• Aucun résultat trouvé

F) Coupures, censures et tabous

IV) D'un substantif à l'autre

3) Équivalences en référencialisation

Introduction

Parfois le travail de traduction s’avère plus compliqué qu’il n’y paraît et les auteurs doivent donc recourir à des équivalences ou des référencialisations (des précisions) afin de rendre le message du texte source accessible au public visé dans la langue cible.

Le Bris

Les équivalences.

Courant dans la littérature bretonne, surtout dans la période pré-romantique, nous appelons équivalences la répétition de substantifs ayant une valeur sémantique proche dans le but d’être compris d’un large public.

T1 :

si vos affections sont douces, votre jugement sera doux (XXVIII/III)

Exemple 1 :

Mar d'ê douç hoc'h affecstionou, ar jujamant hac ar varnidiguez, pehini a reot, a vezo douç ; (Si vos affections sont douces, le jugement et /synonyme/, que vous ferez, sera doux ;)

Pour traduire le mot français « jugement », Le Bris a fait le choix d’utiliser successivement deux substantifs bretons, le premier « jujamant » est un emprunt au français alors que le second « barnidiguez » est le terme celtique de même sens. Cette répétition permet à Le Bris d'être compris à coup sûr par ses lecteurs.

Exemple 2 : T1 :

Le soin et la diligence que nous devons avoir en nos affaires sont choses bien différentes de la sollicitude, souci et empressement.

(ch X/p III) Le Bris :

Ar sourci hac an diligeanç, peini a dleomp da gaout en hon afferou, a so dishêvel dious an inquietud, an hast hac an ampressamant.

(Le soin et la diligence que nous devons avoir en nos affaires sont différents de l’inquiétude de la hâte et l’empressement)

Ici encore Le Bris propose plusieurs substantifs pour traduire un seul substantif français, il s’agit encore une fois d’un emprunt direct, sinon même d’un calque : « ampressamant », et d’un mot aussi d’origine romane, mais fort bien connu en langue bretonne et ce de longue date : « hast ». Il n’est néanmoins pas question ici d'un quelconque jargon ecclésiastique comme nous l'avons vu pour l'exemple 1, ce qui pose le problème des raisons d'un tel choix de traduction. Pourquoi utiliser un calque pour un concept qui peut être recouvert par des substantifs bien connus dans la langue cible, surtout si cela pousse le traducteur à rajouter une équivalence dans sa traduction au risque d’alourdir son propos ?

Il devait être de bon ton pour une personne instruite et bilingue comme Le Bris de parsemer son breton de quelques emprunts à la langue française, langue dominante, pas ou peu compréhensible parmi les bretonnants moins lettrés. Nous aurions donc ici une pratique quelque peu mondaine permettant au traducteur et à ses lecteurs instruits de jouer avec les deux langues qu’ils maîtrisent, tout en proposant une équivalence pour les lecteurs/auditeurs ne sachant pas ou pas assez le français.

Termes techniques, « Hanvet e gallec »

Un autre type d’équivalence utilisé par Le Bris est la traduction du terme français tout en citant le mot de la langue source : « hanvet e gallec X » nommé en français X

Le Bris :

ober dezo douguen dindan plantou o zreid lousaouen ar scleric, hanvet e gallec éclaire ou chelidoine.107

(Leur faire porter sous la plante des pieds /nom breton/, nommée en français /éclaire ou chelidoine/ sic).

Dans cet exemple Le Bris oublie d'ailleurs de traduire la conjonction de coordination « ou » entre les termes français.

Le Bris :

Ar re o deveus ur certen clènvet, hanvet e gallec, la jaunisse, hac er brezo- nec, ar melender pe zroug ar Roue108

Dans le deuxième exemple Le Bris utilise deux termes bretons pour traduire la jaunisse, c’est aussi une référenciation, ayant pour but d’être compris malgré une pluralité du lexique due probablement à la richesse dialectale.

Le fait que le traducteur soit enclin à utiliser une référencialisation dans les cas précédents a sans doute une autre origine : celle des termes précis, disons presque techniques, renvoyant à la biologie ou à la médecine. La multiplication des termes concernant ces concepts permettant à la fois de gagner en précision et d'être sûr qu'au moins un des termes soit compris par le lecteur/public. Comme nous l'avons entrevu plus haut, les noms des maladies et des plantes sont particulièrement marquées par la dialectisation et de nombreux termes locaux peuvent correspondre à une plante, ou une maladie par exemple. Nous pouvons imaginer que ces référentialisation permettaient au lecteur, lors des lectures en public,de mieux comprendre le concept en question et de l'adapter à l'oral selon les origines dialectales de ses auditeurs.

Concernant les œuvres du XVIIIème en langue bretonne, on peut supposer que ces référencialisations écrites ne représentent qu’une partie des référencialisations possibles, car les commentaires et référencialisations orales devaient être nombreuses lors des lectures publiques.

107 XXVIII/III 108 XXVIII/III

Notes aux lecteurs

Autre stratégie de traduction utilisée par Le Bris est la note personnelle prodiguant des avis et des conseils à l’attention des lecteurs.

Exemple 1 :

(Caout a reot quement hac a guerrot eus an seurt canticou-ze composet a nevez gant ur belec eus a Escopti Leon , hac a so approuvet mad. )109

( Vous trouverez tout ce que vous voudrez au sujet de ce type de cantiques composés par un prêtre de l’évêché du Léon et qui sont approuvés)

Exemple 2 :

A propos eo rei deoc'h avis amâ penaus e queffot e lêvriou ar C'hanticou brezonec pere a so nevez imprimet hac aprouvet e Quemper, ur voyen excellant da glevet an Oferen dévotamant.)110

( Il est opportun de vous faire savoir que vous trouverez dans le livre des Cantiques en breton qui sont nouvellement imprimés et approuvés à Quimper, un excellent moyen d’entendre la messe avec dévotion.)

Dans les exemples ci-dessus Le Bris propose la lecture de cantiques composés récemment par un certain prêtre du Léon et qui seraient un moyen « excellent » pour entendre la messe avec dévotion. Le Bris utilise peut-être ces notes pour faire habilement et sans se mentionner un peu de ce que nous appellerions aujourd’hui de la publicité pour ses Canticou spirituel parus douze ans avant la première édition de son Introduction à L’introduction à la vie dévote... Nous aurions ici en quelque sorte une référencialisation à visée commerciale...

Marion

Équivalences

Les équivalences utilisées par Marion sont d’une nature différente de celles que nous avons vues chez Le Bris et sont toujours présentées sous la même forme, le terme breton étant suivi du terme français entre parenthèses.

Exemple 1 :

A zeu zén, péré en dès er malitouche (cancer), unan én é vréh hag en aral én é face111 (De deux hommes, qui ont le cancer, un dans son bras et l’autre au viage)

Exemple 2 :

èl er ré lovre (léprus)112 (les lépreux)

Nous avons ici affaire à des maladies et donc à des termes assez précis ou d’usage peu courant parmi une partie de la population, l’exemple 2 présente même un équivalent en français dialectal, ce qui peut être une indication nous permettant de deviner à quel public ces équivalences étaient réservées. Comme pour Le Bris nous pouvons en déduire que ces termes français s’adressaient aux ecclésiastiques ou aux lettrés. Les termes bretons précédents devaient être quant à eux rares ou méconnus d'une partie de la population ce qui motivait le recours au terme français.

Exemple 3 :

istimein e rér hilleih en avistet (prudance)113 (on estime beaucoup la prudence)

111 VI/III 112 XV/III 113 VI/III

Exemple 4 :

hag en ol vertuyeu aral, èl mei en avis mad (prudance)114 (et toutes les autres vertus, comme l’est la prudence)

Dans les exemples 3 et 4 Marion nous présente deux synonymes bretons permettant de traduire « prudence ». L’origine de la motivation d'une telle référencialisation est la tendance à utiliser les termes français en ce qui concerne les traits moraux dans le jargon religieux en langue bretonne, au point que les autres termes pouvaient être mal compris dans ce contexte. Exemple 5 :

ma ras ur rô (voeu) particulié115

Nous avons dans l'exemple 5 le cas du mot breton rare d'où l'utilisation d'un équivalent en langue française.

Notes aux lecteurs

Parfois Marion s’adresse directement à ces lecteurs, toujours entre parenthèse pour ne pas créer de confusion entre le propos de F. de Sales et le sien :

(Me ellehé hanhuein d'oh un nombre bras a livreu a zevotion; maes èl nen doh quet ér stad d'hou pout ind, assaiet hou pout ahoel er ré e ellehet leine, èl mei en Instructioneu santel, Imitation Jésus, er Stationeu, er Réflexioneu ar er pedair Fin deuhéuan, en Devotion de alon Jésus, er Hantiqueu spirituel, er pratiqueu devot, etc.)116

« Je pourrai vous nommer un grand nombre de livres de dévotion, mais comme vous n'êtes pas dans l'état de les avoir, essayez d'avoir au moins ceux que vous pourriez lire comme le sont en Instructioneu santel, Imitation Jésus, er Stationeu, er Réflexioneu ar er pedair Fin

dehuéhan, en Devotion de Galon Jésus, er Hantiqueu spirituel, er pratiqueu devot, etc. » Comme souvent, cette note est intéressante, car elle nous renseigne sur le public ciblé. Le propos n'est d'ailleurs pas très clair, pourquoi Marion suppose-t-il que ses lecteurs ne sont pas en « état » de lire d'autres ouvrages religieux ? La réponse est sous-entendue dans la phrase suivante : « ahoel er ré e ellehet leine » (au moins ceux que vous pourriez lire). Sans le mentionner expressément Marion semble s'adresser aux bretonnants monolingues alphabétisés, les autres livres qu'il pourrait citer étant probablement des ouvrages en français ou encore en latin.

Par cette courte note, Marion nous renseigne sur le public pour qui il écrit : les bretonnants alphabétisés et monolingues, ou en tout cas qui ne sont pas suffisamment à l’aise en français pour pouvoir lire des ouvrages dans cette langue.

Contrairement à Le Bris, Marion ne cite pas ses propres ouvrages ici, pour une raison simple : L’introduction à la vie dévote est manifestement sa première traduction. Les livres mentionnés sont donc d’auteurs antérieurs, comme Pierre Noury ou encore Pierre Barisy.

Sévéno

Équivalences

D’un style plus concis, la traduction présente beaucoup moins d’équivalences que les traductions précédentes, nous avons cependant quelques cas qui pourraient se rapporter à ces dernières :

mes eit rantein gloér de Zoué ha guel istimein en nésan, e zou er vertu hanùet é gallek humilité ; hé hanùein. e hramb amen en izélded a galon117

(mais pour rendre gloire à Dieu et mieux estimer son prochain, il y a une vertu qui se nomme en français humilité, nous l’appelons ici « izélded a galon »)

Ici Sévéno cite le nom français : humilité et présente sa traduction : « nous l'appelons ici

« izélded a galon ». Le traducteur présente les termes utilisés que le lecteur sera amené à rencontrer régulièrement dans cette œuvre. Si Sévéno estime raisonnable de présenter le mot conjointement au mot français, c'est que, comme nous l'avons vu plus haut, les termes rapportant aux traits moraux ont largement été empruntés du français au breton par les traducteurs et écrivains antérieurs. Sévéno, en ce début du XXème siècle essaye de traduire ces termes en breton.

Ur goapour e zou drest ol de zoujein. Hellein e hrér konparajein é valis doh hani er lezeuen hanùet ciguë é gallek: più benak e zèbr anehi ne vè ket anpouizonet aben kaer

(un moqueur est à craindre avant toute chose. On peut comparer sa malice à celle d’une plante appelée cigüe en français : celui qui en mange ne s’empoisonne pas aussitôt)

Dans l’exemple ci-dessus Sévéno ne connaît pas le terme breton pour la ciguë, c’est donc le terme français qui est proposé tout en mentionnant que c’est un mot de la dite langue.

Notes

Sévéno utilise assez régulièrement des notes en bas de page permettant de préciser certaines informations de sa traduction, pour ce faire un nombre suit la phrase en question et renvoie à une note.

Er ré e gousk ar er lezeuen hanùet agnus cactus (1)118 (ceux qui dorment sur la plante appelée cactus) Renvoi à la note suivante :

gir latin hag e senefi Oén glan, hanù Jézus-krist.

(mot latin qui signifie Agneau pur, le nom de Jesus Christ) Il est donc ici question de précision linguistique.

a pen dé rekis eit gloér hag inour en Eutru Doué (1)119

(quand c’est requis pour la gloire et l’honnneur du Seigneur) Renvoi à la note suivante :

"kuhein er huirioné" nen dé ket laret un dra kontrél dehi. («cacher la vérité » ce n’est pas dire son contraire)

Ici Sévéno clarifie le propos du texte de François de Sales.

Parfois les notes sont beaucoup plus longues et apportent des informations plus récentes aux lecteurs comme cette note ci-dessous :

Chetu amen petra en des skriùet hun Tad Santél er Pab Pi x d'er grechéneh abéh, en 20 a viz en avent 1905:

« Er grechénion e zeli bout douget de dostat liés d'en Daul Santél ; Hun Salvér hag hun Mam santél en Iliz e houlen kement-sé. Chetu perak dén erbet ne zeli bout pelleit a zoh en Daul Santél, adal ma vou é stad a hrès, ha ma en devou un intansion réh ha santél. »

Sévéno y donne l’avis du Pape X : « Voici ce qu’a écrit notre Saint Père le Pape Pi X à tous les chrétiens, le 20 décembre 1905 : »

Les traducteurs bretonnants ont donc prêté une attention particulière à être bien compris du public visé en multipliant les équivalences lexicales et en utilisant les notes de bas de page.

Documents relatifs