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Chapitre 1. Bilan historiographique

1.1 L’organisation sociale des sociétés de bandes

1.1.2 Égalité versus Hiérarchie

La définition même des sociétés de bandes comprend la notion que ces groupes sont égalitaires. En regard de la complexification de ces sociétés, qui a été présentée plus haut, il faut revoir ce concept d’uniformisation de l’égalitarisme au sein de tous les groupes de chasseurs-cueilleurs. L’organisation sociale va se modifier d’un groupe à l’autre en fonction des croyances, de l’environnement et d’une multitude d’autres facteurs. Toutefois, le point central de cette notion d’égalité et de hiérarchie est le concept de propriété privée, sans quoi aucune forme de stratification sociale ne serait possible (Barnard et Woodburn 1991 : 13).

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En considérant que les sociétés de chasseurs-cueilleurs sont identifiées comme égalitaires, comment le droit de propriété est-il perçu, individuellement ou communautairement? Il n’est pas toujours facile de comprendre les liens unissant les gens aux objets et l’impact de ces liens politiquement et idéologiquement (ibid. : 10). Toutefois, l’hypothèse selon laquelle un individu possède tout objet qu’il acquiert de la nature ou produit de ses propres mains constitue l’un des principes clés du développement de l’idée de propriété privée (ibid. : 23).

Selon Barnard et Woodburn (1991 : 14-20), on retrouve plusieurs types de propriétés privées englobants différents aspects d’une société. Dans la plupart des sociétés de bandes, le droit d’accessibilité à la terre n’est pas disputé au sein même d’un groupe et tous ont accès de manière égale et libre aux ressources selon leurs capacités et leurs motivations personnelles. Ces droits concernent plus le territoire en entier d’un groupe par rapport à un autre, mais l’accès aux territoires voisins est souvent libre.

Une deuxième catégorie de propriété privée est rattaché aux objets facilement transportables, soit les armes, outils, vêtements, ornements, etc. Dans la plupart des situations, de tels objets sont fabriqués par leur propriétaire, ne sont pas échangés et il est rare qu’il y ait fabrication en vue de créer du surplus (Barnard et Woodburn 1991 : 16). Par conséquent, dans des circonstances où un homme possède plus d’armes qu’il n’en a besoin et qu’un deuxième homme n’en possède pas par manque de ressources ou autre, le premier est dans l’obligation de partager avec le deuxième.

Le troisième type de propriété privée concerne le droit sur le gibier chassé et tout autre type de nourriture et matières premières. Dans la plupart des sociétés, une carcasse appartient à celui qui l’a chassée, mais ce dernier est socialement obligé de partager s’il y a surplus par rapport à ses propres besoins et ceux de sa famille. Dans le cas du gros gibier, la viande est partagée entre tout le groupe et le chasseur reçoit la même quantité que les autres, sans obtenir de statut social particulier. Dans certains groupes, ce partage suit les liens de parenté, alors que dans d’autres sociétés, le partage se fait sans distinction des liens sociaux avec le chasseur.

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Le quatrième type de droit concerne la propriété du travail de certaines personnes. Par exemple, le travail d’une femme est la propriété de son mari ou des hommes de sa famille, la chasse d’un homme est la propriété de sa belle-famille, etc. Toutefois, ce type de droit varie d’un groupe à un autre. Finalement, le cinquième type de droit concerne la connaissance et la propriété intellectuelle. Ce type de propriété privée fait principalement référence aux recettes des remèdes, aux chansons pour appeler les esprits, ou pour favoriser la chasse, etc. On retrouve l’économie de partage parmi tous ces types de propriétés privées, autant par les liens familiaux qu’à l’échelle de la communauté.

Un autre élément important de ce type d’organisation sociale est le principe d’échange de cadeaux. Ce concept, sans regard au « cadeau » en lui-même, est de nature sociale et permet d’acquérir de la sympathie, du pouvoir ou même un certain statut (Baal 1975 : 31). Un des aspects de cet échange de présents est qu’il transforme le donneur et le receveur en partenaires. Cet échange crée donc une relation d’une valeur plus forte entre deux individus qui deviennent obligés l’un envers l’autre (ibid. : 35). Il s’agit d’une relation qui est prise au sérieux et qui concerne plus la valeur d’une personne que la valeur de ce qui est donné en lui-même (ibid. : 44). Marcel Mauss (2007 : 90) exprime bien cette mentalité du don grâce à cette citation;

Et toutes ces institutions n’expriment uniquement qu’un fait, un régime social, une mentalité définie : c’est que tout, nourriture, femmes, enfants, biens, talismans, sol, travail, services, offices sacerdotaux et rangs, est matière à transmission et reddition. Tout va et vient comme s’il y avait échange constant d’une matière spirituelle comprenant choses et hommes, entre les clans et les individus, répartis entre les rangs, les sexes et les générations.

L’économie de partage peut être observée de manière différente selon les groupes. Dans les groupes de chasseurs-cueilleurs « simples », la présence de surplus va entraîner un partage égalitaire de ces ressources aux membres du groupe, de façon délibérée et organisée ou par moyen de « vol toléré », soit que chacun peut prendre dans la cache d’un autre lorsqu’il en a vraiment besoin (Hayden 1994 : 228). Par contre, dans des groupes où l’on constate une forme de hiérarchie, on peut observer la tenue de « festins compétitifs » où les ressources économiques sont utilisées explicitement comme outil servant à obtenir ou à augmenter le statut d’un individu (ibid. : 231).

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Afin de bien illustrer ce propos, il convient de distinguer les deux formes de système d’échange établi par Woodburn (1991) pour les sociétés de chasseurs-cueilleurs. Le premier système caractérise le retour immédiat (immediate-return system). Ce dernier consiste à la mise en place d’un travail servant à acquérir de la nourriture ou d’autres ressources qui seront consommées et utilisées le jour même ou dans les quelques jours suivants. Ce type de système est courant dans les sociétés utilisant un outillage simple, portable et remplaçable assez facilement et rapidement. De plus, on ne retrouve pas de valeur sociale rattachée au rendement dans ces sociétes (Woodburn 1991 : 32). Le deuxième système est appelé le delayed-return system, dans lequel les individus détiennent des droits sur quatre différents types « d’actifs », la plupart du temps en combinaison les uns avec les autres. Ce système de propriété s’applique donc sur différents éléments techniques produits sur une longue période de temps et qui demandent un travail considérable. Cette propriété s’applique aussi sur la nourriture ou le matériel stocké et traité, sur les produits sauvages qui ont été travaillés par l’homme, tels les troupeaux ou les plantes sauvages et sur le droit des hommes sur les femmes de leur famille (loc. cit.).

On observe donc un lien tangible entre l’organisation sociale des chasseurs-cueilleurs et leur organisation économique. En effet, leur mode de subsistance dépend d’un partenariat et d’un partage constant entre les membres du groupe. De plus, dans le cas où l’énergie est investie et un surplus éventuel doit être partagé (Woodburn 1991 : 33), l’organisation économique de ces sociétés a permis une complexification de l’organisation sociale en créant un début de hiérarchie parmi les individus d’un groupe.