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ère : La formalisation législative de l’intérêt général :

Dans le document Intérêt général et droits fondamentaux (Page 130-158)

C ONCLUSION INTERMEDIAIRE

Section 1 ère : La formalisation législative de l’intérêt général :

169. « L’affirmation d’un droit théorique et imaginaire, même sous la forme solennelle d’une déclaration des droits, n’offre aucune garantie réelle, et une véritable liberté semble impossible sans légalité »9. Lorsque la norme suprême était la loi10, l’intérêt général était nécessairement identifié par le législateur11. L’intérêt général devint une norme législative. C’est l’époque du légicentrisme,

6 La question posée ici n’est donc pas (encore) celle de savoir quel organe est compétent pour dire, au sein de l’État, l’intérêt général. Cf. infra Seconde partie.

7 P. PASQUINO, « Sieyès Emmanuel-Joseph. Discours », in O. CAYLA,J.-L.HALPERIN, (dir.), Dictionnaire des grandes œuvres juridiques, op. cit., p. 551-557, spéc. p. 551. Sieyès, complète Jean-Denis Bredin, avait très tôt « tracé les plans d’une société nouvelle que commanderaient l’intelligence et la raison » et « fut sans doute l’inventeur du droit public moderne ». Cf. J.-D. BREDIN, « Préface », in E.-J. SIEYES, Qu’est-ce que le Tiers-état ?, op. cit., respectivement p. 11 et p.

26. 8 P. PASQUINO, op. cit., p. 551.

9 G. LESCUYER, « Libertés publiques », préc., p. 985.

10 Historiquement la loi est l’expression immédiate et principielle du souverain depuis Jean Bodin (XVIème siècle) et Cardin Le Bret (XVIIème siècle). Cf. G. LESCUYER, Histoire des idées politiques, op. cit., respectivement p. 231 et s. et p.

243 et s.

11 « Puisque les libertés publiques sont des droits positifs, il faut bien confier leur organisation à quelqu’un. Sous l’influence de Rousseau, c’est vers le législateur que la France s’est tournée dès 1789 ». Cf. G. LEBRETON, Libertés

époque durant laquelle la règle de droit était ramenée à la loi, produit du Parlement. Il est alors question de l’État artisan de la protection des droits de l’Homme, d’un État légal en charge de la mise en œuvre des libertés publiques. « Pour les hommes de 1789, la loi tend spontanément à la réalisation du bien public car elle exprime la volonté générale (…) »12. Le dogme attaché à la loi va perdurer suffisamment longtemps mais plusieurs brèches ouvertes dans l’édifice montreront combien tout n’est pas « spontané ». La progression du rôle de la loi depuis la conclusion du pacte social en France peut être décrite selon trois paliers successifs. La loi est d’abord perçue comme l’expression de la volonté générale (contenant). Corrélativement, l’intérêt général est appréhendé comme l’expression de la volonté générale (contenu). Enfin, on assiste à une fusion du contenant et du contenu, la loi devenant l’expression de l’intérêt général. Mais cette fusion se fait par réduction automatique du contenant à son contenu et vice-et-versa. Autrement dit, la loi ne peut exprimer que l’intérêt général. En présence d’une loi, on a nécessairement une restriction légitime de la liberté dans la mesure où elle ne poursuit que sa promotion. Inversement, seule la loi peut exprimer l’intérêt général. Sans loi, pas d’intérêt général. Cette période marque néanmoins l’effort, soutenu, de la loi pour se placer au service de la notion d’intérêt général et donc à celui des droits et libertés ; elle est celle d’un légicentrisme gardien d’une notion d’intérêt général globalement libérale (§1.). Cependant, cette identité entre la loi et la notion d’intérêt général deviendra si forte, voire caricaturale, qu’elle aboutira à placer la notion d’intérêt général au service de la loi. Cette dernière en dénaturera ainsi le sens originel pour imprimer au légicentrisme son caractère conservateur potentiellement liberticide (§2.)13.

§1. – Le légicentrisme gardien d’une notion d’intérêt général globalement libérale :

170. Ce fut l’élément capital dans le fonctionnement de l’État nouvellement créé :

« L’établissement du pouvoir législatif est le premier et fondamental acte de la société, par lequel on a pourvu à la continuation de l’union de tous les membres, sous la direction de certaines personnes, et des lois faites par ces personnes que le peuple a revêtues d’autorité, mais de cette autorité, sans laquelle qui que ce soit n’a droit de faire des lois et de les proposer à observer » (italique dans le texte)14. « Selon sa véritable nature et ses véritables engagements, ajoute John Locke, il doit se

publiques et droits de l’Homme, op. cit., p. 33 ; de même, V. SAINT-JAMES, La conciliation des droits de l’homme et des libertés en droit public français, op. cit., p. 101 : « Les constituants de 1789 lui ont confié les libertés ». Ils avaient « foi en la loi » (p. 472).

12 P. MAZEAUD, « Propos introductifs », in B. MATHIEU, M. VERPEAUX, (dir.), L’intérêt général, norme constitutionnelle, op. cit., p. 2 ; V. SAINT-JAMES, op. cit., p. 166 : « la société est le but de la loi ».

13 Pour un aperçu de ces deux temps légaux, résumés idéalement par Pierre Serrand : « les droits de l’homme protégés par la loi » puis « les droits de l’homme protégés de la loi », voir P. SERRAND, « Loi », in J. ANDRIANTSIMBAZOVINA et alii, (dir.), Dictionnaire des Droits de l’Homme, op. cit., p. 664-669.

14 J. LOCKE, Traité du gouvernement civil, op. cit., p. 299-300 § 134.

terminer au bien public de la société »15. Aussi, pour que la loi exprime l’intérêt général (I.), entendu comme restriction aux droits et libertés indispensable à leur définition, importe-t-il qu’elle soit l’expression de la volonté générale (II.).

I. – La loi, expression de la volonté générale :

171. La norme législative, norme suprême de l’ordre juridique, est validée au regard de sa capacité à produire l’intérêt général dans la mesure où elle constitue la règle de droit produite par le peuple souverain. C’est le sens de la volonté générale retenue par l’article 6 de la Déclaration de 1789 : « La loi est l’expression de la volonté générale ». La loi, acte de souveraineté du peuple souverain, est l’expression de « la souveraineté nationale » qui « appartient au peuple »16. Cette présentation doit beaucoup à Jean-Jacques Rousseau (A.) et, fidèle à sa philosophie, elle traduit juridiquement la liaison démocratique entre la loi et la notion d’intérêt général (B.).

A. – La volonté générale de Rousseau :

172. Il faut rendre à César ce qui est à César en soulignant que la paternité de « la volonté générale » revient au Citoyen de Genève17. La dette française à son égard est considérable au point que les Révolutionnaires réaliseront le transfert de ses restes au Panthéon au cours de l’année 1794 mais postérieurement à la chute de Robespierre18. François Rangeon, compte tenu de la présentation qui est la sienne de l’intérêt général, démontre, nettement, combien la volonté générale de Rousseau

15 J. LOCKE, Traité du gouvernement civil, op. cit., p. 244 § 135.

16 Article 3 alinéa 1er de la Constitution du 4 octobre 1958.

17 À telle enseigne que certains philosophes écrivant après Rousseau et s’en démarquant sont néanmoins contraints de recourir à ce concept pour éclairer leur propre philosophie politique. C’est le cas du philosophe allemand Wilhelm von Humboldt : « Le droit de fixer la ligne de démarcation (…) ne peut être contesté à l’État, c’est-à-dire à la volonté générale de la société ». Cf. W. VON HUMBOLDT, Essai sur les limites de l’action de l’État, op. cit., p. 136. Faisant remonter ce lien consacré par les instruments internationaux de protection des droits de l’Homme à Rousseau, B. DUARTE, Les restrictions aux droits de l’homme garantis par le pacte international relatif aux droits civils et politiques et les Conventions américaine et européenne des droits de l’homme, op. cit., p. 284-286 spéc. p. 284 : « le recours au législateur [...] remonte en fait au XVIIIème siècle, c’est-à-dire à la théorie du contrat social de Rousseau et à la Révolution française. La loi est alors considérée comme la seule garantie efficace contre l’arbitraire du pouvoir politique. Puisqu’elle émane directement ou indirectement du peuple, elle est jugée légitime et, partant, seule apte à régler l’exercice des libertés des individus ».

Mais cela ne signifie pas, en soi, que l’idée est totalement neuve si l’on en croit certains écrits anciens ayant trait à l’idéal de justice dont Philippe Coppens se fait l’écho et desquels il n’est pas interdit de voir les premières caractérisations d’une volonté générale : « seule une règle de droit est susceptible de promouvoir l’égalité entre tous. Comme le montre par excellence Les Suppliantes d’Euripide, la légalité est la source de l’égalité et de la liberté entre tous les citoyens grecs lorsque tous peuvent également et librement participer à l’édiction de la règle de droit. L’égalité et la légalité sont donc condition et effet l’une de l’autre ». Cf. P. COPPENS, « Compétence universelle et fonction de juger », in « Thème : La Belgique, justicier du monde ? », Politique, n° 23, février 2002, p. 31-33 spéc. p. 31. Georges Lescuyer estime que, sur ce point précis de la volonté générale, le philosophe allemand Althusius (XVIIème siècle) « prépare Rousseau » (cf. G.

LESCUYER, Histoire des idées politiques, op. cit., p. 228 et s. spéc. p. 229).

18 Sur cette dette et ce point d’histoire, S. WAHNICH,« Révolutionnaire a posteriori », in M. ROVERE, (dir.), « Dossier : Le promeneur tricentenaire. Rousseau », in Le Magazine Littéraire, n° 514, décembre 2011, p. 82-83. L’auteur souligne d’ailleurs l’ambiguïté des thermidoriens dans cet hommage.

constitue le pont entre, d’une part, les théories contractualistes et les différentes doctrines (Hobbes, Locke et Montesquieu), qui ont révélé « le bien public », l’intérêt général rationnellement conçu, et, d’autre part, la notion moderne d’intérêt général telle que nous la connaissons depuis19. Toutefois, M.

Rangeon prend soin de souligner que Rousseau n’emploie pas l’expression d’ « intérêt général » dans Du contrat social, ce que nous devons confirmer, sauf erreur de notre part20. « Les commentateurs n’ont jusqu’ici accordé guère d’importance à ces nuances de vocabulaire. Puisque l’expression est aujourd’hui la plus répandue, on évoque, sans y prendre garde, "l’intérêt général" à propos de Rousseau. Même les auteurs qui soutiennent que le thème central de la pensée politique de Rousseau se trouve non pas dans le pacte social, mais dans l’idée de volonté générale, parlent indifféremment d’intérêt public, ou commun, ou général »21. La volonté générale n’irait donc pas directement à l’intérêt général. Mais il est vrai, aussi, et d’une part, que « le lien, chez Rousseau, entre la volonté générale et l’intérêt commun (ou public) est si étroit que l’auteur substitue parfois une notion à l’autre »22 concède le professeur Rangeon relativisant, alors, les subtilités des terminologies employées. Il est possible, d’autre part, que la volonté générale conduise logiquement à l’intérêt général mais que Rousseau n’est pas attaché une importance capitale à cette conséquence du concept qu’il fonde au XVIIIème siècle. Là encore, le professeur Rangeon en paraît convaincu : « le concept central du Contrat social n’est pas l’intérêt général (qui, d’ailleurs, n’y figure pas) mais la "volonté générale". [Rousseau] a, en quelque sorte, manqué l’élaboration théorique de la notion d’intérêt général en concentrant son analyse sur celle de la volonté générale »23. Écrire que la notion d’intérêt général succède à la volonté générale est par conséquent une déduction de la réflexion de Rousseau24. Cela étant dit, pourquoi la loi – volonté générale – exprimerait-elle l’intérêt général ?

173. La loi exprime adéquatement l’intérêt général parce qu’elle constitue, selon Rousseau, un

« acte authentique de la volonté générale », ou « acte de souveraineté » : « Qu’est-ce donc proprement qu’un acte de souveraineté ? s’interroge-t-il. Ce n’est pas une convention du supérieur avec l’inférieur, mais une convention du corps avec chacun de ses membres : Convention légitime, parce qu’elle a pour base le contrat social, équitable, parce qu’elle est commune à tous, utile, parce qu’elle ne peut avoir d’autre objet que le bien général, et solide, parce qu’elle a pour garant la force publique et le

19 Voir F.RANGEON, L’idéologie de l’intérêt général, op. cit., p. 107 et s. Il convient, néanmoins, pour bien mesurer la portée de la démonstration de cet auteur, d’avoir une vue globale sur le Titre II « La rationalisation de l’intérêt général », qui se divise en trois chapitres, respectivement et successivement, consacrés au « bien public », à « la volonté générale » et à « l’intérêt général ».

20 F.RANGEON, op. cit., p. 109 (en note 5).

21 F.RANGEON, op. cit., p. 119.

22 F.RANGEON, op. cit., p. 115.

23 F.RANGEON, op. cit., p. 115, surtout p. 120-121.

24 Formulant une déduction similaire, N. KANAYAMA, « Intérêt général : le pays de Rousseau aujourd’hui », in L’intérêt général au Japon et en France, op. cit., p. 53-58, spéc. p. 53 : « En fait, l’intérêt général et la volonté générale sont la même chose pour Rousseau (…) ».

pouvoir suprême »25. La loi, expression de la volonté générale, est validée par la notion d’intérêt général si elle est un acte : conforme au pacte social (« légitime » puisque basé sur « le contrat social »), assurant l’égalité de droit entre les citoyens signataires du pacte (« commune à tous »), protecteur de la liberté (« le bien général ») et dont le non respect est sanctionné par l’État (« solide »,

« force publique », « pouvoir suprême »). Selon Rousseau, précisons que la volonté générale n’est pas seulement une réunion quantitative du peuple : « Il y a souvent bien de la différence entre la volonté de tous et la volonté générale ; celle-ci ne regarde qu’à l’intérêt commun, l’autre à l’intérêt privé, et n’est qu’une somme de volontés particulières : mais ôtez de ces mêmes volontés les plus et les moins qui s’entre-détruisent, reste pour somme des différences la volonté générale »26. Elle constitue un dépassement qualitatif de la somme des volontés individuelles jusqu’à conduire le citoyen à vouloir contre lui-même. « La volonté générale est cette faculté permettant à l’homme social de vouloir l’intérêt général contre son intérêt particulier »27. Mais, nuançant ce qui vient d’être mentionné, et d’après le commentaire attentif porté sur la pensée de Rousseau, la volonté générale revêt les traits d’un acte de connaissance au terme duquel le citoyen réalise, en fait, que ce qui eût été son intérêt particulier contre l’intérêt général sera son intérêt particulier grâce à l’intérêt général : « pour que la volonté générale puisse se former et se déclarer (par la loi), souligne Bruno Bernardi, il faut que les volontés particulières se généralisent, c’est-à-dire qu’elles apprennent à reconnaître dans l’intérêt commun le leur propre. Ce processus de généralisation est bel et bien un processus cognitif (…) »28. La volonté générale est ce dépassement qualitatif de la somme des volontés individuelles puisqu’elle prétend se découvrir au sein de chacune des volontés individuelles et, dans un même mouvement, assez inexplicable29, faire qu’en réalité les volontés individuelles n’iraient que formellement à l’intérêt particulier et, toujours, matériellement à l’intérêt général.

174. La définition que Rousseau suggère de la volonté générale justifie alors l’obéissance des citoyens : « Le Citoyen consent à toutes les lois, même à celles qui le punissent quand il ose en violer

25 J.-J. ROUSSEAU, Du contrat social, op. cit., p. 72. En suivant ces principes, il en ressort que « la volonté est générale, ou elle ne l’est pas ; elle est celle du corps du peuple, ou seulement d’une partie. Dans ce premier cas cette volonté déclarée est un acte de souveraineté et fait loi » (p. 66).

26 J.-J. ROUSSEAU, op. cit., p. 68-69. C’est visiblement à cette lecture que fait référence le président Mazeaud, à l’occasion de ses vœux pour l’année 2006, lorsqu’il apostrophe notre société dans son ensemble pour lui rappeler ce qu’est son intérêt : « dans la conception classique de la souveraineté nationale, la volonté générale ne se réduisait pas à la sommation des opinions et des intérêts particuliers ». Cf. P. MAZEAUD, « Vœux du président du Conseil constitutionnel, M. Pierre Mazeaud, au président de la République (discours prononcé le 3 janvier 2006) », in Échanges de vœux, Les Cahiers du Conseil constitutionnel, n° 20, 2006, p. 5-14, spéc. p. 6.

27 G. LESCUYER, Histoire des idées politiques, op. cit., p. 338.

28 B. BERNARDI,« L’opinion publique, une passion d’État », in M. ROVERE, (dir.), « Dossier : Le promeneur tricentenaire.

Rousseau », in Le Magazine Littéraire, n° 514, décembre 2011, p. 86-87, spéc. p. 87.

29 En même temps qu’elle liste les différentes interprétations possibles de l’œuvre de Rousseau, Céline Spector met en lumière toute la part d’approximations (et les risques de se tromper…) qu’il y a dans l’exégèse de sa philosophie. Voir C.

SPECTOR, « C’est la fête ou la faute à Rousseau », in M. ROVERE, (dir.), « Dossier : Le promeneur tricentenaire.

Rousseau », in Le Magazine Littéraire, n° 514, décembre 2011, p. 84-85. En particulier, pour marquer les esprits, cette ligne introductive : « Rousseau était un solitaire. Mais il a écrit Du contrat social » (p. 84). Contra : P. RICŒUR,

« Liberté », préc., p. 982 : « le concept de volonté générale est (…) le témoin de cet effort pour dépsychologiser le problème de la volonté libre (…) ».

quelqu’une. La volonté constante de tous les membres de l’État est la volonté générale ; c’est par elle qu’ils sont citoyens et libres. Quand on propose une loi dans l’assemblée du Peuple, ce qu’on leur demande n’est pas précisément s’ils approuvent la proposition ou s’ils la rejettent, mais si elle est conforme ou non à la volonté générale qui est la leur ; chacun en donnant son suffrage dit son avis là-dessus, et du calcul des voix se tire la déclaration de la volonté générale. Quand donc l’avis contraire au mien l’emporte, cela ne prouve autre chose sinon que je m’étais trompé, et que ce que j’estimais être la volonté générale ne l’était pas »30. À ces conditions, la loi exprime la volonté générale, donc poursuit l’intérêt général31. La liaison entre la loi, expression de la volonté générale, et la notion d’intérêt général est particulièrement nette : « quand tout le peuple statue sur tout le peuple il ne considère que lui-même, et s’il se forme alors un rapport, c’est de l’objet entier sous un point de vue à l’objet entier sous un autre point de vue, sans aucune division du tout. Alors la matière sur laquelle on statue est générale comme la volonté qui statue. C’est cet acte que j’appelle loi » (nous soulignons)32. L’assimilation progressive entre volonté générale (la loi de Rousseau) et la notion d’intérêt général devient acceptable comme l’atteste le fait que la doctrine contemporaine y souscrive. « Plus fondamentalement, la détermination de mesures propres à satisfaire l’intérêt général représente la mission première du législateur. De ce point de vue, il peut être admis qu’il y a juridiquement une identité postulée entre la volonté générale et l’intérêt général »33. Cette identité postulée est évidente dans la mesure où ce qu’ont voulu les membres signataires du pacte social libéral – restreindre la liberté pour la définir – est lié par l’exercice de leur seule volonté.

B. – La liaison démocratique entre la loi et la notion d’intérêt général :

175. Indispensable à l’élévation de « la seule communauté juridiquement acceptable »34, nous entendons analyser la jonction indispensable entre les membres signataires du pacte social libéral et la

30 J.-J. ROUSSEAU, Du contrat social, op. cit., p. 147. Ce passage précis du Contrat social ouvre la voie à des régimes liberticides dissimulés par l’omniscience de la volonté générale. C’est l’une des brèches majeures de la théorie rousseauiste de protection de la liberté. Le droit constitutionnel moderne pense combler la brèche ouverte sur ce point précis. Il faudra y revenir mais, « quand donc l’avis contraire au mien l’emporte », cela ne prouve pas nécessairement que je m’étais trompé et, parfois, que c’est bien au contraire la volonté générale qui avait commis une erreur. Un citoyen peut poursuivre l’intérêt général, au nom de la constitution, même en position de minorité (contre une majorité s’exprimant par la voie du législateur). Mais l’anomalie n’est simplement que transposée de la loi vers la constitution ; elle n’est pas corrigée. Le citoyen, en minorité, contre la volonté générale exprimée par le constituant se trompe toujours.

31 Originalité rousseauiste, la loi est définie, en raison de la conjonction entre le citoyen-sujet établie par Rousseau, comme une « convention », alors qu’elle est habituellement entendue comme un commandement unilatéral. Cela est dû aux deux angles d’approche mélangés ici : entre les citoyens, la loi est une convention tandis qu’elle devient un commandement unilatéral pour les sujets.

32 J.-J. ROUSSEAU, op. cit., p. 77.

33 B. MATHIEU, « Propos introductifs », in B. MATHIEU, M. VERPEAUX, (dir.), L’intérêt général, norme constitutionnelle, op. cit., p. 6 ; pareillement, J. SAINTE-ROSE, « L’intérêt général et le juge », in B. MATHIEU, M. VERPEAUX, (dir.), L’intérêt général, norme constitutionnelle, op. cit., p. 1-7, spéc. p. 1 : « Dans la tradition juridique française, "la loi est l’expression de la volonté générale" (DDHC). Il appartient au législateur d’exprimer cette volonté qui ne peut qu’être conforme à l’intérêt général. Plus exactement, volonté générale et intérêt général ne font qu’un ».

33 B. MATHIEU, « Propos introductifs », in B. MATHIEU, M. VERPEAUX, (dir.), L’intérêt général, norme constitutionnelle, op. cit., p. 6 ; pareillement, J. SAINTE-ROSE, « L’intérêt général et le juge », in B. MATHIEU, M. VERPEAUX, (dir.), L’intérêt général, norme constitutionnelle, op. cit., p. 1-7, spéc. p. 1 : « Dans la tradition juridique française, "la loi est l’expression de la volonté générale" (DDHC). Il appartient au législateur d’exprimer cette volonté qui ne peut qu’être conforme à l’intérêt général. Plus exactement, volonté générale et intérêt général ne font qu’un ».

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