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Mémoires et représentations croisées du temps de guerre

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Submitted on 3 Jul 2007

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Mémoires et représentations croisées du temps de guerre

Laure Teulières

To cite this version:

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Mémoires et représentations croisées du temps de guerre (Français/Italiens immigrés)

Le temps de guerre des années 1940-1944 représente une période essentielle des rapports entre Français et Italiens immigrés. Ce moment conflictuel, douloureux, à tous égards bouleversant, a été par la suite l’objet et l’enjeu de mémoires divergentes, parfois affrontées. Il s’agit d’esquisser ici à grands traits les représentations collectives qui s’y rattachent depuis l’immédiat après-guerre, ainsi que les recompositions qui les ont modifiées jusqu’à aujourd’hui où ce passé est encore porté, ou au contraire éludé, dans les témoignages des uns et des autres.

Le second conflit mondial marque une rupture importante pour les immigrés italiens de France. L’environnement général, les conséquences de l’entrée en guerre de l’Italie et les nouveaux clivages issus de l’Occupation se conjuguent pour transformer les rapports entre Français et Italiens. Cette nouvelle donne ne cesse pas instantanément après l’été 1944, tandis que les perceptions réciproques s’expliquent pour partie par les séquelles laissées dans les esprits.

Quand on s’interroge sur les mémoires et représentations croisées du temps de guerre, il faut tenir compte d'effets généraux de contexte. Depuis la Libération, le sens même de la mémoire a évolué dans la société, le passé n’est pas regardé de la même façon, son évocation obéit en partie à d’autres codes et d’autres enjeux. Entre Français et Italiens, la question recoupe et recouvre d’emblée des mémoires diverses, plus ou moins fortes et structurées, dont l’évolution diachronique ne répond pas aux mêmes rythmes, ni aux mêmes points de rupture : mémoire collective de la guerre, de Vichy et de la Résistance, mémoires concurrentes de courants politiques, tels le gaullisme ou le communisme, mais aussi de sous-groupes minoritaires, à commencer par les différentes composantes de l’immigration ou les étrangers impliqués dans la Résistance. C’est donc un questionnement délicat qui demande de ressaisir ensemble différents fils.

On se limitera ici à une approche prospective, ce qui revient à ébaucher quelques pistes de réflexion, à partir de l’exemple monographique du Midi toulousain. Les sources utilisées comportent des documents d’archive, dont le dépouillement demeure cependant très parcellaire, et compile divers témoignages issus des publications et de l’historiographie existante, ainsi que des rares documents autobiographiques dont on peut avoir connaissance. Il ne peut s’agir ici que de fournir les premiers jalons pour une mise en perspective diachronique des mémoires croisées.

L’immédiat après-guerre

Une forme de cristallisation opère dès les débuts de l’après-guerre, en fonction de divers éléments en tension. Les conséquences du contexte de retour à la paix sont décisives. A l’automne 1943, suite au débarquement des Alliés en Sicile puis en Calabre, la dénonciation de l’armistice franco-italien du 24 juin 1940 par le gouvernement Badoglio rétablit l’état de guerre entre les deux pays. Le Gouvernement provisoire de la République française traite dès lors l’Italie en pays ennemi, puis vaincu, sans reconnaître la co-belligérance négociée avec les Anglo-Saxons. Il en résulte un statut défavorable pour ses ressortissants présents en France, sans compter bien sûr leur réputation très négative dans le pays. C’est ce qu’atteste indirectement la section Toulousaine du Comité d'action et de défense des immigrés (CADI)

halshs-00159597, version 1 - 3 Jul 2007

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quand elle tente, après la Libération, de plaider la cause d’Italiens victimes des soupçons de l'administration1.

C’est donc à contre courant que quelques organes de presse montrent un effort pédagogique pour construire une image antifasciste et/ou résistante de la colonie transalpine implantée dans l’Hexagone. Ils soulignent que les Italiens de France ont souscrit une déclaration de loyalisme, que certains ont combattu dans la Résistance et les maquis. Plusieurs mois après la Libération, l'hebdomadaire du CADI dit d’ailleurs vouloir lever les « malentendus » concernant l'immigration italienne car celle-ci « subit les terribles conséquences de la guerre infâme déclarée par Mussolini en juin 1940 » :

« Ce n’est pas seulement le CILN [Comité italien de libération nationale], ce ne sont pas seulement les militants antifascistes qui doivent être considérés comme

des amis de la France, mais l’immense majorité de l’immigration italienne »2

Jusqu'à son interdiction en avril 1948, le journal Italia libera3 montre aussi l'exemplarité de l’engagement des Italiens, unis aux Français, et leur participation à la lutte contre l’occupant. Dès l'automne 1944, chacune de ses couvertures présente les martyrs tombés en France pour cela. Les Comités italiens de libération (CIL) travaillent dans le même sens. Dans l’Aude, les services de renseignements attestent que « les Italiens antifascistes ont jusqu’ici combattu la thèse qui prévaut encore en France selon laquelle l’Italie est notre ennemie », arguant que c’est le fascisme qui l’a asservie, comme ensuite l’Europe toute entière. Le CIL décide même d'adresser aux autorités départementales un bulletin mensuel sur « ce qu’à fait l’Italie Libre contre le néo-fascisme et pour la démocratie »4.

Précocement publié, un fascicule recense les « Italiens tombés en France pour la liberté »5. On peut remarquer qu’il mentionne : « Bet Rosina, 21 ans, fusillée à Toulouse en juin 1944 », alors que celle-ci est morte des suites de l’explosion de la bombe qu’elle plaçait dans une salle fréquentée par les Allemands. Faut-il voir dans cette erreur une rectification pour présenter les faits sous un jour favorable ? Les historiens ont déjà souligné que les « résistants italiens » morts pour la France ont pour la plupart disparu dans les combats de la Libération ou postérieurs, n’ayant pas tous eu d'activité résistante, n’étant pas non plus tous émigrés puisqu’il y a des engagés de la Légion étrangère, des déserteurs de l'armée italienne, etc.6

Côté français, c’est dans des milieux résistants que l’on trouve dès ce moment une vision positive de l’Italie. L'organe du Front-National en donne un exemple quand il souligne les souffrances de son peuple et l’élan démocratique de la société au sortir du conflit7. Même inclinaison dans la préface de Jean Cassou au livre de Fausto Nitti, avec qui il partagea la clandestinité, jusqu’à l’arrestation à Toulouse en décembre 1941 :

1

Correspondance de la section toulousaine du CADI, 1944-1945. AD HG : 2008 / 94 et 2692 / 69.

2

« La vérité sur les Italiens », Unir, 23 déc. 1944. Archives départementales de l’Aude : W M 3709.

3 Organe du Comité italien de libération. 4

Note de renseignements, 10 avr. 1945. AD Aude : W M 3795.

5

Italiens tombés en France pour la liberté, Paris, Comité démocratique France-Italie, déc. 1945.

6

Gianni PERONA, « Les Italiens dans la Résistance française », in Pierre MILZA et Denis PESCHANSKY (dir.), Exils et

migration. Italiens et Espagnols en France, 1938-1946, Paris, L'Harmattan, 1994, pp. 627-650.

7

« Lettre d'Italie. Quelques cercles fascistes, tout un peuple républicain », Le Patriote du Sud-Ouest, 17 déc. 1945.

(4)

« Si je crois en la résurrection de l'Italie et à ses futures destinées républicaines, si j'ai foi dans le peuple italien, si ces vingt ans de fascisme me semblent un mensonge, une monstruosité anti-italienne (au contraire du nazisme qui est un phénomène allemand), c'est à des hommes tels que Nitti que je le dois [...] à cette tradition dont ils se savent les héritiers et les garants, la tradition de l'Italie

italienne, celle des républiques du XVe siècle, celle de Garibaldi et de Mazzini »8

La Résistance, enjeu de légitimité pour les étrangers

C'est alors que la participation à la Résistance devient, pour les étrangers, un héritage collectif susceptible de légitimer l’intégration de l’immigration à la nouvelle société française. La presse de l’exil développe l’image d’une Italie martyre, première victime du fascisme9. Le rappel de la tradition libérale de sa culture se couple à l'affirmation d'une identité pleinement francisée pour les jeunes de la seconde génération. On exalte les épreuves partagées, le sacrifice consenti pour le pays d’accueil. Le sang versé, autrement dit l’égalité devant « l’impôt du sang », signe une intégration voulue ainsi incontestable. Quant aux agriculteurs immigrés, ils sont montrés dans leur rôle nourricier, pour cacher ou ravitailler les résistants. Cette symbolique intégratrice se met en place dès les derniers temps de l’Occupation, ce dont témoigne un tract distribué suite à l’exécution à Toulouse du jeune Enzo Godeas, membre de la 35e Brigade FTP-MOI qui organisait dans la région des sabotages et des attentats contre l’occupant :

« Notre jeune camarade n’hésita pas à rejoindre un groupe de la Résistance afin de prouver aux Français que les Italiens de France, à l’exception de quelques

fascistes notoires, n’étaient pas leurs ennemis »10

On sait le contexte de fermentation patriotique qui suit la Libération : soutien à l’effort de guerre, désir d’épuration, reconstruction, volonté de rénovation de la part des forces nées dans la Résistance. Côté immigré, les organismes issus de la clandestinité font preuve de volontarisme pour impliquer leurs compatriotes dans l’élan collectif. Les Italiens de France sont appelés à s’engager jusqu’à la fin de la guerre, les jeunes à rejoindre les FFI (Forces françaises de l’Intérieur), les agriculteurs à assurer avec patriotisme l’approvisionnement.

Les antifascistes réclament et appuient l’épuration dans les rangs de l'immigration. Dans l'Aude, par exemple, le CIL participe aux enquêtes, fournissant les pièces à charge trouvées dans les archives de l'agence consulaire de Carcassonne (attestation de dons pendant la campagne d'Ethiopie, liste de membres du fascio, etc.)11. Estimant qu’il y a environ 10 % de fascistes et 2 % d'antifascistes sur les 4 734 Italiens du département, il s’inquiète que les premiers ne soient pas internés alors que d'autres, résistants, sont emprisonnés. Au final, les pouvoirs publics brident son zèle en lui demandant de ne plus intervenir. Les lenteurs de l'épuration parmi les immigrés et la rapide remise en liberté de quelques fascistes notoires achèvent de mécontenter le milieu des résistants italiens du département, ce qui se retrouve probablement ailleurs12. L’épuration ne permet donc pas la clarification, quand persistent toutes les équivoques issues de la guerre.

Il n’est dès lors pas étonnant que le besoin se fasse sentir de rendre sa légitimité à la communauté italienne en France. Car un malentendu résulte de la volonté des antifascistes de

8 Préface de Jean CASSOU in Fausto NITTI, Chevaux 8, hommes 70, Toulouse, Ed. Chantal, 1945. 9

Série d'articles « Le tour de l'Italie martyre », L'Avanti di Francia, janv. 1946.

10

Bref extrait du tract « Il est mort pour que la France vive ! » émis par le Comité italien de libération nationale et le Comité régional de la Jeunesse garibaldienne, Agen, 29 juin 1944. BDIC de Nanterre : Fo Res 2A.

11

Dossiers d'enquête d'épuration, 1944-1945. AD Aude : W M 1566

12

Notes de renseignements, janv. - juin 1945. AD Aude : W M 3795.

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gagner l'opinion publique pour expliquer rétrospectivement les épreuves traversées. En assimilant les migrants italiens à une masse antifasciste et résistante, cette représentation de consensus occulte en partie les fortes tensions au sein de l’émigration, contribuant à oublier les fascistes compromis durant l’Occupation. D’où un décalage entre l’image qui est donnée de la communauté, et le jugement réellement porté la concernant. Au printemps 1946, l’enquête pour l’autorisation de la section toulousaine d’Italia Libera met d’ailleurs en avant sa volonté d’accomplir un travail de fond d’éducation des émigrés, afin de combattre l’influence des idées fascistes dans la population paysanne :

« C’est pour former et instruire la majorité de ces Italiens, surtout ceux des campagnes qui, de l’aveu de certains dirigeants, ont conservé intactes les idées fascistes qui, pendant les années de collaboration avec les Allemands, leur ont donné des facilités de s’accaparer et de s’enrichir aux dépens des Français. Ils sont pour cela même réfractaires à tout sentiment idéologique, avides de gain, soucieux de leur bien-être, ce qui crée un sentiment d’hostilité bien

compréhensible de la part du peuple français »13

Comment se manifeste le ressentiment des Français durant l’après-guerre ? S’il n’y a pas à proprement parler de campagne de presse italophobe, il n’en reste pas moins que les Italiens sont vus comme ressortissants d’un pays ennemi, collectivement complices du fascisme, alors que les partisans du nord de la Péninsule demeurent méconnus. Au contraire, les Espagnols bénéficient de l'image positive des guérilleros dont on exalte la participation à la Résistance et aux combats de la Libération, en particulier dans le Midi14.

Certains faits divers laissent voir de telles représentations. Ainsi, à Carcassonne, quand un drapeau italien est hissé sur la façade du CIL le 28 avril 1945 pour fêter « la victoire des patriotes » après l’exécution de Mussolini, des Français s’assemblent immédiatement pour le décrocher. La police doit intervenir. Les Italiens expliquent que c’est un symbole de « la Résistance de l’Italie libre, que la masse antifasciste italienne a donné les preuves de son attachement à la France en combattant côte à côte avec les Français dans les maquis et qu’il y a eu beaucoup de martyrs italiens pour que la France vive ». Les autochtones répliquent « qu’ils n’oublieront jamais le coup de poignard dans le dos » ; et les Italiens ne peuvent que protester que « la trahison de 1940 a été faite par l’Italie fasciste, mais qu’aujourd’hui c’est l’Italie libre que représente le CILN »15.

De même, la rancune envers les « collabos » italiens transparaît dans certaines petites « affaires » de l’épuration. C'est ce qui ressort, par exemple, de la protestation du maire après qu’une douzaine d’Italiens internés à Saint-Papoul (Aude) ait pu se rendre un soir au dancing local. Le maire promet même une réaction violente si on voit à nouveau ceux-là « tenir le haut du pavé », avant de conclure : « Nous ferons tout pour ne pas retomber sous la coupe fasciste ! »16. C’est aussi du fait d’un tel climat que le missionnaire catholique installé à Toulouse est emprisonné d’octobre 1944 à avril 1945, accusé par la rumeur d’avoir eu des accointances avec l’ennemi.

L’ombre portée des années sombres

13 Rapport de police spéciale de Toulouse, 16 mars 1946. AN : CAC 800042-Art/38 - MI 15204. 14

BECHELLONI Antonio, « Italiens et Espagnols dans la presse française de septembre 1944 à décembre 1946 », in La

dernière vague migratoire italienne en direction de la France (1945-1960), Thèse de doctorat, Université de Franche-Comté,

1996, tome 2, pp. 2-12.

15

Courrier du président du CILN de l'Aude, avr. 1945. AD Aude : W M 3795.

16

Courrier du maire de Saint-Papoul, 10 sept. 1945. AD Aude : W M 3795.

(6)

Par la suite, l’effet de traîne de l’italophobie se nourrit évidemment du contexte, difficile, de l’après-guerre. Aux pénuries de la reconstruction s'ajoute l’amertume devant l’enlisement de l’épuration et la conviction que « traîtres » et « trafiquants » s’en tirent17. Entre Français et Italiens, ceci contribue à prolonger le contentieux des années sombres. De nombreux témoignages d’époque l’attestent sur la durée. Ainsi, l’ambassadeur en poste à Paris à partir de 1947 dira que « l’opinion publique française partageait un sentiment de vengeance » envers l'Italie18. Sous une formulation lénifiante, l'évaluation du préfet du Tarn-et-Garonne est similaire à la fin des années quarante : « Les Italiens ne jouissent pas d’une grande sympathie parmi la population dont la xénophobie a été exacerbée par l’afflux des étrangers »19.

Tout cela transparaît sur le terrain. Il est révélateur que, lors d’une rixe entre les ouvriers italiens d’un barrage en construction et des habitants de Castelmoron-sur-Lot (Lot-et-Garonne), le maire lui-même prenne « une attitude de fier-à-bras défenseur de l'honneur national »20. On sait aussi combien l’équipe italienne est huée durant le Tour de France de 1950, jusqu’à l’incident de l'étape pyrénéenne, où Bartali, harcelé par les spectateurs, doit défendre son vélo à coups de poing après une chute dans le col d’Aspin21.

Ces rancœurs sont avivées, voire relancées, lors d’affaires plus ou moins retentissantes, tant la susceptibilité de la population reste vive envers les étrangers qui ont mauvaise réputation. Cinq ans après la Libération, les autorités refusent par exemple la remise en liberté anticipée d'une Italienne internée au camp de Mauzac, car le voisinage pourrait n'avoir pas oublié ses fréquentations avec les militaires allemands22. De même, la vigilance des milieux résistants contre les « traîtres ». En 1948, ceux des Hautes-Pyrénées s'indignent d'un article appelant à châtier les pseudo « tortionnaires » de la Résistance tarbaise, à partir du témoignage d’un Italien, lui-même compromis avec l’occupant23. Autre cas, celui d’un immigré de Castelnau-d'Estretefonds (Haute-Garonne), pro-Allemands sous l'Occupation, arrogant depuis la Libération. En 1950, après que la justice ait demandé le remboursement des confiscations pour marché noir prononcées contre lui en première instance, le ressentiment de la population éclate : « Ce jugement a provoqué une vive émotion dans les milieux résistants de la région de Grenade - Castelnau qui ne peuvent tolérer d'être bafoués par un Italien fasciste »24. De telles affaires renforcent le sentiment italophobe sur un substrat déjà hostile. Car même si des Italiens résistants se retrouvent de l’autre côté, ces faits contribuent à alimenter une tendance latente, ce qui est caractéristique des phénomènes d’opinion.

Une normalisation progressive

L’apaisement n’intervient donc que très progressivement. La réhabilitation de l’image de l’Italie y contribue sans doute. Diverses productions culturelles véhiculent l’idée d'un pays racheté de son adhésion à Mussolini par les malheurs et les luttes des années de guerre. Certains historiens ont pointé l’influence du néo-réalisme dans la gauche intellectuelle

17

LABORIE Pierre, « L’opinion et l’épuration », in Jules MAURIN (dir.), Lendemains de Libération dans le Midi, Montpellier, Publ. de l’Université Paul Valéry, 1997, pp. 47-61.

18

Pietro QUARONI, Il mondo di un ambasciatore, Milano, Ferro, 1965. Cité in Bruna BAGNATO, « France-Italie : regards croisés au lendemain de la Seconde Guerre mondiale », Cahiers de l'IHTP, n° 28, juin 1994, pp 61-70.

19 Rapport du préfet du Tarn-et-Garonne, 10 avr. 1948. AD T&G : 1014 W 332. 20

Courrier du préfet du Lot-et-Garonne, 10 fév. 1948. AN : CAC 880312-Art/9 - MI 34156.

21

« Gros incident au col d'Aspin », La Dépêche, 26 juillet 1950.

22

Courrier du préfet des Hautes-Pyrénées, 29 juil. 1949. AD HG : 1318 / 8.

23

Notes d'information des Renseignements généraux des Hautes-Pyrénées, 14 août et 17 sept. 1948. AD HG : 2113 / 136.

24

Rapport des Renseignements généraux de Haute-Garonne, 31 janv. 1950. AD HG : 1318 / 8.

(7)

française, voire plus largement dans la population25. Avec Roma città aperta (Rome ville ouverte) au Festival de Cannes, le personnage de la Magnani incarne une Italie victime du fascisme, témoin des souffrances et des déchirements de son peuple. Les évolutions diplomatiques sont bien sûr décisives, de la normalisation apportée par les traités de paix en 1947, jusqu’au rapprochement qui amorce une politique européenne conjointe à partir de 1951.

Dans un contexte de guerre froide, il faut aussi faire la part de considérations politiques. La nouvelle République est dominée par une génération d'antifascistes, dont plusieurs ont connu l’exil en France, Togliatti au PCI (Partito comunista italiano), Nenni au PSI (Partito socialista italiano) ou Saragat pour les sociaux-démocrates (PSDI). Quant aux courants conservateurs et modérés, la crainte de la poussée révolutionnaire dans la Péninsule leur semble heureusement contrée par l’influence de la démocratie-chrétienne. Le poids de telles considérations est confirmé par divers témoignages, y compris en ce qui concerne les sentiments de l'opinion rurale à l’époque. C’est, par exemple, l’analyse du préfet du Tarn-et-Garonne au printemps 1948 :

« La campagne électorale italienne - qui prend l'aspect d'un champ clos où les adversaires communistes et anticommunistes, Russie et puissances occidentales s'affrontent violemment - est suivie de très près […] Les efforts tentés pour rallier la République italienne au bloc occidental ne sont pas considérés avec hostilité. On souhaite que les élections italiennes soient favorables au gouvernement Gasperi [sic] et que par la suite des relations cordiales sinon normales soient

établies avec la Péninsule »26

Les caractéristiques même de l’immigration concourent à cette détente. Dans le Sud-Ouest, l’insertion de la seconde génération intervient dans le contexte d’expansion des trente glorieuses, ce qui est très favorable. Les Italiens y forment une population laborieuse, nombreuse mais discrète, se tenant dans l’ensemble à l’écart de toute activité politique, comme le signalent tous les rapports à ce sujet :

« La colonie italienne s'abstient dans la majorité de prendre une position politique bien définie et de faire partie d'associations ayant même un caractère purement social […] Les groupements constitués dans le département n'ont pas eu

une longue durée et n'ont pas pu se maintenir »27

L’émergence de pratiques commémoratives

La décennie gaulliste est ensuite celle du consensus comme de l’occultation collective28. La « France résistante », rassemblée dans la mémoire gaullienne, fait silence sur le reste ; les déchirements des années quarante restent tus. Un tel climat est propice à voir s’amenuiser la réputation des Italiens d’être « fascistes » et « collabo ». Côté communiste, le résistantialisme du « parti des 75 000 fusillés »29 oublie les unités de guérilla urbaine composées d’étrangers ou d’immigrés, notamment la 35e brigade FTP-MOI qui pourrait alimenter la légende noire

25

MILZA Pierre, « L'image de l'Italie et des Italiens du XIXe siècle à nos jours », Les Cahiers de l'IHTP, juin 1994, n° 28, pp 71-82.

26

Rapport du préfet du Tarn-et-Garonne, 10 avr. 1948. AD T&G : 1014 W 332.

27

Rapport des Renseignements généraux du Tarn, 2 janv. 1948. AD Tarn : 511 W 48.

28

ROUSSO Henry, Le syndrome de Vichy, Paris, Seuil, 1990.

29

LAVABRE Marie-Claire, Le Fil rouge. Sociologie de la mémoire communiste, Paris, Presses de la Fondation Nationale de Sciences Politiques, 1994.

(8)

de la « République rouge du Midi »30. Une mémoire tranquille, et trompeuse, recouvre donc le temps de guerre.

C’est alors que les cérémonies commémoratives se formalisent. Le 2 juin 1950, à Toulouse, une cinquantaine d’Italiens de diverses tendances, dont une vingtaine de naturalisés, vont en cortège porter une couronne de laurier au Monument aux morts et aux stèles honorant Silvio Trentin et Rosine Bet. Pour l’anniversaire de la République italienne et de la mort de Garibaldi, « réalisateur du rêve de Mazzini et Cavour », la manifestation est présentée par ses organisateurs comme « une démonstration d’union entre les immigrés italiens et d’amitié franco-italienne, à l’exclusion de toute politique »31. Ceux qui jouent un rôle moteur dans cette initiative sont bien intégrés, naturalisés ou en couple mixte.

Ainsi se fixe le sens que recouvre l’expression du souvenir. La commémoration de l’après-guerre tente en effet de réunir divers symboles, à la fois pleinement italiens et profondément liés à la France : la tradition libérale du Risorgimento, la nouvelle légitimité démocratique du régime, et un panthéon résistant ramené à quelques figures locales édifiantes. La rhétorique des « sœurs latines », à l’honneur durant l’entre-deux-guerres, laisse donc place à celle des « républiques sœurs ».

Les martyrs personnifient cette nouvelle alliance. En Midi toulousain, Silvio Trentin incarne une synthèse exemplaire : intellectuel antifasciste, animateur de la Librairie du Languedoc, inspirateur du mouvement de résistance Libérer et Fédérer, mort à son retour d’exil dans la province de Trévise. Rosine Bet, comme Enzo Godeas, sont les figures d’une seconde génération largement intégrée dont l’engagement, lié au pays de résidence, est partagé avec ceux, autochtones ou étrangers, de leur génération. La commémoration fonctionne comme une mise en scène, voire comme une ritualisation du processus d’intégration, avec une symbolique des liens du sang, des épreuves partagées dans un destin commun, de la solidarité d’anciens combattants et de l’amitié franco-italienne.

Une mémoire en travail

Les années 70-80 réveillent pourtant une vision plus conflictuelle, alors qu'émergent des revendications en terme de reconnaissance, notamment de la part de groupes minoritaires. Les internés des camps de Vichy sont « redécouverts » à partir de là. Ce retour du refoulé des années sombres recouvre bien sûr des enjeux d’identité au présent, notamment pour les juifs déportés ou les résistants étrangers, tels les « parias » de la 35e brigade. « On est des métèques, des Polaks, des Ritals, des juifs, des rouges, des terroristes, on a tout pour plaire », dit un ancien dans un des premiers récits publié à ce sujet32.

Dans ce cadre, la résistance des Italiens et leur part dans la Résistance gagnent une visibilité ponctuelle, bénéficiant de la reviviscence générale des lieux du souvenir du Second conflit mondial33. En avril 1991, une médaille de la Résistance est ainsi décernée à titre posthume à des membres de la 35e brigade, dont Rosine Bet et Enzo Godeas ; une plaque commémorative est apposée à Toulouse devant le cinéma «Les Variétés », lieu de leur dernière action.

30

GOUBET Michel, « Les conditions de libération de Toulouse la ville rouge », in GUILLON Jean-Marie et MENCHERINI

Robert, La Résistance et les Européens du sud, Paris, L’Harmattan, 1999, pp. 373-380.

31

Demande d'autorisation de la manifestation par le comité organisateur, 5 mai 1950 ; Note de renseignement, 23 mai 1950. AD HG : 1318 / 8.

32

LEVY Claude, Les parias de la Résistance, Paris, Calman-Lévy, 1970.

33

BARCELLINI Serge et WIEVIORKA Annette, Passant, souviens-toi ! Les lieux du souvenir de la Seconde guerre mondiale en

France, Paris, Plon, 1995.

(9)

On sait combien la geste résistante devient un élément fondateur de la mémoire des Espagnols. L’épopée de la Retirada, l’exil de masse de février 1939, et les guérilleros, héroïsés, fondent un récit repris par les descendants, support d’une identité et d’un imaginaire partagés. La douleur de l’internement, l'humiliation des camps sont muées en stigmates positifs. Rien de comparable du côté des Italiens. Certes, la mémoire des antifascistes et des résistants communistes est sous-tendue par le souvenir du combat contre la dictature mussolinienne, de la répression, puis de l’internement sous Vichy34. Mais, à la fin des années 80, une ethnologue constate que ceux ayant participé à la 35e brigade en Agenais savent combien leur histoire est resté méconnue35. Ce parcours n’est pas devenu au même point un héritage collectif.

Sous l’invocation du « devoir de mémoire », l’époque récente a connu l’inflation commémorative. A l’idée de passer le relais entre générations en transmettant des valeurs universelles, dignes d’être pérennisées, s’est ajouté une forme de quête dans une société qui semble vouloir payer une dette mémorielle aux victimes36. La dynamique associative explique les manifestations qui existent aujourd’hui, et leur contenu, plutôt résistant et/ou antifasciste. Chaque premier dimanche de juin, en l’honneur de la République italienne, a lieu le rassemblement au Monument aux morts de la section toulousaine de l’Association nationale des anciens combattants italiens et vétérans, structure d’entraide pour les pensions et les retraites, créée dans les années 50 et abritée dans les locaux du Comité des Italiens à l’étranger. Les Garibaldiens, dont l'association, affiliée à la Fédération37, a été constituée à Toulouse en 1972, a réuni des anciens d’Espagne et des résistants, portée jusqu'ici par la légitimité de son président, Vincent Tonelli, volontaire du Bataillon Garibaldi en 1936, communiste du PCI interné sous Vichy, partisan dans le Frioul jusqu’en mai 1945, puis naturalisé après son retour en France. Sa démarche pour le souvenir englobe, selon ses propres termes, les trois « campagnes antifascistes » qu’il a faites, l’Espagne, la France, et l’Italie. Il est donc logique que, chaque 25 avril, l’exécution de Mussolini et la libération du pays soient saluées en fleurissant le Monument de la Résistance et les stèles de ses combattants italiens (Trentin, Bet, Godeas).

Quelques jalons-clé du souvenir

Quant à la mémoire orale des témoins, on peut dire qu’elle s’organise aujourd’hui autour de points saillants, qui servent de repères, et de points aveugles, laissées au silence ou à l’oubli. On se souvient de part et d’autre du moment critique, début d’une phase douloureuse. Pour les Français, c’est la traîtrise de l’entrée en guerre de l’Italie, alors qu'eux-mêmes étaient « à zéro ». Ceci resurgit souvent comme un revécu non-distancié – « les Italiens nous ont donné un coup de poignard » – et la rumeur reste vivace des avions de Mussolini mitraillant les colonnes de réfugiés sur les routes de l’exode. La plupart des émigrés revoient de leur côté le choc de la déclaration de guerre, la peur, les sentiments de déchirement et de précarité –

« Qu’est-ce qu’on va devenir ? » – voire, pour certains, de honte. Tous rappellent l’internement de juin 1940, les arrestations opérées sur dénonciation à partir de « listes », ainsi que le caractère emblématique des déclarations de loyalisme.

34

Paola OLIVETTI, « Video interviste a militanti italiani e spagnoli fuorusciti in Francia : ideologia, autorappresentazione, biografia », in Gianni PERONA (dir.), Gli italiani in Francia. 1938-1946, Torino, Angeli, pp. 223-239.

35 Sylvia FESCIA-BORDELAIS, « Clandestinité et légitimité des Italiens engagés dans la Résistance (1942-1945) en

Lot-et-Garonne », in Etrangers en Aquitaine, Talence, Maison des sciences de l'homme d'Aquitaine, 1990, pp. 315-325.

36

BROSSAT Alain, « A l’heure du consensus », in NICOLAIDIS Dimitri (dir.), Oublier nos crimes. L'amnésie nationale : une

spécificité française ?, Paris, Autrement, 1994, n° 144.

37

Anita GARIBALDI-JALLET, « Les associations garibaldiennes en France, sens et contresens », La Trace, oct. 1991, n° 5, pp 60-61.

(10)

Les difficultés de la vie quotidienne sont restées très ancrées : vente de biens ou règlement d’affaires différés, relations familiales distendues, et surtout rites de passage inaccomplis du fait de la fermeture des frontières, les deuils sans accompagnement, l’absence de visites aux accouchées ou de présentation des derniers-nés. On peut citer l’exemple de ces épisodes tels que décrits dans le manuscrit autobiographique d’une maraîchère de la banlieue toulousaine :

« Il n’était pas possible de s’envoyer du courrier avec l’Italie. Les lettres étaient censurées et mettaient énormément de temps. Nous pouvions nous envoyer parfois un télégramme. Mon beau-père n’a pas pu venir voir son fils et moi je n’ai pas pu aller voir mon frère [qui meurt alors]. Nous avons dû attendre quatre ans avant de

nous revoir. Ces années ont été longues et douloureuses »38.

Ce qui reste encore, c'est le souvenir réciproque du contentieux vécu au jour le jour. Les « histoires » qu’il y a eu, petits et grands conflits de voisinage ou de village. Les Italiens se souviennent du climat général d’animosité, voire de haine39, l'impression d'être mis à l'écart, les vexations de toutes sortes, et combien ils ont été traités de « macaronis ». Du côté des Français, les marques d'irrespect devant la douleur nationale ont frappé les esprits, d’où le rappel des bravades qui les ont fait enrager, des attitudes incorrectes et des provocations d’Italiens disant « on va s’occuper des Françaises ! » ou « on prendra soin de vos femmes ! ».

Même si, aujourd’hui, la plupart des personnes ont à cœur de renvoyer les conflits d’alors à l’époque troublée de la guerre, on entend encore dire que « les Italiens ont fait la noce », dans un pays humilié par la défaite, souffrant des contraintes de l'occupation et de l’absence des prisonniers. Ce motif de scandale explique pourquoi ils peuvent être donnés pour des « profiteurs ». Restés à la terre dès la mobilisation, disposant de surplus alimentaires en tant qu'agriculteurs, les Italiens ont pu en tirer avantage. Le temps ayant passé, c’est l’itinéraire social des familles qui est pris à preuve, beaucoup de témoins suggérant que ces immigrés-là « s’en sont bien sortis », jusqu’à dire parfois que c’est de là que date « la fortune » de certains.

Les distorsions de vue qui persistent sont à noter. Evoquant le STO (Service du Travail obligatoire)40, les Français rappellent que les Italiens ne partaient pas, ce qui correspond au printemps 1943, quand ceux-ci racontent le moment éprouvant de leur réquisition, à l’automne suivant. Dans ce canevas général, les attitudes qui vont à l’encontre des tensions collectives ressortent d’autant. On va évoquer, par exemple, le patron qui demande que ses ouvriers agricoles soient libérés de l’internement ou celui qui accepte de garantir le sort de son métayer par une fausse déclaration. Même chose pour les marques de solidarité quotidienne, l'entraide, les dons alimentaires, ainsi que les gestes symboliques pacifiants entre les deux communautés.

Silences et points aveugles

Il y a aussi d'évidents points aveugles. Une gène persiste, résultat de la mauvaise conscience autour de l’inavouable. Chez les Italiens, hormis pour les anciens résistants, la

38 Lucie M., « Le roman de ma vie », Saint-Simon, 1997, manuscrit dactylographié, p. 77. 39

Voir les témoignages recueillis auprès des habitants de Montclar-d’Agenais (Lot-et-Garonne) : ROUCH Monique (dir.),

« Comprar un prà ». Des paysans italiens disent l'émigration (1920-1960), Mérignac, Maison des sciences de l'homme

d'Aquitaine, 1989.

40

Introduit par l’occupant en février 1943, il comportait le départ obligé des jeunes français pour aller travailler dans les usines allemandes.

(11)

compromission de certains compatriotes dans la collaboration reste un non-dit41. Quant aux Français, ils taisent la xénophobie, les dérapages haineux autour de l’amalgame « Boches » / « Macaroni ». On perçoit chez tous un malaise à convenir des dérives intestines, des règlements de comptes ou de l’épuration spontanée. Enfin, on ne peut qu'être frappé par la retenue particulière des Italiens pour évoquer cette période, de leurs réticences à en parler, comme si perdurait le souci de ne pas se faire remarquer, de ne « pas faire d’histoires », ce qui revient à se taire. Dans le Sud-Ouest, cela correspond aussi à une attitude de repli sur soi assez caractéristique de témoins appartenant encore au monde paysan, habitués à ne pas s’exposer au sein d'une communauté villageoise où les liens sont étroits.

Cette part de silence est accentuée à cause de l’absence d’une partie des porteurs de mémoire potentiels. Beaucoup d'antifascistes sont rentrés au pays, pendant ou après la guerre, ce que n’ont pas pu faire les réfugiés espagnols, forcés de s’enraciner en France. Désormais plus soucieux de témoigner, selon l’impératif culturel du moment, des anciens de la MOI (Main-d’œuvre immigrée)42 donnent sens à une geste antifasciste internationale ou se réfèrent au devoir de transmettre l'héritage de la Résistance43. Quant aux Italiens qui ont rejoint dans la clandestinité des groupes français, bon nombre entretiennent une posture d’assimilés, indistincts quant à leur nationalité ou à leurs origines44, ce qui empêche leur trajectoire de faire mémoire pour l'ensemble. Longtemps méconnues, les pratiques de résistance propre au milieu rural ont en outre tardé à donner lieu à une appropriation quelconque de la part des acteurs, ce qui pèse d’un poids décisif pour les immigrés du Sud-Ouest45.

Comme toute mémoire résistante, celle des Italiens ne se construit donc pas sans ambiguïtés, selon un tour consensuel qui efface plus ou moins radicalement sa propre diversité interne ainsi que les déchirements et les conflits au sein de la colonie émigrée. Les résistants affrontent là une contradiction : « ou bien ils insistent sur ce qui les distingue, au risque de se retrouver marginalisés, ou bien ils jouent le jeu du rassemblement autour d’un message unanimiste, au risque de masquer ce qui fit la spécificité de leur combat, de gommer les déchirures nationales d’alors »46.

Comment se souvenir dans une population traversée par les mêmes ambivalences d’un « passé qui ne passe pas »47 ? Seul un mythe artificiel pourrait gommer l’hétérogénéité dans l’attitude et l’engagement des exilés et des émigrés transalpins sous l’Occupation. On peut de ce fait émettre une hypothèse. En tant que moyen d’identification pour le groupe, ce legs ne parvient pas à s’établir sur un registre assez rassembleur, étant lui-même tiraillé et antagoniste à mesure de ce que fut la colonie italienne pendant les années noires. Faut-il en conclure qu'il serait impossible aux Italiens de France de se reconnaître dans une mémoire communautaire concernant les années de guerre ? Il est clair en tous cas qu’il n’y a pas de cristallisation autour d’un récit collectif, univoque et fédérateur.

41

A titre de comparaison, voir une analyse pour la Lorraine : Luc DELMAS, « Les immigrés italiens pendant les guerres », La

Trace, mai 1999, n° 11-12, pp. 6-10.

42

Créé par le PCF (Parti communiste français) dans les années 20, d’abord avec la dénomination de MOE (Main d’œuvre étrangère), devenue MOI en 1932, elle fut mise en sommeil en 1936 pour être réactivée dans le cadre de la Résistance armée sous l’Occupation.

43

Cf. le récit autobiographique de Damira TITONEL-ASPERTI,in MALTONE Carmela, Ecrire pour les autres, mémoires d’une

résistante, Talence, Presses Universitaires de Bordeaux, 1999.

44

Cf. CAMPANINI Claude, « Itinéraire d’un déporté moissagais des camps nazis », Arkheia, nov. 1999 - janv. 2000, n° 1, pp. 57-81.

45

DUMORA-RATIER Hélène, « Paysans et Résistance : étude d’un milieu et d’un processus d’entrée », in GUILLON Jean-Marie et LABORIE Pierre (dir.), Mémoire et histoire : la Résistance, Toulouse, Privat, 1995, pp. 281-288.

46

Robert FRANCK, « La mémoire empoisonnée », in La France des années noires. 2. De l'occupation à la Libération, Paris, Seuil, pp. 483-514.

47

ROUSSO Henry, Vichy, un passé qui ne passe pas, Paris, Seuil, 1994.

(12)

Conclusion

Dans l’attente de comparaisons permettant de dresser un panorama d’ensemble, tout ceci pose assurément la question d’une analyse illustrée par un cas régional, de son exemplarité comme de ses limites. Concernant le temps de guerre, des effets de miroir et de rebond se poursuivent entre Français et Italiens, soumis collectivement à des attitudes contradictoires et travaillés par des dérives comparables. Encore aujourd’hui, la mobilisation, Vichy, le fascisme ou la Résistance sont l’objets de représentations complexes de la part des uns et des autres. Des amalgames, des sous-entendus et des non-dits persistent, qui recomposent ces mémoires croisées, sans toujours les éclaircir.

Laure Teulières

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