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Ève et la séance d’anatomie : femme objet de connaissance.

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V). Ève et la séance d’anatomie : femme objet de connaissance.

—Je me souviens, ma sœur, de m’être trouvée au milieu d’un groupe d’hommes, médecins de la confrérie des chirurgiens d’Amsterdam. J’étais allongée nue sur une table. L’un d’eux, au centre, maniait délicatement un couteau fin qu’il faisait doucement glisser sur mon ventre et mon thorax. Il y fit des entailles comme on fend parfois l’écorce de fruits tels que les oranges. Il souleva la peau et fouilla dans mes entrailles jusqu’{ ce qu’il trouvât ma matrice. )ls discutaient entre eux, certains assurant que le mystère de la mort résidait dans le péché originel, dans le péché d’Ève disait celui du centre, tandis que les autres acquiesçaient aux affirmations de celui qui explorait mes entrailles.

C’est au XV)e siècle de l’ère patriarcale postérieure au crucifié que commencèrent

{ couver souterrainement les idées d’un certain Esprit, que l’on allait appeler au XVIIIe siècle en Europe l’Esprit de la Modernité. Toutefois, en cette Europe du XV)e

siècle, ces idées étaient à peine en gestation. Les gestateurs de ce qui allait devenir l’Esprit moderne commencèrent { réaffirmer une fois de plus au sein de la spirale historique la prééminence de la raison pour répondre aux questions sur le corps et l’existence des mortels. )ls parvinrent { séculariser la réponse tout en établissant et renforçant la dualité hétérosexuelle en tant que normalité du corps humain dans la question. La création n’était pour eux l’œuvre d’aucun Dieu, et ils s’employèrent { le prouver en cherchant des réponses dans le corps de la femme et de l’homme, éclipsant l’existence des hermaphrodites, pansexuels et des autres variations génétiques et constructions sociales de la biodiversité sexuelle, et les classifiant comme des aberrations de la nature. La médecine occidentale moderne en gestation au XVIe siècle, qui prônait la domination de la raison sur le corps et

l’expérience, ne se souvenait pas du contenu de la carte et allait conduire les mortels { oublier l’expérience corporelle en tant que méthode de connaissance légitime du véritable moi en une dialectique critique et esthétiquement négative vis-à-vis du moi social assigné.

La science médicale moderne, bien qu’entièrement créée par l’être humain, ne fut pas humanisante. Car ce fut une connaissance fabriquée par ces structures rationalistes avec lesquelles les producteurs de la connaissance scientifique croyaient parfois dominer l’être humain ou la métaphysique des éléments et des composantes naturelles de l’univers auquel il appartenait et qui lui appartenait. Ils éloignèrent la corporalité du sujet social, des mortels sans mémoire, dissocièrent les dimensions physiologique et sociologique des sexualités humaines, divisèrent l’esprit poïétique en corporalité incarnée et corporalité abstraite, en raison morale et raison abstraite sécularisant la morale religieuse, et dévalorisèrent toute connaissance sensuelle sur le corps. Ils disqualifièrent, exclurent et censurèrent toute connaissance créée { travers l’expérience corporelle et délégitimèrent toute épistémologie sensualisée.

Cette attitude de domination rationnelle de Rê sur Atoum et Noun adoptée par les promoteurs de la science médicale allaient engendrer des siècles tels que le XXIe,

fourmillant de mortels sans mémoire, incapables de s’approprier leurs droits humains. Au sein de ces générations, le sujet ordinaire allait égarer sa capacité

poïétique. Et il allait s’ensuivre une série de générations de mortels éprouvant de la difficulté { se percevoir ou { s’accepter légitimement comme des sujets de droit sexuel, au sein d’États qui se considéraient par ailleurs – en cet Occident patriarcal des XXe et XXIe siècles – comme respectueux et même promoteurs de

Noun et d’Atoum comme des droits sexuels.

Malgré tout, le désir de créer de la connaissance – preuve de la présence de l’esprit poïétique – s’est toujours perpétué chez les mortels, même chez ceux étant nés au sein de générations aux mémoires les plus oubliées telles que celles du XXI e

siècle. Les mortels continuèrent à naître avec une soif de connaître et de rechercher, et ils le démontraient en « fouillant » et en touchant les orifices de leur propre corps et du corps d’autrui depuis l’enfance.

Le désir de connaître perdura chez eux comme une nécessité cognitive qui les poussait à fouiller de plus en plus profondément dans les cellules du corps. Dans une certaine mesure, les scientifiques et chercheurs travaillant sur le corps manifestèrent cette nécessité de connaître en fabricant des loupes et des microscopes à cet effet. Et ils purent observer les cellules, puis les composantes des cellules de cet univers du « vivant ». [ cela près qu’ils ne conservèrent pas – et oublièrent même – la méthode originale : le toucher. Ignorant ainsi la dialectique nécessaire entre Rê, Atoum et Noun, de même qu’entre les autretés de toute trinité créatrice.

Une capacité chez les mortels qu’Aristote allait qualifier de techne, ou capacité à produire de la connaissance, désignant aussi bien l’action et le processus de la production que le produit en lui-même. Et qui n’est autre chose que la capacité créatrice de l’esprit poïétique, l’action de créer et l’œuvre créée, Rê, Atoum et Noun pour certains Égyptiens. La trinité égyptienne était composée d’Atoum, né de sa propre masturbation et du mélange des fluides corporels, de Noun, également connu sous le nom d’« Océan primordial », et de Rê, ou principe de la création et de la lumière solaire. La trinité des Grecs incluait également la nécessité de la matière en tant que corps de la création, l’action même de créer en tant qu’habilité technique, et le facteur intellectuel. Néanmoins, pour la carte sur la main des mortels Noun n’était pas seulement la matière en tant qu’objet inanimé et dépendant, mais bien un corps animé et doté d’un langage propre semblable { celui des mortels. Tandis qu’Atoum était la manifestation de l’espace dynamique, lieu dont la loi de mouvement correspond { l’émancipation historique, qui est la dialectique et la contradiction en tant que lien historique. Aristote comparait la production de techne ou ars à la production de la science, car la polysémie du terme techne – qui deviendra par la suite en latin ars, puis art dans les langues modernes – faisait référence dans la Grèce antique à toute production et création humaine et { toute capacité créatrice. Et bien qu’Aristote ait accordé trop d’importance { l’universalité du produit créé, il reste que la

techne, l ars, l arts ou l art sont des noms que les mortels tels qu’Aristote ont

donné { la manifestation de l’esprit poïétique, lorsqu’il est parvenu { dévoiler - ou du moins à rappeler - l’existence de la carte. 63

Dès le début, les microscopes permirent de connaître cette dimension descriptive qui privilégie l’observation et dévalorise la perception des autres sens dans la création de la connaissance scientifique. Cette tendance thomiste favorisant l’observation comme méthode de vérification scientifique ne fit que s’accentuer au fil du temps dans tous les domaines de la connaissance scientifique. Même les sciences sociales inclurent certains types d’observation comme une partie fondamentale de leurs méthodologies qualitatives de recherche, se basant rarement sur une approche équitable de la perception des différents sens du corps. Les sujets de science adoptant des méthodes plus sensualisées furent relégués, oubliés, ignorés, humiliés et méprisés par les autres scientifiques.

C’est également ainsi que la « profondeur épistémologique » fut confondue avec l’observation littérale de « l’intérieur physique » du corps humain. Toutefois, malgré les critiques poïétisées en langages artistiques, les organisateurs de la connaissance sur le corps et de la science ont toujours préféré se mentir plutôt que de reconnaître le besoin de changement et de mutation des hypothèses et des paradigmes, le besoin de révolutions scientifiques. Tout comme il est plus facile de simuler le pardon ou l’oubli d’un amour déçu. Ou comme la miséricorde divine qui ne fut, pour les générations sans mémoire, qu’un leurre leur faisant vivre une vie entière de compassion et de pardon pour aller au ciel. Ainsi les hommes de la science occidentale moderne se sont mentis et leurrés eux-mêmes avec les questions, plus encore qu’avec les réponses héritées de leur propres ancêtres. Pour des raisons semblables liées à la frustration humaine, lorsque la vie ne peut plus revenir en arrière et que le temps est passé, suivant de longs chemins pavés, les scientifiques ont appris – et la science a appris aux reste des mortels – à nier l’erreur d’un passé inévitable et d’un présent limité, avec une vie humaine artificielle allongée scientifiquement. Mais même ainsi – ma sœur –, les mortels n’en restaient pas moins frustrés, car une seule vie ou incarnation ne leur a jamais suffi pour répondre à des questions dont les réponses se prolongeaient sur des centaines d’années et/ou plusieurs réincarnations. Des questions auxquelles on ne pouvait répondre qu’en se souvenant de la carte sur la main ; or pour s’en souvenir, il fallait humaniser la corporalité abstraite du sujet légitimée par la raison moderne.

Pour nous libérer, nous qui sommes parvenus à nous souvenir, nous avons dû naître sorcières, puis corps disséqués, puis hommes avec phallus et sans vulve, et enfin avec une vulve et un phallus. Jusqu’alors, pour que la vie nous ait rendu une vulve, près de mille ans avaient dû s’écouler. C’est ainsi que nous sommes renées avec les mêmes souvenirs qu’avaient partagés les poètes de la Renaissance. Jusqu’{ ce que, nées poètes du XXe, nous soit revenu le souvenir de la main, des

fluides, de l’espace, de l’instrument, pour que nous puissions enfin sentir une fraction de la carte trouvée sur nos mains. Certaines d’entre nous ont pu dévoiler des fragments de la carte, mais d’autres l’ont égarée dans la structure de questions de la pensée duelle et dogmatique promue par la science et les ecclésiastiques.

Je regardai { nouveau la fenêtre, entrouvris les rideaux afin d éclairer un peu cette chambre et en me retournant vers le lit, je vis ma sœur { nouveau en position fœtale, mais cette fois avec le visage tourné vers le côté du lit o‘ se trouvait ma chaise. Je me dirigeai vers la chaise, parcourant entièrement l exposition corporelle de ma sœur, ses jambes formait un volume sous les draps, son dos un arc, sa tête était penchée vers ses mains jointes aux doigts entrelacés. Je m assis et continuai – par hasard – { parcourir du regard le chemin de son corps, m arrêtant sur ses mains entrelacées qui se serraient à intervalles réguliers ; comme si elles voulaient me dire quelque chose ou comme si ma sœur voulait me dire quelque chose avec elles. Je décidai alors de la laisser se reposer et appuyai mon visage de profil sur le rebord du lit, couronnant ma tête de mon bras droit. Je fermai les yeux et entendis ma sœur dire :

— Il y eut une époque, après quelques générations au sein desquelles les naissances de pansexuels commencèrent à se raréfier parmi les mortels, où les corps nés seulement avec un phallus se raréfièrent également. Des générations où l’on comptait sept femmes pour un homme, et où l’on disait qu’{ l’origine était ce qui allait advenir. Non pas comme un cercle, mais comme une spirale vers l’infini tressée d’enchaînements, de ceux que dans la vie quotidienne les poètes mortels comme nous identifient comme…

La voix de ma sœur s atténua peu { peu, ralentissant son rythme, tandis que sa prononciation s adoucissait. Soudain, je me vis au milieu d un cercle d hommes, les tripes hors du ventre. L un d entre eux montrait de l index de sa main droite l ovaire le plus volumineux. L ovaire était toujours attaché { ma matrice que cet individu tenait dans sa main gauche. Puis il pointa de son index l orifice de mon utérus, l y introduisant { plusieurs reprises. Enfin, sans interrompre l exercice, il joignit le majeur { l index et introduisit les deux doigts afin d élargir le col de mon utérus. Il remit la matrice dans mon corps, et recommença à y introduire ses deux doigts, puis trois, tout en maintenant le mouvement de va et vient. Puis il introduisit son phallus dans ma vulve jusqu { ce qu il heurte la paroi de l utérus, qu il continuait { serrer entre ses mains. )l intensifia le va et vient de son phallus { un rythme de plus en plus accéléré, au point de faire bouger la table de dissection au rythme de ses convulsions, mon corps et son corps répondant au coït. Pendant ce temps, les anatomistes répétaient ce rythme en introduisant leur pénis dans l anus de leurs compagnons. Aucun d eux ne me regardait : les yeux fermés, ils ne prêtaient plus aucune attention à la dissection. Enfin, emplis de la sensation surgissant de leurs phallus comprimés entre les muscles anaux, il me sembla les voir tous exploser { l unisson. Presque au même instant, j entendis également le gémissement de cet anatomiste dont le phallus explosait en moi, couvrant de lait son phallus, ma vulve et le rebord de la table de dissection alors qu il se retirait de mes organes exposés. Personne n entendit mon gémissement.

Je sentis les anatomistes retourner mon corps sur la table de dissection. Ils orientèrent délicatement mon visage de profil, le bras droit entourant ma tête, formant une espèce de nimbe ou d auréole de chair. Une fois mon corps retourné, mes jambes se trouvèrent à la verticale. Les anatomistes saisirent mes pieds et me firent glisser sur la table de dissection jusqu { ce que seule la moitié de mon corps y repose. Les jambes de ce corps pendaient de la table, exposant ma vulve et mon

anus { leur regard. Puis l anatomiste qui dirigeait alors la séance de discussion ouvrit un peu plus mes fesses et attira l attention de tous. )l les invita { s approcher afin d observer en détail l orifice qui resplendissait caché entre les plis, qu il dévoila { l aide des doigts de ses deux mains. Alors, après qu il eut introduit l un de ses doigts dans mon anus, leurs phallus se durcirent, et ils commencèrent à se substituer entre eux périodiquement. Formant une file, ils introduisirent un à un leur pénis dans mon orifice anal, au début avec un rythme lent, puis à un rythme accéléré. Ils déchargèrent tous leur fardeau séminal dans mon orifice. Après la cinquième décharge, je sentis comment leur lait débordait sur la peau extérieure de mes fesses et coulait le long de la peau intérieure de mes cuisses, formant des rivières puis une cascade sur les jambes qui pendaient de cette table de dissection. Tout commença alors { s obscurcir et je sentis comme si les muscles de mes paupières se soulevaient. Seulement, bien qu ayant ouvert les yeux, l obscurité demeurait, puis elle s illumina peu { peu d un noir bleuté.

Aucun des anatomistes de ce groupe n allait consigner dans ses textes et ses traités ce genre d expérience. Seul l un d entre eux, du nom de James (art, allait préciser dans son traité publié en 1625 – intitulé The anatomie of urines – qu après plusieurs observations du corps d Ève sur la table de dissection, lui et ses collègues s étaient accordés sur un certain nombre de caractéristiques du corps humain. Que « l opinion médicale commune » était que « leur miction [celle d Ève] est moins colorée mais plus abondante que celle des hommes, à cause de leur tempérament plus froid »64. Ton nom était bien Ève, mais de toute évidence on avait éliminé ton opinion sur ce qui avait été vécu, sur ce qui avait été observé. Les anatomistes continuèrent à se réunir, ils continuèrent à expérimenter et les connaissances médicales d’Éva ne cessaient de s étoffer, et même si je me souviens les avoir écrites – durant cette vie ou une autre – elles furent occultées.

Je me réveillai et sentis mon bras droit couronnant ma tête, non plus sur la table de dissection mais sur le matelas de ma sœur. Je rêvais que me réveillais d un rêve, et me réveillai { nouveau. J entendis alors la voix de ma sœur et mes paupières achevèrent de s ouvrir complètement.

La voix de ma sœur s éteignit peu { peu avant de disparaître complètement. Elle resta silencieuse et je ne dis ni ne fis rien pour occuper l espace sonorement vide. Lorsque le silence fut parfait, j ouvris { nouveau les yeux et j entendis sa voix collée à mon oreille, comme celle de quelqu un qui murmure un secret { l oreille dans le creux de ses mains. Alors, j entendis qu elle me disait :

—Depuis leurs origines, les organisateurs de la science médicale occidentale avaient réduit le rôle de la femme et des hermaphrodites dans la médecine à la table de dissection. Les organisateurs ecclésiastiques de la connaissance, héritiers des églises monothéistes dominantes au cours de l’ère postérieure au crucifié, produisirent une science de structure patriarcale, dont les connaissances créées sur le corps des mortels favorisaient l’interprétation d’une supériorité des éléments corporels de l’homme sur ceux de la femme, des hermaphrodites et des autres mortels et êtres vivants de l’univers ; ils considéraient également la

structure épistémologique masculine comme étant supérieure aux épistémologies lesbienne, homosexuelle, transgenre, pansexuelle et à toutes les autres épistémologies non phallocentriques. Leurs connaissances étaient autant d’arguments constitutifs d’une Loi naturelle qui allait proclamer durant des siècles la suprématie créatrice des hommes mortels. La science médicale de cette ère patriarcale sédentarisée mit un frein { l’émancipation des mortels défavorisés et à la loi du mouvement de la spirale historique, en établissant, prônant et privilégiant la dynamique de l’esprit poïétique uniquement chez les mortels nés avec un phallus et sans vulve.

En ce qui concerne la création de connaissance sur le corps au cours de cette ère, les mortels qui osèrent remettre en question la pertinence de ce postulat hétérosexuel dans la construction de questions et de réponses furent immanquablement censurés ou « guillotinés » - comme il advint à Olympe de Gouges, guillotinée en 1793 pour avoir revendiqué les droits de la femme et de la citoyenne – par l’inébranlable système de la structure ecclésiastique administratrice de la connaissance ; ou Mary Wollstonecraft Godwin qui ne connut certes pas le même sort qu’Olympe mais fut très durement critiquée en Angleterre après avoir publié en 1792 son ouvrage Défense des droits des femmes. Elle eut pour fille Mary Wollstonecraft Godwin, qui allait écrire le roman visionnaire de Frankenstein ou le Prométhée moderne, anticipant de manière extraordinaire les conséquences de la Modernité, née des Lumières chez l’)llustration, sur le corps des mortels des générations { venir.

La mort, la discrimination et l’invisibilité historique : tel fut le sort des scientifiques, médecins ou explorateurs de la pensée moderne qui osèrent remettre en question le paradigme hétérosexuel utilisé par les producteurs de la connaissance en Occident, car laisse-moi te dire – ma sœur -, que la science est une création humaine, aussi bien la médicale que tous ses dérivés. Or jusqu’au X))e

siècle, la science occidentale sur le corps fut certes une connaissance essentiellement créée par des hommes, mais aussi par des femmes et d’autres personnes appartenant à la biodiversité sexuelle invisibilisée de la production