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L'Elan

EL AGHEILA

« Ni les dieux, ni le cosmos ni la mort ne suffisent à emplir la voix profonde qui unit le désert aux

étoiles. »

A n d r é MALRAUX.

13 février 1941

Jaune est le soleil d'hiver qui plonge, au sud-est, vers un horizon, lui aussi jaune de poussière. Jaune est la terre, jaunes aussi les hommes, tapis dans la rocaille. L'avant-garde de l'armée du général O'Connor est là, à quelques kilomètres au Sud d'El Agheila, le point le plus avancé de l'offensive britannique au-delà de Benghazi.

Du casque aux brodequins, du fusil au visage hirsute, tout est recouvert d'une fine pellicule ocre, accrochée aux rides des visages fatigués, collée aux barbes incultes. Le moral est bon, car, jamais jusque-là, l'armée anglaise n'était allée aussi loin vers l'Ouest.

Aujourd'hui, comme hier, comme elle ne cesse de le faire depuis deux mois, elle attend l'ordre de repartir en avant.

— Demain, ce sera Tripoli, assure le caporal Lee : on pourra peut-être goûter à cette damnée Méditerranée qui nous fait la nique depuis notre départ de Marsa Matrouh.

— T'en fais pas, Aussie avec les patrons que nous avons, chait sans doute à recharger ses batteries...

— Pourquoi l'appelez-vous « barbe électrique » ? demande Callahan, arrivé l'avant-veille, venant tout droit de Melbourne.

— Demande aux Italiens. Bergonzoli passait pour être le chef le plus dynamique de l'armée fasciste. Mussolini en personne lui

d'être l'avant-garde d'une armée victorieuse. Y a qu'une place pour laquelle je changerais : celle du général...

Le sergent Mac Call approuve :

— Tu sais, lorsque je l'ai vu arriver en décembre, au mess, je me suis dit : « ce type-là, O'Connor, c'est un sacré bonhomme.

D'abord, il n'avait pas l'air d'un général. Un pantalon de velours, une veste de cuir, une écharpe en tartan. Un vrai civil, quoi. quart d'heure, mais je m'en souviendrai longtemps « nous n'avons pas beaucoup d'essence, pas beaucoup de chars, pas beaucoup de ravitaillement, pas beaucoup d'hommes. Nos réserves sont épui- sées en Egypte. Tout ce qui nous manque est devant nous en Libye, chez les Italiens. Allons le chercher. » Nous sommes partis comme ça, avec juste cinq jours de vivres...

Désabusé, O'Connor secoue la tête. Il sait que cela ne servira à rien, la décision ne lui appartient plus. Hier au soir, il a reçu l'ordre formel de stopper son avance et de distraire sa meilleure

division d'infanterie — les Hindous — pour les expédier en Grèce

— Nos troupes ont assez à faire au Moyen-Orient pour assu- mer valablement la défense de la Grèce, Churchill a répondu :

— Ce dont vous avez besoin là-bas, c'est d'une cour martiale et d'un peloton d'exécution...

Menace qui évidemment vise les généraux d'Egypte, bien que le bilan présenté soit éloquent. Le commentaire renforce la déci- sion de Winston Churchill :

— Bravo pour cette magnifique prise de Benghazi, effectuée avec trois semaines d'avance sur le calendrier prévu, Mais elle ne modifie pas, en fait elle confirme notre volonté de voir votre effort principal porter désormais sur l'aide à fournir à la Grèce où la qui était le fer de lance de son offensive.

— Nous pouvons peut-être prendre Syrte, mais il faut faire le soleil couché, les mouches prendront possession du désert.

— Demain à Tripoli, chantonne Lee...

— Un avion ! Crie Callahan, le doigt pointé vers l'Ouest.

— Et alors, réplique le sergent Mac Call. T'es un jeune, tu

sais pas que les bombardiers se baladent toujours en bande. Celui- Heinkel qui tourne, pas très haut, pas très loin, au-dessus du golfe de Syrte. accompagné Rommel dans son vol de reconnaissance.

— Oui. J'espérais que O'Connor avancerait jusqu'à El la plaine. Nous pouvons la tourner par le Sud.

Toute la stratégie de Rommel pendant la campagne de Libye est contenue dans cette phrase. Il cherchera constamment à tour- ner les défenses ou les lignes ennemies par l'immensité du désert.

— Quand serez-vous prêt ? demande encore Schmundt.

Rommel lui jette un regard en biais.

— Quand mes moteurs seront chauds. Il n'y a pas une minute à perdre. Son sourire s'accentue quand il note l'expression stupéfaite de Schmundt.

— On rentre, ordonne-t-il au pilote.

M a r s 1 9 4 1 . Quatre-vingt-dix jours d'une cam- pagne éclair ont amené les avant-gardes britan- niques, à travers 2.000 kilomètres du désert de Libye, aux portes de Tripoli. Devant les vainqueurs, il n'y a plus rien qu'une poignée d'Italiens en déroute.

- Heia Safari !

Un cri a résonné dans le désert, poussé par les 3.000 hommes d'un petit détachement qui ne s'appelle pas encore l'Afrika korps. Ils chargent avec quelques chars et des automobiles dégui- sées en blindés. A leur tête, un général inconnu : Erwin Rommel.

A leur tour, 12.000 britanniques connaissent la déroute. Ils se replient, se dispersent, se rendent.

En un mois, le nom de l'Afrika korps et de son chef volera de dune en dune, semant la panique jusqu'au Caire, jusqu'à Londres.

Pendant deux ans, l'itinéraire de l'Afrika korps sera jalonné de noms, victorieux ou tragiques qui seront comme autant de symboles, Tobrouk, Halfaya, Benghazi, Bir Hakeim, El Alamein. Pen- dant deux ans, Rommel et son Afrika korps mèneront, dans une guerre en marge, loin de l'Europe en feu, le dernier combat des chevaliers modernes. Leur tournoi finira un jour de mai 43 dans l'honneur, toutes munitions tirées, au bord d'une plage de Tunisie, par un dernier cri tout à la fois défi et espoir :

- Heia Safari !

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