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é valuer la connectivité fonctionnelle des paysages

3.1. l a connectivité paysagère : une notion clé pour la

3.1.2 é valuer la connectivité fonctionnelle des paysages

Contrairement aux mesures de connectivité structurelle, les mesures de connectivité fonctionnelles prennent en compte les comportements des espèces vis-à-vis des éléments structurels de la mosaïque paysagère (Taylor et al., 2006). Plutôt que de s’intéresser uniquement aux formes des taches d’habitat et à leur agencement, les métriques de connectivité fonctionnelle incluent certains traits fonctionnels des espèces. Deux taches proches qui semblent connectées selon des indices structurels de connectivité peuvent être déconnectées selon des indices fonctionnels de connectivité, par exemple si l’espèce a une capacité de dispersion très faible, ou si un élément paysager l’empêche de se déplacer entre ces deux taches d’habitat. La connectivité fonctionnelle permet ainsi de considérer le processus de dispersion de manière plus satisfaisante que la connectivité structurelle.

La connectivité fonctionnelle peut être évaluée en mesurant la connectivité réelle, estimée sur le terrain par observation de certaines espèces, ou la connectivité potentielle, estimée à l’aide de modèles de simulation spatiale (Tischendorf et Fahrig, 2000) ou par la mesure de métriques fonctionnelles de connectivité (Magle et al., 2009).

Connectivité fonctionnelle réelle

La connectivité fonctionnelle d’un paysage doit être en principe mesurée à l’aide de données issues des mesures de déplacements individuels des espèces entre leurs taches d’habitat. Ces données écologiques peuvent être obtenues par plusieurs méthodes telles que des suivis radio- télémétriques des individus (Gillis et Krebs, 1999) ou le marquage-recapture (Sutherland, 1996). Ces mesures empiriques permettent d’identiier des connexions particulières pouvant exister entre les taches d’habitats dans un paysage fragmenté. Elles permettent également d’évaluer les distances de dispersion des individus et d’identiier leur domaine vital en caractérisant leurs déplacements quotidiens de manière précise.

Cependant, le suivi individuel des espèces n’autorise l’application de ce type de protocole que sur des zones d’études réduites (Calabrese et Fagan, 2004) et ne peut pas s’appliquer à de nombreuses espèces pour des raisons pratiques. Les données obtenues sont ainsi très spéciiques et pas forcément généralisables à d’autres terrains d’études. De plus, ces données fournissent des résultats pour des échelles temporelles relativement courtes, souvent liées à la durée de vie de l’individu. L’estimation des dispersions intergénérationnelles demeure donc délicate mais peut néanmoins être quantiiée de façon indirecte par l’analyse des données génétiques des populations (Andreassen et Ims, 2001). Les mesures de connectivité réelle posent donc un certain nombre de problèmes, et ne peuvent être estimées que pour certaines espèces, dans des cas spéciiques. Les mesures de connectivité potentielle, bien que moins précises d’un point de vue écologique permettent d’évaluer la connectivité fonctionnelle pour un plus grand nombre d’espèces.

Connectivité fonctionnelle potentielle

Les mesures de connectivité potentielle estiment les lux potentiels de déplacements des individus entre leurs taches d’habitat. À l’inverse des mesures de connectivité réelle, ces lux ne sont pas réellement mesurés, mais estimés à partir des caractéristiques de la mosaïque paysagère

et des traits fonctionnels des espèces. La distance de dispersion des espèces ainsi que les caractéristiques de leurs taches d’habitat et de leur domaine vital sont souvent issues de données écologiques acquises lors de suivis individualisés. Certains auteurs proposent toutefois de s’affranchir des dificultés d’acquisition de ces données en estimant la distance de dispersion des espèces à partir d’autres traits fonctionnels connus, comme leur régime alimentaire ou le poids moyen des individus (Bowman, 2003; Bowman et al., 2002; Hendriks et al., 2009; Sutherland et

al., 2000).

La connectivité fonctionnelle potentielle peut être mesurée par la simulation des déplacements individuels des espèces ou par la modélisation de graphes paysagers.

La simulation de déplacements individuels des espèces, dite « individu-centrée », consiste à simuler les déplacements d’une série d’individus représentatifs d’une espèce ou d’un groupe d’espèces entre leurs taches d’habitat (Grimm et Railsback, 2005). Ce type de méthode nécessite d’importantes connaissances écologiques relatives à l’espèce concernée, par exemple la localisation des sites de reproduction et des zones de chasse, la présence ou l’absence de prédateurs, les relations de compétition avec les autres espèces ou encore la déinition précise des taches d’habitat.

Depuis les années 2000, la théorie des graphes est utilisée de manière de plus en plus fréquente dans les travaux scientiiques en écologie du paysage pour évaluer la connectivité potentielle des paysages (Galpern et al., 2011; Urban et Keitt, 2001). Les graphes paysagers permettent de modéliser les réseaux écologiques et d’analyser la connectivité fonctionnelle des paysages à l’échelle régionale. À ce titre, la modélisation des graphes paysagers est reconnue comme un outil pertinent d’aide à la gestion paysagère (Bunn et al., 2000; Dale et Fortin, 2010). Les graphes paysagers représentent la mosaïque paysagère de manière topologique. Les nœuds représentent les taches d’habitat d’une espèce donnée. Les liens représentent les relations fonctionnelles existantes entre les taches. Ces relations fonctionnelles peuvent représenter les déplacements potentiels des espèces entre leurs taches d’habitat (igure 3.3). La création d’un lien entre deux taches d’habitat suppose que ces taches soient potentiellement connectées.

Pour mesurer la connectivité fonctionnelle à l’aide de graphes paysagers, plusieurs métriques de connectivité sont directement calculées à partir de la théorie des graphes. Il peut s’agir par exemple d’une métrique comptabilisant le nombre de nœuds qui sont adjacents, ou encore le diamètre d’un graphe représentant le plus grand parcours qui minimise la distance entre deux nœuds (Girardet, 2013).

D’autres métriques ont été développées plus spéciiquement pour l’analyse des réseaux écologiques (Rayield et al., 2011) permettant de caractériser les lux potentiels de déplacements entre deux taches d’habitat en fonction de la distance qui les sépare. Certaines métriques comme Integral Index of Connectivity (IIC) (Pascual-Hortal et Saura, 2006) ou Probability

of Connectivity (PC) (Saura et Pascual-Hortal, 2007) permettent de caractériser la somme de

ces interactions pour l’ensemble du graphe paysager. D’autres métriques, comme Betweeness

Centrality (BC) permettent de déterminer les nœuds importants d’un graphe paysager pour le

maintien de la connectivité des espèces. La métrique BC identiie ainsi les nœuds dans un graphe par lesquels passent de nombreux déplacements.

Parmi l’ensemble des méthodes existantes pour identiier les connexions potentielles entre les taches d’habitat, l’analyse des chemins de moindre coût et la théorie des circuits sont les plus utilisées dans les travaux scientiiques. L’attribution de coûts de déplacements à chaque classe d’occupation du sol pour une espèce donnée permet d’identiier des chemins de moindre coût entre les taches d’habitat (Adriaensen et al., 2003). Ces chemins représentent les déplacements potentiels des espèces à travers la matrice paysagère. La théorie des circuits (McRae et al., 2008, 2012) fait, elle, l’analogie entre la connectivité fonctionnelle du paysage et les lux présents dans un circuit électrique. Les lux de dispersion des animaux sont représentés comme des circuits électriques permettant de mettre en évidence la fréquence des parcours potentiellement empruntés par les espèces dans la mosaïque paysagère.

Pour l’évaluation de la connectivité fonctionnelle des paysages, les graphes paysagers offrent un bon compromis entre leur dificulté de mise en œuvre et la réalité écologique qu’ils représentent (Calabrese et Fagan, 2004). Des études ont en effet montré que les analyses menées à partir des graphes paysagers d’une espèce donnée peuvent produire des résultats similaires à l’exploitation de données issues de simulations de déplacements individuels de la même espèce (Lookingbill et

al., 2010a; Minor et Urban, 2007).

Conclusion

La connectivité fonctionnelle peut être évaluée par des mesures empiriques (connectivité réelle) ou par l’estimation de déplacements potentiels (connectivité potentielle). Les mesures de connectivité potentielle sont moins précises d’un point de vue écologique, mais permettent de travailler sur de larges zones d’étude avec une quantité de données moindre. Parmi les différentes méthodes existantes, la modélisation fondée sur les graphes paysagers permet d’évaluer la connectivité potentielle de manière pertinente (Urban et al., 2009).

Fort de ce constat, l’évaluation de la connectivité écologique réalisée dans ce travail s’appuie sur des graphes paysagers. La méthode de construction des graphes paysagers est développée plus précisément dans le chapitre 6. Dans la suite de cette thèse, le terme général « connectivité écologique » est utilisé spéciiquement pour désigner la connectivité fonctionnelle potentielle des paysages. ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! 0 1 km ! Nœud Lien Tache d’habitat

Marc Bourgeois ‐ Théma/CNRS 2015 Source : BD Ortho IGN 2010