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Tunisiens sur Facebook

I. Différences ou libertés affichées :

4. Une écriture qui a l’air de faire le va-et-vient entre les codes :

Il semble que l’une des caractéristiques de ce « dire-écrire » des jeunes Tunisienssur Facebook est manifestement le code-switching ainsi que les emprunts d’un code à un autre. Nous allons nous arrêter sur

(L3) Voulant bien dire Je me suis tû

Voulant tout faire Je me suis eu Ainsi fût

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ce phénomène non seulement pour le saisir, le décortiquer et l’analyser mais aussi pour nous interroger sur ses visées et sur ses significations les plus profondes.

En effet, dès que l’on tend l’oreille à la conversation quotidienne des Tunisiens, à la parole indigène, à ce que disent les gens ordinaires dans le clair-obscur du quotidien, on est tout de suite frappé par un phénomène sans précédent de va-et-vient permanent entre le français et l’arabe. Longtemps, réservé à l’oral uniquement, avec l’avènement des réseaux sociaux, les pratiques plurilingues et ce qu’elles impliquent comme contact de langues et comme mélange de codes font leurs apparitions dans la sphère écrite. Les internautes pratiquent le plurilinguisme, alternent les codes, mélangent les variétés linguistiques, importent des mots venus d’ailleurs, poussent les mots à émigrer d’une terre à une autre et d’un code à un autre, inventent la tour de Babel et brouillent les frontières entre les langues…

Dans son travail de thèse sur Rabelais, Mikhaïl Bakhtine fait l’éloge non pas du monologue et de la clôture d’un code ou d’un langage quel qu’il soit mais de la dia/logie et l’écoute de l’Autre et montre que l’invention d’un code, d’un langage ou d’une littérature ne peut se réaliser que dans un rapport dialogique avec un autre code, un autre langage ou une autre littérature. L’œuvre de François Rabelais qui représente la littérature populaire du Moyen Âge, celle précisément du bas matériel et corporel, ne peut se réaliser et prendre corps réellement que dans son opposition toujours de mise avec la littérature officielle, celle du sérieux, de l’ordre, de l’établi, de l’achevé, de la politique comme maintien et conservation des hiérarchies et, corrélativement, de la politesse. (Bakhtine, 1970) Bien imprégné des idées de Bakhtine, Khatibi, dans « Amour bilingue », cherche à entendre le souffle, le bruissement, le frou-frou des restes de la langue arabe, restes déchiquetés mais tranquillement blottis dans les plis et les interstices du français que l’auteur est en train de parler et d’écrire. (Khatibi, 1983)

Notre réflexion s’articulera autour de deux axes : en premier lieu, on s’interrogera sur la pertinence de termes concurrents suivants : le bilinguisme de masse, le contact des langues et la diglossie en s’appuyant sur le point de vue de l’École sociolinguistique de Rouen. En deuxième lieu, on s’intéressera aux manifestations linguistiques du plurilinguisme : les emprunts et les alternances codiques.

En ce qui concerne le premier point, il est à constater que le plurilinguisme a longtemps été rejeté du champ des recherches en linguistique du fait même qu’il a été considéré comme une impureté par le paradigme dominant à savoir le structuralisme. Il a fallu attendre que « cette linguistique formelle se trouve dans une impasse ou dans une « crise » selon les termes de J.B. Marcellesi (1980), pour que naisse « la linguistique de la crise », la sociolinguistique » (Laroussi, 1991 : 6). « [Cette] linguistique de la crise » a pris à cœur les problématiques posées par le pluri- ou bilinguisme. De nombreux termes ont vu le jour : pluri/bilinguisme, contact des langues ou diglossie. Ces termes sont-ils équivalents ? Existe-t-il des nuances sémantiques entre ces notions et laquelle décrit le mieux le cas de la Tunisie ?

Dans un article fondateur de l’École sociolinguistique rouennaise, J.-B. Marcellesi a établi une distinction nette entre différents couples : bilinguisme versus bilinguisme de masse, bilinguisme versus

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plurilinguisme, contact de langue versus diglossie. Le bilinguisme est défini comme « [l’] aptitude d'un individu à utiliser couramment deux (ou plusieurs) langues différentes ». (Marcellesi, 1981 :5) Il importe de souligner l’adjectif indéfini « plusieurs » qui déplace le bilinguisme d’un concept qui caractérise deux langues (ce que sous-entend le préfixe « bi ») à plus de deux. Ce qui signifie que le bilinguisme englobe le plurilinguisme. Du reste, la différence entre le bilinguisme tout court et le bilinguisme de masse est claire : si le premier ne touche que l’individu, le second affecte toute une population ou du moins une partie de celle-ci. Il est sans doute utile d’expliquer pourquoi la notion de contacts de langue a été sujette à beaucoup de critiques. Le fondateur de « The Rouen School » justifie en ces termes le rejet de cette notion :

« On a renoncé sans regret à l'expression « contact de langues » pourtant illustrée par Weinreich. C'est qu'elle est trompeuse dans la mesure où elle paraît évoquer une sorte de phénomène d'intersection d'aires géographiques, par ailleurs différentes, alors qu'il y a en réalité (ou qu'il peut y avoir) recouvrement complet. Le problème n'est pas un problème de marge : il est consubstantiel à la communauté linguistique dans laquelle il apparaît. » (Marcellesi, 1981 :5 -6).

La notion de contact de langues induit en erreur parce qu’elle fait penser à une « simple contiguïté géographique » (Laroussi, 1991 :7) Or, le mélange des codes, l'enchevêtrement des parlers et l’imbrication des parlures peuvent se produire sur un même territoire et dans une seule communauté. À la place de contact de langue, est proposé celui de diglossie. En revanche, il s’agit d’une diglossie différente de celle du modèle nord-américain (Ferguson, 1959 ; Fishman 1967) : à l’origine, le terme signifie une corrélation stable, durable et statique entre deux variétés proches d’une même langue qui ont des fonctions différentes : une variété haute (la langue dominante, prestigieuse, officielle) et une variété basse (la langue dominée, stigmatisée et populaire). Le Grup Català de Sociolinguistica a reproché à l’approche ferguso-fishmanienne le statut fixe et stable de la diglossie alors qu’elle est, en réalité, dynamique et en perpétuel mouvement. C’est ce qu’expliquent Gardy et Lafont : « la diglossie n'est pas un fait linéaire, univoque, mais le lieu d'un conflit, sans cesse reproduit et sans cesse remis en cause. » (Gardy et Lafont, 1981 : 75) Bref, au sein d’une configuration diglossique, les langues concurrentes se livrent une bataille sans antécédent pour accéder à l’hégémonie linguistique.

À la lumière de cet arsenal théorique, nous nous proposons d’étudier le plurilinguisme en Tunisie sur Facebook. C’est le deuxième point de notre propos.

Comme on l’a déjà signalé, la Tunisie est un pays plurilingue. Cependant, les langues coprésentes sur le territoire (l’arabe classique, l’arabe tounsi, le français, l’anglais et l’amazigh) ne sont pas, au niveau des usages sociaux, sur le même plan d’égalité. En effet, l’enquête statistique élaborée à partir de notre corpus a montré que l’arabe (et ses trois variétés comme l’arabe classique, l’arabe tunisien et l’arabizi) et le français sont des langues majoritaires, alors que l’anglais et l’amazigh se présentent comme des langues minoritaires.

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Figure 20 : Langues majoritaires/ langues minoritaires sur Facebook

Tableau 8 : Pourcentage des langues dans notre corpus

L’usage inégalitaire des langues (langue majoritaire versus langue minoritaire) met en évidence l’existence de langues dominantes et de langues dominées, et par conséquent, ceci souligne les rapports de force, les relations conflictuelles entre ces langues (Lafont). Or, qui dit conflit laisse entendre une configuration diglossique. Nous soutenons l’existence, en Tunisie, d’une double diglossie enchâssée : une première diglossie attestée par beaucoup de sociolinguistes affecte l’arabe classique (High Variety : langue du Coran et de l’école réservée habituellement aux lettrés et aux instruits) et l’arabe tunisien (Low Variety : langue maternelle, langue vernaculaire ou première utilisée au sein de la famille, dans un cadre intime et informel). L’arabizi, quant à lui, est une variété du tunisien : il partage avec celui-ci toutes les caractéristiques linguistiques mais s’en distingue par une transcription facile (« easy ») qui fait appel à l’alphabet latin et aux chiffres. Une seconde diglossie fait intervenir l’arabe standard et le français. L’emploi du terme de diglossie là où la majorité des sociolinguistes préfèrent le concept de « bilinguisme » n’est ni saugrenu ni inattendu. Gumperz a déjà proposé d’élargir le terme de diglossie pour l’appliquer à des langues qui n’ont aucun lien de parenté mais où un rapport de domination existe, ce qui est le cas ici où l’arabe classique (standard, littéraire, littéral, « la fos7a », etc.) joue le rôle de variété basse, celle qui jouit d’un moindre prestige dans les mentalités et les imaginaires linguistiques des locuteurs même si elle occupe le statut de langue officielle ;

26% 34% 7% 32% 1%0% Arabe tunisien Arabe classique Arabizi Français Anglais Amazigh LANGUES POURCENTAGE Arabe classique 83 % Français 67 % Arabe tunisien 50 % Arabizi 33 % Anglais 17 % Amazigh 0 %

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alors que le français est la variété haute : langue de prestige, de l’école et de la bourgeoisie locale.(Naffati, 2000)

Notre corpus est un exemple-type de corpus plurilingue, métissé, hétérogène et hybride où différentes langues sont imbriquées, enchevêtrées et liées. Nous proposons d’étudier les manifestations de ce plurilinguisme dans le discours à savoir les emprunts et les alternances codiques.

En ce qui concerne les emprunts, on ne rappellera jamais assez que ces derniers sont les enfants légitimes ou illégitimes des guerres, des conflits et des rapports de force entre les nations et corrélativement entre les langues.

L’emprunt, ou insertional code-switching d’Auer (Auer, 1999) est un « mot, un morphème ou une expression qu’un locuteur ou une communauté emprunte à une autre langue, sans le traduire. » (Hamers, 1997 :136)

Il s’agit, en effet, de faire l’histoire de l’émigration-immigration de ces mots étranges et étrangers, des mots venants d’ailleurs qui ont voyagé hors de chez eux et loin de chez eux, qui ont quitté leur terre natale, qui ont parcouru des distances et traversé des continents pour venir se greffer, se poser et se reposer dans les bras d’une autre langue.

Deux types d’emprunts existent : les emprunts libres et les emprunts établis. Les emprunts libres sont ceux qui ne répondent pas à une systématicité bien précise puisqu’ils sont le fruit des fantaisies et des caprices des locuteurs. Un bilingue équilibré peut à tout moment choisir n’importe quel lexème et le transformer en emprunt. En revanche, l’emprunt établi et assimilé est enraciné dans les pratiques et les usages collectifs. Il est partagé par toute la communauté quelles que soient les variables sociales (sexe, âge, classe, etc.). À force d’usage, ceux-ci perdent leurs identités allogènes et allochtones pour se confondre avec les mots natifs et indigènes. C’est de ce type d’emprunts adaptés et adoptés qu’on traitera ici. Quelles sont, donc, les langues donneuses d’emprunts en Tunisie ?

Le processus de l’emprunt n’est pas fortuit. Des raisons sociales et historiques profondes se cachent derrière ce phénomène : la colonisation, l’immigration, ou encore les échanges commerciaux, etc. Pour qu’il y ait emprunts massifs d’une langue à une autre, il faut qu’il ait un contact, une rencontre et un frottement réel ou virtuel de deux civilisations pendant lesquels les échanges de mots et de termes, l’import et export des lexèmes vont avoir lieu. D’après nos données statistiques (Figure n°21), les langues qui fournissent le plus d’emprunts à l’arabe sont le français (60 %) et l’anglais (30 %). Il est légitime de se poser la question suivante : pourquoi ces deux langues précisément et non pas d’autres ?

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Figure 21 : Pourcentage des emprunts

Pour répondre à cette question, il faut prendre en compte deux paramètres : l’histoire du pays et la fonction attribuée aux langues.

L’histoire de la Tunisie nous apprend que la langue française, comme par ailleurs la langue arabe, n’a pas été choisie mais imposée par les vainqueurs et les dominants. Pour Kated Yacine, le français est « un butin de guerre », un objet précieux qu’on a gagné lors d’une bataille et que nous devons garder comme une perle rare. Aujourd’hui encore, le français demeure en Tunisie et partout ailleurs au Maghreb la langue des classes aisées et de quelques fractions ascendantes de la petite bourgeoisie (Naffati, 2000 ; Veltcheff, 2006 :88). Et il continue à faire des enfants illégitimes aux parlers autochtones. Dans « Linguistique et colonialisme » (1974), Louis-Jean Calvet va même parler de glottophagie en ce sens où dans différents secteurs de la vie sociale par exemple dans le domaine de la santé ou de la technologie de pointe les parlers locaux berbères ou arabes en tant que parlers dominés empruntent en vrac l’essentiel de leur lexique du français en tant que langue dominante chez elle et hors de chez elle c’est-à-dire dans ses colonies ou ses anciennes colonies. Prenons à titre d’illustration l’espace ou le champ de la santé, les Tunisiens au moment de la colonisation et aujourd’hui encore parlent d’« Isbitar » ( l’hôpital), des « farmliya » (infirmiers), de la « visita » et du « cetifica »(la visite et le certificat médical), de bilan, de scanner, d’urgence, d’hospitalisation, etc.

En ce qui est de l’anglais, il s’agit d’une langue hégémonique qui a forcé la porte de tous les pays du monde surtout avec l’avènement de la mondialisation et ce qui en suit de développement de l’informatique et des nouvelles technologies de l’information. Louis-Jean Calvet, dans son modèle de gravitation, place la langue anglaise au centre autour duquel tournent toutes les autres langues. Ainsi, affirmait Calvet :

« Autour d'une langue hypercentrale (l'anglais) gravitent ainsi une dizaine de langues super-centrales (le français, l'espagnol, l'arabe, le chinois, le hindi, le malais, etc.) autour desquelles gravitent cent à deux cents langues centrales qui sont à leur tour le pivot de la gravitation de quatre à cinq mille langues périphériques. […] L'anglais […] est aujourd'hui le pivot, la langue hypercentrale. » (Calvet, 2014 :2)

0 10 20 30 40 50 60 70 Emprunts au français Anglicisme Emprunts à l'amazigh Emprunts à l'arabe tunisien Emprunts à l'arabe classique

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Et Calvet ajoute que la mondialisation ne nous a pas uniquement imposé la "malbouffe" et « McDonald », mais elle nous a surtout imposé sa langue qui est l’anglais. La France n’a pas échappé aux anglicismes malgré les efforts des académiciens et des puristes. À l’ère de la mondialisation, les réseaux sociaux tels que Facebook et Twitter vont accélérer la circulation et la diffusion des anglicismes en Tunisie comme partout ailleurs. Ainsi, beaucoup de mots mais aussi des manières d’être et de faire venant directement des États-Unis ou des autres pays anglo-saxons ou arrivés en France puis transférés par la suite en Tunisie, seront employés par les jeunes Tunisiens qui veulent afficher leur modernité et être dans l’air du temps.

En ce qui concerne les alternances des codes, il suffit de jeter un coup d’œil sur le large éventail des dénominations pour comprendre à quel point l’alternance des codes est un lieu de discorde qui divise encore les spécialistes. Certains chercheurs préfèrent parler de « code-switching » (Haugen, 1956), d’« alternance codique » (Gumperz, 1982), d’« alternances de codes » (Hamers et Blanc, 1983) afin de souligner l’idée d’alternance, de va-et-vient et de balancement successif entre deux codes ; d’autres proposent les appellations suivantes : « métissage linguistique » (N’Sial, 1979), de « mélanges des langues » (Cadiot, 1987),« interférences linguistiques » (Weinreich, 1953) dans le but d’insister sur l’idée de mélange simultané de deux langues ; d’autres, enfin, parlent de « heurt de deux langues » (Lafont, 1997) pour montrer qu’il y a un conflit entre deux langues, conflit qui semble tellement puissant qu’il ressemble à un choc, à un heurt et à une collision. L’appellation la plus appropriée à nos yeux demeure celle de Hamers et Blanc : « alternances de codes » et son correspondant outre-atlantique « code-switching ». En effet, le mélange codique n’est rien d’autre qu’une alternance codique poussée à son paroxysme. De ce fait, l’alternance codique englobe la fusion, l’hybridité et la mixité linguistique.

Pour analyser finement l’alternance des codes sur Facebook, nous allons convoquer deux spécialistes canadiennes du code-switching : Sankoff et Poplack.

Voilà comment ces deux chercheuses conçoivent l’étude des rapports entre les codes : « Complete understanding of code-switching could only be achieved through combined ethnographic, attitudinal and grammatical study, an integrated analysis not only of when people code-switch, but how, where and why » (« l’alternance de codes ne pourrait être comprise de manière complète que grâce à une étude ethnographique, comportementale et grammaticale, c’est-à-dire grâce à une analyse intégrée visant à savoir non seulement quand l’alternance de code se produit, mais aussi comment, où et pourquoi ») (traduit par Laroussi, 1991 :16,17)

D’après ces deux disciples de Labov, pour enquêter sur les alternances des codes, nous devons tout d’abord commencer par poser les questions suivantes : quand se produit le code-switching ? Où peut-il avoir lieu dans la phrase ? Comment se déclenche-t-peut-il ? Et pourquoi les locuteurs usent-peut-ils et abusent-peut-ils de ce procédé ?

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À la lumière de ces interrogations, on devrait d’abord délimiter ce que nous entendons par la notion de « code-switching » pour identifier par la suite les langues qui « switchent » le plus dans le « dire-écrire » des jeunes Tunisienssur Facebook.

Selon Gumperz, l’alternance des codes est précisément « la juxtaposition, à l’intérieur d’un même échange verbal, de deux systèmes ou sous-systèmes grammaticaux différents » (Gumperz, 1982 :75)

Si la définition proposée par Gumperz a le mérite de souligner l’aspect linguistique et grammatical du phénomène, le nombre des systèmes alternés est réduit au nombre de deux, ce qui pose les limites de cette définition à laquelle on préfère celle de Hamers et Blanc formulée comme suit : les alternances codiques sont « des segments de discours dans une langue alternant avec des segments de discours dans une ou plusieurs autres langues » (Hamers et Blanc, 1983 :198). Toute la question maintenant est de savoir quelle (s) langue (s) entre (nt) dans l’autre dans notre corpus et de quelle façon.

L’enquête quantitative dévoile une nouvelle distribution des cartes en ce qui concerne le code-switching : habitués à travailler sur des conversations orales, les sociolinguistes ont consacré leurs travaux à l’alternance arabe tunisien / français. Cependant, dans le cadre électronique, l’arabe tunisien (écrit avec l’alphabet arabe) va reculer en deuxième position, pour laisser la place à l’arabizi (une autre variante du tunisien écrite avec l’alphabet latin) comme le montre le schéma ci-dessous. L’alternance la plus répandue sur Facebook n’est plus celle qui touche l’arabe tunisien et le français mais plutôt celle qui porte sur l’arabizi et le français.

Figure 22 : Fréquence des alternances codiques chez nos enquêtés sur Facebook

arzi/fr. ar. tn./fr. arzi/ar.cl. fr./angl. ang./arzi. mixte ar. tn./ar.cl. amz./fr. ar. tn./ang. fr./ar.cl. amz./ang. amz./arzi. arzi/ar.tn. ar. cl./ang. fr./esp.

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Concernant la base linguistique la plus répandue, les énoncés à base française (65 %) dépassent largement les énoncés à base arabe (29 %). Les Tunisiens recourent le plus souvent au français comme base de leurs énoncés. Ils utilisent la langue de prestige et de distinction sociale (le français) comme l'ossature, le pilier et le fond de la phrase. C’est donc le français qui va donner le ton et le rythme et qui va imposer sa syntaxe et son ordre de mots alors que l’arabizi ne sera utilisé que comme langue de remplissage qui viendra se greffer sur la base française. « Cela appuie l’idée que la langue de prestige, ici le français, offre généralement la structure lexicale et que la langue minorée se limite aux unités élémentaires, c’est-à-dire aux items grammaticaux. » (Mabrour, 2007, page non indiquée)

Figure 23 : Typologie du code-switching arabizi-français

Le « parler-écrire » des jeunes Tunisiens sur Facebook s’affiche comme une révolte non seulement au niveau de la morphologie, au niveau du lexique, de la syntaxe et du code mais aussi au niveau de l’oralité et de la culture écrite. Elle se donne à voir comme une pratique qui appartient à l’une et à l’autre à la fois et en même temps.