FACULTÉ
DEMÉDECINE
ET DE PHARMACIE DE BORDEAUXANNEE 1897-1898 N° 115
L'EXPECTATION ET L'INTERVENTION
DANS LE
■tocèle rétro-uté
THÈSE POUR LE DOCTORAT EN MÉDECINE
Présentée et soutenue publiquement le 29 juillet 1898
PAR
Adolphe BELZER
NÉ A KAMENÉTZ-PODOLSK(Russie), LE 31 DÉCEMBRE 1869 Ancien Interne des Hôpitaux
Lauréat(bis) de la Faculté de Médecine de Bordeaux (Médaille d'argent 1892-93; Mention honorable 1893-94)
Lauréat desHôpitaux (Médaille d'argent, 1894-95)
Membre de la Société d'Anatomie etde Physiologie de Bordeaux.
MM. LANELONGUE, professeur, Président.
Examinateursde la thèse ...(
SIASSE'-
CIIAMBRELENT, agrégé. } Juges.BINAUD, agrégé.
Le Candidat répondra aux questions qui lui seront faites sur les diverses parties de l'enseignement médical.
BORDEAUX
IMPRIMERIE NOUVELLE DEMACHY, PECH ET Cic
16 — RUE CABIROL — 16
1898
FACULTÉ DE MEDECINE ET DE PHARMACIE DE BORDEAUX
M. de NABIAS Doyen. | M. PITRES.. Doyen honoraire.
PROFESSEURS
MM. MICÉ ]
AZAM DUPUY MOUSSOUS
Professeurs honoraires.
Clinique interne..
Clinique externe . Pathologie et Théra¬
peutique générales.
Thérapeutique
Médecine opératoire..
Clinique d'accouchements.
Anatomie pathoiogique...
Anatomie
Anatomie générale et Histologie
Physiologie Hygiène
MM.
PICOT.
PITRES.
DEMONS.
LANELONGUE.
VERGELY.
ARNOZAN.
MASSE.
N...
COYNE.
BOUCHARD.
VIAULT.
JOLYET.
LAYET.
Médecine légale.
Physique
Chimie
Histoire naturelle.
Pharmacie Matière médicale Médecineexpérimentale..
Clinique ophtalmologique.
Cliniquedesmaladies chirurgicales des enfants
Clinique gynécologique..
Clinique médicale des maladies desenfants...
Chimie biologique...
MM.
MORACHE.
BERGONIÉ.
BLAREZ.
GUILLAUD.
FIGUIER.
de NABIAS.
FERRÉ.
BADAL.
PIECHAUD BOURSIER.
A. MOUSSOUS.
DENIGÈS.
AGREGES EN EXERCICE
section de médecine (Pathologie interne etMédecine légale)
MM. MESNARD.
CASSAËT.
AUCHÉ.
MM. SABRAZÈS.
LE DANTEC.
section de chirurgie et accouchements
Accouchements. MM.RIVIÈRE.
CIIAMBRELENT.
IMM. VILLAR.
a hologie
exlerne|
BINAUD./ BRAQUEHAYE.
section des sciences anatomiques et physiologiques MM. PRINCETEAU. 1 Physiologie MM. PACIION Anatomie.
C AN NI EU. Histoire naturelle BE1LLE.
Physique.
section des sciences physiques M. SIGALAS. I Pharmacie
COURS COMPLÉMENTAIRES
Clinique des maladies cutanées etsyphilitiques.
Clinique des maladies des voies urinaires Maladies du larynx, des oreilles et du nez
Maladies mentales
Pathologie interne Pathologie externe Accouchements Chimie
MM.
Physiologie Embryologie Pathologieoculaire Hydrologie etminéralogie.
M. BARTIIE.
DUBREUILII.
POUSSON.
MOURE.
REGIS.
RONDOT.
DENUCÉ.
RIV1ÈBE.
DUPOUY.
PACIION.
CANNIEU.
LAGRANGE.
N.
Le Secrétaire de laFaculté, LEMAIRE.
Par délibération du S août 1879, la Faculté a arrêté que les opinions émises dans les thèses quilui sont présentéesdoiventêtre considérées comme propres à leurs auteurs, etqu'elle n'entend leur donner ni approbation ni improbation.
PRÉSIDENT DE THÈSE
M. LE DOCTEUR LANELONGUE
Professeur de clinique chirurgicale à la Faculté de Médecine de Bordeaux Chevalierde laLégiond'Honneur
Officier de l'Instruction Publique.
INTRODUCTION
En 1896,aux mois dejanvieretfévrier,la Société de Chirur¬
gie de Paris consacra plusieurs séances à la discussion du traitement de l'hématocèle rétro-utérine. Les conclusions
générales de ces discussions étaient qu'il faut intervenir par l'un des deux moyens : laparotomie ou colpotomie posté¬
rieure.
La même année et nous pouvons dire le même mois, alors
que nous avions l'honneur d'être interne dans le service de M. le Prof. Lanelongue, nous avons observé cinq cas d'héma-
tocèle rétro-utérine qui ont été guéris par l'expectation suivie
de soins médicaux. Ce traitement, en contradiction avec celui préconisé généralement par la Société de Chirurgiede Paris, frappa vivement notre esprit et nous avons choisi l'étude du traitement de l'hématocèle rétro-utérine comme sujet de thèse.
A nos cinq observations personnelles nous avons pu en
.adjoindre treize autres prises également dans le service de M. le Prof. Lanelongue. Deux de ces observations ont été
l'objet des cliniques de mon maître qui y fit ressortir la tendance généraleà intervenir làoù l'expectation suffit.
Nous nous sommes efforcé d'établir dans notre travail combien sont restreints les casoù le chirurgien doit pratiquer
la colpotomie postérieure, et à l'aide de 144 cas, nous avons
essayé de démontrer l'efficacité de l'expectation suivie de moyens médicaux dans l'hématocèle rétro-utérine.
Nous traiterons uniquement du traitement de l'hématocèle
rétro-utérine;
l'étiologie, l'anatomiepathologique
et la patho¬génie ayant été l'objetdes remarquables étudesdeMM.Binaud etCestan, nous n'y avons rien àajouter.
Notre travail est divisé en cinq chapitres : dans lepremier,
nous faisons
l'historique
du traitement de l'hématocèle rétro- utérine aux différentesépoques;
dans le deuxième, nous indi¬quons l'état actuel de ce traitement et nous faisons ressortir, qu'à côté des cas qui réclament
l'intervention,
d'autres, bien nombreux, guérissent par l'expectation.Ces cas font l'objet du chapitre troisième. Dans le chapitre quatrième, nous discutons la valeur réelle de la colpotomie postérieure, et nous nous efforçons de prouver qu'elle n'a pas d'avantages sur l'expectation, surtout au point de vue des résultats éloignés.
Enfin, le chapitre cinquième traite des indications précises
où l'intervention est nécessaire.
Nous avons cru dans ce dernier chapitre devoir
indiquer
les formes cliniques de l'hématocèle rétro-utérine.Avant d'entrer dans le vif de notre sujet, nous tenons à
exprimer notre vive gratitude à M. le Prof. Bergonié qui,
au début de notre carrière médicale, nous a montré une
bienveillance généreuse.
Nous avons fait notre éducationchirurgicaledans le service de M. le Prof. Lanelongue, où nous avons eu le bonheur de passer trois années, soit comme stagiaire, externe et interne.Dans bien des circonstances,ce maître nous aprodigué
tant de bienveillance et de sympathie que nous ne pourrons
jamais l'oublier. C'est avec une extrême joie que nous tenons à exprimer ici publiquement à ce cher maître
l'hommage
denotre profond respect et de notre vive reconnaissance, et
l'honneur qu'il nous fait en acceptant
la présidence de notre
thèse est pour nous une marque
de plus de
sasympathie.
Remercions ensuite M. le DrBinaud, professeur
agrégé
à la Faculté, et M. le D1' E. Bitot, médecin deshôpitaux, qui
nous ont préparé à l'internat. M. le DrBinaud
ade plus droit à
notre reconnaissance pour les conseils éclairés
qu'il
nous a donnés pour mener à bien notretravail.
Merci à tous nos maîlres de la Faculté et des hôpitaux, auprès desquels nous
n'avons trouvé
quede la bienveillance, et
plus particulièrement à M. le
Prof. Arnozan.
L'EXPECTATION ET L'INTERVENTION
DANS LE
Traitement de llmatocèle rétro-ntérine
^5
CHAPITRE PREMIER
La question du traitement de
l'hématocèle rétro-utérine
a passéparbien despéripéties. Depuis 1737, époque à laquelle
onattribue à Rnyscli la première description
de
cetteaffection,
jusqu'àl'année 1848, ilrègne
uneobscurité à
peuprès
com¬plète sur la nature et le mode de
traitement de l'hématocèle.
Récamier, se trouvant deux fois en face d'une tumeur fluc¬
tuante du petit bassin chez la femme, fait une
ponction
etsetrouvetout étonnéderetirer une quantité plus ou moins
consi
dérable de sang. Ainsi futexécutée parpur hasard
la première
intervention chirurgicale dans l'hématocèle
rétro-utérine. Ces
deuxponctionsfurent heureuses, etcomme, à cette
époque déjà,
ona
remarqué certains phénomènes
gravesdus à l'hématocèle,
de nombreux praticiens ont suivi l'exemple de
Récamier; si
bienqu'en 1851 la Société de
Chirurgie
deParis prescrivit la
ponction del'hématocèle
parle vagin. Malheureusement, cette
petite intervention se pratiquait à uneépoque
oùl'antisepsie
n'était point connueetaprès quelques succès passagers arrivè¬
rent des désastres : la ponction provoquait de la suppuration,
de la péritonite mortelle, et l'ignorance de la nature de la maladie en question fut cause que ces ponctions furent sou¬
ventsuivies
d'hémorragie
mortelle. Nélaton, Malgaigne,Denon-villiers, Nonat et d'autres rapportent des cas de mort due à des accidents
septicémiques
ethémorragiques
provoqués par l'ouverturedel'hématocèle,
et la Société deChirurgie de Paris poseenprincipe l'abstention de toute interventionchirurgicale.Ceci se passe en 1860. Pendant une dizaine d'années, le trai¬
tement de l'hématocèle rétro-utérine est purement médical.
Certes, nous ne pouvons pas accuser la Sociétéde
Chirurgie
deParis de 1860 d'être trop exclusive dans sa détermination sur
laconduite à tenir dans le cas d'hématocèle; il y avait bien de la bonne volonté àremédier à certains accidents graves, mais lacrainted'aggraverla maladie par septicémie ou
hémorragie
justifie amplement cette sage mesure. Aussi voyons-nous Ber- nutz(1) écrireà la page 196deses Leçons cliniques : « Uneseule fois j'ai vu la maladie, après bien des douleurs cruelles, seterminer par la mort; mais il faut tenir compte que je n'ai jamais eu recours à la ponction des
hématocèles,
préconiséepar Récamier d'abord, par Nélaton (2) ensuite, et qui, je puis le dire sans crainte d'être contredit, est une opération funeste. »
La
thérapeutique
purement médicale de l'hématocèle résultenon seulementdu mouvement
presque exclusifqui se fait dans le corps médical à la suite de la discussion de la Société de
Chirurgie
de Paris, mais encore elle est encouragée par des guérisons nombreuses de cas même graves. Quoique à cetteépoque
la cause de l'hématocèle reçoit presque autant d'inter¬prétations qu'il y a
d'autopsies,
on savait déjà parfaitement bien quel'hématocèle rétro-utérine peut suppurer même sans
intervention. Eh
bien,
nombreuses sont les observations où(1) BernutzetGoupil, Cliniquemédicalesurlesmaladiesdesfemmes. Paris,1860.
(2) Nélaton, Gazette desHôpitaux, 1851,p. 61 et suiv.
— il —
rhématocèle suppurée s'ouvre
spontanément dans le vagin ou
clans le rectum, amenant
ainsi
uneguérison rapide de la
malade. Denonvilliers (1) croit
devoir intervenir dans
uncas
semblable, et après un largeagrandissement d'une petite
ouverture spontanée,
voit
seproduire
uneinfection purulente
qui emportela
malade.
A partles cas de
mort dus à la ponction ou à l'agrandisse¬
ment des fistules vaginales et
rectales, d'autres
casmortels
d'hématocèle furentobservés.Mais,disonspar
anticipation
queces cas dénommés par Barnes «
hématocèle cataclysmique »,
et auxquels on tend à
substituer actuellement la dénomination
d'inondation péritonéale, ne
furent,
pourla plupart, que de
simples trouvailles
d'autopsie.
Aux causes multiples
erronées de Phématocèle s'ajoute la
difficulté dudiagnostic des
hématocèles
gravesmortelles prises
pourdes cas
d'empoisonnement
oud'hémorragie interne sans
cause connue. Nous reviendrons ultérieurementsurces
cas-là.
AinsiJusqu'à 1870, le
traitement de l'hématocèle rétro-utérine
est purement
médical et compte beaucoup de guérisons. En
quoi
consistait cette médication? Nous avons déjà dit que la
Société de Chirurgie de Paris
formulait l'abstention en prin¬
cipe. Oulmont
(2) pratiquait purement et simplement la médi¬
cation expectante,ce qui,
d'après la juste
remarquede Bernutz,
« ne remplit aucune des
indications qui
seprésentent dans les
diverses variétés d'une affection qui, loin d'être
idiopathique,
n'est qu'un symptôme
de lésions
oude maladies différentes ».
Malheureusement, Bernutz, tout en
sachant
quel'hématocèle
n'est pas une
affection idiopathique, ignorait de quelles lésions
ou maladiesdifférentes relevait la formation
de l'hématocèle et
àl'expectation
simple il ajoute quelques moyens thérapeutiques
qui doivent
combattre telle
outelle cause erronée de l'héma¬
tocèle. Ainsi fait-il largement
l'application des
sangsuesdans
la variété de l'hématocèle métrorragique, dans
l'hématocèle
(1) Denonvilliers, GazettedesHôpitaux, 14juillet 1851.
(2)Oulmont,Bulletinde laSociétédeMédecinedes Hôpitauxde Paris,
1.1V,
n°1.
symptomatique
de rétentionmenstruelle,pouractiverlarésorp¬
tion du caillot sanguin. Le repos absolu aulit prime toutes les autres
indications,
puis des bains, descataplasmes,
des pur¬gatifs, etc., complètent
l'expectation.
Il ne peut être encorequestion d'injections vaginales,
l'antisepsie
n'étant pas encore connue. Et nous ne trouvons même pas trace qu'on ait fait desinjections vaginales d'eau cliaude pour favoriser la
résorption
du caillot sanguin.
L'ère
antiseptique
arrive. Les interventionschirurgicales
deviennent plus audacieuses et moins dangereuses. On incise lecul-de-sac de Douglas pour vider l'hématocèlerétro-utérine;
on fait des
laparotomies,
et au cours de ces opérations on commence à trouver des foetus ou des débris foetaux soit dans latrompe
de Fallope, soit au milieu des caillots de l'héma¬tocèle. Une nouvelle
impulsion
est donnée à l'étude de la cause de l'hématocèle et,en 1885, Lawson Tait produit une véritable révolution quant à laconception de la cause de l'hématocèle.
En 1892, paraît la remarquable thèse de notre maître W, Binaud (1), où il démontre avec preuves irréfutables que
la grossesse ectopique est la cause la plus fréquente de
l'hémorragie intrapéritonéale
et de l'hématocèle. Un an après,Gauthier (2) traite le même sujet, et en 1894, c'çst-à-dire l'année suivante,paraît la thèse très documentée deCestan
(3),
où les anciennes théories de la cause de l'hématocèle sont
fortement battues en brèche. Tous ces auteurs prouvent bien que la grossesse ectopique est la cause la plus fréquente de l'hématocèle rétro-utérine. Avec la démonstration éclatante de
l'origine
ectopique del'hématocèle,
naissent des études plus approfondies et plus exactes sur l'anatomiepathologique.
Cesétudes,
nous allons les résumer brièvement. Une des trompesest le siège de la grossesse
ectopique;
l'insuffisance muscu¬laire de cette
trompe, l'amincissement
de ses parois par la(1) Binaud, thèse de Bordeaux1892.
(2) Gauthier, thèse deParis 1893.
(3) Cestan,thèse de Paris 1894.
distension mécanique,l'usure
provoquée
parles villosités du
placenta fœtal
conduisent à
unede
cestrois terminaisons
différentes (1) :
1° Hématosalpinx:
hémorragie dans l'intérieur de la trompe
non rompue, mort de
l'œuf et
sarésorption ultérieure;
2° Avortement tubaire: expulsion en
bloc
ou enparcelles de
l'œuf tubaire sans rupture de
la trompe; l'expulsion
sefait le
plus souvent dans
le péritoine; l'hémorragie est insignifiante
quand l'expulsion se
fait
enbloc, abondante et répétée lors¬
qu'elle se faitpar
parcelles
;3° Rupturetubaire :
expulsion de l'œuf dans le péritoine à
travers une déchirure de la trompe. Cette
déchirure coïncide
avec l'insertion du placenta
qui peut
sedétacher entièrement
ou parparcelles et provoquer
des hémorragies répétées.
Ces notions nouvelles n'ont pas
manqué
deproduire
un grand retentissement. Parleur connaissance,
ons'explique
facilement les phénomènes graves
observés dans certains
cas d'hématocèles, notammentVinondation péritonéale, l'hémor¬
ragie répétée, la mort
rapide. De cette époque datent les
recherches minutieuses. On interprète mieux les cas
anciens
et modernes suivis de mort par la rupture
de la
grossesse ectopique amenantainsi la formation de l'hématocèle. On
dresse des statistiques vraiment
effrayantes et la question de
l'hématocèleest de nouveau portée à la
tribune de la Société
de Chirurgie de Paris.
La discussion de ces faits nous amène au traitement
de
l'hématocèle rétro-utérine telqu'il est posé
actuellement.
Nous allons relater dans le chapitre suivant
l'état actuel
dutraitementdel'hématocèle.
(1) Cestan, GazettedesHôpitaux,p. 806, 1806.
— 15 —
CHAPITRE DEUXIÈME
État
actuel du traitement de l'hématocèle.Il est donc amplement
démontré
quel'hématocèle est
par son origine intimement liée à la grossesse extra-utérine dans la grandemajoritédescas; quecettehématocèle peut êtrehabitée,
c'est-à-dire renfermer en son milieu un foetus, un placenta ou
ses débris, ou bien peut être
inhabitée
et n'êtreconstituée
que par du sang liquide et par des caillots;que les annexes etsurtoutla trompe gravidique sontrompues ou
altérées
profon¬dément sans aucune rupture; que cette trompe déchirée donne
naissanceàdeshémorragies abondantes,etsurtoutenfin que le
décollement partiel et successif du placenta occasionne des hémorragies répétées mortelles. Il semble à priori qu'étant
données toutes ces lésions, toute discussion sur le traitement
de l'hématocèle devrait aboutir à une intervention radicale,
consistant à tarir la source de l'hémorragie et à soustraire des
annexessiprofondément altérées. Là est l'idéal d'une opération qui a saraison d'être.
Nous voyons cependant la Société de Chirurgie de Paris
discuterlonguement en 1896 (1) la question du traitement de
(1) Société do Chirurgie de L'aris, janvier etfévrier1896.
16
l'hématocèle et aboutir à deux interventions diamétralement opposées par leur but : l'une, la laparotomie, tend à tarir la
source de
l'hémorragie
et à enlever les annexes malades;l'autre, lacolpotomie postérieure, consistepurement etsimple¬
mentàenlever les caillots sanguin tout en laissant lesannexes sans mêmeserendre comptedeleur état. Pourquoi cette diver¬
gence d'action? Elle repose tout entière sur l'observation clinique. En effet, depuis longtemps déjà, on aremarquéquela rupture de la grossesse extra-utérine surtout avancée est suivie d'hémorragie qui d'emblée inonde toute la cavitépérito- néale; ces cas, méconnus autrefois et rangés sousla rubrique
d'empoisonnement
oud'hémorragie
interne sans causeconnue, ont été dénommés par Barnes « hématocèle cataclys- mique», etactuellement parTuffier «inondationpéritonéale».
Amenant la mort rapide à intervalles variant de un quart d'heure à vingt-quatre heures, ces faits attirèrent naturel¬
lement l'attention du corps médical, et il faut bien dire que les sombres statistiques dressées actuellement donnent un
terrible pourcentage de mort : 63 % de mort d'après Martin;
85,7 % de décès d'après Weinstein; 85 % d'après les obser¬
vations réunies de Binaud et Cestan. Cet énorme pourcentage
devrait d'après eux être attribué à l'expectation (1). Nous ferons cependant quelquesréserves, car dans bon nombredes
cas lamortfut sirapide,que le médecinn'eutpas le temps d'in¬
tervenir; dans d'autres, le diagnostic était erroné. En tout cas, si le pourcentage est même inférieur à celui indiqué par Binaud et Cestan, il n'est pas moins vrai que la mort a
résulté de la trop grande abondance
d'hémorragie.
Naturel¬lement l'indicationla plus impérieuse est d'allerà la recherche de la source de
l'hémorragie,
et la laparotomie est tout indi¬quée. Là dessus toutle monde est d'accord et cela ne peut être
autrement. Donclaparotomie dans les cas d'inondation péri¬
tonéale. Ajoutons que ces cas, d'après Bouilly et de l'aveu
(1) Cestan, Gasette des Hôpitaux, 1896, p. 829.
mêmedeCestan, sont rares.Condamin (1) ne les apas
observés
avant lecinquième mois de grossesse
extra-utérine.
Dans d'autres cas, l'hématocèle, quelquesjours après l'acci¬
dent primitif qui lui a
donné
naissance, secaractérise
par un accroissementde volume dûàdes hémorragiesrépétées. Donc, d'après l'observation clinique, il y atoujours
unesourced'hé¬
morragie qu'il faut faire disparaître, et ici encore
tout le monde
est d'accord pour pratiquer la laparotomie. Dans
d'autres
cas enfin, l'hématocèleestcirconscrite dans le cul-de-sacdeDouglasle plussouvent, etnemenaceplus la vie de la
malade
parpous¬séeshémorragiquessuccessives. Elle est là
stationnaire pendant
quelques jours quant à son volume,mais tend de plus
enplus
àdisparaîtrepar résorption. Cependant sa
présence dans le cul-
de-sac de Douglas peut provoquer de la
réaction péritonéale.
L'hématocèle peutencore suppurer, et alors pour
prévenir
ces accidents, ainsi que les accidents possiblesd'hémorragie
nou¬velle, l'intervention est de nouveau proposée. Mais
ici
tousles
membres de la Sociétéde Chirurgiene sontpas d'accordsurle
moded'intervention; les unsréclament la
laparotomie, les autres
vantent la colpotomie comme
opération facile, inoffensive et
très suffisante pour amener la guérison
complète.
Entout
cas, tout le mondeintervient pour l'hématocèlerétro-utérine, et
pasun membre ne se prononce pour le traitement par
les
moyens médicaux.A l'étranger, mêmeentraînementpourl'intervention
chirurgicale. Du reste, cette récentediscussion
àla Société de
Chirurgie de Paris a un retentissementénorme
surl'esprit du
corpsmédical.Partout011publie des
observations, des mémoires
et des thèses surles résultatsobtenus surtout par la colpoto¬
mie dans le traitement de l'hématocèle rétro-utérine. Les
publications américaines etrusses sont des
plus nombreuses.
De sorte"que l'état actuel du traitement de
l'hématocèle
se résume tout simplement enintervention chirurgicale soit
parla laparotomie dans les cas graves,
soit
parl'incision du cul-
de-sac de Douglas dans tousles autres cas.
Condamin, Lyon médical, 4 novembre 1894.
Nous croyons que l'intervention
chirurgicale
et surtout la colpotomie postérieure sepratique
larga manu, et qu'ily a tendance exagérée à la pratiquer, alors que denombreux
cas d'hématocèle rétro-utérine peuvent guérir et guérissent sansaucune intervention opératoire. Nous croyons qu'on a trop généralisé les craintes
d'hémorragies répétées
ou de phéno¬mènes péritonéaux graves pour que le
praticien
intervienne chaque fois qu'il se trouvera en présence d'une hématocèlerétro-utérine.
De mêmequ'en 1860, les accidents survenus par septicémie
ouparhémorragie
post-opératoire firent
naître un mouvementpresque exclusif
d'abstention,
de mêmeactuellement
les som¬bres statistiques dont nous avonsparlé plus haut, qui, d'après
leurs auteurs, étaient dues à l'expectation, ces statistiques, dis-je, onteffrayé le corps
médical.
Il acraint les conséquences possibles de suppuration del'hématocèle,
il a craint le renou¬vellement de l'hémorragie, la péritonite mortelle, et par un mouvement très naturel il fut amené à prescrire trop exclusi¬
vement et dans tous les cas laméthode de l'expectationdans le
traitement de l'hématocèle rétro-utérine.
A notre avis, il y a donc eu exagération dans les deux cas, tant dans le mouvement de 1860 en faveur de l'abstention que dans le courant actuel qui nous pousse à intervenir dans
tous les cas.
Pour appuyer du reste notre
manière
de voir, nous allonsrelater les observations prises dans le service" de notre maître
M. le Prof. Lanelongue, et celles que nous avons puisées dans
la littérature médicale.
Nous discuterons ensuite la valeur des interventions opéra¬
toires, ponction et incision du cul-de-sac de Douglas.
— 19 —
CHAPITRE TROISIÈME
OBSERVATION I
(Personnelle)
Sers'icedecliniquechirurgicaledeM. leProf. Lanelongue.
MarieL..., vingt ans, ouvrière, entre dans
le service le 3 décem¬
bre 1895. Bonne santé antérieure. Réglée à treize ans, toujours régulièrementpendant cinq à six
jours,
sans aucunaccident. Pas de
grossesse ni de fausse couche.
Dernières règles
versle milieu du
mois de novembre. Sixjours après lacessation
des règles, la malade
est prise brusquementd'une forte
douleur
aucôté droit du bas-ventre
avec tendance syncopale. Elle s'alite
immédiatement, éprouve
unegrandefaiblesse, supporteavecpeine la
douleur atroce dans le côté
droit du bas-ventre et cherche toutes les positionsimaginables pour la calmer, mais n'y parvient pas. Pas de
vomissements.
Immédiatementaprès cette crisedouloureuse,
la malade
aremarqué
que son ventre a beaucoup
grossi
etest devenu plus dur. Après
huitjours de souffrances, la
malade,
surle conseil de
sonmédecin,
entre à l'hôpital Saint-André, salle 8.
Étatactuel.—3décembre 1895. Jeune fdlebien développée, faciès exprimant la souffrance : traits tirés,
face grippée,
yeuxexcavés et
cernés d'un cercle bleuâtre, nez pincé. Avant même
qu'on procède à
son examen, la maladeest prise d'une
douleur aiguë dans le côté
droit du bas-ventre.
La région sous-ombilicale est très développée, notamment du côté
droit qui fait un certain relief. La main appliquée sur cette région, éprouveune grande résistance à ladéprimer etprovoque une douleur
intolérable. La percussion donne unematité absolue jusqu'au niveau
de l'ombilic et même un peu au dessus du côté droit.
Toucher vaginal : le cul-de-sac postérieur est fortement bombé
par une tumeur qui présente les mêmes caractères que la tumeur abdominale : lisse, de consistance élastique. Le col est repoussé en haut au dessus delà symphyse pubienne, fortement aplati;-l'orifice
externe du col est transformé en fente transversale. 11 est impossible
de trouver le corps utérin qui est englobé par la tumeur abdominale.
Toucher rectal : limites inaccessibles de la tumeur qui est lisse., élastique et très peu mobile. Diarrhée, miction fréquente, maispas douloureuse. Température, 38°2.
Diagnostic : hématocèlerétro-utérine.
La maladeestsoumise aureposabsolu; ellé prend plusieurs injec¬
tions chaudes parjour; de plus,onlui fait dosapplicationsde flanelles chaudes surle bas-ventre.
17 décembre : La tumeur abdominale a notablement diminué et
l'exploration estplus facile. Le niveau supérieur de la tumeur abdo¬
minale a diminué de deux travers de doigt, cependant du côté droit
ce niveau est toujoursplus élevé. Le col utérin semble plus dégagé,
unpeu plusmobile,mais toujours appliquéau dessus de la symphyse pubienne. Le corps utérin est toujours imperceptible. Douleurs supportables. La diarrhée a cessé; la miction est toujours fréquente,
non douloureuse. Température normale. Même traitement.
20 décembre: La tumeur régresse de plus en plus. Les douleurs,
de l'aveu de la malade,sont insignifiantes. Miction normale, pas de selles. Température, 37°8.
21 décembre : Quelques douleurs vives dans le bas-ventre. La malade n'a pas encore de selles. Lavement, selle dans la soirée, disparition des douleurs. Température normale.
25 décembre : État général excellent. La tumeur abdominale se résorbe deplus enplus; aucunrelief à l'inspection de la région sous- ombilicale. Dans leDouglas, la tumeur diminue égalementde volume,
le corps utérin commence à sedessiner, il existe un sillon transversal
entre l'utérus et l'hématocèle. Température normale. Miction et défécation normales. Même traitement.
4janvier 1896 : La tumeur abdominale est complètement résorbée.
Dans le cul-de-sac de Douglasil reste encore une petite tumeur
dure, indolente,mobile, du volume
d'une
grossenoix.
Les jours suivants cette
petite
grosseur serésorbe, et la malade
quitte l'hôpital
complètement guérie.
OBSERVATION II (Personnelle)
Service decliniquechirurgicalede M. le Prof.Lanelongce.
Marie S..., vingt-trois ans, domestique, entre
dans le service le
16janvier 1896 pourdesdouleursdans
le bas-ventre. Pas de maladies
antérieures. Premières règles à seize ans; depuis
elles
semontrent
régulièrement tous les mois pendant
trois
ouquatre jours et sont
toujours douloureuses, surtout
les deux premiers jours. Pertes
blanches. Depuis un an elle souffre du
bas-ventre
etles règles sont
accompagnées de vives douleurs.
Parfois le
sang semontre deux fois
par mois, accompagné de caillots. La
miction est fréquente et doulou¬
reuse. Constipation. Il y a cinq jours
la malade
a eu uneperte
sanguine qui aduré unjour seulement.
Le lendemain, elle est prise
brusquementd'une violente douleur
dans le bas-ventre qui l'oblige à
s'aliter. Depuis la douleurestcontinue,
intense.
Pas de grossesse, ni defausse couche.
A lapalpation, on trouve un plastron
résistant allant obliquement
de haut en bas et de gauche à droite et dont
le milieu du niveau
supérieur està deux travers de
doigt
audessous de l'ombilic. Cette
palpation est très douloureuse.
Touchervaginal : utérus en antéversion et
à droite. Le cul-de-sac
postérieurest rempli par une tumeur
lisse, rénitenle, grosse comme
une mandarine. Les annexes gauches sont empâtées.
Température
matin, 38°2; soir,38°8.
Héinatocèle rétro-utérine.
Repos absolu, application de
flanelles chaudes
surle bas-ventre ;
injections vaginales chaudes etrépétées.
Lesjours suivants l'état de la
malade
eststationnaire. La tempé¬
rature qui le lendemain soir
marquait 39°, est tombée à 38°2, puis
à 37°4; elle oscille entre 37°2 et 37°8 pendant toute la durée de la maladie. La tumeur devient d'une consistance de plusen plus ferme
et diminue progressivement de volume. Pas de douleur dans le bas-
ventre.
17 février: Il reste dans le cul-de-sacpostérieur une petitetumeur grossecomme une noisette, indolore et mobile. Par la palpation du
bas-ventre on trouveencore à droite unpeu de résistance.
20 février : Bas-ventre souple, pas de trace de tuméfaction des
annexes. Rienautouchervaginal. Exeat.
OBSERVATION III (Personnelle)
Service declinique chirurgicale de M. le Prof. Lanelongue.
OctavieB..., trente-troisans,entredans le service le 26 février1896 pour une tumeur abdominale. Pas d'antécédents héréditaires ni
personnels. Réglée àseizeans,elle l'était tous les moispendant deux
outroisjours sans aucun accident.
Deux grossesses normales à vingt-cinq et à vingt-six ans. Elle nourrit son second enfant pendant quatorze mois et n'est pas réglée pendantce temps-là. Lesrègles se rétablissent au quinzième mois
avec leur régularité habituelle. A vingt-neuf ans, faussecouche de deuxmois, suivie d'une forte hémorragie pendant troisjours et d'un suintement sanguin pendant plus de trois semaines.
Le mois suivant les règles apparaissentà leur époque habituelle
avec leurs caractères normaux, et ainsijusqu'au mois de janvier de
cetteannée.
Le 18janvier, la malade attendait ses règles qui ne se montrent que septjours après. Elles ont duré un seuljour etont été précédées
d'un malaise allantjusqu'à la syncope. Lesang était noir. Depuis ce
jour-là, la malade est alitée, souffre du bas-ventre qui brusquement
a grossi. La miction est normale, la défécation s'effectue seulement par des lavements. Depuisle 25 janvier jusqu'aujourd'hui les règles
ne se sontpasmontrées;la malade souffrebeaucoupde coliques dans lebas-ventre; ce dernier a grossidavantage depuis quatrejours.
— 23 —
Hier, 25 février, la
malade devait être réglée; quelques gouttes
desangseulementse sont
montrées.
Palpation
abdominale
:tumeur remontant à un travers de doigt au
dessous de l'ombilic, remplissant
complètement les deux fosses
iliaques. Matité
absolue. Fluctuation.
Toucher vaginal : col
remonté,
presqueeffacé; les culs-de-sac
sontremplispar la même tumeur.
Utérus immobile.
Hématocèle péri-utérine.
Repos absolu;
glace
surle ventre.
État stationnairejusqu'au4 mars.
Glace
surle ventre, lavements.
5mars: Latumeur devientplus ferme, on
constate
unetrès légère
diminutionde sonvolume.
8mars : Latumeurdiminue, sa
consistance est ferme. On supprime
laglace.Application
de flanelles chaudes ; injections vaginales chaudes
etrépétées.Lavements.
12mars:Diminutionprogressive de
la
tumeur.Pas de constipation.
Même traitement.
16mars : Disparition de la tumeur
abdominale.
18mars: Gul-de-sac latéral droit libre.
20 mars: Bas-ventre trèssouple, sauf
à gauche où il
y aencore un
peu de résistance.
Le cul-de-sac postérieur renferme une petite
tumeur très dure. Miction etdéfécation
normales. Etat général excel¬
lent. Même traitement.
30mars : État général toujoursbon.
Pas de pertes. Pas de douleurs
dans lebas-ventre. Lesannexes gauches
sont perceptibles et dures,
non douloureuses. Dans le cul-de-sac
postérieur,
unepetite saillie
duvolume d'unenoix, indépendante de
l'utérus, mobile, indolore,
très dure.
Exeat sur sademande.
La malade vient se montrer le 23
mai. Utérus
enrétroversion.
Guls-de-sac souples,
complètement libres. Annexes perceptibles,
légèrement
augmentées de volume à gauche. Palpation non doulou¬
reuse. Règlesbonnes.
OBSERVATION IV (Personnelle)
Service de clinique chirurgicale de M.le Prof. Lanelongue.
Marguerite C..., quarante-deux ans, culottière, entredans le service le 12 février 1896 pourdes douleurs dans le bas-ventre. Pas d'antécé¬
dents héréditaires. Premières règles à quinze ans ; depuis elles se montrent régulièrement tous les mois pendant huit jours sans aucun trouble. Grossesse normale à vingt-un ans. Fausse couche d'un mois et demi à vingt-deux ans.Depuis huit ans,douleurs dansle bas-ventre
au moment des règles; ces dernières sont devenues irrégulières, se montrentparfois deux fois dans le même mois, durent trois ou quatre jours etsont très douloureuses.
Le 14janvier dernier, la malade a eu ses dernièresrègles, doulou¬
reuses comme d'habitude. Le 31 janvier elle est prise brusquement
de douleurs dans le bas-ventre si violentes que la malade les compare
« à un coup de foudre ». Cette crise douloureuse s'accompagne de diarrhée etdevomissements bilieux.
La malade s'alite et remarque queson bas-ventreest devenu tout à coup plus volumineux. Il s'établit un suintement sanguin noirâtre.
Miction fréquente, douloureuse; constipation.
Palpationabdominale très douloureuse. Tumeur abdominaleremon¬
tant à deux travers de doigt au dessous de l'ombilic, nettement
fluctuante, mate partout.
Toucher vaginal ; col remonté, appliqué contre la symphyse pubienne; utérus imperceptible; les culs-de-sac postérieurs et laté¬
raux sont remplis parune tumeur lisse, fluctuante, se continuant sans
démarcation avec la tumeur abdominale.
Pertes sanguines mêlées decaillots noirs.
Hématocèle péri-utérine.
Repos absolu, glace sur le ventre. Température, 38° le soir.
13 février : Douleurs vives dans lebas-ventre. La tumeur a sensi¬
blementaugmentéde volume depuishier.
Fluctuation très nette, sensation de crépitation neigeuse en provo¬
quant la coalition des caillots sanguins; contractions intestinalesse