraux (ou sociaux) dans un contexte particulier (Tableau 4). Chacun de ces principes doit être apprécié en tenant compte des autres. L’autonomie d’un patient ou d’un participant de recherche se rapporte à sa capacité de décider et de choisir par lui-même, librement. Un patient/participant « désespéré » est une personne vulnérable. Cette vulnérabilité peut influencer son jugement, son comportement. Un professionnel de santé/chercheur doit reconnaître cet état de fait. Il doit fournir à son patient/participant une information adéquate pour qu’il puisse donner un consentement éclairé à un traitement ou une participation à une recherche (ou un refus de traitement ou de participation à une recherche). Cette obligation d’un professionnel de la santé lui impose d’agir et d’intervenir pour le bien de son patient; ce qui est un peu différent de l’obligation du chercheur qui doit viser le développement des connaissances en vue de servir le bien de la science, sans négliger pour autant le respect des intérêts des participants ou des patients comme sujets de recherche. La prudence lui impose de poser les gestes, prendre les moyens qui soient bénéfiques (ou

comportent le moins des risques) pour son patient/participant. Mais, il doit aussi traiter tous ses patients/participants avec égalité, sans discrimination, sans tenter de limiter leurs droits aux meilleurs soins de santé.

Tableau 4: Principisme appliqué à l’éthique biomédicale / éthique de la recherche

Principes Valeurs Règles Exemples

Autonomie Dignité

Consentement éclairé Respect de la vie privée Estime de soi

Capacité de choisir/de décider

Droits au refus de

traitement/Droits à des soins de santé

Préférences personnelles Droits à une information adéquate

Compétence des patients

Un patient « désespéré » par sa condition peut réclamer une utilisation off-label d’un DM à risque élevé pour une indication encore non approuvée Bienfaisance Empathie Intégrité de la personne Respect Compassion Soulager la souffrance Agir pour le bien des patients

Le clinicien-chercheur doit considérer le bien et l’intérêt d’un patient comme sujet de recherche Non-malfaisance Prudence

Prévention Précaution

Prévenir/Éviter les risques Ne pas pénaliser les patients

Le médecin doit tenir compte des risques associés à l’usage d’un DM à risque élevé, surtout s’il existe une autre option

Justice Équité

Non discrimination

Offrir les meilleurs traitements

Ne pas provoquer ou engendrer d’exclusion

Un patient vulnérable peut se voir refuser l’accès à un DM à risque élevé pour une indication particulière en raison de ses coûts lorsqu’il n’existe pas d’autres options (Adapté de Beauchamp & Childress 2008 et Durand 2005)

Clouser et Gert (1990) ont critiqué le principisme de Beauchamp et Childress comme étant une méthode insuffisamment précise qui ouvre la voie à des positions et des décisions arbitraires – pour le motif que les principes non seulement n’ont pas de liens entre eux, mais peuvent être en conflit entre eux: « Our general contention is that the so-called "principles" function neither as adequate surrogates for moral theories nor as directives or guides for

determining the morally correct action » (Clouser et Gert 1990, 221). Callahan (2003) trouve le principisme à la fois trop facile et en même temps réductionniste, au prix de produire des biais à cause d’une trop grande importance accordée aux intérêts individuels (individualism). « If I am right in my reading of the typical deployment of principlism, the only important conflicts are between autonomy and the other principles, and all such conflicts are meant to be resolved in a way that does minimum damage to a person’s autonomy - since it is that autonomy to which the other principles point back » (Callahan 2003, 289). Walker (2009) reproche au principisme de se limiter à quatre principes seulement; ce qui le rendrait trop restrictif parce qu’il permet mal de saisir toutes les valeurs et les normes dans leur différence culturelle et sociale. En fait, écrit Walker « principlism is concerned primarily with medical ethics » (Walker 2009, 230).

Saarni et collègues (2011), par contre, présentent le principisme comme l’une des méthodes capables de cerner les enjeux socio-éthiques dans un exercice d’ÉTS parce qu’il permet de déterminer ces enjeux à partir du principe le plus pertinent pour la technologie sous évaluation. Nilstun et collègues (2008) ont démontré que le principisme pouvait faciliter la prise de décision pour certaines situations, dont celui des patientes qui demandent qu’on procède à une césarienne, alors qu’aucune raison médicale ne justifie la procédure. Ils ont examiné la question en exposant chacun des principes aux données probantes disponibles, et ce dans la perspective de chacun des acteurs concernés (fœtus et patientes, les professionnels de la santé, les tiers payeurs et la société). Müller et Christen (2011) se sont inspirés du principisme pour expliquer un certain nombre des enjeux éthiques associés aux conséquences des effets secondaires de la SCP chez les personnes atteintes de la maladie de Parkinson – entre autres, détérioration au niveau des relations sociales et familiales (Schüpback et al 2006), hémorragies et infections (Kleiner-Fishman et al 2006), dépression, changements cognitifs et jeu compulsif (Burdick et al 2010) – pour proposer des mesures applicables aux pratiques relatives à la sélection des patients, la procédure elle-même et le suivi post-opératoire des patients. Ces démarches illustrent que les principes constituent des repères pour reconnaître, expliquer et proposer des solutions concernant les enjeux éthiques interpellés par 1) l’usage d’une technologie de santé et 2) les pratiques entourant sa diffusion pour les patients et le système de santé. Ainsi, comme cadre d’analyse, le principisme peut être un outil pour

faciliter la reconnaissance des enjeux éthiques de l’usage d’une technologie complexe, sophistiquée et coûteuse. Il faut ajouter que le principisme constitue une approche cohérente avec des grandes lignes directrices en éthique de la recherche, telle que la Déclaration d’Helsinki (Association Médicale Mondiale 2013), le Rapport Belmont (Belmont Report 1979) et l’EPTC2 (Conseil de recherches en sciences humaines et al 2010).