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Avant d’aborder précisément l’objet de la thèse et le suivi de l’état hydrique des végétaux par télédétection, il est important de préciser les paramètres régissant le comportement d’un feu de forêt.

3.1. LE COMPORTEMENT DU FEU

Dans le jargon « feu de forêt » les anglo-saxons distinguent trois phases dans un incendie de forêt et utilisent quatre adjectifs pour décrire le combustible (fuel en anglais) :

ignitability : la sensibilité à l’allumage, à l’ignition. C’est la propriété d’une matière (un végétal dans notre cas) à s’enflammer au contact d’une source de chaleur ;

sustainability : la « durabilité », la propriété d’une matière à continuer à brûler ; flammability = ignitability + sustainability : les francophones regroupent les deux premiers termes dans la notion d’inflammabilité, c’est-à-dire l’aptitude d’un corps solide, liquide ou gazeux à s’enflammer facilement ;

combustibility : la combustibilité est la propriété des corps combustibles, c’est-à- dire capables de brûler au contact de l’air en produisant une quantité de chaleur utilisable. Lors d’un incendie, on étudie la quantité de chaleur émise, la vitesse et la hauteur du front de flammes (Plucinski et Catchpole, 2002).

L’incendie de forêt correspond physiquement au développement spatio-temporel d’une combustion, pour l’essentiel en phase gazeuse, entre les produits de décomposition pyrolitique de la biomasse et l’oxygène de l’air. Dans un premier temps, sous l’effet d’une source de chaleur externe, la totalité de l’eau contenue dans le végétal se vaporise. L’inflammabilité initiale se déclenche alors lorsque la température de la biomasse atteint un seuil d’environ 300°C. De manière formelle, pour augmenter progressivement la température de 1 kg d’eau liquide de 0 à 100°C on a besoin d’apporter 419 kJ (chaleur sensible). A 100°C, pour vaporiser la totalité de cette eau il faut apporter cinq fois plus d’énergie (2257 kJ de chaleur latente). Ainsi, plus la végétation contiendra d’eau, plus la quantité de chaleur nécessaire à son inflammation sera importante. Cette vapeur d’eau vaporisée en grande quantité joue également un rôle de frein de la vitesse de progression du front de flammes (Albini 1985, Jappiot et Mariel 1996).

L’évaluation de l’état hydrique de la végétation est donc particulièrement importante dans l’étude du risque d’incendie.

3.2. LE STRESS HYDRIQUE DU VÉGÉTAL

L’eau est le composant majoritaire et indispensable à tout être vivant. C’est un solvant ; les éléments minéraux sont absorbés sous forme hydratée. Le bilan hydrique de la plante est en permanence équilibré. S’il est négatif, un stress hydrique apparaît. La plante développe alors des processus physiologiques pour lutter contre ce manque d’eau, principalement en réduisant ses émissions pour retrouver un équilibre hydrique satisfaisant.

3.2.1.

LE CYCLE DE L’EAU EN FORÊT

Le cycle de l’eau en forêt est représenté dans la Figure 9.

Figure 9. Cycle simplifié de l’eau en forêt

Les entrées au cycle de l’eau sont représentées par les hydrométéores (pluie, neige, grêle…). Si l’on considère la pluie incidente qui tombe sur une canopée14, on distingue plusieurs chemins de l’eau :

les pertes par interception désignent la part de la pluie qui est retenue par la canopée et qui est soit absorbée par le couvert, soit rendue à l’atmosphère par évaporation ;

l’égouttement est la part de la pluie qui atteint le sol directement à travers le couvert ou après écoulement sur les feuilles ou le long des branches ;

l’écoulement le long des troncs est la part de la pluie interceptée par la canopée qui s’écoule le long du tronc.

D’après Duwig (1994), l’interception représente de 10% de la pluie incidente pour les feuillus à près de 50% pour les résineux. L’écoulement le long des troncs représente moins de 2% de la pluie incidente pour les chênes et résineux à près de 12% pour les hêtres.

Les sorties au cycle de l’eau suivent trois directions :

vers le haut par évaporation et transpiration des plantes ;

vers le bas par infiltration dans le sol (une partie retenue, une autre drainée) ; latéralement par ruissellement (superficiel ou hypodermique).

Nous rappelons les notions d’évapotranspiration réelle ETR et potentielle ETP. L’ETR représente la quantité réelle d’eau rejetée dans l’atmosphère par la transpiration des végétaux et l’évaporation à partir du sol et du couvert végétal. Cette évapotranspiration a une limite maximale (ETM), liée directement à la demande climatique de l’atmosphère, calculée de façon théorique (ETP) pour une réserve hydrique du sol maximale et une prairie enherbée.

3.2.2.

LA VÉGÉTATION MÉDITERRANÉENNE

Quand on parle de végétation méditerranéenne, on rencontre souvent les termes xérophyte, sclérophyte, garrigue, maquis… Faisons un bref rappel de vocabulaire.

Un xérophyte est une plante dite xérophile qui croît sur des sols ou des matériaux de sol extrêmement secs et donc qui affectionne les milieux secs. Un sclérophyte est une plante dite sclérophylle à feuillage sempervirent, aux feuilles relativement petites, coriaces et assez épaisses.

La garrigue est une formation arbustive ouverte, en climat méditerranéen, avec des plages de sol nu, généralement sur sol calcaire, et résultant d'une régression de la forêt sous l'influence du feu et du pâturage intensif. Dominent les arbrisseaux (chêne kermès, genévrier, arbousier) et les plantes herbacées (lavande, thym, ciste blanc, romarin, myrte). La garrigue tient son nom de garric (chêne kermès). Le maquis est une formation fermée, xérique, difficilement pénétrable, constituée de végétaux ligneux bas, exclusivement méditerranéenne sur sol siliceux. Le maquis (caractéristique des sols siliceux, acides), qui résulte de la dégradation de la forêt de chênes-lièges est plus dense et plus touffu que la garrigue. Sa végétation atteint facilement quatre mètres de hauteur et se compose de nombreux arbrisseaux (arbousier, bruyère arborescente, ciste, genêt, pistachier, lavande), tellement serrés qu'ils gênent le développement des arbres (chêne-liège, chêne vert, pin maritime).

Les espèces forestières xérophiles consomment peu d’eau pour fabriquer une quantité donnée de matière sèche ; elles peuvent survivre longtemps, lorsque les réserves en eau diminuent jusqu’au point de flétrissement. Selon Baldy et al. (1988), on observe une adaptation histologique aux conditions de sécheresse (présence d’écorce, feuilles vernissées et petites, système racinaire ramifié et performant…).

3.2.3.

PROCESSUS PHYSIOLOGIQUES

L’eau absorbée par une plante est restituée au milieu environnant selon deux voies : la transpiration (majoritaire) et la glutation (minoritaire). La glutation rejette des gouttelettes de sève brute par les stomates aquifères lors d’un excédent d’eau. La transpiration quant à elle représente le rejet de l’eau sous forme gazeuse ; seul 10% de la transpiration passe par la cuticule, la majorité de l’eau est véhiculée par les stomates des feuilles. Les stomates sont des ouvertures microscopiques dans l’épiderme des feuilles (éventuellement des tiges), formées de cellules différenciées et assurant les échanges gazeux entre la plante et l’atmosphère. La transpiration varie selon des facteurs structuraux (densité stomatique, localisation des stomates, surface foliaire, mobilité foliaire, nature des cellules) et des facteurs externes (lumière, température, vent, sol) (Grace, 1983).

Le contrôle de l’ouverture des stomates s’effectue :

par variation des pressions de turgescence des cellules formant le stomate (cellules de garde et cellules épithéliales) ;

par variation de la pression osmotique dans les cellules de garde selon l’humidité de l’air (lorsque l’air s’assèche, le stomate se ferme).

Certaines substances composant la plante voient leur taux varier en fonction des mécanismes physiologiques : on les appelle les effecteurs internes. Pour le contrôle de la transpiration, le gaz carbonique, le potassium et les hormones végétales ont un rôle important. Le dioxyde de carbone CO2 est nécessaire à la photosynthèse ; sa concentration dans les stomates est beaucoup plus élevée que dans l’air (phénomène d’accumulation la nuit). L’ion potassium K+ a quant à lui un rôle important dans le contrôle des échanges gazeux. Sa concentration varie beaucoup dans les cellules de garde : 0,8 mol.L-1 si le stomate est fermé, 0,4 mol.L-1 si le stomate est ouvert (Aussenac, 1995).

On distingue aussi trois hormones végétales et une toxine qui régulent la transpiration :

les auxines et cytokinines : elles stimulent l’ouverture des stomates par acidification des cellules (stimulation des pompes à protons et synthèse de l’ion malate Mal-) ;

l’acide abscissique ou hormone de détresse : en réponse à un stress, sa hausse de concentration provoque la fermeture des stomates ;

la fusicocine : cette toxine stimule en continu les pompes à protons ; les stomates restent ouverts et la plante meurt.

La plante réagit aussi à la lumière : le rayonnement bleu stimule les pompes à protons et active deux enzymes (malate déshydrogénase et PEP carboxylase). La pression osmotique des cellules de garde augmente et le stomate s’ouvre.

Dans tous les cas, la plante conserve un équilibre hydrique permanent, grâce à :

des phénomènes physiologiques à court terme : la fermeture des stomates stoppe la perte d’eau et bloque la photosynthèse ;

l’adaptation morphologique à long terme de la plante à son milieu : densité et position des stomates, subérification des tissus épidermiques, minéralisation des surfaces foliaires (exemple du cactus), hausse de la surface racinaire pour explorer plus de sol.

La végétation méditerranéenne est bien adaptée aux sécheresses extrêmes du climat, notamment grâce à des ajustements de la surface foliaire autour d’un état d’équilibre. Le stress hydrique des végétaux est lié aux humidités relatives du sol et de l’air ; on parle respectivement de stress osmotique et de stress évaporatoire. On mesure le stress d’une plante par sa teneur en eau (diminution lors d’un stress) et surtout par la modification de ses échanges gazeux. Corollairement, les organes d’échanges (feuilles) tendent à s’échauffer car le refroidissement par transpiration est insuffisant. Les flux de chaleur et les températures de surface mesurées sont étroitement liés au niveau de stress de la plante (Larcher 1995, Faria et al. 1998). En outre, des mesures indirectes in situ (teneur en eau) et à distance (spectre électromagnétique) permettent d’estimer ce stress hydrique.

3.2.4.

INDICES DE STRESS HYDRIQUE

Hoff et Rambal (1999) ont travaillé sur les écosystèmes forestiers méditerranéens et leurs comportements face aux changements climatiques et notamment aux changements de régime pluviométrique. L’utilisation de modèles, qui simulent à la fois les composantes du bilan hydrique et l’état hydrique des végétaux, permet de quantifier le comportement de l’écosystème face à la sécheresse. Selon eux, les écosystèmes peuvent réagir différemment à l’allongement de la période de stress hydrique. Les pins par exemple réduisent très tôt leurs besoins en eau en bloquant leurs activités physiologiques alors que les chênes maintiennent des activités physiologiques jusqu’à des niveaux de sécheresse extrêmes. Toutefois, cette longue période de stress peut rendre les écosystèmes plus sensibles aux perturbations comme les incendies.

De nombreux indices de sécheresse, d’aridité ou de stress ont été développés, tels que le CMI Crop Moisture Index (Palmer, 1968), le CWSI Crop Water Stress Index (Jackson, 1981), le WDI Water Deficit Index (Moran et al., 1994), le WSI Water Stress Index (Vidal et al., 1994)… Ils prennent en compte pour la plupart des paramètres intrinsèques au végétal (teneur en eau, évapotranspiration réelle…) et des paramètres du milieu extérieur (humidité de l’air, température, évapotranspiration potentielle, précipitations…).

La principale limite de ces indices réside dans la nécessité de connaître les conditions météorologiques du milieu et/ou la physiologie des plantes pour les calculer.

D’autres méthodes sont indirectes pour déceler à distance le niveau de stress des végétaux. C’est le cas de la télédétection qui permet d’observer et d’analyser le spectre électromagnétique réfléchi ou émis par le couvert, et donc de cartographier le comportement de la végétation vis-à-vis du rayonnement.