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De la citation à la paraphrase. Réécritures du savoir encyclopédique dans les dossiers de Bouvard et Pécuchet

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Academic year: 2021

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Texte intégral

(1)

Éditer le chantier documentaire

de Bouvard et Pécuchet

Explorations critiques

et premières réalisations numériques

Textes réunis par

Rosa Maria Palermo Di Stefano

Stéphanie Dord-Crouslé

(2)

En couverture: Ms g2268 f° 31v° (Collections de la Bibliothèque municipale de Rouen. Photographie Thierry Ascencio-Parvy).

PROPRIETÀ LETTERARIA RISERVATA

ISBN 88-86897-52-5

copyright © 2010 by Rosa Maria Palermo Di Stefano

Stampato con il contributo del PRA (Progetti di Ricerca di Ateneo, Università degli Studi di Messina).

Andrea Lippolis Editore – via S. Lungomare, 13 - 98162 San Saba - Messina

tel. 090/380.297

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DE LA CITATION À LA PARAPHRASE.

RÉÉCRITURES DU SAVOIR ENCYCLOPÉDIQUE

DANS LES DOSSIERS DE BOUVARD ET PÉCUCHET

STELLA MANGIAPANE Université de Messine

Dans la méthode de travail de Flaubert, l’établissement des notes de lecture conduit habituellement à une synthèse extrême des informations contenues dans les textes-sources. Cela est vrai aussi pour l’imposante documentation recueillie par l’écrivain en vue de la rédaction de Bouvard et Pécuchet1. Dans les notes de

lecture sur l’agriculture2, dont nous nous occuperons dans le présent travail, les deux ouvrages qui présentent une ampleur proprement encyclopédique sont ainsi réduits à quelques dizaines de pages: Flaubert tire dix pages de notes des quatre volumes de la Maison rustique du XIXe

siècle de Bailly de Merlieux3 (2160 p.) et

dix-sept pages des six tomes du Cours d’agriculture de Gasparin4 (4116 p.). Dans le cas d’ouvrages constitués d’un seul volume, les notes occupent un ou deux

1 Voir, ici même: S. Dord-Crouslé, Vers une édition électronique des dossiers de Bouvard

et Pécuchet, pp. 15-20.

2 Ces notes sont recueillies dans un dossier que Flaubert a nommé sur la page de titre

«Agriculture jardinage économie domestique» (f° 1) car il contient en effet aussi des pages de notes sur l’économie domestique et la distillation des liqueurs (Ms. g2261 fos 3 à 9, 36 à 38 et

71). Les pages concernant l’agriculture et le jardinage occupent 60 feuillets, pour un total de 86 pages si l’on compte les 26 feuillets écrits au verso; un folio est de la main de Laporte (f° 2, contenant la «liste des auteurs consultés»), 16 folios sont de la main de l’agronome Jules Godefroy et contiennent des «Notes pour Mr G. Flaubert. Des fautes que peuvent commettre

deux parisiens qui veulent se livrer à l’agriculture» (fos 51 à 66). Les notes de lecture

proprement dites portent sur douze ouvrages différents. Tous les manuscrits mentionnés sont recueillis dans le premier des huit volumes de dossiers préparatoires de Bouvard et Pécuchet: Ms. g2261 fos 10 à 35 et 39 à 70. Nous nous occupons de la transcription de ces manuscrits au

sein du projet d’édition électronique des dossiers de Bouvard et Pécuchet dirigé par Stéphanie Dord-Crouslé. Pour une description analytique du dossier, voir: S. Mangiapane, Le dossier

«Agriculture» dans les notes de lecture de Bouvard et Pécuchet (premiers éléments), in Plaisance, VI, n° 17, 2009, pp. 157-168.

3 Ch.-F. Bailly de Merlieux, Maison rustique du

XIXe siècle, Encyclopédie d’agriculture pratique … par une réunion d’agronomes et de practiciens…, Paris, 1835-1844, 5 vol., in-8o.

Flaubert a consulté une édition en quatre volumes, comme il l’indique lui-même sur la première page de ses notes: «Maison rustique du XIXe siècle Bailly de Merlieux. 4 v. in 4. 1835» (f° 15).

4 Comte Adrien-Étienne-Pierre de Gasparin, Cours d’agriculture, 2e éd., Paris, Bureau de la

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folios: le Catéchisme d’agriculture de Baudry et Jourdier5 (150 p.) et Le Jardinier

des petits jardins6 (284 p.) sont synthétisés en une page et demie.

Au sein du projet d’édition électronique des dossiers de Bouvard et Pécuchet, il convient donc de s’interroger, pour chaque ouvrage lu et annoté par l’écrivain, sur la manière dont s’opère, globalement, la réduction des contenus dans et par les notes, afin que, grâce aux éléments que chaque transcripteur sera en mesure de fournir à propos de son propre dossier de notes de lecture, la méthode de travail de Flaubert en ressorte illustrée et éclairée. Aussi faudra-t-il savoir, pour comprendre à fond la portée des choix effectués par l’écrivain, si Flaubert a lu intégralement les ouvrages ou si, au contraire, ses notes sont le résultat d’une lecture sélective.

1. Réécrire le savoir encyclopédique, rapporter le discours d’autrui

Au-delà des questions concernant les modalités générales de la prise de notes chez Flaubert, nos réflexions porteront sur un aspect singulier de cette pratique d’écriture – qui est en effet toujours une réécriture d’un texte préexistant – à savoir la relation individuelle que chaque fragment noté, en tant qu’énoncé, entretient du point de vue linguistique avec sa source textuelle. En particulier, on se propose de réfléchir sur le rapport citant/cité car, à certains égards, toute note de lecture peut être assimilée à une forme de citation – ou plutôt à une des formes de citation – du discours d’autrui. Plaçant nos analyses dans cette perspective et travaillant sur la comparaison entre énoncé-source (cité) et réécriture du même énoncé dans la note (citant), nous rencontrerons quelques-unes des probléma-tiques concernant les diverses formes de discours rapporté.

Les différentes stratégies de réécriture du savoir encyclopédique dans les notes de lecture semblent en effet évoquer d’une manière suggestive cette pratique discursive, dans la mesure où, par exemple, les énoncés des notes entretiennent avec la parole d’autrui un rapport de fidélité qui affiche différents degrés de mimésis, tout comme le font le discours direct, indirect, etc. N’oublions pas non plus que, chaque fois, c’est une énonciation (celle de l’auteur consulté, produisant le discours cité) qui est incluse dans une autre énonciation (celle de Flaubert écrivant sa note, c’est-à-dire le discours citant) et que les deux discours, en dépit ou peut-être grâce à leur coexistence dans la page manuscrite, n’en gardent pas moins leur propre autonomie.

Flaubert agit souvent comme si, dans sa recherche documentaire dont le but primaire – il ne faut pas l’oublier – est de servir à la rédaction de son roman, il

5 F. Baudry et A. Jourdier, Catéchisme d’agriculture, 2e éd., Paris, V. Masson et fils, 1868. 6 Le jardinier des petits jardins, Extrait du Jardinier pratique de Rousselon et Vibert, Paris,

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s’appliquait en quelque sorte à rapporter les discours des spécialistes consultés, sélectionnant certaines parties de leurs propos et les insérant dans son propre discours: ce discours qui prend forme dans l’espace de la page manuscrite et qui sera le point de départ de l’écriture fictionnelle. C’est d’ailleurs un dialogue constant qu’il entretient avec ces auteurs, en lisant et en écrivant ses notes; cette dimension dialogique se manifeste parfois sous la forme d’un commentaire personnel accompagnant un fragment donné ou se double par exemple, dans quelques cas, d’instructions adressées à Laporte dans le but, notamment, d’orienter son travail de recopiage et de systématisation des fragments destinés au second volume de Bouvard et Pécuchet7. Nous reviendrons plus loin sur ces questions.

2. La citation entre guillemets

Les stratégies de réécriture que l’on relève dans le dossier examiné – à savoir la citation entre guillemets, la copie proprement dite et la paraphrase – permettent de réfléchir sur les caractéristiques, les différences, les fonctions présumées de chaque type de réécriture au sein des notes documentaires et dans la perspective de l’écriture romanesque à venir. Les notes que l’on a pu comparer jusqu’à présent avec les énoncés des textes-sources sont celles tirées des ouvrages dont on a repéré les volumes ou qui sont actuellement disponibles en ligne: la Maison

rustique du XIXe siècle de Bailly de Merlieux (t. III et IV), le Cours d’agriculture

de Gasparin, Le Jardinier des petits jardins, L’arboriculture fruitière8 et Le

potager moderne9 de Gressent, le Manuel des engrais de Landrin10, le Catéchisme d’agriculture de Baudry et Jourdier et le Nouveau manuel élémentaire d’agriculture de Victor Rendu11, c’est-à-dire neuf ouvrages sur les douze que

Flaubert a lus. Les exemples présentés ici seront tirés de ces livres.

La première forme de réécriture sur laquelle on s’arrêtera, et qui évoque par ses caractéristiques linguistiques le discours direct, est la citation entre guillemets. Celle-ci apparaît dans les notes documentaires comme une forme privilégiée de citation et, à maints égards, comme la forme la plus mimétique de réécriture du

7 Voir à ce propos: S. Mangiapane, Dialogismes transtextuels dans la genèse de Bouvard et

Pécuchet de Flaubert, in Plaisance, VIII, n° 17, (Numéro spécial contenant les Actes du VIeColloque International Interdisciplinaire Testo, metodo, Elaborazione elettronica.

“Dialogismi”, Messine, 8-9 octobre 2009), pp. 21-32.

8 A. Gressent, L’arboriculture fruitière, 4e éd., Sannois, l’Auteur, 1869.

9 A. Gressent, Le potager moderne, traité complet de la culture des légumes, 2e éd., Paris,

A. Goin, 1867.

10 E. et H. Landrin, Nouveau manuel complet de la fabrication et de l’application des

Engrais, Paris, Roret, 1864.

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discours d’autrui, car au respect de l’énoncé cité (dans ces cas, Flaubert recopie fidèlement ou presque le texte-source), elle associe l’attribution de l’énoncé en question à sa propre instance d’énonciation. En effet, à la différence d’autres énoncés reproduits tels quels dans les notes, les guillemets confèrent aux fragments qu’ils encadrent un statut particulier et semblent remplir contextuellement plusieurs fonctions. La plus simple et la plus immédiate consiste dans le fait qu’ils opèrent à un niveau visuel, au sein de la page manuscrite, une mise en relief des énoncés concernés, fonctionnant comme un signal (intentionnel, donc, comme tout signal) de l’importance particulière attribuée par le lecteur-scripteur Flaubert à ces fragments; ce qui les rend, d’une certaine manière, plus intéressants par rapport aux autres fragments contenus dans la même page de notes. Mais, faut-il encore se demander, plus intéressants pour qui? Tout d’abord pour Flaubert lui-même – en vue, très probablement, d’un futur changement de rôle déjà prévu, c’est-à-dire quand il ne sera plus le lecteur d’un ouvrage donné, mais le lecteur de ses propres notes, dont il se servira pour son travail de création littéraire. Les guillemets pourraient donc être interprétés comme un signal que Flaubert inscrit dans la page de notes pour guider ses relectures futures, à l’avantage de son futur travail de création littéraire. Naturellement, ces mêmes fragments deviennent aussi plus intéressants pour nous, en tant que lecteurs des dossiers documentaires à la recherche d’une compréhension plus profonde des procédés d’écriture à l’œuvre dans la genèse du roman. Ils peuvent en effet nous aider à reconstruire certaines modalités de son parcours de lecture et d’appropriation des savoirs.

Enfin, comme on l’a déjà signalé, les guillemets sont d’importants indices énonciatifs ayant une fonction démarcative, car dans ces cas, comme il arrive dans toute autre manifestation du discours direct, grâce à leur emploi, Flaubert interrompt son propre discours (le discours de la note) pour donner la parole à un énonciateur autre. Si on réfléchit aussi à l’importance que Flaubert attribuait au discours direct fictionnel, on peut supposer que, même dans ses notes, il réserve l’emploi des guillemets à ce qui mérite d’être mis au premier plan.

Les situations qui se présentent dans les notes de lecture sur l’agriculture sont diverses.

Le cas le plus simple de citation entre guillemets est celui de la citation de titres d’ouvrages. En prenant des notes sur les moyens de conserver les viandes (chap. VI du tome III de la Maison rustique, p. 119), Flaubert rencontre la mention d’un ouvrage d’Appert12:

12 Cet ouvrage fait d’ailleurs partie de ceux que Flaubert a lus pour se renseigner sur

l’économie domestique. Son titre est présent dans la «liste des auteurs consultés» rédigée par Laporte (f° 2) et Flaubert en a tiré deux pages de notes (fos 5 et 5v°).

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Il ne nous reste plus qu’à parler du procédé de M. APPERT, appliqué à la conservation des

substances animales, et dont plusieurs années d’expériences et d’essais ont suffisamment constaté l’efficacité. […] nous renvoyons, pour avoir des renseignements étendus sur cette matière, à l’ouvrage que M. Appert a publié lui-même sous ce titre: Le livre de tous les

ménages, ou l’art de conserver pendant plusieurs années toutes les substances animales et végétales, en regrettant seulement que ce procédé ingénieux, pratiqué un peu en grand, ne

soit pas d’une exécution plus facile et d’une application plus économique. Il recopie alors entre guillemets le titre de l’ouvrage (f° 19): d’appert. «le livre de tous les ménages ou l’art de conserver pendant plusieurs

années toutes les substances animales ou végétales» –

Souvent, les guillemets encadrent une partie donnée du discours de l’auteur consulté, qui, ainsi sélectionnée, s’en trouve mise en relief. En effet, dans la plupart des cas, le fragment entre guillemets correspond à un énoncé qui, dans le texte-source, suit et précède sans solution de continuité d’autres énoncés ayant même nature et même statut et qui, de leur côté, sont l’objet d’autres procédés de réécriture de la part de Flaubert (copie proprement dite ou paraphrase). C’est ce qu’on illustrera dans le premier exemple. Il s’agit d’une note tirée du tome Ier du

Cours d’agriculture de Gasparin (p. 525) et concernant l’emploi comme engrais

des os brisés et réduits en poudre. Nous allons présenter d’abord le passage concerné tel qu’il se présente dans le texte-source:

Usités de temps immémorial par les cultivateurs d’oliviers et d’orangers de la rivière de Gênes, pays qui manque d’engrais, les os sont devenus d’un usage beaucoup plus général depuis que les cultivateurs anglais ont pris le parti de les broyer et les réduire en poudre à l’aide de machines puissantes. Les effets des os ont été fort controversés. MM. Wrède, Kôrte, M. de Dombasle, n’en ont obtenu aucun bon résultat; au contraire, dans le duché de Bade, dans le Würtemberg, en Angleterre, on y a attaché tant d’importance que les os y sont devenus l’objet d’un grand commerce. L’importation anglaise est immense; elle a mis à contribution tout le nord de l’Europe et jusqu’aux débris glorieux de la bataille de Waterloo; elle charge des vaisseaux d’os à Buenos-Ayres.

et, ensuite, la note prise par Flaubert (f° 21), que nous avons transcrite selon les principes retenus pour l’édition électronique des dossiers de Bouvard et Pécuchet: X os doivent être brisés & réduits en poudre

Dombasle n’en avait obtenu aucun avantage - au contraire en Angleterre on en fait un gd commerce. «L’importation anglaise est immense. Elle a mis à contribution tout le nord de l’Europe et jusqu’aux glorieux débris de la Waterloo. bataille de Waterloo. Elle charge des vaisseaux d’os à Buenos-Ayres» (525).

Si la première partie du passage est l’objet d’une paraphrase qui en synthétise les contenus, Flaubert décide en revanche de mettre en relief, en le citant entre

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guillemets, un énoncé particulier (les différences que l’on remarque concernent la position de l’adjectif «glorieux» et l’emploi de la ponctuation), qui a évidemment attiré son attention, peut-être dans le but de s’en servir plus tard dans son travail de création littéraire. Dans le texte du roman, on ne trouve pas de référence à ce genre d’engrais, mais seule la connaissance des brouillons pourra nous dire si l’écrivain s’en est ou non servi pendant l’élaboration du chapitre II. La transcription intégrale des scénarios et des brouillons de Bouvard et Pécuchet fait actuellement l’objet d’un projet d’édition en ligne dirigé par Yvan Leclerc et qui, se joignant à celle des dossiers, permettra d’avoir accès à la genèse complète du roman.

Les propos recopiés entre guillemets touchent dans certains cas des points saillants, des problèmes auxquels l’écrivain est particulièrement sensible. La présence des guillemets, accompagnés parfois de formes singulières de commentaire personnel telles que, par exemple, les points d’exclamation ou le soulignement, semble alors signaler une réaction animée de l’homme-Flaubert face à certains problèmes et aspects de la vie sociale. C’est le cas, par exemple, de la note tirée d’un autre passage du même tome de l’ouvrage de Gasparin (p. 421), concernant le rôle que, selon l’opinion de cet auteur, le clergé pourrait jouer dans la gestion des économies réalisées par les paysans:

si le clergé prenait à cœur les vrais intérêts de ses ouailles, s’il voulait devenir l’intermédiaire entre les caisses d’épargne et les villageois, s’il se rendait le promoteur de cette bienfaisante institution, il leur rendrait le plus grand service en travaillant efficacement à les éloigner des vices qu’ils contractent par la fréquentation des cabarets, cafés et billards 1.

En note, Gasparin ajoute un commentaire:

(1) Un de nos évêques les plus respectables, et qui concevait tout le bien que pouvait faire son intervention, s’y est refusé avec regret, à cause des intérêts que portaient les sommes placées et qui étaient contraires à ses principes!

Flaubert recopie de la manière suivante, à partir du texte et de la note de Gasparin (f° 20v°):

Rôle que devait être l’intermédiaire entre les caisses d’épargnes & les villageois! (421) prendre le clergé! en note avec un point d’exclamation: «un de nos évêques les plus respectabl[es] - le clergé mis à toute et qui concevait tout le bien que pouvait faire son intervention, s’y est refusé

sauce! avec regret, à cause des intérêts que portaient les sommes placées & qui étaie[nt] contraires à ses principes.

L’attitude bien connue de notre écrivain à l’égard du clergé est probablement à l’origine des trois points d’exclamation qui signalent l’intrusion de son propre discours dans le tissu de la note («Rôle que devait prendre le clergé!»; «être

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l’intermédiaire entre les caisses d’épargnes & les villageois!»; «le clergé mis à toute sauce!») et des guillemets qui encadrent le passage mis en relief, dont Flaubert juge important de signaler la position dans le texte-source: «en note avec un point d’exclamation».

D’autres fois, les guillemets encadrent un discours qui est lui-même déjà cité dans l’ouvrage consulté par Flaubert. L’autorité de ce discours et de son énonciateur, sur laquelle se base la citation dans le texte-source, est mise en évidence aussi par Flaubert écrivant sa note, comme dans les deux exemples qui suivent.

Le premier passage noté est tiré du Nouveau manuel complet de la fabrication

et de l’application des engrais d’Eugène et Henri Landrin. Dans le texte-source

(p. 173), les auteurs citent les affirmations de Girardin (chimiste et auteur avec Dubreuil d’un Traité élémentaire d’agriculture) concernant le fumier des bêtes à cornes:

Le fumier des bêtes à cornes est moins actif, moins rapide et retient plus d’humidité que les autres fumiers de la race chevaline et des bêtes à laine; il donne plus de fraîcheur à la terre. Il est en conséquence classé parmi les engrais froids; il agit lentement, mais d’une manière continue et égale; il donne des récoltes moins belles, mais plus prolongées, car c’est un fait

hors de conteste, dit M. Girardin, que le pouvoir fertilisant, qui se manifeste avec le plus de promptitude et d’énergie, est aussi celui qui est le plus promptement épuisé.

Dans ce cas (f° 31), Flaubert recopie entre guillemets la partie qui dans le texte est en italique (s’agissant déjà d’une citation), et ne néglige pas d’en mentionner la source originaire («axiome de Girardin»):

fumier des bêtes à cornes froid. Mais il agit d’une manière continue & égale. axiome de Girardin «le pouvoir fertilisant qui se manifeste avec le plus de promptitude & d’énergie est aussi celui qui est le plus promptement épuisé» 173.

Le deuxième cas que nous présentons concerne une note tirée du tome III du

Cours de Gasparin (p. 56). Dans un paragraphe intitulé «Dépenses d’entretien

autres que la nourriture», l’auteur aborde la question des dépenses qui ne sont pas destinées aux «choses utiles au maintien de la force et de la santé», mais plutôt à «une foule d’articles plus ou moins inutiles et même nuisibles». À ce propos, il rapporte entre guillemets, en les insérant dans une sorte de dialogue fictif, les paroles d’Arthur Young, avant de poursuivre avec ses propres considérations:

Arthur Young se plaignait vivement de ce luxe ruineux. On lui disait: «Montrez-moi une pauvre famille qui ne prenne pas de thé au moins une fois par jour;» et il répondait: «Celles qui se livrent à ce goût peuvent-elles vivre à aussi bon marché que celles qui y renonçaient? Ont-elles le droit de se plaindre si le prix des denrées ne leur permet pas de passer une heure par jour à prendre du thé? Toutes les fois qu’on se plaint que les denrées sont trop chères, il faudrait ajouter: Pour vivre comme il nous plaît de vivre.» Ce sont ces articles, qui n’ajoutent rien à l’existence matérielle, et dont on se fait un besoin factice, qui ruinent

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les ouvriers de nos grandes villes. […]

Les ouvriers de l’agriculture, moins sujets aux écarts du luxe, le sont encore beaucoup trop à ceux de la débauche et surtout à ceux du cabaret. La séparation des deux sexes dans les plaisirs des jours de fête est le fait le plus funeste qui vienne entraver les progrès matériels et moraux des familles.

Flaubert cite une partie des paroles de Young (f° 23):

toutes les fois qu’on se plaint que les denrées sont trop chères, il faudrait ajouter: p. vivre comme il nous plaît de vivre» Arthur Young. (v p. 56.)

La séparation des deux sexes dans les plaisirs, les jours de fête est le fait le plus funeste qui vienne entraver les progrès matériels & moraux des familles.» (57.

Comme on peut l’observer, dans le texte-source, le discours de Young occupe plusieurs lignes; Flaubert, en revanche, sélectionne dans sa note la partie qui fonctionne comme une sorte de sentence gnomique, citant entre guillemets et soulignant seulement les deux dernières phrases du discours rapporté par Gasparin, et indiquant l’énonciateur de ce discours. Cela, probablement dans ce cas, pour le distinguer de l’énonciateur des autres notes qui occupent la page, et en particulier de la note qui suit immédiatement celle sur laquelle nous nous sommes arrêtée et qui, par contre, rapporte, elle-aussi entre guillemets, le discours de Gasparin.

Voilà donc comment plusieurs voix, plusieurs énonciations, plusieurs énonciateurs et partant plusieurs discours s’entremêlent dans le tissu des notes, le discours de la note englobant ceux qui proviennent de différentes instances d’énonciation. C’est ce que démontrent d’une manière plus éloquente encore certaines notes mises en relief elles aussi par l’emploi des guillemets et en marge desquelles Flaubert se livre à un dialogue singulier avec les textes lus et avec leurs auteurs. Ce dialogue se concrétise par des commentaires personnels que notre écrivain inscrit dans l’espace de la page manuscrite, agissant parfois comme s’il était en présence de ses interlocuteurs. Nous en présenterons deux exemples13. Le premier concerne une note tirée d’un passage du tome I du Cours

d’agriculture de Gasparin (p. 365):

Nous avons eu l’occasion de faire le compte d’un fermier qui prospérait, et son profit moyen n’était pas au-delà du dixième de son capital. Je n’oserais pas dire qu’en comprenant dans ce calcul les mauvaises années qui viennent de passer, il lui restât beaucoup des bénéfices des quinze années précédentes; mais certainement, en tout comptant, il n’a pas doublé son capital en vingt ans.

13 Nous avons mentionné ces mêmes exemples à propos des différentes formes de

dialogismes présents dans les notes de Flaubert, dans un article cité à la note 7 du présent travail.

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Flaubert en tire la note suivante (f° 20):

profit du fermier. «nous avons eu l’occasion de faire le compte d’un fermier qui prospérait économie politique - et son profit moyen n’était pas au-delà du dixième de son capital. Je

n’oserais pas dire qu’en comprenant dans ce calcul les mauvaises années qui viennent de passer, il lui restât beaucoup de bénéfices des quinze années précédentes mais certainement, en tout comptant, il n’a pas doublé son capital

en 20 ans!» mieux

donc il aurait fait de ne pas travailler du tout, & de laisser chez un banquier les intérêts de son capital amener en 15 ans, son

capital au double.

voilà comme l’argent est le produit du travail!

Dans le passage recopié entre guillemets, Flaubert souligne les deux phrases les plus importantes et ajoute, à la fin de la citation, un point d’exclamation qui n’est pas présent dans le texte de Gasparin, introduisant ainsi un commentaire personnel implicite aux fragments sélectionnés. En outre, après la citation, il ajoute un autre commentaire, cette fois explicite et suivi d’un autre point d’exclamation, tout comme il aurait pu le faire s’il était en présence de l’auteur.

L’exemple qui suit provient toujours du même tome de l’ouvrage de Gasparin (p. 604):

§ VI. ԟ Engrais Jauffret.

C’était en Provence que devait naître Jauffret, l’apôtre et le martyr des engrais. Son pays, pauvre en bestiaux, manquant de fourrages et par conséquent d’engrais, voyait son élan agricole arrêté par les effets de son sol et de son climat.

En relation avec le fragment noté entre guillemets, Flaubert ajoute à son propre commentaire (le jugement ironique «Belle phrase!» et le point d’exclamation final qui n’était pas présent dans le texte originel) une injonction adressée à Laporte et destinée à le guider dans son travail de préparation du second volume du roman (f° 21):

Belle phrase! «C’était en Provence que devait naître Jauffret, l’apôtre & le martyr des engrais!» p. 604)

devait me semble gigantesque. analysez devait! La complexité du discours de la note documentaire s’enrichit donc ici d’une articulation supplémentaire, représentée par le «dialogue» que l’écrivain instaure avec son collaborateur dans la page manuscrite.

3. La copie proprement dite

Des énoncés d’ampleurs différentes sont impliqués dans ce genre de réécriture: simples mots ou syntagmes nominaux (notamment dans les entrées à

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vocation dictionnairique qui occupent la marge gauche de la page manuscrite), phrases ou paragraphes. Flaubert respecte normalement la ponctuation, à quelques exceptions près.

Cette stratégie de réécriture s’apparente évidemment, de par sa fidélité à l’énoncé cité, à celle marquée par la présence des guillemets car la restitution de la parole de l’autre (le déjà-écrit) ne comporte aucune modification ni mani-pulation, mais son insertion dans le tissu verbal de la note de lecture (discours relevant d’une autre instance d’énonciation car il est produit par l’énonciateur Flaubert) n’est manifestée par aucun signe démarcatif. On se demande si on pourrait l’assimiler au discours indirect libre car ici la parole d’autrui se glisse imperceptiblement dans le discours citant, entraînant une sorte de superposition des deux discours et brouillant donc les frontières entre l’un et l’autre. En effet, l’action de recopier fidèlement un fragment de texte comporte toujours, dans une certaine mesure, une appropriation de la parole de l’autre, son inclusion dans le discours de celui qui prend la note et, par conséquent, l’adhésion du discours citant au discours cité, ce qui est typique de l’indirect libre fictionnel. Naturellement, dans le cadre de la synthèse extrême opérée par Flaubert dans son activité de prise de notes, les passages qu’il sélectionne et recopie sont extraits d’un cotexte plus ample, dont l’écrivain ne retient donc qu’une partie des informations, et les éléments éliminés précèdent ou suivent le fragment recopié qui garde, lui, son intégrité. Les exemples sont nombreux, il suffira d’en considérer quelques-uns. Les deux qui suivent sont issus, respectivement, des pp. 39 et 78 du Catéchisme d’agriculture:

153. Engrais humain. – Qu’est-ce que l’engrais humain?

C’est le produit des déjections de l’homme, tant solides que liquides. […]

Les Flamands le mélangent avec de l’eau; il forme alors de qu’on appelle l’engrais flamand ou courte graisse.

Les Chinois le pétrissent avec de l’argile. En France, on en fait surtout de la poudrette. […]

268. Quels sont le climat et le sol qui conviennent au froment?

Le froment craint les extrêmes du chaud et du froid; il appartient essentiellement aux climats tempérés. […]

Il n’exige pas beaucoup de profondeur du sol, mais il le veut propre et ameubli. Pourtant un ameublissement trop récent ne lui convient pas; mieux vaut que la terre ait eu le temps de s’affermir et de se tasser un peu.

Voici les notes de Flaubert (f° 35):

Engrais humains. X Les chinois le pétrissent avec de l’argile. […]

Froment. un ameublissement trop récent ne lui convient pas. mieux vaut que la terre ait eu le temps de s’affermir & de se tasser un peu.

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Le dernier exemple que l’on présente, plus ample, concerne une note tirée du tome III de l’ouvrage de Gasparin (chap. IV, p. 424):

SECTIONVII – État des engrais à l’époque de leur emploi.

Les agronomes ont été fort divisés sur la question de savoir si l’on devait employer les engrais au moment où ils venaient d’être produits et avant toute fermentation ultérieure, ou si l’on devait attendre que la fermentation eût opéré une décomposition plus ou moins avancée de leur masse. Ce que nous avons dit dans le premier volume de ce cours nous dispense d’entrer ici dans de grands détails. On sait, en effet, que quand cette décomposition est complète, le fumier a perdu les ⅔ de ses principes azotés et qu’il est réduit en grande partie à son carbone, à moins que, par le moyen des sulfates et principalement du sulfate de fer, on ait changé le carbonate d’ammoniaque volatil en sulfate d’ammoniaque, qui est un sel fixe.

Flaubert recopie de la manière suivante (f° 24):

état des engrais à employer.

si la décomposition est complète, le fumier a perdu les ⅔ de ses principes azotés et il est réduit en gde partie à son carbone – à moins que par le moyen des sulfates et principalement du sulfate de fer, on ait changé le carbonate d’ammoniaque volatil en sulfate d’ammoniaque – qui est un sel fixe. (424

Probablement, ici, l’aspect strictement technique des informations apportées par le texte-source et la présence d’un lexique spécialisé appartenant au secteur de la chimie ont poussé l’écrivain à les recopier telles quelles (à partir de «fumier» et sauf la conjonction introduisant dans le texte la seconde partie de la complétive) sans «oser» en effectuer une paraphrase comme il le fera, en revanche, dans les cas sur lesquels nous nous arrêterons dans le paragraphe qui suit.

4. La paraphrase

Pendant l’établissement des notes de lecture, Flaubert se sert de la paraphrase suivant les procédés typiques de cette stratégie de réélaboration et de résumé d’un énoncé plus long et détaillé: le discours des spécialistes est manipulé et réélaboré, même si c’est à des niveaux et selon des degrés différents d’intervention de la part du lecteur-scripteur Flaubert. Dans certaines notes, la paraphrase résulte surtout de l’élimination de certains éléments verbaux qui, à la différence des cas précédents, se situaient, dans l’ouvrage consulté, à l’intérieur du fragment pris en note. L’énoncé-source s’en trouve réduit par la perte de signes linguistiques, ce qui peut modifier partiellement le contenu encyclopédique de la note qui en dérive car on remarque une différence, en termes de soustraction, entre les informations du texte-source et celles de la note. D’autres procédés de réélaboration peuvent naturellement se présenter en même temps.

D’abord, prenons l’exemple d’une note tirée du Jardinier des petits jardins, p. 128:

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Ainsi donc la taille s’opère sur le rameau terminal des tiges et des branches, dans les proportions indiquées, moyenne quand leur état est normal, longue sur les arbres jeunes et vigoureux, courte sur les poiriers déjà âgés. Toutes les espèces ou plutôt variétés ne végètent pas de la même manière. Il faut donc les étudier pour modifier la taille selon les exigences de leur végétation plus ou moins vigoureuse.

Flaubert recopie ce passage dans une note du f° 10, éliminant un certain nombre d’unités lexicales et remplaçant un syntagme («leur état» se référant à «tiges» et «branches») par un terme («rameau») qui indique l’objet spécifique de la technique concernée:

La taille s’opère sur le rameau terminal, moyenne quand le rameau est normal, longue sur les arbres jeunes & vigoureux, courtes sur les poiriers déjà âgés.

Toutes les variétés ne végètent pas de la même manière. Il faut les étudier p. modifier la taille selon les exigences de leur végétation plus ou moins vigoureuse - D’autres fois, Flaubert procède par des modifications d’ordre syntaxique qui lui permettent de synthétiser plusieurs lignes du texte de départ en des énoncés très succincts, comme dans les exemples qui suivent, issus de quatre passages du

Jardinier des petits jardins:

Il ne faut pas non plus rapprocher trop la coupe de l’œil, car on pourrait l’éventer, ce qui nuit à la vigueur de la production. (p. 116)

ENTAILLES OU CRANS. – Ils diffèrent des incisions partielles, dont ils ont les effets avec plus

d’énergie, parce qu’ils pénètrent dans l’aubier. On les fait un peu obliquement avec la serpette, qu’on force légèrement pour écarter les bords de la plaie. Ils sont utiles sur les arbres à fruits à pépins et doivent être évités sur ceux à noyau, sur lesquels encore les incisions partielles doivent être faites avec ménagement. (p. 118)

EFFEUILLAGE. – Il consiste à retrancher, autour des fruits, les feuilles qui interceptent l’air et

la lumière, sans lesquels ils ne peuvent complètement mûrir et acquérir la couleur qui leur est propre. […] Dans les années chaudes on maintient une feuille au moins au-dessus de chaque fruit, pour que le soleil ne puisse le frapper directement que par alternatives dues à l’agitation que le vent lui cause. (p. 122)

Lorsqu’on dresse ou palisse un espalier, on équilibre les forces entre les parties inégales, soit en portant en avant, à 15 ou 20 centimètres du mur, la partie faible qu’on maintient par des tuteurs provisoires, soit en palissant les branches fortes plus serré que les autres et avant les faibles, qu’on laisse en liberté quelques jours de plus; l’air et la lumière qui les environnent mieux font cesser leur infériorité. C’est pourquoi on palisse les forts bourgeons avant ceux qui sont peu développés. Enfin, et sous la même influence de l’air et de la lumière, on arrête, toujours dans les arbres en espalier, le développement exubérant d’une aile, en la couvrant, à 12 ou 45 centimètres de ses sommités, par un auvent ou sur une planche qui lui cache la vue du ciel, qu’on maintient parfaitement libre pour l’autre partie. (p. 123)

(15)

Ces passages correspondent à quatre notes du f° 10:

si la coupe est trop rapprochée de l’œil, on évente l’œil, ce qui nuit à la vigueur de la production […]

entailles ou crans les éviter sur les fruits à noyau. […]

effeuillage. maintenir une feuille au-dessus de chaque fruit, dans les années chaudes, à cause du soleil. équilibrer les forces de l’espalier, en portant à 15 ou 20 c. du mur la partie faible qu’on maintient par

des tuteurs provisoires

p. arrêter le développement exubérant d’une aile. - un auvent qui lui cache la vue du ciel. 123)

On se demande quel critère a guidé ce genre de choix: exigence de concision? Manque d’intérêt pour certains détails considérés comme superflus? Ce sont les réponses les plus plausibles. Mais quelle que soit la véritable cause, l’intervention du lecteur-scripteur est évidente. On pourrait aussi supposer que la prévision de l’œuvre de fiction oriente déjà l’activité de prise de notes au niveau de la sélection des matériaux. Cette hypothèse confère évidemment aux notes de lecture un statut particulier car, d’un côté, elle les inclut à bon droit dans les processus qui sous-tendent la genèse du roman (ce qui est désormais acquis) et, de l’autre côté, contrairement à ce qui se passe dans la pratique courante de prise de notes de la part d’un scripteur commun, elle amène à considérer cette forme de réécriture non pas comme un procédé neutre, visant la simple acquisition d’informations, mais comme une réécriture créative, qui opère déjà d’importantes transformations par rapport à la donnée documentaire, des transformations qui sont à visée fictionnelle, c’est-à-dire sur lesquelles la fiction à venir exerce déjà son influence.

5. Un cas particulier: la citation intersémiotique

Et pour conclure, on réfléchira sur un dernier cas très singulier de citation, que l’on pourrait définir comme «intersémiotique», dans le sens où le cité n’appartient pas au même code sémiotique que le citant. Dans le cas que l’on va présenter, en effet, la citation comporte la verbalisation d’un message iconique; en d’autres termes, le code verbal, la parole, cite une image. Ce cas ne concerne pas une note précise de notre dossier; toutefois, certains indices nous ont poussée à considérer qu’il présente des analogies avec l’activité de prise de notes car il comporte l’appropriation d’éléments provenant de textes consultés pendant la recherche documentaire. Il nous faut suivre cette fois un chemin différent et partir d’un passage du roman, celui qui dans le chapitre II nous montre Pécuchet dans une pose particulière:

(16)

Quelquefois Pécuchet tirait de sa poche son manuel; et il en étudiait un paragraphe, debout, avec sa bêche auprès de lui, dans la pose du jardinier qui décorait le frontispice du livre. Cette ressemblance le flatta même beaucoup. Il en conçut plus d’estime pour l’auteur14. Comparons maintenant ce fragment avec la couverture du Jardinier des petits

jardins:

À part la position de la bêche – que le jardinier serre contre lui sur l’image et n’a pas à côté de lui comme Pécuchet dans le roman – on dirait que le passage du roman reproduit effective-ment la couverture de l’ouvrage consulté par Flaubert. La citation de l’image serait donc, dans cette hypothèse, le point de départ de la description du comportement un peu ridicule de Pécuchet, cherchant par cette forme d’imitation naïve une sorte d’identification avec son modèle. Du point de vue de l’écriture romanesque, un phé-nomène intéressant de mise en abîme intersémiotique que seule la consultation de l’ouvrage en question pouvait permettre de repérer, et cela si effectivement cette couverture peut être con-sidérée comme l’hypotexte ico-nique du passage que l’on vient de lire. Lisant le roman, nous

nous sommes demandé plusieurs fois quel était ce manuel ou plutôt s’il existait; puis en travaillant au corpus des notes sur l’agriculture, la curiosité est devenue plus forte, car si l’image-source existait, elle devait probablement appartenir à l’un des ouvrages d’agriculture que Flaubert a lus. Or, dans les deux folios de notes tirées du Jardinier des petits jardins, la couverture du manuel n’est pas mentionnée et aucune référence n’est faite à cette attitude du jardinier qui a besoin de consulter son manuel, de temps en temps, pendant le travail. L’hypothèse d’un lien intertextuel et intersémiotique entre cette image et le

(17)

passage du roman attend donc d’être confirmée, ou démentie, par la transcription des brouillons du chapitre II du roman, qui pourra nous permettre, nous l’espérons, de formuler un avis définitif à ce sujet.

(18)
(19)

SOMMAIRE

Avant-propos ... p. 5

Descriptif des manuscrits et liste des abréviations ... p. 7

Ouvertures

R.M.PALERMO DI STEFANO

In principio… ... p. 11

S.DORD-CROUSLÉ

Vers une édition électronique des dossiers de Bouvard et Pécuchet ... p. 15

S.PANARELLO,S.STELITANO,S.PATANÈ,S.MANGIAPANE

Une interface multilingue pour l’édition électronique des dossiers de

Bouvard et Pécuchet ... p. 21

Chantiers

É.BAÏSSE MACCHI

Quelques avancées à propos des «Idées historiques» ... p. 31

C.BERTHAUD

Diffusion et plus-value des dossiers de Bouvard et Pécuchet, ou comment

faire du «buzz» sur le net avec Flaubert ... p. 33

C.GOUTALAND

Autour de l’économie domestique ... p. 35

V.MALLERON

Le traitement de l’image dans l’édition électronique des dossiers de

Bouvard et Pécuchet ... p. 37 F.MERCIER

(20)

E.MORLOCK-GERSTENKORN

Qu’est-ce qu’un fragment? Enjeux et critères d’une définition dans le

contexte du projet «Bouvard» ... p. 41

R.TOURNOY

Sélection d’interfaces de visualisation ... p. 43

F.VATAN

Flaubert, lecteur des Œuvres posthumes du Docteur Charles Le Fèvre ... p. 45

Explorations

O.BARA

Autour de «Rocaille. Théâtre». Petite enquête sur un dossier préparatoire

de Bouvard et Pécuchet ... p. 49

C.BAREL-MOISAN

Quelques pistes sur le dossier «Socialisme»: organisation, destination,

problématiques ... p. 61

S.DORD-CROUSLÉ

Entre notes de lecture et fragments préparés pour le second volume: les

transferts de citations à l’épreuve du dossier «Religion» ... p. 81

D.GLEIZES

Modalités de la prise de notes dans les dossiers préparatoires de Bouvard

et Pécuchet: le cas du dossier «Socialisme» ... p. 97 É.LE CALVEZ

«République de 1848» ... p. 105

Y.LECLERC

La section «Théâtre» dans les dossiers de Bouvard et Pécuchet ... p. 121

B.MAGAUDDA

Le dossier «Politique» dans la documentation préparatoire de Bouvard et

Pécuchet: description du corpus ... p. 127 S.MANGIAPANE

De la citation à la paraphrase. Réécritures du savoir encyclopédique dans

(21)

S.MICALE

Le dossier «Styles (Spécimen de)-Périphrases» de loin et de près ... p. 157

S.MOMBERT

Le jugement critique. Étude génétique de la section «Critique» des dossiers

de Bouvard et Pécuchet ... p. 171

N.PETIT

Le dossier «Journaux»: de L’Éducation sentimentale au «second volume»

de Bouvard et Pécuchet ... p. 187

B.SETER

Le dossier «Socialisme-Politique» dans les notes préparatoires pour le

second volume de Bouvard et Pécuchet ... p. 207

N.SUGAYA

Régularités et distorsions: les transferts d’extraits dans le dossier médical

de Bouvard et Pécuchet ... p. 215

M.WADA

Éduquer et écrire: le dossier pédagogique de Bouvard et Pécuchet ... p. 229

A.YAMAZAKI

La destination des notes de lecture du dossier «Philosophie» ... p. 237

Références

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