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3.3 Acides boroniques : propriétés et complexation avec les diols

3.3.2 Équilibres en milieu aqueux

Caractère acide

Le bore ne respecte généralement pas la règle de l’octet et possède une orbitale p vacante. Cette dernière lui confère un caractère d’acide faible de Lewis : un groupe hydroxyle chargé négativement peut venir remplir cette orbitale. Ainsi dans l’eau, un acide boronique est en équilibre avec une forme quaternaire portant une charge formelle négative, l’ion boronate [227].

Les pKa des acides boroniques sont proches de 9 ; par exemple, l’acide phénylboronique possède un pKa de 8,8 [223]. Ce pKa peut être ajusté par l’introduction de groupements

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Figure 3.30: Équilibre d’ionisation des acides boroniques dans l’eau.

miques sur le cycle aromatique des molécules dérivés de l’acide phénylboronique. Ainsi, l’ajout d’un groupe électro-attracteur tel qu’un fluor ou un groupe nitro entraînera une diminution du

pKa(l’acide 4-nitrophénylboronique est significativement plus acide avec un pKade 7,1 [223]) alors que la présence de groupements encombrants, tels que des méthyles, empêchera partielle-ment la formation de l’ion boronate ainsi que la libération d’un ion hydronium ce qui aura pour effet de diminuer l’acidité donc d’augmenter le pKa de la molécule en question (par exemple, l’acide 2-methylphénylboronique a un pKa de 9,7).

Complexation diol-acide boronique

En présence de molécules portant des fonctions diols de type 1,2 ou 1,3 (respectivement éloignées de 1 ou 2 carbones), un acide boronique réagit pour donner un équilibre avec un ester boronique (cyclique, à 5 ou 6 atomes) et deux molécules d’eau. La paternité de la synthèse et l’analyse de tels esters est classiquement attribuée à Kuivila (1954) [293].

Figure 3.31: Représentation de l’équilibre de complexation entre un acide boronique et un diol.

Le terme "complexation", habituellement utilisé dans ce cas, ne doit pas être assimilé à une complexation de ligands sur un métal. Le bore, situé à la deuxième ligne et treizième colonne du tableau périodique, n’est pas un métal. De plus, les liaisons B − O formées sont purement covalentes. D’un point de vue dynamique, les liaisons BO − R0 sont qualifiées de "covalentes réversibles" car elles sont en équilibre avec les liaisons BO − H et, donc, se cassent et se reforment constamment. C’est cet aspect dynamique qui est exploité pour l’élaboration de

polymères associatifs basés sur cette complexation.

La formation et la stabilité des esters boroniques est nettement favorisée à pH élevé. Une règle empirique communément admise consiste à dire que l’équilibre sera fortement déplacé vers la formation de l’ester boronique si le pH du milieu est égal ou supérieur au pKa de l’acide boronique. Le schéma réactionnel 3.32, très présent dans la littérature [294], décrit les différents équilibres impliquant la formation de l’ester boronique et les équilibres acido-basiques possibles.

Selon ce modèle, la forme trigonale de l’acide phénylboronique s’hydrolyse en ion phényl-boronate avec une constante d’acidité Ka puis réagit avec le diol pour former l’espèce ester phénylboronate correspondante avec une constante de formation Ktet. L’acide boronique

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Figure 3.32: Equilibres diol/acide phénylboronique conventionnels, d’après [294]

rait aussi réagir sous sa forme trigonale neutre avec le diol et former l’ester boronique (constante de formation Ktrig), en équilibre avec sa forme chargée via une constante d’acidité Ka0. L’ester formé étant plus acide (dans l’acception de Lewis) que l’acide boronique initial, Ka0 > Ka et ainsi Ktet > Ktrig. Ce modèle suggère donc que l’ion boronate est plus réactif vis-à-vis des diols que l’acide boronique neutre, ce qui confirmerait les observations expérimentales quant à la plus grande réactivité des acides boroniques sur les diols à pH > pKa.

Cette image souffre cependant de plusieurs lacunes [247, 248]. En effet, des études ré-centes [295, 296] montrent que, contrairement à l’idée répandue, les deux espèces (trigonale et tétrahédrale) sont tout aussi réactives à fort pH ; de plus, la forme trigonale est présente et réactive pour une large gamme de pH, d’acide à basique. Une autre pierre d’achoppement est l’influence du pKadu diol qui n’est pas prise en compte dans l’explication précédente : un diol à fort pKa(>10) ne peut réagir avec un acide boronique que dans des solutions suffisamment alcalines alors que les diols plus acides (pKa ' 5) sont réactifs même à pH acide. Les tra-vaux pionniers de Lorand & Edwards [227] ont en effet montré, par une méthode de titration pH-métrique, que la constante d’association impliquant l’acide phénylboronique (PBA) peut varier d’un facteur 9000 selon le diol utilisé.

Une nouvelle règle empirique, en meilleur accord avec ce fait que la précédente, suggère que le pH doit plutôt être supérieur ou égal à la moyenne des pKa de l’acide boronique et du diol qui réagissent [247] :

pHoptimal' pK

diol

a + pKaacide

2 (3.7)

A la lumière de ces résultats, un nouveau mécanisme a récemment été proposé ; il est pré-senté sur la figure 3.33.

Au mécanisme de Bosch et al. [294] s’ajoute l’équilibre acido-basique du diol, ce qui donne non plus deux mais quatre chemins possibles. La forme totalement déprotonée du diol n’est pas réactive ; c’est pourquoi elle n’est pas représentée. Leurs expériences montrent par RMN

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Figure 3.33: Equilibres possibles pour la complexation diol-acide boronique selon Furikado et

al. [295]

11B que l’unique produit est toujours la forme quaternaire de l’ester boronique dans la gamme de pH 5-11, soulignant ainsi la forte acidité de cette espèce.

Les études de Springsteen & Wang [247, 248], mettant en œuvre une technique spectro-scopique basée sur la fluorescence d’une molécule-sonde l’Alizarin Red S (ARS), confirment la complexité du mécanisme : bien que la constante de complexation globale ait tendance à augmenter avec le pH, il existe des exceptions en fonction du couple [diol/acide boronique] utilisé, en accord avec la prédiction de (3.7). Cette prédiction est globalement validée expéri-mentalement en utilisant deux diols de pKa différents : le fructose, poly(diol) naturel composé de diols 1,2 cis (pKa = 12, 1), et l’ARS (pKa = 5, 5). Pour une complexation avec le PBA (pKa = 8, 8), (3.7) prévoit un optimum de pH à 10,8 pour le couple [fructose/APB] et 7,1 pour [ARS/PBA], ce qui est retrouvé expérimentalement. Cependant d’autres complexités sur-gissent comme pour le fructose, dont la constante d’association avec le PBA augmente avec le pH (de 29 M−1 à 560 M−1 pour un pH de 6,5 à 8,5) alors qu’elle atteint un maximum à pH=7,5 (K = 2136 M−1) pour le 2,5-difluoro-acide phényl-boronique et décroit à plus haut pH (K = 120 M−1), sachant que le pH optimal prédit par (3.7) est similaire dans les deux cas.

D’après les auteurs, ce pHoptimal doit être considéré avec précaution : dans de nombreux cas, c’est plus un minimum qu’un optimum. Il est à l’heure actuelle encore difficile de com-prendre pourquoi un tel optimum d’association avec le pH existe parfois ou pas.

La complexation diol-acide boronique est donc complexe, et, si nous progressons toujours plus vers une compréhension globale de la variation de la constante de complexation avec le pH, il reste encore beaucoup d’effets à découpler (influence de la solution tampon [248, 294], effets stériques [227], ...) pour découvrir le mécanisme général de cette complexation.

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Dans la suite, nous menons une étude de RMN du bore 11 et de spectrophotométrie pour évaluer les constantes d’association, notamment en fonction du pH du milieu.

Le principe commun aux deux types de mesures présentées consiste en l’utilisation de sys-tèmes modèles, le plus proche possible du système associatif original. Ces syssys-tèmes sont sensé reproduire l’équilibre et la dynamique d’association du HP-g-PB et du PVA (cf. figure 3.34). Les raisons et les limites d’utilisation de tels systèmes modèles sont expliquées plus bas.

Figure 3.34: Équivalence des systèmes modèles utilisés pour les mesures de RMN 11B et la spectroscopie de fluorescence avec le système associatif original composé des deux polymères complémentaires.