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Intérêt général et droits fondamentaux

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Academic year: 2021

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HAL Id: tel-01279058

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Submitted on 25 Feb 2016

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Intérêt général et droits fondamentaux

Nirmal Nivert

To cite this version:

Nirmal Nivert. Intérêt général et droits fondamentaux. Droit. Université de la Réunion, 2012.

Français. �NNT : 2012LARE0028�. �tel-01279058�

(2)

III

Université de La Réunion

Faculté de Droit et d’Économie

Centre de Recherches Juridiques

Thèse pour l’obtention du grade de Docteur en droit public Présentée et soutenue publiquement le 1er décembre 2012

Par Nirmal NIVERT

INTÉRÊT GÉNÉRAL ET

DROITS FONDAMENTAUX

Doctorat de droit dirigé par Monsieur le Professeur Laurent SERMET

Membres du jury :

Monsieur le Professeur Xavier Bioy, Université Toulouse I Capitole, rapporteur Monsieur le Professeur Mathieu Maisonneuve, Université de La Réunion, suffragant

Monsieur le Professeur André Roux, Université Paul Cézanne Aix-Marseille III, rapporteur Monsieur le Professeur Laurent Sermet, Université de La Réunion, directeur de thèse Monsieur le Professeur Frédéric Sudre, Université Montpellier I, Président

(3)
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V

AVANT-PROPOS

À mon père et aux articles 343 et suivant du Code civil, preuves que si le droit ne peut pas tout, il permet néanmoins nombre d’accomplissements.

Je souhaite remercier, en premier lieu, le professeur Laurent Sermet d’avoir accepté de diriger cette thèse de droit public. Je lui suis également gré de la relation de confiance réciproque qui s’est installée dès le début de cette recherche et qui ne s’est jamais démentie. Sa confiance et l’intérêt manifeste porté à cette étude m’ont toujours conduit à persévérer. Enfin, ses conseils et son attention ont été constamment féconds et m’ont permis de mener à son terme ce travail de recherche.

J’adresse, en deuxième lieu, mes remerciements appuyés à celles et ceux qui, de près ou de loin, m’ont soutenu tout au long de cette recherche. Je pense, en particulier, à Jocelyne Brizou, Carine Marguerite, Céline Marguerite, Fabienne Mulot, Jonathan Robertson, Audrey Sineux et Nicolas Toucas. Leurs réflexions et leur patient travail de relecture m’ont été d’un très grand secours.

Je tiens, en troisième lieu, à témoigner à Céline ma profonde reconnaissance pour les sacrifices qu’elle a accepté d’accomplir. Je mesure combien sa liberté fut restreinte, sans doute au-delà du nécessaire, au nom de mon intérêt général à poursuivre cette thèse.

La présente thèse est une version remaniée et réduite de celle soutenue le 1er décembre 2012 à l’Université Paris I Panthéon Sorbonne et qui tient compte des remarques formulées par le jury de soutenance.

La présente étude a bénéficié du soutien financier du Conseil régional de La Réunion et de l’Union européenne.

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VI

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SOMMAIRE

INTRODUCTION

PREMIERE PARTIE :

De l’intérêt général aux droits fondamentaux

Titre Ier : L’intérêt général, source du système de droit libéral : Chapitre Ier : La vocation structurante de l’intérêt général : Chapitre II : La vocation constituante de l’intérêt général :

Titre II : L’intérêt général, origine des droits fondamentaux :

Chapitre Ier : La définition des droits fondamentaux par l’intérêt général : Chapitre II : La légitimation des droits fondamentaux par l’intérêt général :

CONCLUSION DE LA PREMIERE PARTIE

SECONDE PARTIE :

De la conciliation entre les droits fondamentaux et l’intérêt général

Titre Ier : Une conciliation par les normes :

Chapitre Ier : Les fondements constitutionnels de la conciliation :

Chapitre II : Une conciliation conditionnée par la hiérarchie des normes :

Titre II : Une conciliation par le juge :

Chapitre Ier : Une interprétation téléologique des restrictions d’intérêt général : Chapitre II : Une validation a posteriori des restrictions d’intérêt général :

CONCLUSION DE LA SECONDE PARTIE

CONCLUSION GENERALE

(7)

VIII

LISTE DES PRINCIPALES ABRÉVIATIONS

AJDA ……...…………... Actualité juridique, Droit administratif al. ………... alinéa

art. ………....…………... article

Ass. …………...……...… Assemblée du contentieux du Conseil d’État Ass. gén. ……….…...….. Assemblée générale du Conseil d’État Ass. plén. ………...…….. Assemblée plénière de la Cour de cassation Bull. …………...……….. Bulletin des arrêts de la Cour de cassation C ………... Constitution du 4 octobre 1958

c. ..………...…….. ... contre c/ ………...……... contre

CAA ………..……... Cour administrative d’appel Cass. …………...……… Cour de cassation

CC ………...……...…….. Conseil constitutionnel

CDFUE ………...…..…... Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne CDH ………...………..… Comité des droits de l’Homme des Nations unies CE ………...……... Conseil d’État

CEDH …………...…...… Cour européenne des droits de l’Homme CGCT ………...…. Code général des collectivités territoriales

Ch. mixte ……..…...…… Chambre mixte de la Cour de cassation civ. ………...……. Chambre civile de la Cour de cassation CJA ………...….…. Code de justice administrative

CJCE …………...……… Cour de justice des Communautés européennes CJUE ………...………… Cour de justice de l’Union européenne

coll. …………...………... collection

Com. …………...….…… Chambre commerciale de la Cour de cassation Comm EDH……...….…. Commission européenne des droits de l’Homme cons. ………...… considérant

Convention EDH …... Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales

crim. ………...…. Chambre criminelle de la Cour de cassation D. …………...…….…… Recueil Dalloz

déc. …………...…..…... décision de recevabilité ou d’irrecevabilité de la Cour européenne des droits de l’Homme/ décision du Conseil constitutionnel

dir. ………...…... sous la direction de éd. ……….……... édition

EDCE …...……….…...… Études et Documents du Conseil d’État

GAJA ……...………….. Grands arrêts de la jurisprudence administrative (Dalloz) Gaz. Pal. ……...………. La Gazette du Palais

GDCC …………...……. Les grandes décisions du Conseil constitutionnel (Dalloz) Gr. Ch. ………...… Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l’Homme JCP ... Jurisclasseur périodique (La semaine juridique)

JOCE …………...…….. Journal officiel des Communautés européennes JORF ... Journal officiel de la République française JOUE ... Journal officiel de l’Union européenne LPA …...……….… Les Petites Affiches

n° ……...……… numéro

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IX

ord. ………...…….…… ordonnance de référé

PIDCP... Pacte international relatif aux droits civils et politiques

PIDESC ... Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels

préc. ……...……….….. précité(e) (s)

R. …..………...…....…. Recueil des arrêts et décisions de la Cour européenne des droits de l’Homme

RDP ……...……..….… Revue du droit public et de la science politique en France et à l’étranger

Rec. …...……..…….. - après un arrêt du Conseil d’État, Recueil Lebon

- après une décision du Tribunal des conflits, Recueil Lebon - après une décision du Conseil constitutionnel, Recueil des décisions du Conseil constitutionnel

req. ………...………... requête

Rev. trim. dr. h. …... Revue trimestrielle des droits de l’Homme RFDA ………... Revue française de droit administratif RUDH …...……..…… Revue universelle des droits de l’Homme Sect. ……...…….…… Section du contentieux du Conseil d’État S. ……...………..…… Recueil Sirey

soc. ……...…….……. Chambre sociale de la Cour de cassation spéc. ………...……… spécialement

TFUE …………...…. Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne t. ……….…... tome

TPICE ……...…….… Tribunal de première instance de l’Union européenne TUE …………...…… Traité sur l’Union européenne

vol. ………...…. volume

(9)

I

NTRODUCTION

1. Aussi vieille que l’humanité, la recherche de la Liberté demeure d’une redoutable modernité.

C’est en effet l’une des préoccupations de la société internationale exprimée lors du Sommet du millénaire, c’est-à-dire à l’occasion de la réunion extraordinaire des Chefs d’État et de gouvernement tenue au siège des Nations Unies (New York) du 6 au 8 septembre 2000 : parmi « les valeurs fondamentales [que] doivent sous-tendre les relations internationales au XXIe siècle » figure « la liberté »1. La valeur « liberté » intéresse autant les générations actuelles, futures que passées2. Avec Maurice Agulhon admettons dès maintenant que « la liberté, réduite à son principe simple, à sa définition élémentaire, est une valeur à peu près unanimement reconnue »3. Dans ce combat millénaire pour notre liberté, la bataille pour son affirmation – et elle seule – en tant qu’attribut de l’être humain semble gagnée4. Joint à la liberté, c’est alors un ensemble plus vaste, celui des droits de l’Homme, qui se trouve placé au centre des discussions politiques et juridiques. « Les droits de l’homme bénéficient depuis quelques décennies d’une promotion considérable et d’une spécificité corrélative. Sans parler de leur médiatisation par l’action des très nombreuses ONG, le droit leur réserve une place privilégiée.

L’encombrement du prétoire de la Cour [européenne des droits de l’Homme] ainsi que les procédures de filtrage que plusieurs Cours constitutionnelles ont instituées en disent long sur la popularité de la matière »5. Les droits de l’Homme « constituent désormais un idéal susceptible d’être atteint, sinon une exigence normale »6. Ils « s’exigent ; ils ne se marchandent pas »7. Intérêt considérable pour la liberté mais quid de son effectivité ?

1 Voir la Déclaration du 8 septembre 2000 des Chefs d’État et de gouvernement adoptée par une résolution de l’Assemblée générale des Nations Unies, 13 septembre 2000, résolution n° A/RES/55/2, texte disponible sur le site de l’ONU, http://www.un.org, p. 2, I-§ 6.

2 Voir I. POIROT-MAZERES, « "Toute entreprise d’immortalité est contraire à l’ordre public" ou comment le juge administratif appréhende… la cryogénisation », Droit administratif, juillet 2006, p. 6-12, spéc. p. 8.

3 M. AGULHON, « La conquête de la liberté », Pouvoirs 1998/1, n° 84, p. 5-13, spéc. p. 6.

4 Elle l’aurait été, en France, spécialement « au lendemain de la victoire remportée par les peuples libres sur les régimes qui ont tenté d’asservir et de dégrader la personne humaine (…) » selon l’introduction du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946.

5 C. GREWE, « Interprétation (Méthodes d’) », in J. ANDRIANTSIMBAZOVINA, H. GAUDIN, J.-P. MARGUENAUD, S. RIALS, F.

SUDRE, (dir.), Dictionnaire des Droits de l’Homme, Paris, PUF, coll. « Quadrige », 1ère éd., 2008, p. 540-543, spéc. p. 540.

6 F. ROUVILLOIS, Les déclarations des droits de l’homme, choix de textes et présentation par Frédéric ROUVILLOIS, Paris, Le Monde – Flammarion, coll. « Les livres qui ont changé le monde », n° 9, 2009, p. 18.

7 G. LEBRETON, Libertés publiques et droits de l’Homme, Paris, Dalloz, coll. « U », 7ème éd., 2005, p. 131. Rappelant néanmoins que la liberté n’est pas une réalité dans un certain nombre de pays, D. LOCHAK, « Les bornes de la liberté », Pouvoirs 1998/1, n° 84, p. 15-30, spéc. p. 15. Rappelant également que la France peut parfois prendre quelques libertés avec la liberté… Voir M. MAISONNEUVE, « Les Roms, les ultra-marins et la Constitution », AJDA 2010, p. 2017 : « La circulaire du ministre de l’intérieur du 5 août 2010, aujourd’hui abrogée, sur l’ "évacuation des campements illicites", "en priorité ceux des Roms", était moralement choquante et manifestement inconstitutionnelle. Selon l’article 1er de la Constitution, la France "assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion".

Est-il besoin d’en dire plus ? ».

(10)

2. Dans l’une de ses plus célèbres assertions, Rousseau constate que « l’homme est né libre, et partout il est dans les fers »8. Cette symbolique très forte de l’enchaînement a même traversé les océans. Laurent Sermet, à propos des Seychelles et d’une statue représentant le coup d’État du 5 juin 1977, s’interroge sur les limites de l’incantation en matière de liberté : « Aux côtés du bâtiment des Archives nationales (...), un homme de fer a cassé les chaînes qui l’entravent : une belle représentation révolutionnaire. Mais qu’en est-il de la libération du peuple seychellois aujourd’hui ? »9. Cette interrogation sur la réalisation effective de la liberté montre que le concept nous échappe et qu’il est difficile de le définir. Or, selon Paul Ricœur, le succès de sa compréhension indique « le chemin même de la libération »10. La définition de la liberté constitue un objectif politique. « La compréhension véritable des droits de l’homme n’est pas seulement une démarche théorique écrit Gregorio Peces-Barba. Elle a aussi une grande portée pratique, que ce soit du fait de sa fonction de régulation de la légitimité des systèmes politiques et des ordres juridiques ou parce qu’elle représente, pour de nombreuses personnes, une garantie de leur dignité, et un chemin, le chemin principal, vers la liberté et l’égalité »11. Préoccupation politique et sociale majeure de notre temps, cette aspiration à la liberté chute dans le formidable gouffre de perplexité que l’idée génère. Qu’est-ce que la Liberté ? 3. La définir, c’est d’abord esquisser quelques clarifications sémantiques. Comme l’a souligné Paul Ricœur, les nuances ne manquent pas, révélant au passage la richesse du langage courant et, par suite, toute la complexité de cerner sémantiquement la liberté12. La philosophie a aussi posé puis amélioré sa définition en énonçant que la liberté est une action qui, réalisée par un sujet libre, n’est pas limitée :

« caractère indéterminé de la volonté humaine ; libre arbitre »13. « La liberté, ajoute Ricœur, n’est

8 J.-J. ROUSSEAU, Du contrat social, présentation B. BERNARDI, Paris, GF-Flammarion, 2001, p. 46 (paru en 1762).

9 L. SERMET, Une anthropologie juridique des Droits de l’homme. Les chemins de l’océan Indien, préface d’Abdou DIOUF, postface de David ANNOUSSAMY, Paris, Éditions des archives contemporaines – Agence universitaire de la Francophonie, 2009, p. 208. Voir, également, la représentation d’un esclave (L’esclave à genoux) pieds et poings liés et enchaînés sur la couverture de l’ouvrage collectif (précité) de J. ANDRIANTSIMBAZOVINA, H. GAUDIN, J.-P. MARGUENAUD, S. RIALS, F.

SUDRE, (dir.), Dictionnaire des Droits de l’Homme, Paris, PUF, coll. « Quadrige », 1ère éd., 2008.

10 P. RICŒUR, « Liberté », in Encyclopædia Universalis, corpus n° 9, Paris, Encyclopædia Universalis France S.A., 1980, p. 979-985, spéc. p. 979. « Les droits de l’Homme, c’est d’abord l’affranchissement de l’individu de l’ignorance ». Cf. D.

MOUSSOKI,« Quels droits de l’homme ? », in D. MAUGENEST, P.-G. POUGOUE, (dir.), Droits de l’Homme en Afrique centrale, Colloque régional de Yaoundé (9-11 novembre 1994), Yaoundé-Paris, Éditions UCAC et Karthala, coll.

« Hommes et Sociétés », 1996, p. 57-66, spéc. p. 65 ; dans le même ordre d’idées, « c’est par un enseignement des droits de l’homme dès l’école et une éducation à leur pratique que l’on peut espérer faire advenir un monde où ces droits puissent passer de la proclamation à la réalisation ». Cf. P. WACHSMANN, « Enseignement des libertés et des droits de l’homme », in J. ANDRIANTSIMBAZOVINA et alii, (dir.), Dictionnaire des Droits de l’Homme, op. cit., p. 371-372, spéc. p. 372.

11 G. PECES-BARBA MARTINEZ, Théorie générale des droits fondamentaux, traduction L. A. PELE,présentation S. NAÏR, préface d’André-Jean ARNAUD, Paris, L.G.D.J, coll. Droit et Société, n° 38, 2004, p. 21.

12 P. RICŒUR, préc., p. 980 : « le langage habituel, à cet égard, en sait plus long que toute la philosophie ; il dispose de toute une batterie d’expressions pour dire non seulement l’opposition du libre et du non-libre, mais les innombrables nuances qui marquent les degrés de la liberté ; il est intéressant, à cet égard, d’ausculter le langage des excuses ; dire que l’on a fait quelque chose intentionnellement, par inadvertance, sans le faire exprès, malgré soi – autant d’expressions qui modulent la signification de l’action du point de vue des degrés de liberté ». Sur cette « polysémie » du vocable, S. ETOA, Le passage des « libertés publiques » aux « droits fondamentaux » : Analyse des discours juridiques français, doctorat de droit, Université de Caen Basse-Normandie, imprimé, 2010, p. 76-77.

13 Cf. Le nouveau Petit Robert de la langue française, Paris, Dictionnaires Le Robert – SEJER, 2009, p. 1452 (l’acception philosophique naît au IVème siècle).

(11)

aucunement une entité, une espèce d’être ; c’est un caractère, exprimé par un adjectif, qui s’attache à certaines actions humaines »14. La liberté est une action qui ne connaît donc pas non plus de limite extérieure. Elle serait une capacité d’agir totale que ni l’entendement humain, ni l’environnement physique ne seraient en mesure de borner. Sous réserve de ce que l’homme est physiquement capable de faire et intellectuellement apte à concevoir et à faire, la liberté lui ouvre un champ des possibles infini et indéterminable15.

4. Mais déjà on pressent un premier hiatus : l’homme n’est-il pas « libre » d’asservir autrui, de détruire la liberté du genre humain ? Cela n’est pas improbable. Car s’il y a « une véritable permanence de l’aspiration humaine à la liberté, qui traverse allègrement les époques et réunit les courants de pensée les plus divers », c’est « en justifiant les actes les plus opposés » (nous soulignons)16. Cependant, l’évolution du sens du mot liberté semble nuancer la contradiction selon laquelle la liberté, en se réalisant, se retournerait contre elle. Au milieu du XIVème siècle, le concept de liberté semble limiter l’action du sujet : il devient un « pouvoir d’agir, au sein d’une société organisée, selon sa propre détermination, dans la limite de règles définies »17. La novation sémantique, introduite par la suite au cours du XVIème siècle, ne doit pas masquer cette réalité : si la liberté est « absence de contrainte », autrement dit, une « possibilité », un « pouvoir d’agir sans contrainte »18, c’est que les limites – qui pourraient paraître au premier abord supprimées par l’adjonction des termes « sans contrainte » – sont intégrées aux vocables « possibilité » et « pouvoir »19. Une action libre peut ontologiquement tout faire – possibilité et pouvoir – sauf nier la liberté car l’alternative est la suivante : soit cette action libre nie la liberté et recrée une contrainte et, ainsi, contrarie sa propre définition sous l’angle de « l’absence de contrainte » ; soit elle peut nier la liberté et, pour ne pas

14 P. RICŒUR, « Liberté », préc., p. 979-980. Ce n’est que bien plus tard (début du XIVème siècle) que le sens commun est venu compléter cette définition de la liberté-action par une liberté-état : la liberté est alors définie comme l’« état d’une personne physiquement libre » ou la « situation d’une personne qui n’est pas sous la dépendance absolue de quelqu’un » (cf. Le nouveau Petit Robert de la langue française, op. cit., p. 1452).

15 « Sa conscience et sa volonté [distinguent l’Homme] invinciblement de son environnement et lui permettent, dans une certaine mesure, d’agir délibérément sur ce dernier comme sur lui-même ; et ce sont elles qui fondent sa liberté ». Cf. É.

PICARD, « L’émergence des droits fondamentaux en France », AJDA n° spécial, 1998, p. 6-42, spéc. p. 30.

16 Cf. V. SAINT-JAMES, La conciliation des droits de l’homme et des libertés en droit public français, Paris – Limoges, PUF, coll. Publications de la Faculté de Droit et des Sciences Économiques de l’Université de Limoges, 1995, p. 5.

17 Cf. Le nouveau Petit Robert de la langue française, op. cit., p. 1452.

18 Ibid.

19 Les deux vocables, s’ils ont une portée commune du point de vue de la définition de la liberté, ne sont pas synonymes ici. La possibilité (« caractère de ce qui peut se réaliser ») est le champ des possibles ouvert au sujet libre considéré indépendamment de lui. Ce champ d’action lui interdit seulement l’impossible. Le pouvoir (« le fait de pouvoir, de disposer des moyens naturels ou occasionnels qui permettent une action ») est un autre champ des possibles ouvert, cette fois, en considération du sujet libre. Ai-je la capacité, la faculté ou l’aptitude, de réaliser telle action. Dans le premier cas, la liberté est bornée en raison d’une impossibilité physique liée à notre environnement extérieur. Dans le second cas, cette même liberté est bornée par notre incapacité – qui nous est propre – à réaliser l’action envisagée. Sur ces précisions sémantiques, voir Le nouveau Petit Robert de la langue française, op. cit., respectivement p. 1975-1976 et p. 1990-1991.

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contredire sa définition, la « possibilité » ou le « pouvoir » d’agir sont les manifestations lexicales de l’inhérence de limites à la liberté20.

5. Dans ce contexte, la conceptualisation de la liberté pose un premier paradoxe sémantique : une action libre n’est jamais totalement libre. Aussi pour concrétiser la liberté convient-il de lever ce paradoxe. Nous pouvons suggérer son dépassement à la condition, d’abord, de rendre compte de ce que la liberté est à l’origine21 d’un conflit – ce que nous appelons le conflit originel – qui oppose la liberté du sujet à la liberté de tous (Section 1ère). La résolution de ce conflit, ensuite, – par la préférence donnée à la coordination de la liberté du sujet et de la liberté de tous – passe par un arbitrage que l’on peut confier à l’intérêt général (Section 2ème).

Section 1ère : Liberté du sujet contre liberté de tous : le conflit originel

6. Le siècle des Lumières22 a permis de redécouvrir et d’affirmer que l’homme est né libre23. Aussi reconnaître à tous les hommes qu’ils sont des sujets libres suppose qu’ils peuvent chacun agir à leur guise. Cette liberté d’action postulée conduit inévitablement à un conflit ; elle en est la prémisse (§1.).

On peut alors en déduire l’inéluctabilité du conflit originel en tirant une conclusion qui s’impose : la nécessité de la liberté de tous (§2.).

20 En ce sens, cet éclairage de P. RICŒUR, « Liberté », préc., p. 980 : « pour le langage ordinaire, liberté et contrainte ne sont pas des absolus séparés par un fossé infranchissable, ce sont deux pôles auxquels nous référons tous les degrés du

"libre" et du "moins libre", du "contraint" et du "moins contraint" ».

21 Nous l’employons dans le sens que François Rangeon en donne très précisément : « Le concept d’origine, même employé au pluriel, évoque quant à lui l’idée d’un commencement absolu, d’une cause première qui, par dérivations et transformations successives, aurait donné naissance à une réalité présente. En histoire des idées, le retour aux origines a souvent joué un rôle méthodologique et explicatif comparable à celui joué par "l’état de nature" dans les philosophies politiques des XVIIe et XVIIIe siècles. La recherche des origines tend souvent à réduire l’explication du divers à une cause unique et déterminante ». Cf. F.RANGEON, L’idéologie de l’intérêt général, préface de Georges VEDEL, Paris, Economica, coll. Politique comparée, 1986, p. 34.

22 Car « si l’on ne peut dater la naissance de la revendication des droits, on peut en relever des manifestations fort anciennes, balbutiements plus que systématisation » laisse entendre le professeur Mourgeon, exemples historiques à l’appui dont le plus ancien est la « préoccupation de Hammourabi, fondateur de Babylone il y a trente-six siècles, de "faire éclater la justice pour empêcher le puissant de faire tort au faible" (...) ». Cf. J. MOURGEON, Les droits de l’homme, Paris, PUF, coll. Que sais-je ?, 8ème éd., 2004, p. 21. Estimant pour sa part qu’il n’est guère possible de remonter au-delà de l’Antiquité, Laurent Fonbaustier indique que « les sociétés grecque et romaine [constituent], pour qui souhaite reconstruire une histoire des droits fondamentaux, la référence première où s’entrelacent l’histoire et le mythe ». Cf. L. FONBAUSTIER,

« Antiquité (Apports de l’) », in D. CHAGNOLLAUD, G. DRAGO, (dir.), Dictionnaire des droits fondamentaux, Paris, Dalloz, 2ème éd., 2010, p. 13-19, spéc. p. 13.

23 Il n’est sans doute pas non plus fortuit que « l’intérêt général ne [soit] devenu d’un usage courant qu’à partir du XVIIIe siècle » (cf. F.RANGEON, op. cit., p. 32).

(13)

§1. – Le postulat de la liberté du sujet : la prémisse du conflit originel

7. Le fait que la liberté soit « souvent présentée » à la fois comme un « objet de conquête » et « une réalité "inaliénable" »24 suscite l’étonnement voire un certain malaise. Frédéric Laupies estime en effet que la liberté prétendument donnée demeure discutée. « Si elle est à conquérir, elle n’est pas déjà donnée ; si, en revanche, elle est inaliénable, elle est toujours déjà là. Ces deux pôles induisent à leur tour des contradictions : si on la tient pour inaliénable, sa défense apparaît inutile et contradictoire ; si on la défend, elle peut être tenue pour une réalité fragile, voire contingente et relative »25. N’est-il pas dès lors prudent de tenter de lever cette double contradiction puisque le consensus à peine énoncé est déjà fragilisé ?

8. Selon Philippe Ségur, « au commencement étaient les devoirs et non les libertés (…). L’histoire des libertés s’écrit alors en creux, à partir de leur négation »26. La liberté est le résultat d’une conquête de l’homme sur l’homme : « l’histoire des droits de l’Homme est dominée par l’écartèlement de la personne entre l’obéissance et la délivrance. Mais dans cette histoire, le devoir précède le droit.

L’homme, soumis à des devoirs envers l’autorité, conquiert progressivement ses droits »27. Dans cette mesure, 178928, en France, constitue une rupture théorique – ou « le point de départ symbolique »29 avec l’Ancien Régime dès lors qu’en plaçant l’individu au cœur de la société, on inverse la logique précédente pour postuler la liberté. Avancer cette date pourrait paraître arbitraire si nous ne redisions pas qu’elle procède d’héritages multiples. Laurent Fonbaustier introduit la présentation de la Déclaration des droits de 1789 en soulignant les multiples héritages qu’elle recueille : « l’esprit de 1789 n’en est pas moins le résultat d’un subtil mélange où s’entremêlent, outre un héritage antique déjà revisité par la Renaissance, la pensée chrétienne, le droit naturel et le droit des gens, le tout retravaillé par la philosophie des Lumières »30. Imposer cette date pourrait aussi sembler péremptoire si nous ne rappelions qu’il s’agit de vérifier, à l’aune de cet événement, une première intuition et que

24 F. LAUPIES, La liberté, Paris, PUF coll. Que sais-je ?, 2004, p. 5.

25 F. LAUPIES, op. cit., p. 6.

26 P. SEGUR, « La dimension historique des libertés et droits fondamentaux », in R. CABRILLAC, M.-A. FRISON-ROCHE, T.

REVET, (dir.), Libertés et droits fondamentaux, Paris, Dalloz, 11ème éd., 2005, p. 7-26, spéc. p. 7. Quant à l’émergence des droits de l’homme dans l’espace social, J. MOURGEON, Les droits de l’homme, op. cit., p. 21-29.

27 P.-G. POUGOUE, « Lecture de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples », in D. MAUGENEST, P.-G.

POUGOUE, (dir.), Droits de l’Homme en Afrique centrale, op. cit., p. 31-45, spéc. p. 36.

28 Confirmant le propos, voir M. AGULHON, « La conquête de la liberté », préc., p. 7 : selon l’auteur, l’avènement de la liberté remonte, en France, à la Révolution française : « C’est de cette dernière que nous, Français, sommes les descendants, ou les élèves, ou les produits, comme on voudra dire » ; même datation pour J. MOURGEON, Les droits de l’homme, op. cit., p. 29 ; Étienne Picard, enfin, voit dans la Déclaration de 1789 « l’acte fondateur de notre ordre juridique » (cf. É. PICARD, « L’émergence des droits fondamentaux en France », préc., p. 30).

29 P.DUCOULOMBIER, Les conflits de droits fondamentaux devant la Cour européenne des droits de l’homme, doctorat de droit, Université Robert Schuman – Strasbourg III, imprimé, 2008, p. 21.

30 L. FONBAUSTIER, « Déclaration des droits de l’homme et du citoyen », in D. CHAGNOLLAUD, G. DRAGO, (dir.), Dictionnaire des droits fondamentaux, op. cit., p. 196-206, spéc. p. 197.

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1789 constitue « un moment devenu l’instrument historique d’un discours sur les origines, transformé en point de condensation de diverses tentatives de "fondation" »31. La liberté devient un caractère propre de l’Homme grâce, notamment, à la large publicité dont a bénéficié la théorisation des penseurs du XVIIIème siècle dont nous nous réclamons pour expliquer politiquement le saisissement de la liberté par le droit. La liberté, c’est naïvement une faculté positive, la capacité d’agir sans contrainte. Si « en appeler à une évidence intrinsèque des droits de l’Homme est une solution paresseuse qui relève d’une illusion culturelle »32, pour autant, entreprendre de proposer une ou plusieurs significations de la liberté est un exercice éminemment philosophique et telle n’est pas l’ambition de ce paragraphe33.

9. Il reste néanmoins que de ne pas parvenir à poser une définition exacte de la liberté n’est pas un obstacle insurmontable pour mener notre analyse, comme nous l’indique Michael Freeden : « Si

"liberté" est un terme indéterminé et contestable, il faut alors abandonner la recherche d’une définition correcte. Mais si l’on rejette une telle approche essentialiste et universelle, notre compréhension peut s’en trouver améliorée »34. Par conséquent, la liberté ne saurait être résumée à sa seule essence. Se borner à proposer une définition essentielle de la liberté aboutirait, à vrai dire, à paradoxalement nier son existence puisque faute de trouver une définition à un objet, il faudrait conclure que cet objet n’existe pas. Pour constater qu’elle existe, il faut pouvoir s’attacher à ses manifestations empiriques, lesquelles traduisent son essence. C’est la liberté relative, celle de notre monde, « s’exprimant par rapport aux autres hommes et au sein d’une société (…) »35. C’est la liberté dont seul le Droit peut s’occuper : « le droit est une discipline sociale. Seuls relèvent de lui les rapports de l’homme avec les autres hommes et la société. Dès lors, il abandonne au philosophe les aspects du problème de la liberté étrangers à son objet propre » (italique dans le texte)36. La réflexion en droit ne peut porter que sur l’existence de la liberté perceptible en tant qu’objet social : « réfléchir sur la liberté, c’est réfléchir sur les conditions de sa réalisation dans la vie humaine, dans l’histoire, au plan des institutions »37.

31 L. FONBAUSTIER, « Déclaration des droits de l’homme et du citoyen », in D. CHAGNOLLAUD, G. DRAGO, (dir.), Dictionnaire des droits fondamentaux, op. cit., op. cit., p. 196.

32 A. LE GUYADER, « La question philosophique d’un noyau dur des droits de l’Homme », in D. MAUGENEST, P.-G.

POUGOUE, (dir.), Droits de l’Homme en Afrique centrale, op. cit., p. 249-265, spéc. p. 259.

33 Denis Maugenest prévenait de l’ampleur de la tâche en citant Paul Valéry dissertant sur la liberté, « un de ces détestables mots qui chantent plus qu’ils ne parlent, qui demandent plus qu’ils ne répondent ; un de ces mots qui ont tous les métiers…

Mots très bons pour la dialectique, l’éloquence, aussi propres aux analyses illusoires qu’aux fins de phrase qui déchaînent le tonnerre ». Cf. D. MAUGENEST, « Ouverture », in D. MAUGENEST, P.-G. POUGOUE, (dir.), Droits de l’Homme en Afrique centrale, op. cit., p. 7-10, spéc. p. 9. Mais « en tant que réflexion sur l’homme, son action et son essence, la philosophie ne peut être ignorée des juristes » (italique dans le texte) rappelle Jean-Luc Aubert dans J.-L. AUBERT, Introduction au droit et thèmes fondamentaux du droit civil, Paris, Dalloz, coll. « U », 7ème éd., 1998, p. 48. Précisément, pour un travail en ce sens, G. PECES-BARBA MARTINEZ, Théorie générale des droits fondamentaux, op. cit., p. 206 et s.

34 M. FREEDEN, « Entre libéralisme et socialisme », Pouvoirs 1998/1, n° 84, p. 45-59, spéc. p. 45-46.

35 F. TERRE, « Sur la notion de libertés et droits fondamentaux », in R. CABRILLAC, M.-A. FRISON-ROCHE, T. REVET, (dir.), Libertés et droits fondamentaux, op. cit., p. 3-6, spéc. p. 3.

36 J. RIVERO, H. MOUTOUH, Libertés publiques, t. 1, Paris, PUF, coll. Thémis, 9ème éd., 2003, p. 5-6.

37 P. RICŒUR, « Liberté », préc., p. 979.

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10. Il s’agit de vérifier l’existence du concept de liberté en interrogeant la réalité observable. Nous effectuons un acte de connaissance cherchant la liberté le plus objectivement qu’il nous soit possible de le faire. On opère alors un retour à la première conception historique de la liberté : la liberté est-elle une réalité sensible ? Mais ce retour à une conception fondée sur l’expérience de la liberté ne prétend pas, non plus, s’inscrire dans une forme de déterminisme puisque l’observation tend uniquement à attester l’existence de la liberté, et non son essence38. Pour percevoir la liberté, il faut donc admettre qu’elle est une réalité sensible, que l’on peut en faire l’expérience empirique39, soit qu’elle soit éprouvée, en tant qu’elle ordonne nos actions, par l’être pensant : « c’est là le premier degré de la liberté soutient Paul Ricœur : être capable, non seulement de "souffrir", de "subir" ses désirs, mais de les porter au langage en énonçant le caractère de désirabilité qui leur est propre et en soumettant au calcul des moyens et des fins l’enchaînement de l’action » (italique dans le texte)40 ; soit que la liberté soit un « fait social », au sens durkheimien41, en tant qu’elle participe à un phénomène observable situé à l’extérieur de « la conscience individuelle » de chacun sans pour autant être considéré comme un « phénomène organique » propre aux lois de la physique42. La définition existentielle de la liberté est alors le fruit d’un faisceau d’indices qu’ont révélé et synthétisé les deux théories du droit naturel43, l’une dite classique, l’autre moderne44. C’est toutefois la liberté de la théorie moderne du droit naturel que retiendront les Révolutionnaires de 1789 en déclarant que « les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit »45. En somme, nous prenons acte d’une réalité, la réalité de la liberté.

11. Elle est là telle une évidence : « Sans conteste, "l’homme est né libre", dans une liberté évidente, identifiable comme naturelle puisque se manifestant dès le premier geste, dès le premier son signifiant un oui ou un non »46. Frédéric Laupies énumère ainsi les trois conditions d’existence de la liberté,

38 Nous l’avons dit, avec Paul Ricœur, « appeler une action libre, c’est exclure une certaine sorte d’explication qui ferait vibrer un autre réseau, celui de l’événement observable dans la nature ». Cf. P. RICŒUR, « Liberté », préc., p. 981.

39 Ce que Gilles Lebreton identifie à « la définition politique » de la liberté. Cf. G. LEBRETON, Libertés publiques et droits de l’Homme, op. cit., p. 12-13. On s’est référé à la synthèse un « peu arbitraire », selon les mots mêmes de son auteur, de Jean-Luc Aubert dans J.-L. AUBERT, Introduction au droit et thèmes fondamentaux du droit civil, op. cit., p. 19-20.

40 P. RICŒUR, « Liberté », préc., p. 981.

41 « Est fait social toute manière de faire, fixée ou non, susceptible d’exercer sur l’individu une contrainte extérieure » (italique dans le texte). Cf. É. DURKHEIM, Les règles de la méthode sociologique, Paris, PUF, coll. « Quadrige », 9ème édition, 1997, p. 14 (première parution en 1937).

42 Sur cette précision du fait social, É. DURKHEIM, op. cit., p. 5.

43 Nous nous sommes reporté : à la synthèse de J. KISSANGOULA, « Jusnaturalisme », in J. ANDRIANTSIMBAZOVINA et alii, (dir.), Dictionnaire des Droits de l’Homme, op. cit., p. 570-573, spéc. p. 571-572 ; ainsi qu’à l’analyse critique de G.

PECES-BARBA MARTINEZ, Théorie générale des droits fondamentaux, op. cit., p. 24-26.

44 Et sans doute un peu dogmatique et ethno-centrée : « L’expression "droits naturels", quand elle est utilisée au sens moderne, n’a, il faut l’avouer, qu’un caractère purement incantatoire : mythique et mystique. Il est par ailleurs assez facile de voir que toutes ces déclarations sont d’origine occidentale et véhiculent avec elles, volens nolens, toute une vision historiquement datable et géographiquement localisable de la nature humaine et de la politique. La difficulté de leur

"réception" par d’autres cultures est bien connue ». Cf. A. SERIAUX, L. SERMET, D. VIRIOT-BARRIAL, Droits et libertés fondamentaux, Paris, Ellipses, 1998, p. 15.

45 Article 1er de la Déclaration des droits de 1789. Sur ce point, faisons état de la remarque de M.-P. DESWARTE, « Intérêt général, bien commun », RDP 1988, p. 1289-1313, spéc. p. 1301, qui voit dans la même parenté latine (natura) qu’entretiennent les termes de naissance et de nature une illustration du lien extrêmement étroit entre liberté et nature humaine.

46 J. MOURGEON, Les droits de l’homme, op. cit., p. 61.

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conditions étrangères à toute filiation théologique, en proposant une définition immanente : « Le sujet est assez identique à lui-même dans le devenir pour être apte à se projeter ; le déterminisme de la nature n’a pas une extension telle qu’il rende impossible toute action délibérée ; enfin, l’acte par lequel le sujet se détermine ne peut être assimilé à une cause contraignante » (italique dans le texte)47. Cependant, qu’elle soit immanente ou transcendantale, que l’Homme saisisse la liberté ou que la Liberté saisisse l’homme, il demeure ce fait constant : la relation conceptuelle entre l’Homme et la Liberté est établie. Puisqu’elle est le propre de l’Homme, qu’il ne peut y renoncer, sauf à renoncer à son existence, « la défense de la liberté comme forme de l’humain doit donc être sans condition »48. 12. « Mais son usage ne peut pas être lui-même absolutisé »49 à moins de vouloir compromettre l’existence de la liberté. Dans la perspective logique ainsi créée par la liberté, pourvu que la prémisse soit acceptée, il faut admettre l’égale liberté humaine. « Comment douter alors que nous ne soyons [pas] tous naturellement libres, puisque nous sommes tous égaux ? »50. Autrement dit, les conditions du conflit originel sont désormais posées puisque la liberté du sujet conduit à reconnaître la liberté de tous.

§2. – La nécessité de la liberté de tous : l’inéluctabilité du conflit originel

13. Le postulat de départ – la liberté du sujet – conduit inexorablement à la conséquence que la liberté de tous est nécessaire. Mais cette nécessité d’ordre logique aggrave le contexte conflictuel dans lequel se meut l’exercice de la liberté. L’égale liberté de tous rend ce conflit inéluctable. Peut-on le résoudre ? Doit-on le résoudre ? Être contraint de résoudre ce conflit suppose, en premier lieu, qu’on ne peut s’y soustraire. Précisément, les caractères de la liberté humaine, sa définition acceptée, montrent qu’admettre la liberté implique l’égalité entre les individus. C’est à cette double condition, liberté-attribut et égalité-corrélat, que se trouve confirmé le conflit inéluctable. Il naît du télescopage de l’exercice de leurs libertés par des êtres égaux.

14. L’homme isolé, et dans son droit d’agir comme il l’entend, est libre. La liberté, entendue philosophiquement – autrement dit comme un pur fait – est théoriquement illimitée. Cependant, sitôt

47 F. LAUPIES,La liberté, op. cit., p. 94.

48 F. LAUPIES, op. cit., p. 125. Également, É. DE LA BOETIE, Discours de la servitude volontaire, traduction (français moderne) et postface Séverine AUFFRET, Paris, Mille et une nuits, 1995, p. 16-17, spéc. p. 17 : « La liberté est donc naturelle ; c’est pourquoi, à mon avis, nous ne sommes pas seulement nés avec elle, mais aussi avec la passion de la défendre ». Publié en 1576, son manuscrit fut rédigé vraisemblablement à dix-huit ans, soit en 1548 selon S. AUFFRET, dans sa postface à l’œuvre, « Comète », in É. DE LA BOETIE, op. cit., p. 51.

49 F. LAUPIES,op. cit., p. 125.

50 É. DE LA BOETIE, op. cit., p. 17.

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qu’est admise la liberté de l’Homme, sont admises, de plano, les libertés des hommes, la liberté de tous. Cela tient à l’énoncé même51. Si tous les hommes sont libres, alors ce sont des êtres également libres. Leur égalité découle de leur liberté dès l’état de nature52. Symétriquement on comprend qu’« une liberté totale tuerait l’égalité au profit des plus forts (...) »53. On peut s’appuyer sur le propos de Kant pour expliciter les conséquences de la liberté54. L’auteur de la Doctrine du droit rappelle qu’

« il n’y a qu’un seul et unique droit inné » (italique dans le texte)55 : « La liberté (comme indépendance vis-à-vis de l’arbitre contraignant d’un autre individu), dans la mesure où elle peut coexister avec la liberté de tout autre suivant une loi universelle, est cet unique droit originaire qui appartient à tout homme en vertu de son humanité »56. Mais il ajoute immédiatement que cette liberté s’accompagne de « l’égalité innée, c’est-à-dire l’indépendance qui consiste à ne pas être obligé par les autres à davantage que ce à quoi on peut aussi réciproquement les obliger, par conséquent la qualité de l’être humain qui réside dans le fait d’être son propre maître (sui juris), en même temps que celle d’un homme intègre (justus), parce que, avant tout acte juridique, il n’a rien fait d’injuste, enfin aussi la faculté de faire envers d’autres ce qui en soi n’amoindrit en rien ce qui leur revient, pourvu qu’ils ne veuillent pas l’admettre (…) : toutes ces facultés d’agir sont déjà inscrites dans le principe de la liberté innée et n’en sont pas réellement distinctes (…) » (italique dans le texte)57. C’est une illustration de ce que chez Kant liberté et égalité sont logiquement associées, l’égalité découlant nécessairement de la liberté. Si tous les hommes sont libres, alors ils sont forcément égaux. Il n’existe qu’un seul droit à la liberté, lequel inclut nécessairement le principe d’égalité. « En d’autres termes, l’équilibre social, fondé sur un principe moteur individuel et inné, la liberté, est compensé par un principe régulateur social, l’égalité. La doctrine réactualise la pensée de Kant en se référant à une contraction sémantique inédite : "l’Égaliberté"58 »59. L’état de nature, état de liberté pour l’homme disait Locke60, « est aussi un état d’égalité ; en sorte que tout pouvoir et toute juridiction est réciproque, un homme n’en ayant

51 Mais pas exclusivement puisque les apports sont disparates. Ainsi le christianisme rend compte de l’égalité sans faire immédiatement appel à la liberté. En effet, il « n’admet aucune différence de nature entre les hommes. Il peut y avoir des diversités accidentelles de fonction, de situation, de nationalité, de race ; il n’y en pas quant à l’humanité. Tout homme est également fils de Dieu » (nous soulignons). Cf. G. LESCUYER, Histoire des idées politiques, Paris, Dalloz, coll. Précis, 14ème éd., 2001, p. 121.

52 Cet état théorique, concept élaboré par les théoriciens contractualistes, où l’Homme se serait trouvé avant l’instauration d’une contrainte socialement organisée.

53 D. TRUCHET, Le droit public, Paris, PUF, coll. Que sais-je ?, 2003, p. 72.

54 Voir en particulier E. KANT, Doctrine du droit, op. cit., in Métaphysique des mœurs, t. II, présentation et traduction A.

RENAUT, Paris, GF-Flammarion, 1994, p. 25-27 (paru en 1797).

55 Kant définit ce qu’est un « droit inné » comme étant « le droit qui appartient à chacun par nature, indépendamment de tout acte juridique (…) ». Cf. E. KANT, op. cit., p. 25-26.

56 E. KANT, op. cit., p. 26.

57 E. KANT, op. cit., p. 26-27.

58 Dont la paternité revient à Étienne BLIBARD, « Une philosophie des droits du citoyen est-elle possible ? Réflexions sur l’Égaliberté », RUDH 2004, p. 2-6, évoqué par L. SERMET, Une anthropologie juridique des Droits de l’homme. Les chemins de l’océan Indien, op. cit., p. 198.

59 L. SERMET, ibid. Voir également, H. KELSEN, La démocratie : sa nature, sa valeur, traduction C. EISENMANN, Paris, Sirey, 1932, p. 2 (première édition, en allemand, en 1929), rappelant « de la façon la plus catégorique » que l’égalité dont il s’agit, ici, est forcément une égalité formelle (p. 104-105).

60 Après avoir qualifié l’état de nature d’« état de parfaite liberté » (p. 143 § 4), Locke souligne aussi que « tous les hommes sont naturellement dans cet état ». Cf. J. LOCKE, Traité du gouvernement civil, traduction D. MAZEL, présentation S. GOYARD-FABRE, Paris, GF-Flammarion, 1992, p.154 § 15 (paru en 1690).

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pas plus qu’un autre. Car il est très évident que des créatures d’une même espèce et d’un même ordre, qui sont nées sans distinction, qui ont part aux mêmes avantages de la nature, qui ont les mêmes facultés, doivent pareillement être égales entre elles, sans nulle subordination ou sujétion (…) » (italique dans le texte)61. L’égalité, comme limite inhérente à la liberté, est cependant, faute de règle commune garantissant cette limite, source de conflits.

15. Ainsi Hobbes a-t-il pu souligner que l’égalité naturelle, c’est-à-dire « cette égalité des aptitudes engendre l’égalité dans l’espérance que nous avons de parvenir à nos fins. Et donc, si deux humains désirent la même chose, dont ils ne peuvent cependant jouir l’un et l’autre, ils deviennent ennemis et, pour parvenir à leur fin (qui est principalement leur propre conservation et parfois seulement leur jouissance), ils s’efforcent de s’éliminer ou de s’assujettir l’un l’autre »62. Plus près de nous, le penseur américain John Rawls remarque de la même manière que dans une société « il y a conflit d’intérêts puisque les hommes ne sont pas indifférents à la façon dont sont répartis les fruits de leur collaboration, car, dans la poursuite de leurs objectifs, ils préfèrent tous une part plus grande de ces avantages à une plus petite »63. Résumons : « Égaux dans la capacité d’agir toujours pour soi et de réclamer toutes choses pour soi, les hommes sont nécessairement égaux aussi dans la capacité de s’infliger les uns aux autres des maux égaux, jusqu’au plus grand de tous, la mort (…) »64. L’égale liberté consacre l’inéluctabilité du conflit de libertés. Au-delà de la façade, il y a donc un désaccord sur la manière d’introduire la liberté dans le réel. La liberté du sujet – attribut ou qualité de l’homme – ne peut être qu’incertaine ou précaire ; la liberté effective doit être un projet social. « L’expérience humaine révèl[e] que les Droits de l’homme ne sont pas inhérents à la nature humaine ; ils sont le fruit d’une longue prise de conscience car rien n’est moins naturel que le respect d’autrui, du plus faible et de sa dignité... N’est-ce pas bien souvent la discrimination, l’exclusion, la prédation qui caractérisent les rapports humains ? »65.

16. Dorénavant identifiée, l’origine du conflit va peu à peu être appréhendée par l’homme. Ce n’est au fond qu’au prix du respect mutuel de la liberté de chacun que l’on parvient à respecter la liberté de tous. Impliquant l’égalité de jouissance, la vraie liberté, c’est-à-dire une liberté effective pour tous, ne

61 J. LOCKE, Traité du gouvernement civil, op. cit., p. 143 § 4. Cette lecture est sensiblement la même lorsque sont évoqués les fondements du droit international des droits de l’Homme : « Issu du postulat général de l’égale dignité de tous les êtres humains, posé par l’article 1 de la [Déclaration universelle des droits de l’Homme], le principe de non-discrimination est un principe matriciel de la protection internationale des droits de l’homme (…) ». Cf. F. SUDRE, Droit européen et international des droits de l’homme, Paris, PUF, coll. Droit fondamental, 9ème éd., 2008, p. 269.

62 T. HOBBES, Léviathan, présentation et traduction G. MAIRET, Paris, Gallimard, coll. Folio Essais, 2000, p. 222 (paru en 1651). « Une obligation sans retour est une éternelle servitude, ce qui, entre égaux, suscite la haine » (p. 190).

63 J. RAWLS, Théorie de la justice, traduction C. AUDARD, Paris, Éditions Points, coll. Essais, 2009, p. 30 (paru en 1971).

64 M. PECHARMAN, « Droit naturel (Doctrines modernes du) », in J. ANDRIANTSIMBAZOVINA et alii, (dir.), Dictionnaire des Droits de l’Homme, op. cit., p.313-318, spéc. p. 314.

65 L. SERMET, Une anthropologie juridique des Droits de l’homme. Les chemins de l’océan Indien, op. cit., p. 18.

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