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L'âge de la mère au premier enfant

L A TRAJECTOIRE DE JEUNESSE DES ENFANTS DE PARENTS SEPARES

Chapitre 3 L A PERMANENCE DES DIFFICULTES D ’ ACCES AU DIPLOME DES ENFANTS DE FAMILLES DISSOCIEES 1

I- La relation entre les trajectoires familiales de l’enfance et le niveau de diplôme

4/ L'âge de la mère au premier enfant

La biographie des enfants n’est pas celle des parents et nous disposons par construction de peu d’informations biographiques sur la génération des parents. Un détour pour reconstituer la biographie de la mère est l’examen de son âge au moment du premier enfant. Le premier enfant apparaît comme une étape décisive de sortie de la jeunesse. Sortir socialement de la jeunesse alors que l’on est encore jeune pour l’état civil peut avoir de multiples conséquences, en particulier sur la stabilité conjugale du couple et donc sur la scolarité des enfants. L’écart d’âge entre la mère et son premier enfant permet d’apprécier la « carrière » du couple parental avant son éventuelle dissolution.

Les études quantitatives américaines qui traitent des effets de la famille incluent assez systématiquement comme facteur d'explication le statut matrimonial et l'âge de la mère au moment de la naissance du premier enfant4. Ces études montrent avec

4 Les sociologues américains de l'Ecole n'accordent pas la même importance que leurs homologues français à l'origine sociale. Dans les études américaines, il n'y a pas de mention à la notion de catégorie sociale. Le revenu est la seule variable approchante. Des résultats récents indiquent cependant qu’il

une remarquable constance que les femmes qui ont passé une partie de leur enfance en famille monoparentale ont plus souvent une première grossesse jeune, conçue hors mariage et connaissent des séparations conjugales plus fréquentes (McLanahan, Bumpass 1994). Sur le même registre, l'âge à laquelle la femme devient mère est aussi un bon indicateur des comportements éducatifs familiaux. Lorsque la mère a eu son premier enfant jeune, les modes d'éducation sont plus souples, moins rigoureux. Le parcours de jeunesse des enfants est aussi plus précoce et plus accidenté.

Il fallait vérifier les résultats américains montrant une moindre réussite scolaire des enfants des mères précoces5. Les données recueillies par l'INSEE ne comprennent cependant pas l'âge des frères et sœurs de la personne interviewée. L'âge de la mère au premier enfant n'est donc disponible que pour les seules personnes enquêtées qui sont les aînés de leur famille. Pour intégrer cette donnée dans le modèle général, il a donc fallu restreindre l'échantillon à cette population des aînés. Il est clair que la répartition de la taille de la famille d'origine des enquêtés aînés de familles n'est pas représentative de la taille de la famille de l'ensemble de l'échantillon. La probabilité d'être aînées est en effet plus forte dans les fratries de petite taille (Il n'y a qu'un aîné par famille !). En se limitant donc à l’échantillon des aînés, on sous-représente le poids des familles nombreuses. Pour cette raison, nous avons apporté une correction statistique de redressement de cet effet d’échantillonnage6.

serait plus précis d’intégrer systématiquement le revenu dans l’analyse des performances scolaires, en particulier afin d’éviter de sur-évaluer l’impact du capital scolaire hérité (Goux, Maurin 2000).

5Le statut matrimonial des parents au moment de la naissance de l'enfant n'a pas été recueilli dans les enquêtes INSEE et INED. Sur le modèle du recueil de date de séparation/divorce des parents, je suggère d'insérer une question sur la date de mariage ou de la mise en couple des parents dans ce type de questionnaire. Il est en effet fort possible que la mémoire des enquêtés retienne correctement cette date importante de l'histoire familiale.

6Par construction, le poids des aînés d'une famille nombreuse (4 enfants et plus) est égal au rapport de la part des familles nombreuses dans l'échantillon total sur la part des familles nombreuses dans

L’appréciation de la précocité parentale est délicate. Le premier enfant est de plus en plus tardif et l’âge des parents les plus jeunes ne cesse de croître. Ici, le seuil de 20 ans a été fixé pour repérer les mères les plus jeunes. Il permet de délimiter des groupes d’effectifs suffisants dans chaque milieu social. La génération des jeunes mères que nous étudions est née dans les années 1943-19577.

Tableau 3-4 Trajectoire familiale des aînés, âge de la mère à la naissance et réussite scolaire de l’enfant

Les mères les plus jeunes sont peu diplômées et d'origine modeste

Il existe de fortes interactions entre l'âge de la mère au premier enfant et son origine socioculturelle (Battagliola, Brown, Jaspard 1997). En milieu populaire, les mères

l'échantillon des aînés. Sur le même principe, une pondération est calculée pour les aînés des familles de 1,2 ou 3 enfants.

sont plus jeunes : 36% des aînés d'ouvriers ont un écart d'âge avec leur mère inférieur à 20 ans, ils ne sont que 20% dans ce cas en milieu cadre. De même dans tous les milieux sociaux, le niveau d'étude des mères précoces est très inférieur à la moyenne (Tableau 3-4).

Il y a aussi une liaison significative entre l'âge de la mère au premier enfant et la proportion de couples rompus avant les 18 ans de cet enfant. Le couple parental est plus instable lorsque la mère a eu son premier enfant jeune. Cette liaison coexiste avec le moindre niveau scolaire des mères plus précoces. Ainsi, bien que leur bagage scolaire soit moins important, les mères de familles précocement formées ont plus de risques de vivre une rupture conjugale. Les écarts entre deux classes d'âge au premier enfant sont très marqués en milieu ouvrier : 24% des mères avant 20 ans sont séparées du père de l'enfant contre 9% des mères entre 21 et 24 ans8 (Tableau 3-4). La jeune mère connaît plus fréquemment une rupture qui intervient aussi plus tôt. La probabilité de remise en couple est directement indexée sur l'âge auquel intervient la rupture (Villeneuve-Gokalp 1994). Les aînés vivent donc d'autant plus souvent une recomposition familiale que l'écart d'âge avec leur mère est faible9.

7 Pour la génération 1952-56, F. Battagliola, E. Brown et M. Jaspard (1997) retiennent un seuil très proche de 21 ans pour définir les mères jeunes.

8En milieu ouvrier, un premier enfant tardif (après 30 ans) sera plus souvent élevé en structure monoparentale (16%). La particularité statistique ne semble pas anecdotique et révèle un comportement très spécifique de l'alliance matrimoniale en monde ouvrier. Le premier enfant après trente ans est rare dans la génération des mères de nos enquêtés. Le passé conjugal de la femme sans enfant de trente ans est plus complexe et plus lourd de significations que celui de la femme de 20 ans. En milieu ouvrier peu

Beaucoup de facteurs concourent donc à ce que les enfants de mères précoces connaissent une scolarité raccourcie : origine sociale moins favorable, faible héritage scolaire, forte proportion de dissociations parentales. Par delà ces corrélats, existe-t-il un effet spécifique de la précocité maternelle ? La question n'est pas anodine pour l'objet de cette étude. Car si l'effet négatif sur la scolarité des enfants, d'une première maternité précoce de leur mère est avérée toutes choses égales, cela signifie que le développement individuel insuffisant de la mère et une certaine immaturité limitent son discernement en matière d'éducation aux diverses étapes du développement de l'enfant. Si au surplus, l'effet de la maternité précoce de la mère supplante et annule l'effet de la trajectoire familiale alors on pourra imputer les problèmes scolaires aux seules conditions de formation du couple parental plutôt qu'à celles de sa « déformation » qui seront alors le simple produit d'une conjugalité immature.

A contrario, si la confrontation des deux facteurs montre une corrélation plus solide des trajectoires familiales avec les résultats scolaires, alors l'association de la précocité de la première maternité avec les mauvais résultats scolaires est une illusion qui traduit la plus forte instabilité des couples formés jeunes et l'impact négatif de la rupture de ces couples.

Précarité de la jeune mère et précarité de la scolarité des enfants

Le modèle précédent (dont les résultats figurent au tableau 3-3) a donc été affiné pour calculer sur l'échantillon des aînés la liaison, «toutes choses égales par

sont compartimentées. (Voir Caradec V., 1996, «Les formes de la vie conjugale des «jeunes» couples

«âgés»», Population 4-5 p. 897-928). Il s'agit donc dans ce cas plus d'une recomposition conjugale que d'une recomposition familiale.

ailleurs », entre l'âge de la mère lors de la naissance de l'enfant et ses résultats scolaires10. Les résultats (tableau 3-5) vont dans trois directions :

1/ L'influence de l’âge de la mère est forte pour la réussite des enfants au niveau de diplôme intermédiaire (bac) mais beaucoup moins nette pour l'obtention d'un premier diplôme. Toutes choses égales, plus l'écart d'âge des diplômés avec leur mère est important plus leurs chances d'atteindre le bac sont grandes. Pour l'obtention d'un premier diplôme, être enfant d'une mère très jeune (17 ans et moins à la naissance) est un facteur très pénalisant. Mais ces cas sont marginaux en nombre (5,8% de l'échantillon des aînés) et la corrélation est peu prononcée.

D’une part, la mère pourra écourter souvent ses études lors de l'arrivée du premier enfant. D’autre part, certaines maternités à un jeune âge sont désirées. Elles résultent du choix d’une « carrière familiale », plutôt que d’une activité professionnelle lorsque les perspectives ne sont pas bonnes (Le Van 1998). La maternité précoce est lourde de significations sociales. L'allongement des études et le recul de l'âge au premier enfant sont des évolutions socio-démographiques marquées (Lévy 1996) qui forgent pour les femmes de nouvelles normes de sortie de la jeunesse.

Par ailleurs, une maternité trop précoce révèle aussi bien souvent un mauvais apprentissage des formes de contraception et une insuffisante connaissance des circuits médicaux de l'avortement. Les normes de régulation des naissances sont aujourd'hui très diffusées dans les jeunes générations de femmes. Avoir un enfant avant 20 ans est désormais l'exception. Il est possible qu'une certaine stigmatisation pèse aujourd’hui sur les plus jeunes mères. Du fait de leur situation familiale, leur accès au système éducatif et au monde du travail est limité. De plus, la condition de parent se prépare. Le désir d'enfant des femmes les plus jeunes est sans doute moins intense. Ceci peut engendrer par la suite des troubles relationnels et un moindre

10On a dû limiter l'étude aux deux premiers niveaux de diplôme : 1/ être diplômés 2/ être Bachelier sachant que l'on a obtenu un premier diplôme inférieur. L'échantillon des Bacheliers aînés de famille est trop restreint pour tirer des conclusions fiables sur la probabilité d'accès au niveau scolaire bac+3.

suivi de la scolarité de l'enfant, concomitant avec une moindre cohésion du couple parental.

Enfin les femmes d'origine sociale modeste ont des enfants plus tôt (tableau 3-4). La position sociale et le statut familial de ces femmes sont très précaires. Les allocations parentales ne comblent qu'un temps cette précarité. Avoir un enfant jeune reproduit sur la longue période des formes lourdes de handicaps économiques dont l'enfant pourra hériter à son tour. Avoir une mère jeune est donc aussi un indicateur d'une appartenance possible à une lignée familiale (mère et grands parents) socialement défavorisée. Il est possible aussi qu’à l’intérieur des trois groupes sociaux étudiés, ce sont les fractions sociales les plus démunies qui ont leur enfants plus tôt. L’analyse de l’effet d’âge n’est donc pas forcément « toutes choses égales ».

2/ De meilleurs résultats scolaires dans les familles recomposées que dans les familles monoparentales, en particulier au niveau du bac, ont été signalés plus haut.

Lorsque l'on intègre l'âge de la mère à la naissance de l'enfant, la modalité « un parent au moins en couple après séparation » n'est plus significative. La mère est structurellement plus jeune lorsque l'enfant a vécu une recomposition familiale, ce qui pénalise la scolarité. Mais le handicap est le même pour les enfants de jeunes mères ayant vécu avec leurs deux parents. La rupture du couple parental n’a donc pas d’effet négatif sur la scolarité avant le bac s'il y a eu recomposition de la famille.

Dans les familles à deux parents (biologiques ou non), la scolarisation des enfants est plus facile lorsque l'écart d'âge avec la mère biologique est important. A statut socioculturel de la famille et écart d'âge mère /enfant donnés, les taux de diplômés et les chances d'accès au bac sont les mêmes dans une famille recomposée et dans une famille intacte (tableau 3-5).

3/ En revanche, avoir été élevé en famille monoparentale reste un important facteur de discrimination des résultats scolaires quel que soit l'écart d'âge entre la mère et l'enfant.

Tableau 3-5 Probabilité de réussite à un diplôme en intégrant l’âge de la mère au moment de la maternité (Modèle logit)

Probabilité de réussite à un diplôme sachant que l’on a réussi le diplôme de niveau inférieur.

Champ : échantillon des aînés pondéré selon la répartition de la taille des familles dans la population globale

Les arrangements et les choix conjugaux après la séparation des parents ont un impact important sur la scolarisation des enfants. Ces arrangements traduisent à la fois une volonté de sécurisation de l'avenir scolaire des enfants et l’aptitude à une seconde socialisation conjugale. D’une recomposition familiale, il ressort des résultats scolaires concrets plutôt positifs sur les parcours scolaires avant le bac.

De nombreuses analyses ont montré la précarité affective et économique du parent en situation monoparentale. Or la précarité est sans aucun doute un élément essentiel de différenciation de la famille monoparentale et de la famille recomposée.

Les difficultés scolaires des enfants de familles monoparentales semblent donc découler de cette précarité plus que d'un effet propre, d'ordre psychologique, de la dissociation des parents.