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Le discours et la langue. Revue de linguistique française et d analyse du discours

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Academic year: 2022

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Le discours et la langue

Revue de linguistique française

et d’analyse du discours

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Directrices de la revue :

Laura Calabrese (Université libre de Bruxelles) Laurence Rosier (Université libre de Bruxelles)

Le Discours et la Langue

La revue Le discours et la langue. Revue de linguistique française et d’analyse du discours, se propose de diffuser les travaux menés en français et sur le français dans le cadre de l’analyse linguistique des discours. Elle entend privilégier les contributions qui s’inscrivent dans le cadre des théories de l’énonciation et/

ou articulent analyse des marques formelles et contexte socio-discursif et/ou appréhendent des corpus inédits (notamment électroniques).

La revue privilégie les numéros thématiques tout en laissant dans chaque livraison une place disponible pour des articles isolés de même que pour des recensions ou des annonces.

La revue paraît deux fois par an, en principe en mars et en octobre.

Chaque numéro est d’environ 200 pages. L’abonnement se souscrit par année, il s’élève à 50.00 €. Les numéros isolés se vendent à des prix va- riant en fonction de leur importance. Les frais d’expédition par fascicule se montent à 4.50 € pour la Belgique, 10.50 € pour l’Europe et 12.00 € pour le reste du monde.

Propositions de numéros thématiques, d’articles isolés ou de recensions : Les propositions de numéros thématiques ou les articles isolés de même que les ouvrages pour recension ou les propositions d’échange doivent être adressés à l’adresse suivante :

Laurence Rosier

50 Avenue F.D. Roosevelt, ULB CP 175 B – 1050 Bruxelles

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Les défis de l'écriture inclusive

Numéro coordonné par

Alain Rabatel et Laurence Rosier

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Adressez les commandes à votre libraire ou directement à

Éditions L’Harmattan

5,7 rue de l’École Polytechnique F - 75005 Paris

Tél : 00[33]1.40 46 79 20 Fax : 00[33]1.43 25 82 03 commande@harmattan.fr http://www.editions-harmattan.fr

ISBN : 978-2-8066-3695-9 ISSN : 2033-7752 D/2019/9202/30

© E M E Éditions Grand’Place, 29

B-1348 Louvain-la-Neuve

Tous droits de reproduction, d’adaptation ou de traduction, par quelque procé- dé que ce soit, réservés pour tous pays sans l’autorisation de l’éditeur ou de ses ayants droit.

www.eme-editions.be

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SOMMAIRE

L’écriture inclusive, au défi de toutes les inclusions, des contraintes de la langue et

des stéréotypes discursifs

Laurence RosieR &Alain Rabatel 7 Quelle écriture

pour quelle justice ?

« Écriture inclusive » et politique linguistique

Jean-Marie KlinKenbeRg 15 La parité dans la langue.

Réflexions sur une exception française

Bernard CeRquiglini 27

« Touche pas à ma langue » :

réformes, polémiques et violence verbale sur fond d’enjeux idéologiques

Laurence RosieR 41

Français inclusif : du discours à la langue ?

Alpheratz 53 L’inclusif, entre accord et désaccord ou

« Jusqu’à ce que la proximité nous sépare »

Dan van RaemdonCK 75

Retour sur l’écriture inclusive au défi de la neutralisation en français

Patrick ChaRaudeau 97

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La rédaction non sexiste en Suisse : pluralité des discours et des pratiques

Daniel elmigeR, Eva sChaeffeR-laCRoix &Verena tungeR 125 Écriture inclusive et genre : quelles contraintes

systémiques et cognitives à l’intervention sur une catégorie grammaticale et lexicale ? Étude comparée anglais-français

Laure gaRdelle 151

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L’INCLUSIF, ENTRE ACCORD ET DÉSACCORD OU « JUSQU’À CE QUE LA PROXIMITÉ NOUS SÉPARE »

Dan van RaemdonCK

Université libre de Bruxelles – Vrije Universiteit Brussel LaDisco – Tradital - CLIN

Résumé

Dans un contexte post #MeToo, l’écriture inclusive a refait surface pour remédier aux violences symboliques de sous-représentation des femmes dans la langue. Parmi ses propositions, on trouve la promotion de l’accord de proximité afin d’éradiquer la règle selon laquelle « le masculin l’em- porte ». Cette contribution proposeune nouvelle lecture morphosyntaxique de la question du genre grammatical et s’interroge sur la pertinence ou non de généraliser l’accord de proximité tel que proposé. Une meilleure descrip- tion permet d’éviter un remaniement de la langue rendu nécessaire par les incompréhensions, les frustrations, les sentiments de discrimination, qui sont moins le résultat de la langue, que des errances de sa description et des stéréotypes que le monde dominant projette sur elle, stéréotypes et rapport de domination qu’il incombe de changer au tout premier chef.

Abstract

In a post-“#MeToo” context, inclusive writing has resurfaced as a solution to the symbolic violence caused by the under-representation of women in language. Among its proposals is the promotion of proximity concord to eradicate the rule whereby “the masculine prevails”. The present article proposes a new morphosyntactic reading of the grammatical gender issue and questions the relevance of generalising proximity concord, as proposed.

Through a better description, one can avoid a reform of the language which a lack of understanding, frustration and a sense of discrimination seem to require. These are less a matter of language than the result of incorrect descriptions and of stereotypes that the dominating world projects onto

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language. It is first and foremost those stereotypes and power relationships that must be changed.

***

D

ans un contexte post #MeToo, la salutaire révolte des femmes contre leur minorisation et les violences sexuelles dont elles sont l’objet a fait remonter à la surface médiatique les autres violences qui les accablent : sociales (inégalité de droits, notamment en ce qui concerne les salaires), symboliques (représentation dans la langue)… L’irruption – ou faudrait-il plutôt parler de réirruption – de la problématique de l’écriture inclusive dans le champ médiatique et social n’a pas été le fait des linguistes morpho- syntacticien·ne·s. Ce seraient surtout des « littéraires » qui seraient montées au créneau, suivies, du côté de la linguistique, des analystes du discours et des sociolinguistes. L’apparent silence des morpho-syntacticien·ne·s signi- fierait-il que ces spécialistes n’auraient rien à dire ? Qu’il y aurait embarras dans la maison morphosyntaxe ? Ou encore que la nuance semblerait ne pas pouvoir être audible ? La teneur comme la tenue des échanges et débats ont rapidement viré à l’aigre – mises en demeure, insultes –, comme si toute la discussion se déroulait par réseaux sociaux interposés, où la parole est réputée libérée de tout surmoi.

La difficulté d’avancer une position nuancée sans allumer d’incendie m’1a jusqu’à présent incité à ne pas m’immiscer dans le débat. Les assignations à résidence identitaire ont vite fait d’anathémiser toute tentative, rava- lée au rang de « mensplaining » – ou « mecsplication » – d’homme blanc cinquantenaire.

Le discours scientifique et la militance, même s’ils ne doivent pas être mutuellement exclusifs, ne font pas toujours bon ménage, lorsque la seconde semble autoriser le premier à quelques libertés pour emporter un morceau pourtant à maints égards bien mérité. Il revient au linguiste, tout militant qu’il puisse être par ailleurs, d’agir en scientifique.

1 Je troque ici, pour la première fois, le nous dit scientifique pour un je, qui choisit de s’auto-désigner et -assigner comme homme blanc, linguiste morpho-syntacticien, 54 ans, juif, marié à un homme, Vice-Président du Conseil de la Langue et de la Politique linguistique de la Fédération Wallonie-Bruxelles (où a toujours été défendue la féminisation des noms de métiers), défenseur des droits et libertés de la personne (en ce compris évidemment les droits et libertés des femmes et des personnes LGBTIQ+) depuis bientôt 30 ans et actuellement Secrétaire général de le Fédération internationale des Ligues des droits de l’Homme (le mot humain n’y a pas encore fait son chemin, contrairement à la Ligue belge des Droits humains).

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S’il ne sera point question ici de contester la domination hétéromâle sur la société et la minorisation constante des femmes et des LGBTQI+, jusque dans le discours et, par voie de conséquence, dans le lexique de la langue, ainsi que la nécessité d’y porter remède tant dans la représentation symbo- lique de la langue et du discours que dans les pratiques sociales, le caractère intrinsèquement sexiste de la langue est quant à lui sujet à caution.

Il nous appartient de bien faire la différence entre ce qui ressortit, d’un côté, à la langue, d’un autre, au discours tenu pour la décrire ou, d’un autre encore, au discours qui véhicule représentations et stéréotypes, au point d’influer sur le lexique.

Dans cette contribution, sans faire l’impasse sur la question lexicale, qui, si elle ne constitue pas le point central de ma contribution, ne peut être totale- ment ignorée (en témoigne la féminisation des noms de métiers, titres, grades et fonctions ou la question du point médian), je me focaliserai sur la ques- tion de l’accord, proposerai une lecture morphosyntaxique de la question du genre grammatical et m’interrogerai sur la pertinence ou non de généraliser l’accord de proximité tel que proposé. Je m’attacherai plus particulièrement à l’accord des adjectifs, déterminants et participes en emploi adjectival, pour lesquels la question du genre intervient, et pas à l’accord du verbe.

Bien entendu, le linguiste ne peut qu’observer les faits et les accepter comme tels. Il n’a guère de jugements de valeur à porter au risque de tour- ner puriste normativiste. Pour autant, il peut peser le pour et le contre, les couts et bénéfices, à l’intérieur du système de représentation qu’est la langue, d’un changement dans l’organisation de la mécanique de l’accord. La communauté linguistique est seule habilitée à trancher, qui par ses usages discursifs pourra influer sur les normes à venir.

1. L’accord comme garant de cohésion

La syntaxe d’accord est d’abord une syntaxe de rection : un mot, le support, impose sa forme (en français, le genre, le nombre et la personne) à un autre, l’apport. Les classes de mots concernées sont :

– d’une part, le nom et le pronom, qui en tant que supports ne s’accordent pas, mais dont la forme peut varier en fonc- tion du contexte et de l’intention de dire de l’énonciateur ; le nom détient un genre et peut varier en nombre en fonction de l’intention de dire de l’énonciateur ; dans certains cas, le pronom prend son genre, son nombre et sa personne du mot qu’il représente ou de son référent ;

– d’autre part, l’adjectif (dont, chez nous, dans la lignée de Marc Wilmet, le déterminant) et le verbe (dont le participe), apports dont la forme peut varier du fait du phénomène de l’accord avec leur support ; l’adjectif détient son genre et son

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nombre du mot auquel il se rapporte ; le verbe prend sa per- sonne et son nombre à son support, en général, le noyau de phrase ou sujet (pour le participe, l’accord se fait, en général, en genre et en nombre avec son support).

Lorsqu’il y a accord, il ne s’agit pas que d’une affaire formelle. Le mécanisme de l’accord fait intervenir un élément (un adjectif ou un verbe, par exemple) qui apporte du sens et un autre (un nom ou un pronom) qui le reçoit : vert apporte du sens à chapeaux dans chapeaux verts. Il y a donc une rela- tion d’apport à support de signification. En échange, le support donne ses marques à l’apport, ce qui sera l’indice de la cohésion du groupe : chapeaux transmet ses caractères masculin et pluriel à verts. Il y a donc, en retour, une relation de donneur à receveur. Pour accorder, il s’agit en fait d’identifier le support (qui a reçu du sens) et de transférer ses traits et ses marques à l’apport (qui a apporté le sens), en fonction des catégories grammaticales pertinentes qu’ils ont en partage. L’accord, qui marque la mise en relation de deux ou plusieurs termes, est donc un marqueur de cohésion, sémantique d’abord, morphologique ensuite (Van Raemdonck 2015). Cette description de l’accord permet à la fois de donner du sens au mécanisme (marquer la cohésion de groupe) et également d’entrevoir une et une seule règle généra- le d’accord (accord de l’apport avec son support), que ses avatars atomisés de la grammaire scolaire avaient fait perdre de vue et de raison.

Cette règle s’applique-t-elle dans les cas où un apport (adjectif ou verbe) se rapporte à un support double dont les genres seraient différents ?

La règle scolaire prescrit en général un accord au masculin pluriel, selon la litanie du masculin qui l’emporterait sur le féminin : L’être qui pouvait me jeter dans un désespoir et une agitation pareils. Dans ce cas, on perdrait l’information de genre du support féminin, même si, dans l’histoire de la grammaire, les justifications n’ont pas manqué de considérer le genre mas- culin comme non marqué, neutre ou générique et donc comme englobant de ce fait les êtres ou objets de genre féminin.

La règle proposée par les défenseuses et défenseurs du principe de proximité permettrait un accord au féminin en cas de donneur potentiel proche (dpp) de genre féminin, et au pluriel (L’être qui pouvait me jeter dans un désespoir et une agitation pareilles) ou au singulier, si l’accord se fait exclusivement avec un donneur potentiel proche féminin singulier2, par exemple : L’être qui pouvait me jeter dans un désespoir et une agitation pareille (Proust, Albertine disparue). Dans ces deux derniers cas, on perdrait l’information de genre du support masculin, voire, pour le dernier, l’idée d’un support double.

2 Les exemples donnés par le Bon usage (2008 : § 443) et sur le site d’Éliane Viennot, sont majoritairement de ce dernier type pour l’usage antérieur.

Les propositions faites semblent néanmoins plutôt favoriser l’usage du pluriel, ce qui pourrait donc apparaitre comme non conforme à cet usage antérieur dont on se réclame pourtant pour réformer la langue.

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Dans tous les cas donc, il semble que l’on soit condamné à perdre de l’information

La promotion de l’accord de proximité a refait surface dans le discours à la suite de la volonté exprimée par certains mouvements féministes de fémi- niser (variante la plus générale) ou de démasculiniser (Viennot) la langue.

Une troisième option, la neutralisation de la langue (Alpheratz 2018), pro- pose, quant à elle, d’intégrer de nouveaux pronoms ou flexions qui repré- senteraient le neutre : le « ni l’un ni l’autre » ou le « et l’un et l’autre ».

Pour essayer d’y voir clair, je donnerai la parole à celle qui a été érigée en héraut du mouvement, Éliane Viennot, et questionnerai certains des faits présentés comme historiques et évidents.

2. Un complot des grammairiens masculinistes ?

Sur son site, comme dans ses nombreuses publications sur le sujet ces dernières années (voir notamment 2014 [2e édition 2017], 2018), Éliane Viennot accuse les grammairiens masculinistes d’être à la manœuvre d’une entreprise d’effacement des femmes et de la dimension féminine du lan- gage. Si nous pourrons la suivre la plupart du temps en matière de lexique, nous devons admettre que nous ne partageons pas sa vision de la syn- taxe et de la transformation des règles au XVIIe siècle sous l’égide de ces

« masculinistes ».

Dans ses préconisations pour un langage inclusif, elle propose, pour rétablir l’égalité, de :

Bannir l’accord « du masculin qui l’emporte sur le féminin », inutile et nocif.

Lui préférer l’accord de proximité, ou l’accord selon le sens […]

L’ancienne langue variait les types d’accord lorsque plusieurs substantifs de genres et/ou de nombre différents devaient être associés à un adjectif, un participe passé ou un verbe unique. L’accord avec le nom le plus proche était très fréquent, en raison de sa facilité. L’accord avec le nom jugé le plus important (quelle que soit la raison : nombre, valeur intrinsèque) existait aussi. Le dogme de l’accord au masculin pluriel a été mis au point par les grammairiens masculinistes du XVIIe siècle, au prétexte que le « genre le plus noble » devait s’imposer en cas de présence conjointe des deux genres, au nom de la supériorité des mâles sur les femelles. En réalité, ils désiraient que la langue conforte l’ordre social et politique auquel ils devaient leur position de dominants. « Parce que le genre masculin est le plus noble, il prévaut seul contre deux ou plusieurs féminins, quoiqu’ils soient plus proches de leur adjectif » écrit Dupleix (Liberté de la langue françoise, 1651). La formule connue de nos jours, Le masculin l’emporte sur le féminin, date de la IIIe République, dontles responsables ont souhaité qu’elle soit installée dans les têtes à un âge où l’on ne peut pas contester. Elle est à bannir dans une société qui promeut l’égalité des sexes et cherche à la réaliser.

(elianeviennot.fr/Langue-prec.html) (nous soulignons)

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L’accord de proximité serait donc fréquent jusqu’à l’intervention des gram- mairiens masculinistes du XVIIe siècle, défenseurs de la noblesse masculine et de la supériorité du mâle, et se maintiendrait au-delà. La règle du mas- culin qui l’emporte résulterait, quant à elle, de la généralisation de l’école primaire (elianeviennot.fr/Langue-accords.html).

L’autrice est consciente de l’impact des arguments historiques3 dans le débat.

Mais sur quelles bases historiques ses affirmations reposent-elles ? Aucune donnée chiffrée émanant d’une étude de corpus n’est jamais fournie. On ne compte en fait guère de recherches quantitatives sur le sujet. Moreau (à paraitre) propose le premier relevé de cas pour la période du moyen français (avant donc le « coup d’État masculiniste ») à partir de la base textuelle du moyen français de l’ATILF4, et du Dictionnaire du moyen français (DMF 2015)5. Elle observe les accords à l’intérieur du groupe nominal et en position attribu- tive (quelques varia consistent en des prédicats seconds). Les données chif- frées sont compilées dans le tableau suivant (Moreau à par. : 7) :

Genre du

dpp Accords

féminins Accords

masculins Total % d’accords masculins Le receveur est dans le GN

F 29 35 64 54,7

M 1 78 79 98,7

Le receveur est employé avec être

F 14 45 59 76,3

M 1 30 31 96,8

Varia

F - 10 10 100

M - 6 6 100

Totaux 45 204 249 81,9

Le relevé confirme certes l’existence d’un accord de proximité, mais la tendance majoritaire semble à l’accord d’ensemble au masculin : par exemple, dans le GN, lorsque le donneur potentiel proche (dpp) est de

3 « J’ai par ailleurs expérimenté, pour mener cette petite guerre depuis des années, que l’argument historique (“ce mot existe depuis le XVe siècle au moins”), voire politique (“l’Académie française a tout fait pour qu’il disparaisse”) est beaucoup plus efficace que l’argument moral (“utilisons des expressions non sexistes”) » (Viennot 2017 : 9).

4 http://oldfrantext.atilf.fr/MoyenFrancais/

5 Nous n’envisageons pas ici, faute de place, la situation du latin, que Moreau esquisse également.

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genre féminin on trouve 29 accords au féminin contre 35 au masculin, soit quand même une majorité de 54,7 % d’accords au masculin. Dans une structure attributive, pour un dpp féminin, la proportion monte même à 76,3 % d’accords au masculin. Sur la totalité des 249 exemples relevés, on trouve 81,9 % d’accords au masculin. Sur les 116 cas où le dpp est mas- culin, deux occurrences présentent un accord au féminin (1,72 %) ; tandis que sur les 133 cas où le dpp est féminin, on compte 90 accords au mascu- lin (67,67 %). Le masculin apparait dès lors bien comme pouvant marquer un accord d’ensemble, ce qui ne semble être que très exceptionnellement le cas pour le féminin.

Il apparait donc bien que l’accord d’ensemble au masculin pluriel n’est pas une nouveauté du XVIIe siècle, imposée d’en haut, mais bien le reflet d’une prévalence statistique observée dans des emplois antérieurs à toute obser- vation ou intervention scientifiques ou régulatrices de la langue. L’accord de proximité existe bel et bien, selon le corpus de Moreau. Mais il reste minori- taire sur l’ensemble des cas traités6.

Il n’est dès lors pas étrange que, confrontés à ces exemples, les grammai- riens qui, à partir du XVIe et surtout du XVIIe siècle7, se sont donné pour mis- sion de légiférer et de régler le fonctionnement de la langue, aient opté pour le maintien de l’usage majoritaire, quitte à en produire une règle totalisante (ce qui est souvent le cas en grammaire normative : sur la base d’un usage majoritaire, on tire et édicte une règle totalisante). En syntaxe, il n’est par ailleurs jamais possible d’imposer un usage totalement étranger à celui des usagers. Si le lexique est bien le lieu privilégié de la variation rapide et de l’évolution constante, la morphosyntaxe évolue quant à elle très lentement, comme des plaques tectoniques, et ne supporte guère d’intervention exté- rieure autoritaire, qui ne reposerait pas sur une pratique déjà bien installée.

Imputer cette responsabilité aux grammairiens relève de la relecture/réé- criture de l’histoire.

Quand Vaugelas (1647 : 381) décrit l’accord pour les cas visés ci-dessus, il ne fait rien d’autre qu’essayer de rendre compte de l’usage qu’il observe :

Ce peuple a le cœur et la bouche ouverte à vos loüanges. On demande s’il faut dire ouverte, ou ouverts. […] Il faudroit dire, ouverts, selon la Grammaire Latine, qui en use ainsi, pour une raison qui semble estre commune à toutes les langues, que le genre masculin estant le plus noble, doit predominer toutes les fois que le masculin et le feminin se trouvent ensemble ; mais l’oreille a de la peine à s’y accommoder, parce qu’elle n’a point accoustumé de

6 Je suis conscient du fait qu’un accord au masculin peut parfois avoir deux interprétations (accord de proximité avec un dpp masculin ou accord d’ensemble) ; il est donc difficile de trancher. Cependant, comme on l’a vu, seul le masculin semble avoir la propriété de marquer l’accord d’ensemble.

7 Il n’y avait guère de prétention normative auparavant et Vaugelas passe encore pour être à l’origine du « bon usage ». À cette aune peut-on dès lors réellement prétendre que la règle combattue est récente ?

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l’oüir dire de cette façon ; […] Je voudrois donc dire ouverte, qui est beaucoup plus doux, tant à cause que cét adjectif se trouve joint au mesme genre avec le substantif qui le touche, que parce qu’ordinairement on parle ainsi, qui est la raison décisive, et que par conséquent l’oreille y est accoustumée.

Il décrit bien les cas d’accord dans le cadre d’un GN (et dans la suite, non citée ici, dans le cadre d’une structure attributive). Il montre même son hési- tation à suivre la grammaire latine et voudrait dire « comme ordinairement on parle », pense-t-il, l’usage (le bon usage) devant être décisif. Cependant, nous venons de le voir, les usages sont également anciens, qui accordent majoritairement au masculin.

Indépendamment de la description, ce qui choque davantage aujourd’hui, c’est l’affirmation d’une préséance naturelle du masculin, dit « le plus noble », préséance confirmée sans aucune hésitation cette fois par Beauzée (1767 : 358) plus d’un siècle plus tard :

Le genre masculin est réputé plus noble que le féminin, à cause de la supériorité du mâle sur la femelle ; le masculin & le féminin sont plus nobles que le neutre, à cause de la supériorité des êtres animés sur ceux qui ne le sont pas.

Si cette noblesse ne doit pas forcément se lire avec les lunettes du XXIe siècle (La première personne grammaticale est également jugée, chez Beauzée – après Chifflet (1680) –, plus noble que la deuxième…), il n’en reste pas moins que le mal est fait. On passera de ce caractère plus noble, fondé certes sur l’alléguée supériorité du mâle – avec un glissement peu opportun du genre grammatical au sexe biologique – mais sur aucun critère grammatical ou linguistique connu, à la préséance du genre in se « Le masculin l’emporte ».

La langue observée ne dit rien de tel, que l’on avait longtemps laissé évo- luer sans intervenir. La langue n’est pas sexiste. Ce sont les discours que l’on a tenus et que l’on tient encore sur elle qui l’ont été (et le sont), pétris qu’ils étaient (et sont) des idéologies et stéréotypes au service de l’abus de position dominante hétéromâle (voir notamment Van Raemdonck 2011, Michel 2016). Il est sans doute urgent de changer le discours sur la langue, mais faut-il, pour remédier à l’invisibilisation des femmes par la grammaire, changer la langue et les accords via un chan- gement des pratiques discursives de l’accord et via la généralisation de l’accord de proximité ?

3. Masculin et féminin : le masculin l’emporte-t-il vraiment ?

L’invisibilisation des femmes dans le lexique des dénominations de per- sonnes et les mécanismes à l’œuvre ont été remarquablement étudiés dans la thèse de Michel (2016). Mais si elle est patente au niveau du lexique, cette

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invisibilisation est-elle aussi évidente que déclarée au niveau morphosyn- taxique ? Le fait que l’accord au masculin soit en apparence plus souvent de mise signifie-t-il que le masculin l’emporte ? Pour répondre à cette question, il faut remonter à la signification du genre grammatical.

Sans, faute de place, refaire toute l’histoire, retenons que la notion de genre est au départ synonyme de catégorie, non sexuée. La première catégoris- ation remonterait au plus ancien indo-européen et consacre l’opposition animé/non animé (Serbat 1975 : 75-79, après Meillet 1903). L’opposition masculin/féminin, basée sur l’opposition correspondante des sexes biolo- giques, serait apparue ensuite au sein du genre animé, pour rendre compte de termes féminins spécifiques (voir notamment Mathieu 2007, pour les appréciations différentes de l’apparition du féminin). Quelle que soit la véracité des hypothèses de la création de l’opposition masculin/féminin, on doit vite se rendre compte que cette caractérisation n’a effectivement de sens que comme sous-catégorisation à l’intérieur du groupe des êtres animés. Or déjà en indo-européen postérieur, semble-t-il, et en tout cas en latin, l’opposition animé/inanimé n’apparait plus comme première et l’ani- mé n’est plus l’hyperonyme des masculin et féminin : ces derniers perdent de facto leur opérativité référentielle. Des animés et inanimés se retrouvent dans toutes les déclinaisons latines ; de même, certains noms masculins ont des formes apparemment féminines (nauta, le marin ; poeta, le poète), et certains noms féminins des formes apparemment masculines (fagus, hêtre).

Le grammairien latin Varron le décrit d’ailleurs bien :

Ainsi Perpenna et Alphena ont une forme féminine, quoique le premier soit un nom d’homme et le second un nom de femme ; et les mots paries (mur) et abies (sapin), quoique semblables quant à la forme, diffèrent quant au genre (car le premier est masculin et le second féminin), et désignent deux choses qui ne sont ni du genre masculin ni du genre féminin. C’est pourquoi nous disons qu’un mot est masculin, non parce qu’il désigne un être de nature mâle, mais parce qu’il peut être précédé de hic ou de hi ; et pareillement nous disons qu’un mot est féminin, non parce qu’il désigne un être féminin, mais parce qu’il peut être précédé de hæc ou de hæ (cité par Poitou 2018).

On le remarque, le masculin et le féminin apparaissent déjà, pour Varron, quasiment mal nommés vu leur non-correspondance avec le sexe bio- logique, et semblent n’avoir d’intérêt que pour leur association avec le déterminant ad hoc. On pourrait donc considérer que l’un des premiers problèmes est l’étiquetage hasardeux et trompeur des catégories du mas- culin et du féminin par les grammairiens. Ce n’est encore une fois pas la langue qui est en cause ; c’est bien le discours posé sur la langue par les grammairiens qui est pris en défaut. Mais le mal est fait, qui conditionnera pour des siècles un rapport vicié à des catégories (le genre grammatical et le sexe biologique) qui ne se correspondent pas, mais dont la confu- sion, alimentée par les questions de domination et par les stéréotypes de genres construits socialement, va pourrir toute possibilité de discussion sereine sur la question lorsqu’il s’agira de rendre aux femmes la place qui

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leur revient de droit dans la langue (notamment dans les noms de déno- mination de personnes).

Pour le français, la situation est encore plus problématique : le maintien pour l’ensemble des noms de la dénomination des catégories masculin/

féminin, qui n’apparait pourtant réellement pertinente que pour la déno- mination des personnes et de certains animés, ce qui constitue une petite minorité particulière des dénominations (Chevalier 2013), aurait dû être questionnée. Outre que l’on perpétue ainsi l’impression fallacieuse de cor- respondance et la confusion entre genre grammatical et sexe biologique, fal- lait-il continuer à nommer cette catégorisation générale sur la base de cette minorité particulière de noms, au risque d’enflammer une querelle, qui n’a bien sûr pas manqué d’advenir ?

Au demeurant, si l’on regarde l’évolution de la langue à partir du latin et avant le XVIIe siècle, c’est-à-dire avant toute intervention extérieure poten- tielle des grammairiens sur la structure interne de la langue, cette évolution se fait pour les catégories visées essentiellement sur la base de la phoné- tique. Prenons le cas de l’évolution des adjectifs latins de la première classe et des participes passés, qui se déclinent en latin sur la base des première et deuxième déclinaisons. Soit amat-um, -am, -um, un participe passé à l’accu- satif singulier, vu que c’est à partir de ce cas que les mots du français ont pour la plupart été formés8. L’évolution a consisté en l’amuïssement et en la disparition de voyelles et consonnes finales : les consonnes finales tombent (sauf le s) ; les voyelles finales également (sauf le a qui se transforme en e muet). En schéma, pour le masculin et le féminin9 :

Masc. Fém.

amat- -um -am

aimé- - Ø -e

8 Sans verser dans la téléologie, le maintien de l’accusatif par la communauté linguistique a permis de garder un système cohérent d’opposition en nombre (la marque -s) et en genre (la marque -e), quel que soit le sens de cette dernière.

9 Le neutre est réputé absent en français : les mots neutres latins ont été répartis, selon leur terminaison, soit dans la catégorie des masculins : templum (temple) ; soit dans la catégorie des féminins (à partir de l’accusatif pluriel en -a) : folia (feuille). Pour autant, des traces de neutre subsistent, reconnues par la grammaire scolaire comme tel : le pronom neutre le, reprenant une proposition ou un groupe infinitival, le pronom neutre le reprenant un attribut, les démonstratifs ce, cela et ça… Leur cooccurrence renforce l’impression d’existence de neutre : Malade, ça, il l’est. Je le pense, ça, que… De même se pose la question de l’accord dans C’est important. Important est-il neutre, masculin ou autre chose ?

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Ce que l’on observe, c’est que loin d’être invisibilisé, c’est bien le féminin qui est le seul genre marqué. Le radical amat se transforme en aimé, forme nue, dont on pourra dire qu’elle est la vraie forme non marquée (comme pour- rait l’être la forme du radical non genré des noms de désignation de per- sonnes). La forme appelée masculin correspond à la forme non marquée à laquelle serait ajouté – Ø, c’est-à-dire ce qui reste de l’évolution phonétique de la forme de la désinence latine, soit aucune marque spécifique et donc rien, zéro. La forme appelée féminin correspond à la forme non marquée à laquelle serait ajouté - e.

La prise en considération de la forme non marquée du radical est impor- tante : elle permet de régler plusieurs questions. En premier lieu, dans les cas d’invariabilité due à des règles (accord du participe passé, par exemple), on déclarerait que la forme est non marquée et non pas, comme on le lit parfois, qu’elle reste au masculin singulier, ce qui n’a aucun sens. Ensuite, si l’on veut expliquer la formation du féminin, il n’est plus besoin de partir du masculin. Il suffit de partir de la forme non marquée du radical. Cette manière ternaire de voir – non marqué, masculin, féminin – permet de sortir de la binarité qui a souvent permis de considérer le féminin comme dérivé et secondaire, et le masculin comme premier, dans une version tristement culturelle de reproduction des rapports sociaux projetés sur la langue, ren- forcée par une conception judéo-chrétienne adamique, selon laquelle Ève serait née de la côte ou du côté d’Adam.

Ce marquage du féminin, loin donc d’être effacé, a même été généralisé à l’ensemble des adjectifs latins de la deuxième classe : grandem et grandem, par exemple, respectivement masculin et féminin, ont finalement donné grand et grand pour les mêmes genres. Grand pouvait donc être féminin (comme dans Grand Place). La généralisation de la marque -e, caractéris- tique devenue définitive du féminin a terminé de construire le système oppositif du genre. Point d’invisibilisation, donc, mais bien une visibilisation généralisée.

Paradoxalement, et ironiquement également, c’est sans doute ce marquage du seul féminin qui est à l’origine de l’appréhension par les femmes de dis- criminations linguistiques. L’anglais, qui a effacé toute forme de marquage en genre (sauf pour les pronoms personnels et certains déterminants), avec donc invisibilisation du féminin comme du masculin, se présente comme une langue où transparaitrait nettement moins la discrimination de genre.

Pour pallier l’appréhension sexiste du français, il serait déjà possible de sortir de l’opposition binaire masculin/féminin. D’abord en ajoutant le tiers terme non marqué, ensuite en changeant la terminologie des catégories du genre, qui, on l’a vu, ne repose que sur une proportion minoritaire des noms. En m’inspirant de Varron, je propose une tripartition fondée sur le type d’article correspondant, et donc sur un principe de cohésion morpho-

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syntaxique10, plutôt que sur une correspondance fallacieuse avec le sexe biologique11 : le genre non marqué en UN, le genre marqué en UN + Ø (pour l’ancien masculin) et le genre marqué en UNE (pour l’ancien féminin).

Cette appréhension en trois genres répond également à des problèmes engendrés par des discours tenus pour justifier les accords comme ils existent (Michel 2016).

Tout d’abord, le non marqué permet de sortir de l’assimilation du masculin au neutre, qui a majoritairement disparu. Les accords visés, notamment en cas d’accord avec des mots de genres différents, ne sont pas au neutre au sens de « ni l’un ni l’autre », ni même de « et l’un et l’autre » : ils seront sim- plement considérés comme non marqués en genre (pouvant dès lors tout intégrer), même si marqués en nombre12.

Pas plus que neutre, le masculin n’est vu comme le non marqué. Il est vu comme non marqué plus une marque -Ø. L’explication par le masculin non marqué apparait souvent comme un subterfuge. Bien sûr les formes appa- raissent comme équivalentes, mais leur construction et leur place dans le système diffèrent.

Quant à l’appréhension du masculin comme générique, elle est transférée au non marqué. C’est parce que la forme est non marquée en genre et que, pour les noms, elle se rapproche le plus du radical non genré, que la forme non marquée est la plus propice à endosser la valeur générique d’un por- teur de titre envisagé comme non genré ou recouvrant les deux genres.

Dans cette vision en trois genres, le masculin ne l’emporte plus. C’est le non marqué en genre qui s’impose en cas d’accord avec des noms de genre UN + Ø et UNE. Ce n’est pas du neutre, mais cela correspond quand même à une forme de neutralisation de l’accord (au sens non grammatical de neutre). Les pratiques, l’usage de la langue et ses règles de fonctionnement ne doivent pas forcément être modifiés. En revanche le discours qui rend compte des mécanismes doit être impérativement revu.

Dans ses derniers ouvrages (2017, 2018), Viennot accuse les grammai- riens masculinistes d’invisibiliser davantage encore le féminin, notamment en rendant invariables des cas où l’accord se faisait au préalable. L’autrice cite, parmi d’autres, le cas des participes passés comme excepté, qui, dans la cadre d’une proposition dite absolue, ne s’accorde pas si son support le

10 Martinet (1996) envisage également les genres masculin et féminin comme des outils de cohérence textuelle par l’accord ou la reprise pronominale.

11 Correspondance que l’on trouve défendue chez Damourette et Pichon (1968-1985 (1911-1940)), via le principe de sexuisemblance.

12 On pourra dès lors traiter les cas de le et ce de la note 9 comme du non marqué, ce qui évite la dénomination contestée du neutre. On fera de même pour le il dit « impersonnel » ou « unipersonnel » de Il est important que…

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suit. Plutôt que d’y voir une volonté éradicatrice, on pourrait observer que les grammairiens ont préféré entériner des cas croissants d’invariabilité, lorsque le fonctionnement du participe correspond à celui des prépositions, elles-mêmes invariables. Les grammairiens n’ont que très peu de marge de manœuvre en morphosyntaxe pour modifier les usages existants ; ils sont plutôt dans l’entérinement, avec des tentatives, parfois maladroites, de justification et des discours parfois sexistes. Leur marge de manœuvre semble néanmoins plus importante depuis le XVIIe siècle pour empêcher l’évolution : ils peuvent décider de ne pas tenir compte des modifications de l’usage et de ne pas les enregistrer. Et cet usage ne va pas toujours dans le sens d’une visibilisation accrue du féminin.

Ainsi, l’usage de plus en plus fréquent qui consiste à ne plus faire l’accord du participe passé employé avec avoir, même si son support le précède, pro- voque une perte potentielle d’accord au féminin, ce dont les puristes tant décriés pour leur masculinisme se désolent souvent, alors que les linguistes enregistrent le fait et, en Belgique, essaient de changer la règle pour la faire correspondre à l’usage. Perte de féminin donc, mais due encore à l’usage, et non aux grammairiens. Par ailleurs, le système d’opposition entre voyelles brèves et longues tend à disparaître en français standard, ce qui rend inau- dible la différence entre un participe passé – ou un adjectif – au masculin et un autre au féminin, lorsqu’ils se terminent par une voyelle, ce qui, pour les participes, représente l’immense majorité des cas. Point d’intervention masculiniste, une simple évolution phonétique. Une perte de visibilité du féminin.

Ce qui semble à la manœuvre, c’est moins une mâle volonté extérieure de faire disparaître le féminin dans la morphosyntaxe qu’une tendance lourde à la disparition progressive, en vertu du principe d’économie à l’œuvre dans les langues, du marquage en genre, lorsque, à côté de la différencia- tion nécessaire des noms en genre, cela n’est pas senti comme absolument nécessaire, le français surmarquant parfois ses accords (déterminants, adjectifs, participes).

4. L’inclusif, jusqu’à la proximité ?

Si la pensée inscrit ses catégories de représentations dans la langue, celle-ci, à son tour, les projette sur le monde et formate nos représentations, dans la mesure où l’on se sert de ses outils ciselés pour dire ce monde. L’inscription symbolique de la représentation des femmes dans la langue, à partir des ressources linguistiques à disposition et des pratiques discursives qui les exploitent, est dès lors indispensable au design de notre paysage mental, qu’il soit référentiel ou social. Point de concurrence entre l’inscription de l’égalité entre hommes et femmes dans la langue et dans le social. Au contraire, une nécessaire articulation et alimentation réciproque.

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Pour autant, les interventions sur la langue gagneraient à être fondées sur des critères qui préservent la cohérence de ses fondamentaux.

L’écriture inclusive est plurielle et multiple. Point n’est besoin d’accepter toutes ses recettes pour adhérer au principe. Si j’adhère à nombre des pra- tiques proposées, certaines me semblent plus sujettes à questions. Les prin- cipaux points d’ancrage de cette écriture sont la dénomination des noms de métiers, titres, grades et fonctions (féminisation des termes), le combat contre le masculin générique dans les cas d’ensembles mixtes (usage du point médian) et l’éradication de la règle selon laquelle « le masculin l’em- porte » dans ces mêmes cas (accord de proximité).

Le lexique est un terrain des plus fertile et ouvert aux évolutions plus rapides et volontaristes. La féminisation des noms de métiers, titres, grades et fonctions y trouve parfaitement sa place et devrait être systé- matisée. À cet égard, la radicalité la plus grande doit être de mise. Il ne faut pas dire, comme dans certains manuels de féminisation ou d’écriture non sexiste, qu’il faut accorder les noms en genre (généralement cela veut dire accorder les noms au féminin)13 ou que la règle de base de la féminisation des noms (ou des adjectifs) consiste à composer les formes féminines « par l’ajout d’un -e à la fin de la forme masculine » (Lessard &

Zaccour 2018 : 41 et 74). Dire cela renvoie à l’idée d’un féminin néces- sairement dérivé du masculin. Or le nom possède un genre propre : il ne s’accorde pas en genre. Il faut dès lors veiller soit à inscrire deux entrées séparées dans les dictionnaires, une pour un nom en UN + Ø (ancienne- ment masculin), une autre pour un nom en UNE (anciennement féminin), et ce, par ordre alphabétique ; soit à consacrer une entrée pour un nom non marqué en genre (en UN) apte à rendre compte du nom de métier et de la valeur générique de celui qui exerce ce métier, entrée sous laquelle seraient répertoriées deux sous-entrées, une de genre UN + Ø pour parler de l’être de sexe masculin qui occupe ce métier, l’autre de genre UNE pour parler de l’être de sexe féminin qui occupe ce métier.

La pratique du point médian, quant à elle, doit pouvoir exister pour ce que ce point représente : essentiellement la marque d’une abrévia- tion d’un doublet masculin et féminin complet. Il faut dès lors adapter et réserver son usage à des situations de communication où il est nor- mal d’utiliser des abréviations (nous n’écrivons pas en abrégé en toutes circonstances).

Pour ce qui est de l’accord de proximité en revanche, la question est plus délicate, il me semble. Sa promotion vise à remplacer la règle, sexiste tant dans sa rédaction que dans sa conception et dans les représentations qu’elle charrie, selon laquelle le masculin l’emporterait. On a vu fleurir des

13 Voir, par exemple, le Manuel d’écriture inclusive, sous la direction de Raphaël Haddad (2016).

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pétitions14 et des mises en demeure d’en finir avec cette règle, injonctions adressées aux médias et aux institutions, qui ont vite fait d’ériger l’écriture inclusive en nouvelle norme ISO dans un contexte de concurrence féroce15. En témoigne, à titre d’exemple, le « mot de la correcteure » du Nouveau Magazine littéraire, à la suite du dossier consacré à la langue française dans sa livraison de février 2019 :

En tout cas, depuis la lecture de ce dossier, me voici convaincue de pratiquer l’accord de proximité, très naturel et logique, afin de ne plus entendre cette grossière maxime selon laquelle le masculin devrait l’emporter sur le féminin (2019 : 38).

Les arguments sont toujours les mêmes : la règle est récente et l’accord de proximité souvent en usage avant l’élaboration de cette règle (nous y avons répondu au point 2) ; son énoncé renforce symboliquement la minorisa- tion politique et sociale des femmes (nous avons changé sa formulation au point 3, pour la faire correspondre aux mécanismes réellement à l’œuvre et non à la représentation stéréotypique erronée que l’on a projetée sur la langue)16. Reste à interroger les caractères « très naturel et logique » de l’ac- cord de proximité. Le généraliser préférentiellement serait-il vraiment une option souhaitable ? Tout ce qui précède (aux points 2 et 3) relativise déjà la nécessité d’y avoir recours.

L’accord de proximité, on l’a vu, existait bel et bien – et existe toujours dans certains emplois. Les données du corpus de Moreau montrent, lorsque, dans un GN, le dpp est féminin, une majorité d’accords au masculin certes, mais moins importante (54, 7 %) que pour les autres configurations. Cependant, en creusant l’étude de ce corpus, j’observe que, sur 29 accords féminins pour un dpp féminin, 27 (93,10 %) correspondent à des adjectifs ou déter- minants antéposés, contre 2 postposés. Inversement, sur 35 accords mas- culins pour un dpp féminin, 33 (94,29 %) correspondent à des adjectifs postposés, contre 2 à des adjectifs ou déterminants antéposés. La position antéposée du receveur semble donc un critère potentiellement déclencheur d’un accord dit de proximité au féminin.

On retrouve cette même tendance dans l’étude d’Abeillé et al (2018) sur l’accord de proximité des déterminants en français contemporain :

14 Voir la pétition de 314 professeur·e·s, initiée par Viennot, publiée le 7 novembre 2017, « Nous n’enseignerons plus que “le masculin l’emporte sur le féminin” » (http://www.slate.fr/story/153492/manifeste-professeurs- professeures-enseignerons-plus-masculin-emporte-sur-le-feminin).

15 Fort heureusement, à côté de ces injonctions et mises en demeure, on a vu se multiplier les prises de position favorisant le libre choix des méthodes, eu égard à leur praticabilité ou aux circonstances de communication.

16 Viennot ajoute comme argument supplémentaire que l’accord de proximité « permet de limiter les signes diacritiques » produits dans le cas de l’utilisation de points médians (http://www.elianeviennot.fr/Langue- proxi.html). Nous ne discuterons pas ici cet argument.

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En nous basant sur un corpus normé (Frantext après 1950) et sur un corpus moins formel (FrWaC), nous avons étudié la coordination d’articles avec nom en facteur, et la coordination de noms avec déterminant en facteur […].

Nous avons montré […] que deux stratégies sont disponibles pour l’accord en nombre : soit l’accord total, au pluriel, soit l’accord de proximité avec le nom le plus proche. En revanche, pour l’accord en genre, seul l’accord de proximité s’applique, du second déterminant coordonné avec le nom, et du déterminant avec le premier nom coordonné (Abeillé et al. 2018 : 21).

Il serait possible d’expliquer cette différence de traitement par le caractère particulier des déterminants, antéposés, par rapport aux adjectifs postpo- sés. Leur rôle de quantifiant et d’actualisateur du nom, qui les rend obliga- toires en français contemporain et qui déteint également sur les caractéri- sants antéposés, rend difficile une différence de caractéristique au moins de genre (lorsque cette différence est audible) entre le déterminant lui-même et le nom dont il révèle les caractéristiques.

Cela étant, dans ces cas, la lecture par l’accord de proximité peut ne pas être indispensable. Elle pourra être avantageusement remplacée par une analyse qui respecte la règle générale d’accord avec le support (énoncée au point 1), avec prise en compte, pour décrire les GN, de l’ellipse éventuelle du nom ou du déterminant, récupérables par ailleurs, ellipse notée Ø : Dét [N+N] (lesdits mari et femme ; les nom et prénoms) ; [Dét Ø]+[Dét N] (le ou la châtelaine) ; [Dét N]+[Ø N] (la date et lieu ; le dimanche et jours fériés)…

Sur l’ensemble des 27 accords féminins antéposés, on dénombre un seul cas (3,7 %) d’accord d’ensemble indiscutable (accord pluriel avec dpp au singulier : et de tenir et acomplir sesdites foy et serement (Reg. crim. Chât., II, 1389-1392, 186)). Sur l’ensemble des 69 accords masculins antéposés, on dénombre 27 cas (39,13 %) d’accord d’ensemble indiscutable (accord pluriel avec dpp au singulier : avec la fille desditz duc et duchesse (Philippe de Commynes, Mémoires, T.2, 1489-1491, p. 279)). Cela confirme, pour les accords antéposés, la prévalence déjà observée, de ce que l’on appelle com- munément le masculin pour les accords d’ensemble. C’est dans ces cas d’ac- cords d’ensemble, de type Dét [N+N] et lorsque les genres des N diffèrent, que nous proposons de parler d’accord au genre non marqué en UN.

On le voit donc, point n’est besoin d’invoquer un accord de proximité pour ces cas d’antéposition. La règle générale d’accord suffit.

En postposition d’adjectifs dans le GN, les possibilités d’analyses attendues sont les suivantes : un accord d’ensemble [N+N] Adj ou un accord de proxi- mité [N]+[NAdj], que l’on pourrait réanalyser avec ellipse d’une première occurrence de l’adjectif [N Ø]+[NAdj]. Pour les 47 cas de postposition dans le GN, les données indiquent une très forte majorité d’accords au masculin (44, soit 93,61 %). Parmi les 3 accords féminins, l’un est très particulier : accord au féminin pluriel avec un dpp masculin (et ès villes et villages encla- vées en iceulz, La Marche Olivier de, Mémoires, t.1, 1470, p. 220) ; le deu- xième est un accord qui pourrait être de proximité au pluriel (qui portoient

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flacons et boutelles plaines de vin toursées à leurs selles, Jean Froissart, Chroniques, XIV, c.1375-1400, 164) ; le troisième est un accord de proximité au singulier (pour busche, foing et avoine prise de lui à Paris, Dyne et Jacques Raponde, Livre de comptes (1395-1406) [de] Guy de La Trémoille et Marie de Sully, 1396-1406, 30). Parmi les 44 accords masculins, 34 (77,27 %) sont des accords d’ensemble indiscutables de type [N+N] Adj, 8 (18,18 %) sont indécidables (accord d’ensemble [N+N] Adj ou de proximité [N]+[NAdj]) ; les deux derniers (4,54 %) présentent un accord au masculin singulier avec un dpp féminin (le conte Ghuy de Bloys et la contesse Marie, sa femme, bien acompaignié de chevaliers, Jean Froissart, Chroniques III, c.1390, p. 226).

Sur ces 47 cas, donc, seuls deux cas (4,26 %) pourraient présenter un accord de proximité indiscutable (deux cas d’accord au féminin), ce qui est évidemment très peu. Notre analyse des [N+N] Adj pl (accord au genre non marqué en UN), [N]+[NAdj] et [N Ø]+[NAdj] (accord au genre du nom sup- port) rentrent tout à fait dans la règle générale d’accord avec le support de l’adjectif. Poseraient problème les cas [Nsg/pl+Nsg] Adjsg où l’adjectif se rapportant aux 2 N resterait au singulier (d’où une analyse en [N Ø]+[NAdj]

ou en accord de proximité) ou lorsque l’adjectif est au féminin pluriel dans un cas [Nmsg/pl+Nfsg] Adj fpl. Ces derniers cas sont très rares.

Je ne m’attarderai pas ici sur les cas des constructions attributives, où l’ac- cord au masculin (ou, selon moi, au non marqué en UN) est très majoritaire.

Sur les 15 cas d’accord au féminin (16,67 %), 9 sont au féminin pluriel avec un dpp féminin pluriel, pour 3 avec un dpp féminin singulier et 1 avec un dpp masculin pluriel. Les deux cas restants sont des accords au singulier avec un dpp au féminin singulier.

On observe donc proportionnellement peu de cas incontestables d’accord de proximité, mais ils existent. En français contemporain, des relevés sta- tistiques précis devraient encore être faits. Le Bon Usage (2008 : §443) décrit quelques cas d’accord de l’adjectif avec le donneur le plus proche, mais majoritairement au singulier (l’inquiétude et la souffrance universelle), considérant l’accord au pluriel rare (avec un seul exemple de type [Nmpl + Nfpl] Adjfpl). Plus rare encore est considéré l’accord pour les verbes et les attributs. Sur le site d’Éliane Viennot, les exemples d’accord d’adjectif sont, pour l’usage antérieur, majoritairement au singulier avec un dpp féminin singulier. Les propositions faites pour l’usage contemporain ne donnent néanmoins que des exemples d’accord au pluriel (avec des dpp au pluriel)17. Au final, le naturel revendiqué par la correcteure du Nouveau Magazine lit- téraire apparait statistiquement peu confirmé. Qu’en est-il de la logique ?

17 Ce que remarquent Lessard & Zaccour (2018 : 1981) lorsqu’ils disent qu’« il est possible de n’utiliser qu’un adjectif qui s’accordera alors en genre avec l’élément le plus proche auquel il se rapporte » :

Notons qu’anciennement, l’accord de proximité commandait l’accord en genre et en nombre. Aujourd’hui, il est sans doute plus opportun de conserver l’accord en nombre que commande la grammaire moderne

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Pour envisager la plus-value de l’instauration de l’accord de proximité, il faut encore le confronter avec son environnement systémique et social.

Or un tel accord romprait avec la logique de la règle que l’on a pu généraliser jusqu’à la rendre unique : l’accord de l’apport avec son support. Le facteur de position y existe certes mais comme exception (on accorde le participe passé employé avec avoir ou le participe excepté en fonction de la position de son support18, mais le verbe ou l’adjectif s’accorde la plupart du temps avec leur support, quelle que soit leur position). L’accord de proximité occa- sionnerait des occurrences assez difficiles à communiquer comme Certaines femmes et hommes rompus à l’exercice de l’accord sont opposés à tout chan- gement, où l’alternance d’accord au féminin et au masculin fait perdre le principe de cohésion de groupe entre apport et support. C’est un cout indé- niable, qui complique par ailleurs l’enseignement des règles. Rien de bien grave, nous objectera-t-on, mais je vous invite à relire les règles d’accord des mots qui se rapportent au nom gens, qui sont un sommet d’inanités pour l’école (Grevisse & Goosse 2014 : § 490). Multiplier des potentialités de ce type ne me semble pas souhaitable. Face à une construction proche de l’anacoluthe – un adjectif énoncé une seule fois, par principe d’écono- mie, peut difficilement endosser les marques de genres de deux supports de genres différents – l’usage doit faire preuve de créativité. Soit on accepte que l’accord ne se fasse qu’avec un support, et l’interprète palliera, soit on contourne la difficulté. L’Office québécois de la langue française, s’il ne condamne pas l’accord de proximité, ne l’encourage pas. Il recommande d’avoir plutôt recours à la règle de proximité, qui consiste à rapprocher le donneur masculin de l’adjectif à accorder, quitte à inverser l’ordre des sup- ports préalablement choisi19.

À côté de la perte de cohérence globale de l’accord que provoquerait l’instau- ration de l’accord de proximité, la promotion conjointe par Viennot (2017, 2018) de l’accord par le sens termine d’effrayer celui qui a vu à l’œuvre l’appréhension du sens dans le cas de l’orthographe et du pluriel des noms composés, qui, dans sa conception traditionnelle, repose sur la périphrase reconstruite par le sens. Plus guère de cohérence entre dictionnaires, plus guère de généralisations possibles des accords. Bien sûr on est proche de la liberté d’écriture des auteurs et autrices des XVIe et XVIIe siècles, mais pas de l’impératif de communicabilité et de lisibilité des écrits du XXIe siècle. Et je suppose que l’on ne nous propose pas de revenir à une langue à cas, où la position des mots était plus libre et où l’accord était moins formalisé. Si je n’ai rien contre le principe de polygraphie, il faut au préalable un travail de

18 L’évolution de l’usage vers une invariabilité du participe passé employé avec avoir (voir supra) ainsi que les propositions d’une nouvelle régulation qui en tiendrait compte rendent encore plus exceptionnel le recours au critère de la position en matière d’accord. Dès lors, la promotion de l’accord de proximité s’inscrirait davantage encore à rebours du système de l’accord et de son histoire.

19 http://bdl.oqlf.gouv.qc.ca/bdl/gabarit_bdl.asp?id=3997

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conviction sociale énorme pour faire évoluer les mentalités dans ce sens, et il faut bien avouer que, tristement, nous n’en prenons guère le chemin… De quoi faire réfléchir avant de prôner cette généralisation.

Plutôt que d’un changement de langue, c’est d’un changement de discours sur la langue que nous semblons avoir besoin. C’est ce que j’ai proposé en reformulant la règle : en cas de donneurs multiples de genres différents, l’accord se fait au pluriel, au genre non marqué en UN. Exit donc « le mascu- lin l’emporte ».

Conclusion

S’il faut indéniablement rétablir une meilleure représentation des femmes dans la langue, les moyens proposés par l’écriture inclusive n’ont pas tous, selon moi, le même potentiel ni la même nécessité. La féminisation des noms de métiers, l’écriture épicène, l’utilisation des doublets dits « mas- culin et féminin », dans tous les cas, le recours au point médian quand le besoin d’abréger se fait sentir, ont ma préférence.

J’ai exprimé, en revanche, mes réticences quant à la généralisation de l’ac- cord de proximité, dans la mesure où elle rentre en conflit avec la règle générale d’accord d’un apport avec son support, et que le facteur de position est plutôt un critère générateur d’exception en matière d’accord en français contemporain.

Par ailleurs, la nouvelle lecture de l’opposition en trois genres que je pro- pose change sensiblement la donne du discours grammatical et rend moins nécessaire le recours à cet accord de proximité. Le masculin (renommé en genre marqué en UN + Ø) ne l’emporte plus ; c’est le non marqué en UN qui s’impose comme générique. En outre, les accords des déterminants qui semblaient répondre à la règle d’accord de proximité peuvent se voir appli- quer une analyse conforme à la règle générale d’accord avec leur support sans devoir recourir à cette règle particulière. Il n’est plus besoin de géné- raliser cette dernière au prétexte que son usage antérieur, prétendument majoritaire, aurait été renversé par des grammairiens masculinistes. Nous avons vu qu’il n’en était rien.

Bien entendu, si le linguiste morpho-syntacticien que je suis peut avoir des préférences eu égard à l’inscription d’un mécanisme dans un système, il ne peut avoir de jugement de valeur dirimant sur ces questions. La langue sera faite de ses évolutions, modifiées par les pratiques discursives des usagers qui se seront suffisamment généralisées pour imprégner le système. Si ces dernières parviennent par leur emploi majoritaire à modifier l’usage, la langue devra s’y plier, et les linguistes auront à en être les témoins, au-delà de leurs appréhensions propres ou de leur militance plus ou moins affichée.

Cela étant, avant toute incrimination de la langue, il importe que l’on inter- roge en premier lieu la pertinence et l’adéquation des discours sur la langue.

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Une meilleure description permet d’éviter un remaniement de la langue rendu nécessaire par les incompréhensions, les frustrations, les sentiments de discrimination, qui sont moins le résultat de la langue que des errances de sa description et des stéréotypes que le monde dominant projette sur elle, stéréotypes et rapport de domination qu’il nous incombe de changer au tout premier chef.

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