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Énergie noire ou gravité modifiée ? 1 Le problème de la constante cosmologique

L’accélération de l’Univers et modèles de gravité

1.3 Énergie noire ou gravité modifiée ? 1 Le problème de la constante cosmologique

Nous avons déjà vu que le modèle le plus simple d’énergie noire est simplement une constante cosmologique Λ telle que ρΛ = −PΛ = Λ/(8πG) et ΩΛ ≃ 0.7. Le problème

de ce modèle est qu’il n’explicite pas vraiment l’origine physique de cette constante. La source d’énergie qui pourrait correspondre d’une façon a priori naturelle à une constante cosmologique est l’énergie du vide. Malheureusement, les ordres de grandeur des deux phénomènes n’ont rien en commun. La constante cosmologique est telle que la densité

correspondante vaut

ρΛ = 10−47GeV4. (1.36)

On peut d’autre part évaluer la densité d’énergie du vide, qui correspond à la somme sur tous les modes, de l’énergie de point zéro ωk/2. Pour un champ scalaire, on obtient :

ρvac= 1 2 Z kmax 0 d3k (2π)3 p k2+ m2 k4max 16π2 (1.37)

où kmax est le cutoff de la théorie des champs que l’on considère et m la masse du champ,

que l’on supposera ≪ kmax. Si l’on prend pour cutoff l’échelle de grande unification kmax=

EGU T = 1016GeV, on obtient

ρvac≃ 1062GeV4 ≫ρΛ. (1.38)

Le modèle de la constante cosmologique est également insatisfaisant du point de vue de l’explication de la valeur de sa densité d’énergie actuelle. Ce problème est connu sous le nom de problème de la coïncidence : pourquoi la densité d’énergie noire est-elle de l’ordre de la densité de la matière noire, précisément aujourd’hui, alors que les deux phénomènes ont a priori des origines très différentes. De plus, cette densité, très faible, doit être ajus- tée très précisément : c’est ce qui est appelé le problème du fine tuning de la constante cosmologique.

Ces difficultés d’ordre théorique (d’un point de vue phénoménologique, le modèle ΛCDM est pour l’instant en très bon accord avec les observations) ont poussé la communauté des physiciens des particules et des cosmologistes à se pencher plus en détail sur les possibles modèles d’énergie noire, au-delà du modèle de la constante cosmologique. Nous allons pré- senter un panorama de ces modèles (on pourra également consulter avec profit les articles [75,211,265]). Deux grandes catégories de modèles peuvent être distinguées : les modèles qui supposent que la RG décrit correctement les lois de la gravitation, et les modèles de gravité modifiée.

1.3.2 Modèles restant dans le cadre de la Relativité Générale

La plupart des modèles de cette catégorie consistent à prendre littéralement l’inter- prétation du fluide parfait (1.22) en tant qu’énergie, et à postuler l’existence d’un ou de plusieurs nouveaux champs responsables de l’accélération récente de l’Univers.

Les modèles les plus simples de cette classe sont les modèles de quintessence [221,284], dans lesquelles l’énergie noire est décrite par un champ scalaire en régime de roulement lent, d’une manière tout à fait semblable à l’inflaton. L’action de ce champ scalaire ϕ s’écrit

S = Z d4x√−g  −12gµν∂µϕ∂νϕ − V (ϕ)  , (1.39)

où V est le potentiel du champ. À partir de cette action, il est facile de calculer le tenseur énergie-impulsion du champ scalaire dans un univers homogène et isotrope ; on peut alors montrer que l’équation d’état prend la forme

wϕ= 1 2ϕ − V (ϕ)˙ 1 2ϕ + V (ϕ)˙ . (1.40)

1.3. Énergie noire ou gravité modifiée ? 35

On peut définir les paramètres de roulements lents par

ǫ ≡ 16πG1  VV,ϕ 2 , η ≡ 1 8πG  V,ϕϕ V  , (1.41)

où V,ϕest la dérivée du potentiel par rapport au champ scalaire. Dans la limite de roulement

lent

ǫ ≪ 1, η ≪ 1, (1.42)

le champ scalaire peut jouer le rôle d’énergie noire, avec une équation d’état wϕ ≃ −1+2ǫ/3.

Le potentiel V (ϕ)M4e−λϕ est un exemple intéressant de potentiel, car on peut mon-

trer que le régime w ≃ −1 est un attracteur, c’est-à-dire que pour une grande plage de conditions initiales, le champ ϕ entrera dans le régime de roulement lent si l’on attend suf- fisamment longtemps. Ce mécanisme d’attraction ne résout pas le problème du fine-tuning, mais permet néanmoins de donner une explication naturelle au fait que l’énergie noire ait une équation d’état constante ou quasi-constante aujourd’hui.

De nombreux autres modèles existent, parmi lesquels on peut citer les modèles de ta- chyon [241,242,243], d’énergie noire fantomale [57,59] ou encore de K-essence [23,24,69].

Une autre possibilité pour expliquer l’accélération apparente de l’Univers sans modifier les lois de la gravitation consiste à trouver un mécanisme qui modifie la façon dont nous percevons les photons qui se propagent depuis les SN Ia et autres phénomènes observables. C’est par exemple le cas lorsque les photons sont couplés à un axion, et peuvent osciller lors de la propagation dans le champ magnétique extra-galactique [78,99,102]. Les objets astrophysiques nous apparaissent alors plus lointains qu’ils ne le sont en réalité.

1.3.3 Modèles de gravité modifiée

Une autre approche de la question de l’énergie noire consiste à questionner la validité même de la RG. Il existe ainsi de nombreux modèles de gravité modifiée, dans lesquels les lois de la gravité sont différentes de la RG.

Les modèles les plus simples de modifications sont sans doute les modifications scalaires de la gravité dans lesquelles un champ scalaire additionnel est couplé non-minimalement à la métrique. Nous reviendrons en détail sur ces modèles à la PartieIII. Un exemple de tels modèles est donné par la classe des théories scalaire-tenseur [41, 206, 276] dont l’action prend la forme S = 1 16πG Z d4x√−gF (ϕ) R − (ϕ) gµν∂µϕ∂νϕ − 2U(ϕ)  + Sm[ψm; gµν] . (1.43)

Cette action apparaît comme une généralisation directe des modèles de quintessence décrits à l’équation (1.39), la différence étant que le champ scalaire des théories scalaire-tenseur est couplé non-minimalement à la métrique au travers de la fonction F (ϕ). Il est possible de coupler le champ scalaire à d’autres invariants de courbure que le scalaire de Ricci ; on peut par exemple penser aux modèles dans lesquels le champ scalaire n’est pas couplé à R mais au terme de Gauss-Bonnet, LGB = R2− 4RµνRµν + RµνρσRµνρσ. Nous n’étudierons pas

pour plus de détails. Notons enfin que deux modèles de modifications scalaires dont l’action possède plus de deux de dérivées du champ scalaire ont récemment été proposés. Il s’agit du modèle de Galiléon introduit par A. Nicolis, R. Rattazzi et E. Trincherini [203] (voir également [94, 97] et [249]) et des modèles de k-Mouflage présentés par E. Babichev, C. Deffayet et moi-même dans l’article [27]. Nous reviendrons sur ces modèles au Chapitres 6

et7.

Il est également possible de modifier les lois de la gravité en postulant l’existence de dimensions spatiales supplémentaires. Le modèle DGP [111] proposé par Dvali, Gabadadze et Porrati en 2000 est sans doute le plus célèbre des modèles comportant des dimensions supplémentaires et modifiant la gravité à grandes distances. Nous verrons à la Section2.1.2

que la gravité y est 4-dimensionnelle à courtes distances et 5-dimensionnelle à grandes distances. La phénoménologie de ce modèle est très riche, notamment du point de vue cosmologique [92].

Vue de notre espace à 4 dimensions, cette théorie à 5 dimensions apparaît comme une théorie où la gravité n’est plus portée par un unique graviton sans masse, mais par une infinité de gravitons massifs. Cette idée a par la suite été étendue à un ensemble plus large de modèles, dans lesquelles la gravité trouve sa source dans une résonance de gravitons massifs ; ces modèles sont appelés modèles de dégravitation [91,112]. Le modèle DGP et les théories de dégravitation sont donc reliés à la classe des théories de gravité massive, dans lesquelles le graviton possède une masse. Nous consacrerons la Partie II de ce mémoire à ces modèles.

Pour être intéressants d’un point de vue phénoménologique, les modèles de gravité modifiée doivent être nettement différents de la Relativité Générale, tout au moins aux échelles cosmologiques. Cependant, nous savons que la gravité dans le système solaire est très proche de la RG. Il faut donc un mécanisme qui sépare ces deux régimes. Pour l’instant, deux mécanismes de ce type sont connus : celui de caméléon et le mécanisme de Vainshtein. Dans les deux cas, la gravité est modifiée par un champ scalaire qui est libre de se propager à grandes distances mais qui ne joue pas de rôle au sein ou au voisinage d’objets massifs.

Nous consacrerons une partie importante de ce mémoire au mécanisme de Vainshtein, dont nous montrerons, pour la première fois, la validité dans le cadre des théories de gravité massive (Partie II). Nous l’utiliserons également pour construire la classe des théories de k-Mouflage (PartieIII).

Enfin, il est important d’avoir à l’esprit que tout modèle de gravité modifiée réaliste doit être capable de satisfaire de fortes contraintes expérimentales, tant au niveau local qu’à des échelles cosmologiques. Nous détaillerons ces contraintes à la PartieIV.