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La réduction, une idée qui fait son chemin Rouge n°1560, 14 octobre 1993

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La réduction, une idée qui fait son chemin Rouge n°1560, 14 octobre 1993

Le débat à l'Assemblée sur le plan quinquennal dit "pour l'emploi" avait quelque chose d'hallucinant. A en croire la presse, on serait passé tout près de l'institution de la semaine de quatre jours. Nos efforts pour contribuer à l'émergence d'un mouvement anti-chômage articulé autour de la semaine de 35 heures seraient-ils donc un combat d'arrière-garde ? Il n'en est évidemment rien, si l'on se donne la peine d'examiner les choses de près. La question de la compensation salariale constitue ici la pierre de touche qui permet de distinguer partage des heures de travail et partage du chômage. Chaque fois en effet que l'on propose de faire baisser le salaire en même temps que la durée du travail, l'opération équivaut à un partage du chômage entre les salariés. L'équivoque doit être levée, et l'une de nos tâches essentielles consiste à dresser une muraille de Chine infranchissable entre nos projets et ceux qui consistent à partager entre salariés le poids du chômage, sans toucher au reste.

La clarté nécessaire

Le fameux amendement Chamard est révélateur de cette ambiguïté dangereuse. Il a pu en effet être alternativement présenté comme un projet radical de réduction de la durée ou comme un dispositif qui rendrait possible une extension sans limite d'un travail à temps partiel ne voulant pas dire son nom. Le volte-face des députés PS apportant leur soutien à l'amendement, puis niant l'avoir voté ne peut s'interpréter qu'ainsi : il leur manque un fil à plomb pour faire le tri et apprécier le contenu social réel de tel ou tel projet. On peut dire la même chose des Verts : leur campagne forcenée en faveur de l'idée qu'au-dessus de 1,5 ou 1,8 fois le SMIC, le salaire ne pourrait pas être maintenu en cas de réduction de la durée du travail ne leur a conféré aucune crédibilité économique et leur a fait au contraire perdre les voix de salariés auxquels ils n'offraient aucune garantie quant à la réalité des créations d'emplois. C'est là un point tout à fait essentiel : l'une des réticences majeures des salariés par rapport à la réduction de la durée du travail découle du fait qu'ils ont peur de se faire avoir et que la réduction de la durée de leur travail ne soit acquise qu'au prix d'une amputation proportionnelle de leur salaire, accompagnée éventuellement d'une intensification du travail. Il ne s'agit pas ici d'arithmétique économique mais de savoir si oui ou non la mobilisation sociale va s'enclencher. Cela ne sera possible qu'à la condition que toute la clarté soit faite sur ce que l'on entend par 35 heures. Les salariés peuvent se résigner à des pertes de salaires quand ils y sont acculés localement, mais ils ne vont pas se mobiliser pour un projet qui risque d'impliquer un recul de leur pouvoir d'achat.

Le brouillage patronal

En face, tout le monde a intérêt à allumer des contre-feux, à désamorcer un possible mouvement social en dénaturant à l'avance cette revendication. C'est ainsi qu'il faut interpréter diverses contributions récentes. Il y a eu par exemple Larrouturou, ce consultant d'Arthur Andersen (l'une des plus grosses boîtes de conseil) qui vient de proposer la semaine de 4 fois 8 heures financée notamment par une baisse moyenne de 5 % des salaires. Hormis ce dernier point, on pourrait dire que ce projet est par certains côtés plus radical que le nôtre, et il est d'ailleurs beaucoup plus évasif quant à son financement. Il est typique en tout cas de l'ambiguïté du discours des têtes chercheuses d'un patronat

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lucide et préoccupé par la crise sociale qui s'approfondit. Il s'agit, au-delà des intentions de chacun, de se réapproprier en apparence, le cas échéant sous des formes radicales, les aspirations des salariés, pour ensuite les traduire en aménagements de détail, disqualifier la revendication et désamorcer les risques d'explosion sociale.

C'est l'équivalent actuel de la tactique de lutte de classes employée en 1982 qui a consisté pour les patrons, lors du passage aux 39 heures, à empocher des gains de productivité et à engager des politiques de compression drastique des effectifs. On comprend que dans certaines branches ce souvenir ait pu laisser une certaine amertume et une méfiance à l'égard de l'idée de réduction. C'est aussi, en un sens, la tactique des syndicats officiels mexicains durant la période de forte inflation qui n'hésitaient pas à réclamer 2000 % d'augmentation, afin de déconsidérer la revendication d'un rattrapage de 100 % mis en avant par les syndicats indépendants, et qui finissaient par se satisfaire de 20 %. C'est une tactique analogue qui se répand : Riboud, le PDG de BSN, déclarait par exemple, dans Le Monde du 28 septembre qu'il fallait « réduire significativement la durée du travail » mais s'abritait aussitôt derrière l'argument selon lequel il ne pouvait s'engager tout seul sur cette voie : « cette mesure très audacieuse doit âtre appliquée obligatoirement par l'ensemble des professions ». Ou bien, on a droit à de grands discours enflammés comme celui de Bébéar, PDG des assurances Axa, qui affirme (Le Monde du 29 septembre) : « il faut que, nous, entreprises, nous soyons obligés de nous organiser autrement ». Certes, un Madelin reste ferme sur les principes en parlant d'« erreur idéologique » et de « récession intellectuelle », ce qui sur le fond demeure la position de la majorité du patronat. Mais il y a du flottement à droite comme en témoigne le revirement d'un Séguin déclarant « qu'il ne serait plus possible d'éluder le problème de la durée du travail » alors que cet aspect des choses tenait une place tout-à-fait secondaire dans son fameux discours qui ne date pourtant que de trois mois.

Les incertitudes du PS

L'effet de brouillage est encore accentué par le discours du PS, et, une fois encore, c'est à Fabius que l'on a envie de filer des claques. L'énergumène prétend avoir eu l'idée de la semaine des 4 fois 8 heures le premier. Révélation bien tardive : il y a un peu plus de deux ans, dans Le Monde du 11 juin 1991, Fabius avançait deux propositions pour l'emploi. La première consistait à « protéger les emplois les moins qualifiés (...) en réduisant les charges sociales sur les emplois peu qualifiés ou de proximité », la seconde à instituer des « fonds salaires-retraites », bref deux mesures faisant partie de la panoplie classique de toute politique de droite. Ce n'est en réalité que dans Le Monde du 13 février 1993, c'est-à-dire quelques jours avant les élections, que Fabius découvrait la diminution du temps de travail comme « projet de société ». Plus récemment, il proposait d'ailleurs de ne maintenir les salaires que jusqu'à une fois et demi le SMIC, comme si, au-delà, on entrait dans le domaine des nantis ! Encore un effort, Fabius, et tu finiras par te déclarer pour l'armement des milices ouvrières !

Cette ironie, les dirigeants du PS la méritent amplement. Durant leurs années d'exercice du pouvoir, ils n'ont jamais attaqué de front le chômage et ont introduit tout un arsenal de mesures, d'incitations et de dispositifs dans lequel l'actuelle majorité ne fait que puiser. Cela ne vaut pas dire pour autant que les évolutions sont purement verbales. Rocard a repris à son compte la perspective que, face à la « crise de civilisation gigantesque (...) la semaine de quatre jours s'impose assez vite » tout en parlant aussitôt de « partage du travail et du revenu ». Toujours la même ambiguïté. Ce qui est nouveau, pourtant, c'est la manière dont

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d'autres dirigeants du PS mettent les points sur les i. Poperen s'interroge : « qu'en est-il du profit, des profits spéculatifs notamment ? » et c'est là une excellente question qui rejoint notre thèse selon laquelle l'une des principales sources de financement est à trouver du côté des « rentiers ». Plus significative encore apparaît la position du bureau exécutif du PS qui s'est prononcé pour « une réduction volontariste, globale et brutale » du temps de travail et contre toute « déflation salariale ». C'est un ralliement tardif, mais que nous saluons quand même, à des positions conformes aux intérêts des travailleurs, semblables à celles que nous défendons depuis quinze ans.

Un enjeu politique central

La durée du travail est donc devenue un objet central d'affrontement idéologique et politique, et, malgré les déformations grotesques dont cette aspiration peut faire l'objet, nous devons nous en féliciter : l'idée que sa réduction massive constitue l'axe essentiel de la lutte contre le chômage est en train de faire, cahin-caha, son chemin. Beaucoup de nos arguments traditionnels reçoivent aujourd'hui une confirmation indirecte : par exemple, que la réduction doit être massive et non étalée dans le temps si l'on veut qu'il y ait création d'emplois ; ou encore qu'il faut une loi (et non des négociations décentralisées) de manière à rendre obligatoire l'application de cette mesure.

Il faut donc éviter toute frilosité : chaque prise de position, d'où qu'elle vienne, doit être récupérée comme une preuve supplémentaire de la crédibilité de nos propositions. Mais il est nécessaire, en même temps, de se prémunir contre les effets en retour que pourrait avoir la manière dont beaucoup galvaudent une idée essentielle en en faisant un gadget publicitaire. Pour s'en préserver, il est nécessaire de bien marquer nos différences, sans quoi la méfiance, après tout légitime, des salariés continuera à faire obstacle à la nécessaire mobilisation. Les 35 heures, c'est pour tout de suite et pas pour l'an 2000, sans rogner sur le pouvoir d'achat des salariés, et surtout c'est quelque chose pour lequel on se bat, afin de l'imposer au patronat. Au bout du compte, le contenu de toute revendication et la conviction qu'elle peut exercer, dépendent de l'identité et de l'activité de ceux qui en sont porteurs. C'est pourquoi d'ailleurs le silence tonitruant des centrales syndicales apparaît d'autant plus tragique dans ce contexte. C'est enfin la raison pour laquelle nous devons nous saisir d'une conjoncture qui, comme nous l'avions prévu, va peu à peu, entre les impasses de la frénésie libérale du gouvernement et l'enfoncement dans la crise, dégager un espace pour la réactivation de la lutte sociale.

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