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DU MEME AUTEUR. 2 Classe à Diên-Biên-Phu (La Table Ronde). Les Paras (Coll. «Corps d'elite», Balland). La Légion (Coll. «Corps d'elite», Baland).

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Academic year: 2022

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LE CORPS D'ÉLITE

Le c o r p s d'élite vit en marge du commun. Il n'est p a s s e u l e m e n t c a p a b l e d e bravoure et d'efficacité supérieure. Il est la c a s t e s a c e r d o t a l e d e la guerre.

Il en sublime les vertus, en a s s u m e l'horreur, en c é l è b r e les rites.

Le c o r p s d'élite n'a p a s de patrie. Il s e suffit à lui- même. Un Légionnaire s e bat pour le d r a p e a u d e la Légion, un Samouraï pour h o n o r e r le « bushido », un Para pour être digne du béret rouge. De 1942 à 1945, 4 5 0 0 0 0 j e u n e s Américains sont d e v e n u s d e s c o m b a t t a n t s d'élite, non par a m o u r d e la d é m o c r a t i e ou d e s Etats-Unis, mais p a r c e q u ' o n leur a dit qu'ils étaient d e s Marines.

Le c o r p s d'élite s e veut hors d e la loi c o m m u n e . Après avoir prêté serment, le SS peut d é f e n d r e son h o n n e u r par les armes. Le Légionnaire est couvert par la Légion. Dans les Marines, les ins- t r u c t e u r s ne c e s s e n t d e hurler aux r e c r u e s : «You ain't ever sorry for nothing you do in the Marine Corps» («Vous n'avez jamais à vous e x c u s e r p o u r c e q u e vous faites d a n s les M a r i n e s » )

Le soldat du c o r p s d'élite ne dépouille jamais tout à fait l'uniforme. C'est un initié. Il a subi les é p r e u v e s qui font de lui un autre homme. Il a d é c o u v e r t le s e c r e t d e l'Ordre. Il est le déposi- taire du Graal. un Graal masculin.

Le c o r p s d'élite s e veut s u p é r i e u r en tout. On le jalouse, on le craint. La formation du combattant isolé, le close-combat, les e x e r c i c e s p h y s i q u e s terrifiants, les récits d e s anciens, les exploits d e s aînés sont d e s t i n é s à lui d o n n e r une a b s o l u e confiance en soi.

Le c o r p s d'élite porte au front la m a r q u e d e la mort. Noire est la croix teutonique, noire est la couleur d e s SS, noir le ruban d e s Paras. Le j e u n e c a d e t est d r e s s é d a n s l'ombre d e s soldats tués, ainsi prépare-t-on s e s épousailles avec la mort.

La s a g a d e s c o r p s d'élite s'ouvre et s e ferme sur d e s défaites héroïques, d e s fêtes du sang. Le c o m b a t t a n t d e la H a g a n a h p e n s e aux s u i c i d é s d e Massada, c o m m e le Légionnaire rêve d e C a m e - rone. P a r c e q u e leur destin est s e r m e n t tragique il fascine d'autant plus l'imagination d e nos socié- tés où, paisiblement suinte l'ennui.

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DU MEME AUTEUR 2 Classe à Diên-Biên-Phu (La Table Ronde).

Les Paras (Coll. « Corps d'Elite », Balland).

La Légion (Coll. « Corps d'Elite », Baland).

© Balland, Paris, 1972.

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COLLECTION DIRIGEE PAR DOMINIQUE VENNER

E r w a n Bergot

L'AFRIKAKORPS

BALLAND

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BERLIN

« Le difficile, c'est ce qui peut être fait tout de suite. L'impossible, ce qui prend un peu plus de temps. »

G . SANTAYANA.

6 février 1941.

Il neige. Noire et blanche, la campagne allemande somnole, engourdie dans le froid d'un hiver qui n'en finit pas. Sous les ailes du Heinkel 111 de liaison qui vole, au ras des toits pointus empanachés de fumée jaunâtre, se dessinent les premières rues de la banlieue sud de Berlin, ponctuées, de-ci de-là, de l'éclat blême des lampadaires camouflés en bleu par la défense passive. Il est sept heures du matin. Dans la carlingue, indifférent au paysage calamiteux, l'unique passager, somnole, en apparence, yeux clos, mains croisées posées sur la capote grise. Le jour pâle, diffusé par la verrière, souligne le front haut et lisse, le menton carré, accuse le méplat des pommettes saillantes et donne aux lèvres une expression à la fois volontaire et rassurante. Tout chez cet homme de cinquante ans annonce l'obstination, la volonté, avec une pointe de malice. Une ascendance paysanne qui ancre ses pieds au sol et aiguise son esprit.

Erwin Rommel, 49 ans, l'un des plus jeunes généraux de l'armée allemande, commandant en titre de la 7 Panzer Division

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présentement stationnée à Bordeaux. Une convocation l'a bruta- lement tiré d'une permission familiale, à Herrlingen, près d'Ulm, pour l'inviter à se rendre au plus tôt à Berlin. On obéit toujours à ce genre d'injonction. Surtout quand elle est signée von Brau- chitsch, chef d'Etat-Major du Reich.

Rommel s'interroge. Que signifie cette convocation ? La cam- pagne de France, terminée six mois plus tôt, a réglé le problème du Front de l'Ouest. Au Nord, la bataille d'Angleterre est l'affaire de la Luftwaffe. Au Sud, la campagne de Grèce se déroule normalement et n'a pas besoin de lui. Reste bien sûr, le problème russe. Mais pour l'instant les « Alliés » s'observent en Pologne, alliés précaires mais alliés tout de même.

La piste de Tempelhof se déroule sous le train de l'appareil.

Un choc. Le Heinkel s'immobilise, coupant court aux questions que se pose Rommel. Il se dégrafe, s'extrait de la cabine, saute à terre et respire une longue bouffée de l'air glacé. Quelques pas l'amènent à la Mercédès à fanion qui stationne près d'un bâtiment timbré de la croix gammée. En cette journée d'hiver, Rommel ne sait pas qu'il commande déjà, en plein désert brûlé de soleil, une armée qui n'existe pas encore. Il ne peut pas savoir que, dans un mois, à la tête d'une poignée d'hommes pilotant des chars de carton, il foncera dans le désert de Libye à la conquête d'une oasis rose et verte, nichée dans la rocaille et qui s'appelle El Agheila.

Berlin, le 6 février 1941. L'Afrikakorps vient de naître : une simple feuille blanche, sur un bureau officiel dans une grande pièce aux meubles solennels. Sur cette page, un nom, Erwin Rom- mel et deux chiffres, V Leichte division (division légère) et X V Panzer division.

Ce n'est rien encore. C'est déjà la légende.

Plus tard dans la matinée, Rommel écoute l'exposé straté- gique de son chef, von Brauchitsch. Il pourrait rêver aux noms qu'il entend pour la première fois. Noms de pays lointains, de provinces nouvelles, de villes inconnues. Noms de généraux alliés, de chefs ennemis. Mais il suit la main de von Brauchitsch

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qui se déplace sur la carte au long de la côte Nord de l'Afrique, au bord de la Méditerranée.

A gauche, Tripoli, à droite Alexandrie. La Libye et l'Egypte.

Pour Rommel, ce ne sont pas des pays de légende, mais son futur théâtre d'opération. Il examine de près cette côte qui descend lentement vers le Sud-Est, de Tripoli à Marsa Brega, puis remonte en une presqu'île arrondie, par Benghazi Derna et Tobrouk, pour reprendre vers Solloum, Alexandrie et le Caire, son tracé rectiligne.

Il n'y a qu'une seule route, trait rouge parallèle à la côte.

Von Brauchitsch l'a désignée comme la « via Balbia », du nom de son promoteur, le maréchal italien Balbo.

Au sud de la route, rien. Le désert, parfois ombré de la tache bistre de quelques montagnes — les djebels — ou des hachures bleutées de quelque « chott », ces lacs sans eau qui parsèment le désert.

Rommel regarde et la carte ne lui semble plus abstraite.

Il en déduit le paysage, en examine partout les possibilités de manœuvre. Les villes ne l'intéressent que si elles sont à conserver ou à conquérir. Tripoli est un point de départ, Le Caire, un objectif lointain. Entre les deux, il n'y a que des étapes : Agedabia, Benghazi, Tobrouk, Solloum. Au-delà, il y a une frontière et de l'autre côté l'Egypte. Marsa Matrouh et Alexandrie.

Rommel ignore encore que ces petits points ronds sur une carte d'état-major seront, bientôt, les noms d'une épopée. Celle de l'Afrikakorps.

— Le Duce, explique von Brauchitsch, a dit, voici trois jours, que l'Italie avait envoyé, entre 1936 et 1940 en Libye, une armée de 14.000 officiers et de 327.000 hommes. Evidemment, cela peut paraître impressionnant, surtout si l'on considère que la Libye est un désert et qu'en face, il y avait tout au plus 36.000 bri- tanniques. En réalité, l'armée de Graziani n'a été formée que pour se battre contre des indigènes ou les troupes du Négus !

— Le matériel ne doit pas être brillant ?

— Non. Les chars blindés sont trop légers, d'une puissance

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trop faible et d'une autonomie restreinte. Pire encore, l'artillerie date de 1918 !

— L'infanterie ?

— L'infanterie est à pied ! Ce qui revient à dire qu'elle est inopérante sur un aussi vaste terrain.

Rommel hausse les épaules. Depuis la campagne de France, il sait le poids décisif que peut représenter, face à un ennemi statique, limité à des déplacements pédestres, une unité mobile qui peut attaquer, contourner, dépasser, encercler et finalement réduire l'adversaire. Dans la guerre moderne, c'est moins la supé- riorité numérique qui compte, que l'importance du matériel, sa puissance et son adaptation. Il questionne :

— Et les Anglais ?

Von Brauchitsch montre sur la carte le pointillé de la frontière égyptienne.

— Graziani l'a franchie en septembre en direction du Nil.

En face, les Anglais n'avaient rien de bien conséquent à lui opposer avant Alexandrie. Pourtant il n'y est jamais arrivé.

— Pourquoi ?

— Il semble que Graziani ait jugé suffisant le fait d'être en Egypte. Il lui manquait, disait-il, le matériel nécessaire pour garder les positions conquises en cas d'attaque ennemie. Il faut considérer — von Brautchisch déplace sa main vers l'Ouest jusqu'à Tripoli — que le ravitaillement italien débarque dans ce port, puis est acheminé en camion jusqu'à la frontière égyp- tienne, à 2 000 km de là ! Outre l'usure des camions de transport, les délais étaient énormes, et les risques dûs aux attaques aérien- nes, incessants.

— Qu'a fait Graziani ?

— Il a stoppé son avance à Marsa Matrouh, 200 km après la frontière égyptienne et il a attendu. Evidemment, les Anglais ne sont pas restés inactifs. Wavell, le général anglais responsable du théâtre d'opération « Est » — de la Rhodésie à la Palestine — a appelé à la rescousse le général O'Connor, en poste à Jérusalem, pour dégager le front égyptien, enrayer la menace italienne sur Alexandrie et Le Caire.

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— O'Connor ?

Von Brauchitsch cueille sur son bureau une fiche.

— Officier brillant. Il a tout de suite compris que la meilleure façon de parer la menace italienne était l'offensive.

Non pas seulement pour aérer son dispositif, mais pour briser le potentiel adverse. Devançant Graziani — qui avait promis de reprendre sa progression vers le Nil le 15 décembre — 0' Connor l'a attaqué le 9, huit jours avant.

La main de von Brauchitsch suit la côte libyenne vers l'Ouest, s'arrête sur certains points tandis qu'il énumère : Sidi Barani, pris le 11 décembre, Bardia sur la frontière, le 5 janvier. Tobrouk a capitulé le 23 janvier, tandis qu'à 170 km plus à l'ouest, la garnison de Derna se repliait sans être attaquée. En quinze jours, les Anglais ont, non seulement dégagé l'Egypte, mais ils ont conquis la moitié de la Libye.

— Avec, je le suppose, un matériel considérable ?

— D'après nos renseignements au moment du bond en avant, l'armée de O'Connor comportait deux divisions : la 4 Divi- sion Indienne d'Infanterie avec une soixantaine de chars et la 7 Division Blindée, plus un petit régiment appelé « Force Selby ».

Cinq jours d'approvisionnement pour l'ensemble. Il est bien évident que le désastre italien les a dispensés de problèmes d'inten- dance...

— Aujourd'hui, demande Rommel, pratique, où passe le front ?

— L'avance britannique s'est poursuivie vers l'Ouest, sur 1 000 km jusqu'à Benghazi dont nous attendons la capitulation d'un jour à l'autre.

Avec un sourire méprisant, von Brauchitsch ajoute :

— Benghazi est une ville agréable à habiter. Les Italiens y avaient édifié de très jolies maisons. Ils ne veulent peut-être pas qu'une bataille puisse les endommager.

— Autrement dit, plus rien ne s'oppose à ce que les Italiens soient balayés de la Libye ? Qu'arrivera-t-il si les Anglais arrivent jusqu'en Tunisie où se trouvent d'importantes unités françaises ?

Von Brauchitsch grimace :

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— On ne peut pas compter sur les Français. C'est la raison pour laquelle nous devons à tout prix éviter de poser aux généraux français un « terrible » cas de conscience. Le Führer a décidé de mettre à la disposition des Italiens un corps expéditionnaire alle- mand, l'Afrikakorps. Il sera placé sous votre commandement.

Rommel claque les talons.

— Quand pourrais-je en disposer ? Von Brauchitsch feuillette un épais dossier.

— Depuis le 20 janvier, nous avons constitué ce Deutsches- Afrikakorps sur la base de deux divisions motorisées. L'une, la X V est blindée. Elle est présentement à l'instruction en Poméra- nie avec son chef, le général von Prittwitz. La seconde, légère, est actuellement en formation, à partir d'éléments prélevés sur la 3 Panzerdivision 1 Nous lui avons donné le numéro V. Elle sera commandée par le général Streich.

Rommel, mentalement, fait le bilan de ce DAK. Deux divi- sions, une Panzerdivision et une Division Légère, cela représente environ vingt-quatre mille hommes. Mais surtout un outil remar- quable pour la guerre du désert. Von Brauchitsch poursuit :

— Les premiers éléments de la V Légère sont en route pour l'Italie. Ils embarqueront à destination de Tripoli aux environs du 15 février. Dans une semaine. Ensuite, à partir du 15 avril, arrivera la X V Panzer.

« Nous pensons que, selon toute vraisemblance, vous dispo- serez de la totalité de l'Afrikakorps dès le 15 mai. D'ici là, vous aurez tout le temps de vous familiariser avec la Libye, le désert, et votre adversaire.

Rommel approuve, sans répondre. Il sait, pour avoir com- mandé, pendant la campagne de France, l'été dernier, une division blindée — la 7 — tout le parti que l'on peut tirer d'une telle unité.

A la différence des Français, les Allemands ont en effet établi l'organigramme d'une Panzerdivision à partir de la stratégie et non de la routine, et si, en France, une division blindée est

1. Appelée aussi Paradedivision (division de parade).

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composée de chars, la Panzerdivision allemande est une véritable armée à elle seule, possédant toutes les unités la rendant apte à toutes les missions.

Autour de son fer de lance, un Panzerregiment, s'articulent deux unités motorisées, un Groupe de reconnaissance — doté d'automitrailleuses ou de véhicules blindés de reconnaissance — et un régiment d'infanterie portée. Viennent ensuite des groupes d'artillerie de campagne, de D.C.A. et des sections antitanks.

Ensuite, les services, intendance, transmissions, renseignements, etc...

Rommel jette un œil sur l'ordre de bataille. En face des unités, des noms.

La V Légère dispose du 5 Panzerregiment aux ordres du colonel Olbrich, du 3 e Groupe de reconnaissance du colonel von Wechmar et du 104 régiment d'infanterie motorisée du colonel von Holtzendorff.

De tous ces officiers, Rommel n'en connaît qu'un, le colonel von Wechmar. Un aristocrate au visage fin, à la silhouette aussi nette que le fil d'une épée. De l'épée, il a également la rigidité et la dureté, mais aussi la vivacité et l'acuité. Un excellent conduc- teur d'hommes et un fonceur. Rommel approuve et déjà, dans son esprit, se forme la doctrine qu'il utilisera bientôt. Celle qui consistera à disperser l'organigramme, assouplir les formations et, en amalgamant artillerie, chars, infanterie, créer des sous- divisions autonomes qui seront autant de masses de manœuvre douées d'initiative. Des hommes comme von Wechmar lui seront utiles.

Von Brauchitsch a refermé son dossier, l'entretien est terminé.

— Le Führer souhaite vous dicter lui-même ses instructions.

Le bureau de Hitler est plongé dans la pénombre, dans le jour qui décline.

Seules, sur la table, deux lampes allumées. L'une éclairant une carte qui couvre l'Europe, de Brest à Moscou, et d'Oslo à la Mer Rouge.

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Lui tournant le dos, Hitler parle, volubile, à un Rommel respectueux et attentif :

— Il est capital, dit-il, martelant ses phrases du tranchant de la main, que les Anglais soient stoppés en Libye. Je ne veux pas qu'ils puissent menacer mon dispositif européen par le Sud.

De plus, j'estime impensable que l'une des deux puissances de l'Axe subisse une défaite qui pèserait gravement sur l'avenir.

— Bien, mein Führer. Mais ne pensez-vous pas que les Italiens vont mal accepter que nous leur donnions une leçon ?

— Non. Ils ne sont pas en position pour être amers. Nous les avons aidés en Grèce, nous les aiderons en Libye. D'ailleurs, et pour éviter tout malentendu, je suis tombé d'accord avec le Duce sur le chapitre de la subordination. Ce n'est pas le Reich qui s'engage en Afrique; donc, vous serez sur place à la disposition du général Graziani, et à Rome, vous prendrez vos ordres auprès du Comando Supremo. Vous partez demain.

— Demain ?

— Oui. Tournée obligatoire pour prendre contact. Vous vous ferez une idée de la situation.

Hitler s'approche de son bureau, se retourne :

— Vous ne serez pas seul, je vous fais accompagner de mon aide de camp, le colonel Schmundt. Il sera ma caution auprès des Italiens. Des questions ?

Rommel va ouvrir la bouche, Hitler le coupe :

— J'ai confiance en vous, général Rommel. — Il sourit :

— Depuis quand nous connaissons-nous, déjà ?

— Six ans, mein Führer.

— C'est vrai ! Je me souviens du jour où vous avez failli vous faire lyncher par des ministres et des généraux...

— En effet, vous m'aviez donné l'ordre de ne laisser passer, dans un convoi officiel, que les cinq premières voitures. J'ai stoppé la sixième et les autres...

— C'est ce que j'apprécie le plus chez vous, un ordre est un ordre. Mais, dites-moi, si les ministres ou les généraux vous étaient passés sur le corps, à vous, qui n'étiez qu'un simple lieutenant-colonel ?

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— J'y avais pensé, explique Rommel avec un large sourire.

J'avais posté des chars au premier carrefour pour bloquer la rue après la cinquième voiture du cortège.

— Bien, général Rommel. Je sais que l'on peut compter sur vous. Vous en avez donné la preuve pendant la campagne de France. Vous ne me décevrez pas en Libye. Mais, rappelez- vous, ce front est secondaire. C'est une guerre italienne et vous n'êtes là-bas que pour représenter la solidarité de l'Axe. Notre Reich a ses ennemis, ses batailles, ses croisades. L'Afrique n'a aucun poids dans la guerre. Elle ne compte pas. J'attends donc de vous que vous aidiez les Italiens à ne pas être jetés à la mer.

— A vos ordres, répond Rommel.

Il déduit de cet entretien que jamais l'intérêt du Führer, celui de Berlin, comme celui de l'Etat-Major ne se portera sur cette Libye lointaine où se déroule une guerre oubliée.

Le lendemain, 7 février, Rommel accompagné du colonel Schmundt arrive à Rome. Dès l'aérodrome, ils apprennent la nouvelle : Benghazi est tombée. La capitulation a été signée à l'aube.

— Maintenant, dit Rommel, qui se rappelle la carte de la Libye rien n'empêche plus les Anglais d'arriver jusqu'à Tripoli...

En effet, la côte est rectiligne, plate et les défenses italiennes ne commencent à être solides qu'à Bouerat, à l'entrée des maré- cages, deux cent quatre vingt kilomètres avant la capitale de cette province libyenne qu'est la Tripolitaine.

Plus tard, dans la matinée, les deux hommes apprendront que le général Graziani, commandant en chef en Afrique, a abandonné ses fonctions et rentre à Rome.

— Ils vont sans doute le faire passer en Cour Martiale ?

— Bah, réplique Schmundt, le plus urgent est de lui trouver un remplaçant...

Rommel le connaîtra bientôt, celui-ci sera le général Gari- boldi.

Au siège du Comando Supremo, on se garde d'indiquer la

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situation comme désespérée, et l'on accueille ce petit général alle- mand avec une certaine condescendance.

— Vous êtes à notre disposition. C'est donc auprès du général Gariboldi qu'il vous faudra prendre vos ordres de détail.

Pour l'essentiel, sachez seulement que nous avons décidé de replier toutes nos garnisons sur Bouerat. Nous défendrons ainsi bien mieux Tripoli.

Rommel hoche la tête. Il se voit mal, lui, le fonceur auquel on a fait entrevoir un terrain de manœuvre sans limites ni frontiè- res, en train de s'accrocher à une route, entre mer et marécages.

Mais il ne répond pas. Il se réserve de connaître son terrain pour agir. A Rome, l'Afrique n'est qu'une carte que Rommel connaît par cœur. Partant de Tripoli la côte s'infléchit, vers l'Est en une légère courbe qui forme le golfe de Syrte avant de remonter, vers le Nord pour former la presqu'île de Cyrénaïque dont Benghazi est la capitale.

— Avant Bouerat, demande-t-il, n'avez-vous aucune inten- tion pour bloquer l'avance des Anglais ?

Guzzoni, chef du Comando Supremo, hausse les épaules.

— Avec quelles troupes ? Il ne nous reste que trois petites garnisons. La plus à l'est se trouve à Agedabia, la seconde à El Agheila, la troisième à Syrte. Mais ce sont des détachements symboliques. Regroupées, elles formeront une barrière plus dif- ficile à réduire pour les Anglais.

Il se tait, passe un doigt sur sa moustache cirée et :

— D'ailleurs, Bouerat sera tenu pour vous permettre d'y acheminer vos troupes à temps afin de les préparer à connaître la guerre du désert.

Rommel constate que le plus grave est fait. Les Italiens, bousculés et talonnés par le général O'Connor, n'ont plus de répit pour s'organiser valablement. Si l'on n'arrête pas le processus, la retraite se changera en déroute.

C'est un enchaînement qu'il connaît bien. En France, lorsque Rommel et sa 7 division avaient accroché une unité ennemie, ils ne lui laissaient pas la plus petite minute pour respirer, se réorga-

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Le précurseur, le maréchal de l'Air Italo Balbo, abattu au-dessus de Tripoli, le 18 juin 1940.

Chars italiens détruits en Libye. Hiver 1940.

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Le vainqueur, le général Richard O'Connor.

Colonnes de prisonniers italiens dans le désert, printemps 1941.

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niser, s'installer. Chaque fois, l'ennemi s'était rendu, à bout de souffle.

Ce n'est pas une question de courage, mais un simple calcul mathématique. Il existe une dynamique de la déroute.

— Il n'y a pas une guerre du désert, confie-t-il plus tard à Schmundt. Il y a la guerre moderne tout court. Seul le terrain de manœuvre diffère. Il est plus vaste dans le désert c'est pourquoi la guerre de mouvement y trouve son plein emploi, sa forme la plus élaborée. Cela fait songer, cela doit ressembler à la guerre sur mer.

« Quand un bateau stoppe, il est repéré, rejoint et détruit.

Dans le désert, il faut constamment se déplacer, attaquer ou tâter l'ennemi. Seule l'offensive paie. Pas besoin d'une armée nombreuse, un matériel adapté, le plus motorisé possible doit suffire. Et le désert est alors assez vaste pour tourner l'ennemi et le frapper là où il ne vous attend pas.

Pendant trois jours, Rommel se renseigne, parcourt les divers Etats-Majors, harcèle de questions les Italiens, se fait expli- quer la Libye, les forces en présence.

Finalement, le 10 février, sa conviction est faite. Il devra agir seul, prendre des initiatives, assumer le risque d'une déso- béissance qu'il juge inéluctable parce que nécessaire. La véritable obéissance, pour lui, est de mener à bien la mission confiée par le Führer.

Le soir du 10 février, Rommel arrive à Catane. C'est le P.C.

du général Geissler qui commande la 10 escadre aérienne de la Luftwaffe.

Les appareils de la 10 escadre aérienne, — bombardement et chasse — ont, pour théâtre d'activités, tout le secteur méditer- ranéen. Ils interviennent la plupart du temps contre Malte et les convois anglais qui ravitaillent le front de Grèce et du Moyen- Orient. Rommel a besoin d'eux, dans un but précis :

— Les Italiens sont en déroute en Libye, dit-il d'emblée.

Je dois les aider à l'Est de Tripoli, mais, à l'allure où avancent les Anglais, jamais je n'arriverai à temps.

— Que voulez-vous ?

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— Bombardez Benghazi où se trouve l'ennemi. Ensuite, à l'ouest de cette ville, tout au long du golfe de Syrte, attaquez leurs convois. Il faut, vous entendez, freiner leur avance, sinon la stopper tout à fait.

Geissler secoue la tête. Mince, l'œil bleu un peu fixe, cet ancien compagnon de Goering toise le petit général d'Infanterie mis, comme lui, à la disposition des Italiens et qui a la prétention d'ignorer la hiérarchie en dictant ses propres ordres.

— Désolé Rommel, c'est impossible. J'avais déjà pensé à bombarder Benghazi. Les Italiens s'y sont opposés.

— Pourquoi ?

Geissler daigne sourire. Un sourire sans gaieté qui pince ses lèvres minces.

— Vous ignorez sans doute que la plupart des officiers du corps expéditionnaire de Libye possèdent à Benghazi de somp- tueuses villas... C'est la seule explication logique que j'ai pu découvrir à cette interdiction.

Rommel crispe les mâchoires. Il n'est pas des plus patients.

Un coup de téléphone au Comando Supremo confirme les déduc- tions de Geissler sur l'interdiction de bombarder Benghazi.

Paisible, le colonel Schmundt :

— Je vais arranger cela.

De fait, Hitler en personne donne à Geissler l'ordre souhaité.

Le lendemain, 12 février, à Catane, Rommel embarque dans l'un des avions de transport qui achemine sur Tripoli le déta- chement précurseur de la 5 Division légère. A ses côtés, le général Streich, commandant la Division.

Au-dessus de l'eau, ils croisent les bombardiers de la Luft- waffe, cap au Sud-Est.

Rommel est rassuré. Geissler a tenu parole. Pour la première fois depuis leur chevauchée victorieuse, les troupes britanniques vont enfin rencontrer, sur leur chemin, l'armée allemande.

Il est une heure de l'après-midi sur l'aérodrome de Tripoli.

Une fine poussière de sable ocre vole au ras de terre, poussée par un vent frais qui vient de la mer. A cette époque de l'année, la

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côte d'Afrique n'est pas — pas encore — l'enfer de chaleur de l'été. Il fait bon, sans plus, et le soleil, jaune et bas sur l'horizon reste supportable.

— Rien à craindre pour le coup de bambou, déclare Werner Vog, l'un des premiers mitrailleurs descendu à terre avec le 3 9 Panzergrenadiers.

Il ôte le casque colonial distribué à Catane aux « Africains ».

— J'ai l'impression que l'ami Otto a vu un peu grand...

Le commandant Otto est le responsable du matériel de l'Afrikakorps. C'est à lui qu'est échu le redoutable privilège de préparer l'équipement du corps expéditionnaire allemand en Afrique, le premier depuis 1914 au Cameroun. Autant dire qu'il lui a fallu improviser.

Pour l'uniforme, il s'est inspiré des tenues italiennes, adop- tant, pour la couleur, celle du sable, un jaune terne, ni tout à fait saharien, ni complètement kaki.

Pour la coiffure, il s'en est remis à la routine et a prévu le casque de liège.

Peu à peu, ce casque colonial, ni beau, ni pratique, ni martial sera remplacé par le calot réglementaire à visière des unités encasernées. En toile kaki, il deviendra le symbole de l'Afrika- korps.

Pour l'instant, les Allemands découvrent, avec surprise et amusement, les shorts kaki, taillés « à l'anglaise » dont les a dotés l'Intendance du commandant Otto. Non qu'ils aient honte de montrer leurs genoux, mais, comme le dit Vog, originaire ainsi que Rommel de la région d'Ulm,

— Ça doit faire mal à un général Souabe de commander une division de Tyroliens !

Rommel et Streich ont été accueillis par le lieutenant colonel Heggenreiner, qui représente le général von Rintelen, attaché militaire auprès du Comando Supremo :

— Mon général, dit-il à Rommel, le général Gariboldi souhaite vous voir tout de suite.

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— J'espère qu'il est aussi pressé que moi, réplique le chef de l'Afrikakorps.

Sur le parcours qui relie l'aérodrome de Castel Benito à Tripoli, au nord, Rommel regarde autour de lui. Tout au long de la route, il croise des détachements italiens qui remontent vers le front ou qui en reviennent. Tous ont cet air absent des troupes épuisées au moral perdu.

Mal rasés, hâves, parfois sans coiffure, souvent sans armes, ils n'ont plus l'air d'être commandés et semblent peu résolus à défendre leurs positions.

A Tripoli, Rommel a une surprise plus désagréable encore.

Il rencontre des officiers plus préoccupés de surveiller leur démé- nagement que de préparer l'arrêt de l'offensive ennemie. Un vent de panique semble souffler sur la capitale du dernier morceau de territoire italien d'Afrique.

Le visage fermé, les dents serrées, l'œil furieux, Rommel entre dans le bureau du général Gariboldi qui assure :

— Heureux de vous voir.

— Moi aussi, réplique sèchement Rommel. Il attaque aus- sitôt : avez-vous reçu communication des ordres de Rome ?

— Non, dit Gariboldi. J'essaie d'organiser au mieux le rembarquement des unités qui ne sont pas nécessaires pour la défense de Tripoli.

Rommel ne fait aucun commentaire. Il pense surtout à arra- cher cette liberté de manœuvre qui n'était pas prévue :

— Je suis certain qu'au lieu de former la ligne de défense à la hauteur de Bouerat, nous avons avantage à l'établir soixante kilo- mètres à l'est, à Syrte par exemple.

Gariboldi fait la moue :

— Vous ne vous faites pas une idée très juste du terrain.

Lancer des unités non préparées au devant des Anglais n'abou- tira qu'à les faire grignoter plus tôt que prévu.

En cet instant, avec ses pommettes osseuses, son crâne rasé et le regard aigu entre les paupières mi-closes, Rommel ressemble à quelque conquérant asiatique examinant un ennemi. Il s'oblige

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à sourire, apparemment soucieux de la hiérarchie et s'arrange pour suggérer ses propres conceptions.

— Mon point de vue, explique-t-il à voix mesurée, est qu'il ne faut plus reculer d'un mètre. Au contraire, il faut engager massivement l'aviation, faire intervenir au plus tôt toutes les troupes disponibles, y compris le premier contingent allemand...

— Votre contingent me paraît insuffisant pour être efficace.

Vous ne connaissez pas O'Connor !

Visiblement, Gariboldi est dépassé, à bout de nerfs, trauma- tisé par une défaite qu'il assume sans en avoir la responsabilité. Il n'a plus l'esprit offensif et semble prêt à tout, sauf à contre- attaquer. Rommel insiste.

— Je pense que les Anglais avanceront tant qu'ils ne sen- tiront pas de résistance organisée en face d'eux. Que nous leur donnions un coup d'arrêt sérieux et de graves problèmes inter- viendront aussitôt, particulièrement au niveau du ravitaillement en munitions et en carburant. Surtout si notre aviation coupe leurs sources d'approvisionnement.

— Pensez-vous être en mesure de leur tenir tête ?

Rommel hoche la tête, sans mot dire, certain de la justesse de son raisonnement. Seul lui manque une image concrète du terrain où il mettra en pratique son idée de manœuvre.

— Je vous suggère d'effectuer une reconnaissance aérienne au-dessus de la région de Syrte, propose Gariboldi, à bout d'argu- ments...

Avec ses cheveux blancs, sa moustache de paysan piémontais, ses yeux éteints, ses épaules voûtées, Gariboldi ressemble plus à un vieillard épuisé qu'au chef des armées d'Afrique. Bien qu'il domine Rommel de près d'une demi-tête, il semble le plus petit.

Pourtant, tandis que Rommel quitte le bureau, il ne peut s'empêcher de remarquer, avec un air désabusé :

— Le désert est un curieux champ de bataille, général. D'en haut il a l'air plat et facilement manœuvrable. Au ras du sol, c'est autre chose. La poussière, le sable, la soif, la solitude.

Peut-être, vu sur la carte fait-il penser à la mer ? Mais il est plus

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traître. Un véhicule isolé, un homme désarmé n'y est pas solitaire, il est en perdition.

Déjà Rommel ne l'entend plus. Il est sûr maintenant qu'en dépit des ordres reçus, il pourra mener sa guerre à sa façon.

Pour le moment, c'est la seule chose qui compte.

En ce soir du 12 février 1941, l'Afrikakorps est entré en campagne.

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Première partie

L'Elan

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EL AGHEILA

« Ni les dieux, ni le cosmos ni la mort ne suffisent à emplir la voix profonde qui unit le désert aux

étoiles. »

A n d r é MALRAUX.

13 février 1941

Jaune est le soleil d'hiver qui plonge, au sud-est, vers un horizon, lui aussi jaune de poussière. Jaune est la terre, jaunes aussi les hommes, tapis dans la rocaille. L'avant-garde de l'armée du général O'Connor est là, à quelques kilomètres au Sud d'El Agheila, le point le plus avancé de l'offensive britannique au-delà de Benghazi.

Du casque aux brodequins, du fusil au visage hirsute, tout est recouvert d'une fine pellicule ocre, accrochée aux rides des visages fatigués, collée aux barbes incultes. Le moral est bon, car, jamais jusque-là, l'armée anglaise n'était allée aussi loin vers l'Ouest.

Aujourd'hui, comme hier, comme elle ne cesse de le faire depuis deux mois, elle attend l'ordre de repartir en avant.

— Demain, ce sera Tripoli, assure le caporal Lee : on pourra peut-être goûter à cette damnée Méditerranée qui nous fait la nique depuis notre départ de Marsa Matrouh.

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— T'en fais pas, Aussie avec les patrons que nous avons, Gambier-Parry 2 et le petit père O'Connor on y sera bientôt ! Tu auras plein de bière, des cinémas et des tas de prisonniers italiens pour te cirer tes chaussures.

Le sergent Mac Gall, un Ecossais roux et jovial, aussi sec que son nom, éclate de rire :

— Ça ne peut pas être mieux qu'à Beda Fromm, la semaine dernière. Le 7 février, nous avons rattrapé sur la piste un convoi qui s'échappait de Benghazi. Tu aurais vu ça. Tout un autocar rempli d'Italiennes ! Elles s'étaient assises en plein désert, au milieu des carcasses de canons, de chars, de camions et se prépa- raient le thé.

Il rit : — Elles se croyaient au mess de garnison... Il paraît même qu'elles ont invité le général.

— Lequel ? interroge Lee. Tu ne veux pas parler de « barbe électrique » tout de même ?

— Non, bien sûr, le pauvre général italien, Bergonzoli cher- chait sans doute à recharger ses batteries...

— Pourquoi l'appelez-vous « barbe électrique » ? demande Callahan, arrivé l'avant-veille, venant tout droit de Melbourne.

— Demande aux Italiens. Bergonzoli passait pour être le chef le plus dynamique de l'armée fasciste. Mussolini en personne lui avait ordonné de défendre Benghazi jusqu'à la mort... Du coup, l'autre en avait le poil frémissant, avec des étincelles qui lui sortaient des favoris ! La barbe électrique, quoi...

Callahan éclate de rire, mais Lee :

— Qu'avez-vous fait des femmes ?

— Rien. On les a raccompagnées jusqu'à Agedabia et ensuite, vogue la galère, elles sont parties vers Tripoli. Qui sait ? Avec un peu de chance on les retrouvera là-bas.

Lee, rêveur, s'adosse au parapet de la tranchée et, avec un soupir :

— Tu sais à quoi je pense ? Je me dis que c'est chouette 1. Aussie : surnom donné aux Australiens.

2. Commandant la 7 e Division Blindée.

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d'être l'avant-garde d'une armée victorieuse. Y a qu'une place pour laquelle je changerais : celle du général...

Le sergent Mac Call approuve :

— Tu sais, lorsque je l'ai vu arriver en décembre, au mess, je me suis dit : « ce type-là, O'Connor, c'est un sacré bonhomme.

D'abord, il n'avait pas l'air d'un général. Un pantalon de velours, une veste de cuir, une écharpe en tartan. Un vrai civil, quoi.

Et puis juste pour ressembler à un soldat, une casquette d'uni- forme. Pas très grand, mais des yeux comme des soucoupes, avec des sourcils en broussailles. Un menton en galoche et, quand il parlait, il penchait la tête de côté, et il fallait tendre l'oreille pour l'entendre. Tu aurais dit un séminariste, avec un cheveu sur la langue.

— Tu ne le flattes pas beaucoup, note Callahan.

— Plus important était de l'entendre. Il a juste parlé un quart d'heure, mais je m'en souviendrai longtemps « nous n'avons pas beaucoup d'essence, pas beaucoup de chars, pas beaucoup de ravitaillement, pas beaucoup d'hommes. Nos réserves sont épui- sées en Egypte. Tout ce qui nous manque est devant nous en Libye, chez les Italiens. Allons le chercher. » Nous sommes partis comme ça, avec juste cinq jours de vivres...

— Chapeau ! dit Lee. Et la promenade a duré dix semaines.

Je ne donne pas quinze jours pour que nous arrivions à Tripoli, parce qu'à force de leur barboter des prisonniers, aux Italiens, il ne doit plus leur rester grand monde...

— Dix semaines de campagnes, dit, au même moment, le général O'Connor à Dormann-Smith son adjoint. Dix semaines qui représentent un bilan incroyable : 800 km de gagnés, une armée ennemie pulvérisée, 130 000 prisonniers, 400 chars, 1 200 canons, deux forteresses capturées...

— Je ne manquerai pas de souligner cet exceptionnel bilan au général Wilson, promet Dormann-Smith.

Désabusé, O'Connor secoue la tête. Il sait que cela ne servira à rien, la décision ne lui appartient plus. Hier au soir, il a reçu l'ordre formel de stopper son avance et de distraire sa meilleure

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division d'infanterie — les Hindous — pour les expédier en Grèce Winston Churchill a décidé de livrer l'ultime bataille aux Alle- mands sur le point d'occuper le Péloponnèse.

La plupart des généraux britanniques ont essayé de fléchir la décision du Premier ministre. Mais il s'est montré inflexible, agressif même. Au général Dill qui lui affirmait :

— Nos troupes ont assez à faire au Moyen-Orient pour assu- mer valablement la défense de la Grèce, Churchill a répondu :

— Ce dont vous avez besoin là-bas, c'est d'une cour martiale et d'un peloton d'exécution...

Menace qui évidemment vise les généraux d'Egypte, bien que le bilan présenté soit éloquent. Le commentaire renforce la déci- sion de Winston Churchill :

— Bravo pour cette magnifique prise de Benghazi, effectuée avec trois semaines d'avance sur le calendrier prévu, Mais elle ne modifie pas, en fait elle confirme notre volonté de voir votre effort principal porter désormais sur l'aide à fournir à la Grèce où la situation est difficile.

Pour Winston Churchill en effet, Benghazi atteint, l'armée anglaise a cassé l'ennemi. Elle n'a plus autant besoin d'effectifs.

Ceux qui restent suffisent. Le 13 février 1941, O'Connor, la mort dans l'âme doit lui-même organiser la dispersion du XIII Corps qui était le fer de lance de son offensive.

— Nous pouvons peut-être prendre Syrte, mais il faut faire vite, observe-t-il. Nous pouvons y être avant d'y trouver une résis- tance sérieuse. Avec la prise de Syrte, cessera, je le crains, notre désobéissance, car nous ne pourrons plus avancer...

Insoucieux des problèmes de leur général, les hommes de l'avant-garde s'installent pour la nuit. Il est quatre heures de l'après-midi et dans une heure, une heure et demie au plus tard, le soleil couché, les mouches prendront possession du désert.

— Demain à Tripoli, chantonne Lee...

— Un avion ! Crie Callahan, le doigt pointé vers l'Ouest.

— Et alors, réplique le sergent Mac Call. T'es un jeune, tu

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sais pas que les bombardiers se baladent toujours en bande. Celui- là est tout seul...

— Heinkel 111, note Lee placide. Sans doute Hitler fait du tourisme.

— Qu'est-ce qu'Hitler viendrait chercher dans ce foutu dé- sert ? Y'a rien à trouver par ici...

Les trois hommes suivent un instant, d'un regard distrait le Heinkel qui tourne, pas très haut, pas très loin, au-dessus du golfe de Syrte.

Ils seraient plus attentifs s'ils pouvaient savoir que dans cet avion qui les a survolés, un homme les a vus. Que cet homme s'appelle Rommel. Mais, même s'ils le connaissent, ce nom ne leur dirait rien.

— Satisfait ? demande au même moment, Schmundt qui a accompagné Rommel dans son vol de reconnaissance.

— Oui. J'espérais que O'Connor avancerait jusqu'à El Agheila. Il l'a fait et c'est une erreur, parce qu'il est sorti de sa forteresse.

Du doigt, Rommel montre loin vers l'Est la Via Balbia qui s'étrangle entre la mer, les collines et les marécages à la hauteur de Marsa el Bregha.

— C'est là qu'il aurait dû arrêter son avance. Marsa el Bre- gha constituait une position défensive idéale. El Agheila est dans la plaine. Nous pouvons la tourner par le Sud.

Toute la stratégie de Rommel pendant la campagne de Libye est contenue dans cette phrase. Il cherchera constamment à tour- ner les défenses ou les lignes ennemies par l'immensité du désert.

— Quand serez-vous prêt ? demande encore Schmundt.

Rommel lui jette un regard en biais.

— Quand mes moteurs seront chauds. Il n'y a pas une minute à perdre. Son sourire s'accentue quand il note l'expression stupéfaite de Schmundt.

— On rentre, ordonne-t-il au pilote.

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M a r s 1 9 4 1 . Quatre-vingt-dix jours d'une cam- pagne éclair ont amené les avant-gardes britan- niques, à travers 2.000 kilomètres du désert de Libye, aux portes de Tripoli. Devant les vainqueurs, il n'y a plus rien qu'une poignée d'Italiens en déroute.

- Heia Safari !

Un cri a résonné dans le désert, poussé par les 3.000 hommes d'un petit détachement qui ne s'appelle pas encore l'Afrika korps. Ils chargent avec quelques chars et des automobiles dégui- sées en blindés. A leur tête, un général inconnu : Erwin Rommel.

A leur tour, 12.000 britanniques connaissent la déroute. Ils se replient, se dispersent, se rendent.

En un mois, le nom de l'Afrika korps et de son chef volera de dune en dune, semant la panique jusqu'au Caire, jusqu'à Londres.

Pendant deux ans, l'itinéraire de l'Afrika korps sera jalonné de noms, victorieux ou tragiques qui seront comme autant de symboles, Tobrouk, Halfaya, Benghazi, Bir Hakeim, El Alamein. Pen- dant deux ans, Rommel et son Afrika korps mèneront, dans une guerre en marge, loin de l'Europe en feu, le dernier combat des chevaliers modernes. Leur tournoi finira un jour de mai 43 dans l'honneur, toutes munitions tirées, au bord d'une plage de Tunisie, par un dernier cri tout à la fois défi et espoir :

- Heia Safari !

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