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Partie I LA SECONDE GUERRE MONDIALE SUR LES ÉCRANS LA SECONDE GUERRE MONDIALE SUR LES ÉCRANS

1. Maintenant, sur vos écrans – les propositions faites au cinéma

Dans les salles obscures

Pour une multitude de raisons, véritables ou fantaisistes, la Libération en France peut souvent se voir avec un nombre de clichés édulcorés : Marseillaise, liesse collective, drapeaux sortis des placards, défilés acclamés, baisers d’inconnus, tablettes de chocolats et autres Lucky Strike. On imagine que très bien la joie de la délivrance de l’Occupation nazie et ces Français qui peuvent à nouveau jouir des libertés retrouvées. La guerre n’est pas encore finie – il faudra attendre près d’une année – qu’on les imagine déjà à rêver de nouvelles ères politiques, sociales ou culturelles, une fois passée l’euphorie des défilés… Pourtant, dans les faits, rien n’est encore acté. Malgré les discours de paix se faisant entendre de toutes parts, ce nouvel ordre mondial si désiré ne se fera pas sans mal. La France et l’Europe mettront des années à panser tant bien que mal les séquelles visibles et invisibles de la Seconde Guerre mondiale – certaines ont encore des répercutions aujourd’hui – et à peine cette guerre terminée qu’il faut se préparer à la suivante, menaçante et Froide. Penser ainsi à la Libération, c’est aussi trop vite oublier les séquelles mentales, physiques, matérielles ou économiques de la guerre. La renaissance de la France et de l’Europe à partir de 1945 ne se fera pas sans heurts, voire sans dommage. Dans l’Hexagone après la Libération, c’est à une véritable valse politicienne que l’on assiste malgré une unité affichée des groupes politiques issus des réseaux de Résistance à la Libération. Les différents gouvernements de la nouvelle IVe République ne tiennent pas ou très peu. Dévasté par la guerre, des bombardements aux sabotages, le pays est à reconstruire et les caisses sont vides. Hors de l’Hexagone, la décolonisation qui se met progressivement en marche préoccupe, tout comme la Guerre d’Indochine. Le franc est dévalué. Cinq millions de Français sont sans-abri. Le rationnement est maintenu jusqu’en 1949. Les Français redescendent de nombreuses fois dans la rue, mais pour d’autres manifestations, moins joyeuses, en grève. On ne vit pas de cigarettes et de chocolat…

Malgré cela, durant cette période trouble, le pays arrive néanmoins à se relever. Des plans d’aides nationaux et internationaux sont mis en place. Les infrastructures sont remises en état de marche, la production est relancée, la reconstruction est en route, malgré l’instabilité gouvernementale de l’époque. On innove dans de nombreux domaines, de l’urbanisme avec Le Corbusier à la physique, avec la création d’une pile atomique. Mais surtout, c’est bien dans le domaine culturel que l’épanouissement semble le plus à son comble. En musique, en peinture,

au théâtre, en littérature, c’est à un renouveau que l’on assiste, souvent en rupture avec les années d’Occupation et de guerre. Et le cinéma n’est incontestablement pas en reste avec une production et une distribution cinématographique enfin libre d’une quelconque mainmise nazie et/ou vichyste. Dès la Libération de l’été 1944, les écrans des cinémas français sont de nouveau envahis de ces autres productions nationales et internationales prohibés durant l’Occupation. À Hollywood, ce sont des centaines voire des milliers de films qui sont en stocks, et les productions des années 1940-1944 gelées pendant la guerre vont venir à leur tour défiler en nombre dans les salles françaises délabrées. Dans des proportions certes moins importantes, ce sont aussi les films des autres pays, souvent alliés, qu’on va pouvoir aller voir au cinéma, qu’ils soient britanniques ou soviétiques – voire même italiens. Et la production nationale n’est pas en reste. Parce qu’il a « les mains pures » et que sa profession « n’a pas trahi58 », le cinéma français reprend très vite ses droits, comme l’écrit Daniel Sauvaget dans La Revue du Cinéma :

Le 19 août 1944, à Paris, le Comité de libération59 [du cinéma français] occupe les locaux du COIC (Comité d’organisation de l’industrie cinématographique, créé par le gouvernement de Vichy). Simultanément des commandos composés de techniciens occupent les organismes syndicaux, les bureaux des sociétés cinématographiques allemandes, les studios des Buttes-Chaumont, l’IDHEC (fondé quelques mois auparavant), des laboratoires. […] C’est un des responsables les plus actifs de la Résistance en milieu cinématographique qui sera choisi par le ministre de l’Information du gouvernement provisoire pour prendre la tête de la direction générale du cinéma, futur CNC : Jean Painlevé60.

C’est ce même Comité de libération du cinéma français qui dépêcha durant cet été 1944 André Zwoboda, Roger Mercanton, Jean Jay, Nicolas Hayer et Hervé Missir, caméras aux poings, filmer les combats qui se déroulent dans la capitale, donnant lieu par la suite au film La

Libération de Paris, court-métrage documentaire considéré comme le premier film français

d’après-guerre61.

À ce déferlement de films de tous horizons répond, dès 1944, la création ou le développement de nouveaux instruments, dans une certaine continuité de ce qui avait déjà été entrepris pendant la guerre. La première promotion de l’IDHEC, dont fait partie un certain Alain Resnais, date de 1944 ; la commission supérieure technique est créée en septembre 1945 et le Centre National de la Cinématographie voit le jour en octobre de l’année suivante ; la première

58 Louis Daquin, « Le cinéma aux mains propres », Les Lettres françaises, n° 18, p. 3, cité par Sylvie Lindeperg,

Les Écrans de l’ombre, la Seconde Guerre mondiale dans le cinéma français (1944-1969), CNRS Éditions, Paris,

2001 pour la seconde édition, p. 27.

59 Constitué au début de l’année 1944, présidé par Pierre Blanchar et lié au CNR, le Conseil national de la Résistance.

60 Daniel Sauvaget, « R comme Résistance », La Saison cinématographique 1945/1947, La Revue du Cinéma, Hors-série XXVII, p. 168-169.

édition du Festival international du film à lieu à Cannes en 1946… Les ciné-clubs se multiplient, tout comme les revues ou hebdomadaires spécifiques, comme Cinémonde, Cinévie, Cinévogue,

Paris Cinéma ou L’Écran français…Contre toute attente, compte tenu de la situation des

ménages, la fréquentation des salles augmente.

Malgré la guerre, les Français n’avaient jamais cessé d’aller au cinéma. Entre 1940 et 1944, c’est environ 300 millions de spectateurs en moyenne annuelle, avec des nouveaux films, des nouveaux cinéastes, des nouveaux jeunes premiers et jeunes premières62. Mais à la Libération, comme le démontre Simon Simsi dans son ouvrage Ciné-passion, le guide chiffré

du cinéma en France63, la donne change : ce sont 360 millions de billets vendus en 1945, 370 millions en 1946, et c’est l’explosion en 1947, avec un record de 423 millions d’entrées. Et si lors des années suivantes la fréquentation baisse, elle restera néanmoins toujours supérieure à celle des années d’Occupation – 400 millions en 1948, 390 millions en 1949 et 370 millions en 1950. Cette nouvelle fréquentation est due à une hausse du nombre de films proposés aux spectateurs et spectatrices français : on recense 131 nouveaux films en 1945, 221 en 1946, 375 en 1947, 412 en 1948, 421 en 1949 et 401 en 1950. Le public français peut aller apprécier ces nouvelles productions nationales, comme La Cage aux rossignols (Jean Dréville, 1945, 5,0 millions d’entrées, FR), Les Enfants du paradis (Marcel Carné, 1945, 4,7 millions d’entrées, FR), La Symphonie pastorale (Jean Delannoy, 1946, 6,3 millions d’entrées, FR), La Belle et la

Bête (Jean Cocteau, 1946, 3,7 millions d’entrées, FR), Le Diable au corps (Claude Autant-Lara,

1947, 4,7 millions d’entrées, FR) ou encore Clochemerle (Pierre Chenal, 1948, 5,0 millions d’entrées, FR) ou Jour de fête (Jacques Tati, 1949, 6,6 millions d’entrées, FR). Mais il a aussi désormais le droit de retourner voir ces films américains trop longtemps interdits – et qui ont eu l’air de lui manquer. Le 28 mai 1946, des accords concernant l’annulation de la dette française sont signés entre Léon Blum et James Byrnes, secrétaire d’État aux Affaires étrangères du gouvernement américain. Bien qu’étant secondaires, ces accords Blum-Byrnes impliquent des arrangements touchant à l’industrie cinématographique – dont est très proche James Byrnes aux États-Unis – comme l’explique le même Daniel Sauvaget, dans La Revue du

cinéma :

Les États-Unis décidèrent d’abandonner tout droit sur ces dettes à concurrence de 2774 millions de dollars et ouvrirent (État et banques confondus) d’importants crédits, remboursables dans des conditions avantageuses. Mais en contrepartie, le gouvernement français renonçait définitivement à la pratique des contingents d’importation destinés à protéger les productions

62 À ce sujet, lire Delphine Chedaleux, Jeunes premiers et jeunes premières sur les écrans de l'Occupation (France

1940-1944), Pessac, Presses Universitaires de Bordeaux, 2016.

françaises. L’ouverture du marché français aux produits américains – et en particulier aux films américains, dont l’importation avait cessé pendant les années de guerre – était un objectif central, visant tous les pays européens64.

Toutes les conventions passées concernant le nombre de films américains importés en France sont oubliées. Au lieu de définir un nombre maximum de films américains, on impose une exploitation minimum de films français. Les réactions ne se font pas attendre. Syndicats, producteurs, réalisateurs, acteurs et techniciens manifestent. Un Comité de Défense du cinéma français est mis en place et tente de fédérer les contestations. Les protestations perdurent tout au long de l’année 1947, où elles gagnent presque gain de cause avec la signature de nouveaux accords revisitant légèrement ceux de 1946. Quoiqu’il en soit, les spectatrices et les spectateurs français réservent un succès incroyable à beaucoup de ces films américains qui se sont fait malgré tout attendre : Le Dictateur (Charles Chaplin, 1940, 8,0 millions d’entrées en 1945, USA) ; les productions Disney comme Pinocchio (Hamilton Luske et Ben Sharpsteen, 1940, 7,8 millions d’entrées en 1946, USA), Fantasia (réalisation collective, 1940, 4,3 millions d’entrées en 1946, USA), Bambi (David D. Hand, 1942, 10,6 millions d’entrées en 1948, USA) ou Cendrillon (Clyde Gerinimi, Wilfred Jackson et Hamilton Luske, 1950, 12,8 millions d’entrées en 1950, USA) ; mais ils peuvent aussi enfin aller voir Autant en emporte le vent (Victor Flemming, 1939, 16,7 millions d’entrées en 1950), ce film longuement attendu (entre autre par les lecteurs des hebdomadaires de cinéma, à en croire le nombre de demandes à son sujet dans les différents courriers des lecteurs) et qui explosera le box-office de 195065. On peut aussi voir après Libération ces sagas, marquantes bien qu’elles n’ameutent pas autant de spectateurs, comme celle des Tarzan d’avec Johnny Weissmuller (cinq films entre 1944 et 1950), des Zorro (cinq films aussi) ou la séries des Deux nigauds… d’Abbott et Costello, avec pas moins de quatorze films proposés durant ces années d’après-guerre. Ce cinéma américain se réinvente aussi, et si l’on peut revoir des westerns, des films d’espionnage ou à suspense, des comédies ou des musical, la fin des années quarante nous fait assister entre autres à des changements importants : un Chaplin enfin parlant, un Ford converti au social, un Welles plus qu’innovant, etc. C’est aussi l’émergence de ce que la presse français de l’époque appellera le film noir hollywoodien, ce « type spécifique de mélodrame masculin66 », genre

64 Daniel Sauvaget, « B comme Blum-Byrnes (Accords) », La Saison cinématographique 1945/1947, Op. cit. p. 27.

65 Noël Simsolo, dans son article « A comme Autant en emporte le vent » rapporte une anecdote certes non-vérifiable mais amusante au sujet du film : « la légende voudrait que Charles de Gaulle ait vu ce film à Londres en 1942. Il aurait déclaré que les Français seraient libres quand ils pourraient apprécier Autant en emporte le vent ». Il aura donc fallu attendre 1950… (Noël Simsolo, « A comme Autant en emporte le vent », La Saison

cinématographique 1950/1951, La Revue du Cinéma, Hors-série XXXII, p. 9.)

66 Thomas Pillard, Le Film noir français face aux bouleversements de la France d’après-guerre, 1946-1960, Éditions Joseph K, Paris, 2014, p. 11.

cinématographique à part, entre film policier, pessimisme, critique sociale et ambiance sombre et humide.

Ailleurs, les succès des films d’autres nationalités étrangères sont plus rares, mais pas inexistants. Le cinéma britannique a le droit à quelques plébiscites, comme Le Voleur de

Bagdad (Ludwig Berge, Michael Powell et Tim Whelan, 1940, 5,1 millions d’entrées en 1946,

RU), Le Livre de la jungle (Zoltan Korda, 1942, 5,0 millions d’entrées en 1946, RU), Le

Troisième homme (The Third man, Carol Reed, 1949, 5,6 millions d’entrées en 1949, RU) ou Les Chaussons rouges (Michael Powell et Emeric Pressburger, 1948, 2,8 millions d’entrées en

1949, RU), tout comme un certain cinéma italien, avec Sept ans de malheur (Carlo Borghesio, 1947, 3,4 millions d’entrées en 1948, It), Riz amer (Giuseppe De Santis, 1949, 3,1 millions d’entrées en 1949, It)) ou encore Le Voleur de bicyclette (Vittorio De Sica, 1948, 2,9 millions d’entrées en 1949, It)… Ici aussi, c’est une nouveauté, celle d’un « vrai-au-cinéma67 », avec la naissance de ce qu’on appellera alors le néoréalisme italien, qui veut montrer le quotidien sans artifices, porté par des cinéastes comme Rossellini, De Sica ou De Santis. Et auquel le public français finit accroche également.

La guerre au cinéma

Les films proposés aux spectateurs et spectatrices de l’Hexagone ne pouvaient pas rester insensible aux évènements historiques qui venaient de se dérouler. Malgré une volonté affichée de vouloir passer à autre chose, ce public découvre dans les films abordant le conflit une multitude de motifs de fierté, que les différents cinémas, comme les productions françaises ou italiennes, vont s’empresser d’illustrer dès 1945. Paradoxalement, le cinéma américain, avec sa distribution en décalage, proposera lui autant ces nouvelles productions que les innombrables films tournés pendant le conflit, les revêtant alors d’un statut d’ « historique ». Dans ce qui est peut-être le seul chapitre un tant soit peu enthousiaste de son ouvrage sur L’Europe barbare, l’historien Keith Lowe écrit, à propos de ce qu’il appelle « le culte de l’héroïsme » :

Après la fin des hostilités, l’Europe semble avoir connu une demande insatiable de récits du conflit, en partie parce que les peuples avaient besoin de comprendre le sens de ce qu’ils venaient de traverser – mais le genre de récits qui émergeaient ne venaient pas combler que ces besoins-là. Les histoires les plus appréciées étaient celles qui témoignaient d’un héroïsme extrême, et elles naquirent par milliers partout sur le continent. Dans presque tous les cas, les héros étaient des hommes et des femmes dont les actes de bravoure ou les sacrifices finirent, du moins dans l’imaginaire populaire, par représenter le véritable état d’esprit de leurs compatriotes.

Parallèlement, les maux de la guerre s’incarnaient dans le « méchants » de l’histoire, presque toujours des étrangers et généralement des Allemands. Ce contraste entre un mal d’origine étrangère et la noblesse patriotique revêtit une importance immense dans la reconstruction des identités nationales après la guerre, et ce fut l’un des principaux expédients auxquels les nations meurtries d’Europe choisirent de recourir afin de cicatriser leurs blessures68.

Pour Lowe, ce besoin de fictions guerrières et de leurs héros aux lendemains de la guerre apparait comme la volonté de se renvoyer à soi-même une image avantageuse, glorieuse ou du moins grandie et flatteuse. Ces récits oraux, littéraires ou cinématographiques endossent le rôle d’un miroir déformant qui renverrait à qui voudrait un reflet avantageux. Ils offrent, pour l’ensemble de ces peuples, un « stéréotype réconfortant69 ». La Seconde Guerre mondiale va ainsi s’afficher un grand nombre de fois sur les écrans français, quel que soit l’histoire du conflit que puissent proposer ces nombreux témoignages fictionnels ou traductions cinématographiques.

Pour constituer le corpus de cette étude, nous nous sommes penchés sur les recensements des films réalisés par Simon Simsi dans Ciné-passion70 et dans les trois numéros hors-série de La Revue du cinéma n° XXVII, XXX et XXXII – à savoir La Saison

cinématographique 1945-1947, 1948-1949 et 1950-195171 – et nous avons étudié les synopsis des 1 999 différents films sortis sur la période. On a ainsi composé un corpus large de 302 long-métrages abordant la Seconde Guerre mondiale entre la Libération et la fin de l’année 195072 – et dressant un tableau éclectique des différentes victimes potentielles du conflit. À la lecture de celui-ci, il faut relever un certain nombre de faits importants :

 Sont uniquement considérés les fictions portant sur la guerre en elle-même, de près ou de loin, c'est-à-dire se déroulant toutes ou en partie en 1939 et 1945 ou dans l’immédiat après-guerre, à la Libération. On accepte également ces films se déroulant avant la Seconde Guerre mondiale mais dont les scénarios amènent les protagonistes à en subir les conséquences à venir. Ainsi, des films comme

J’avais cinq fils (The Fighting Sullivans, Llyod Bacon, 1944, sorti le 5 septembre

1945, USA), La Septième Croix (The Seventh Cross, Fred Zinnemann, 1944, sorti le 21 juillet 1948, USA) ou Untel père et fils (Julien Duvivier, 1940, sorti le 17 octobre 1945, FR) seront considéré dans le corpus. Le premier raconte l’histoire des Sullivan, dont les cinq enfants que nous voyons grandir à l’image

68 Keith Lowe, L’Europe barbare, 1945-1950, Éditions Perrin, Paris, 2012 pour la traduction française, p. 79. 69 Ibid. p. 80.

70 Simon Simsi, Op. cit. 71 La Revue du cinéma, Op. cit.

trouveront la mort ensemble à la fin du film dans le naufrage du croiseur Juneau, au large de Guadalcanal, dans lequel ils sont tous à bord73. Le second parle de prisonniers politiques allemands, enfermés dès le milieu des années 1930 en Allemagne, avant le début de la guerre. Untel père et fils, achevé peu de temps avant la défaite française de 1940 et qui ne sortira qu’à la Libération, raconte l’histoire d’une autre famille, les Froment, face à la guerre mais abordant les trois conflits qui opposeront la France et l’Allemagne entre 1871 et 1940.  On considérera Ceux qui servent en mer (In which we serve, Noel Coward et

David Lean, 1942, RU) comme la toute première transposition fictionnelle de l’évènement projeté sur les écrans français à la libération – le vendredi 13 octobre 1944. Écrit, réalisé, produit, mise en musique et interprété par Noel Coward, cette fiction britannique raconte l’histoire du destroyer HMS Torrin, de sa construction à son naufrage sur un ton quasi-documentaire.

 La dernière fiction de la période est le film italien Harem Nazi (Accidenti alla

guerra, Giorgio Simonelli, 1949, It) qui sort le 22 décembre 1950. Bien loin du

ton du film de Coward et Lean, cette comédie « à l’italienne » met en scène un chansonnier amené à prendre l’uniforme nazi malgré lui et se retrouve coincé entre « de fort jolies femmes de pure race aryenne74 » et un réseau de résistants.  Si la période s’étale sur près de sept ans, de mi/fin 1944 à décembre 1950, on remarquera cependant que les années de production des films se répartissent plus largement. Dès la Libération ressortiront des films réalisés avant 1939.

 Le film américain Le Signe de la croix (The Sign of the cross, Cecil B. DeMille, 1932/1944, USA) est la production la plus ancienne, datant de 1932 et qui ne sortira en France que le 10 septembre 1947. Cependant, cette version est agrémentée d’un prologue « moderne » propagandiste réalisé par DeMille lui-même en 1944. Ainsi, son film sur les traques des chrétiens par les hommes de Néron après l’incendie de Rome devient l’illustration des souvenirs de deux aumôniers américains survolant le Colisée lors d’un raid de l’aviation en 1944.  Des films de dix-huit nationalités différentes sont proposés au public français,

dans des proportions bien différentes. L’Australie et la Norvège ne sont

73 L’histoire vraie de la fratrie Sullivan dont s’inspire ce film est à l’origine de la décision prise par l’armée américaine de ne plus autoriser les membres d’une même famille à servir ensemble, dans le même bataillon ou le même bâtiment. Elle est aussi la source d’inspiration première de Steven Spielberg pour son film Il faut sauver le

soldat Ryan (Saving Private Ryan, 1998).

présentes qu’avec des productions binationales. Sortie le 5 septembre 1947, La

Route est ouverte (The Overlanders, Harry Watt, 1946, RU/Australie) est un film

coproduit par l’Australie et le Royaume-Uni, mais l’action de cette fiction, racontant le périple long de 2500 kilomètres à travers le Queensland de fermiers