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Comment faire parler les collections d'archéologie préhistorique ? De l'objet à la culture

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Comment faire parler les collections d'archéologie préhistorique ? De l'objet à la culture

CORBOUD, Pierre

Abstract

Une collection d'archéologie préhistorique est constituée d'un choix de pièces qui est le résultat d'une série de sélections, naturelles et humaines. Les données relatives aux objets qu'elle contient appartiennent à un champ de connaissances plus vaste que les informations objectives fournies uniquement par eux. Dans une exposition de préhistoire, les objets archéologiques représentent autant de supports médiatiques utilisables pour diffuser un savoir étendu sur les populations préhistoriques. L'objectif actuel d'une exposition de préhistoire est articulé sur deux types d'informations complémentaires : d'une part les données objectives que l'on possède sur les objets exposés, qu'elles soient intrinsèques ou extrinsèques ; d'autre part les données manquantes, extérieures aux «faits archéologiques»

ou aux données considérées comme objectives. Pour être traité, ce dernier champ de connaissances devrait intégrer l'ensemble des informations disponibles sur les «hommes d'autrefois» et même, dans certains cas, celles issues de l'ethnographie. Le défi d'une muséographie contemporaine, à la [...]

CORBOUD, Pierre. Comment faire parler les collections d'archéologie préhistorique ? De l'objet à la culture. In: Pellegrini, B. Sciences au musée, sciences nomades. Genève : Georg, 2003. p. 157-170

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:32763

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Penthes, Genève). Genève : Georg, 157-170.

Comment faire parler les collections d’archéologie préhistorique ? De l’objet à la culture

Pierre Corboud, Département d’anthropologie et d’écologie, Université de Genève

Résumé

Une collection d’archéologie préhistorique est constituée d’un choix de pièces qui est le résultat d’une série de sélections, naturelles et humaines. Les données relatives aux objets qu’elle contient appartiennent à un champ de connaissances plus vaste que les informations objectives fournies uniquement par eux. Dans une exposition de préhistoire, les objets archéologiques représentent autant de supports médiatiques utilisables pour diffuser un savoir étendu sur les populations préhistoriques.

L’objectif actuel d’une exposition de préhistoire est articulé sur deux types d’informations complémentaires : d’une part les données objectives que l’on possède sur les objets exposés, qu’elles soient intrinsèques ou extrinsèques ; d’autre part les données manquantes, extérieures aux « faits archéologiques » ou aux données considérées comme objectives. Pour être traité, ce dernier champ de connaissances devrait intégrer l’ensemble des informations disponibles sur les « hommes d’autrefois » et même, dans certains cas, celles issues de l’ethnographie.

Le défi d'une muséographie contemporaine, à la fois attractive et respectueuse de la culture scientifique, est donc de trouver un compromis entre les faits connus et les interprétations plausibles et, surtout, d’adapter la présentation à cet équilibre très instable.

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Notre propos est ici d’aborder les problèmes suscités par la présentation des collections archéologiques d’époque préhistorique, dans le cadre d’un musée ou d’une exposition. Cette question est traitée de manière générale, sans nous attacher à une collection précise ou à une institution muséale particulière, mais en privilégiant la vision du préhistorien plutôt que celle du muséographe.

Contrairement aux collections archéologiques issues d’époques historiques, les collections de préhistoire – c’est-à-dire relatives à des cultures qui ne connaissaient pas l’écriture – demandent une approche spécifique dans leur étude et leur présentation médiatique, en particulier muséographique. Cette spécificité est néanmoins une conséquence des contraintes liées à la discipline même et aux propriétés des objets, matériels ou conceptuels, qu’elle utilise pour ses constructions.

Qu’est-ce qu’une collection d’archéologie préhistorique ?

Une collection d’objets préhistoriques regroupe des ensembles de pièces très divers, qui appartiennent à des régions de récolte et des cultures distinctes. Tenter de proposer une définition unique de ce type de collections est certainement réducteur,

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néanmoins le mérite est signaler en quoi elles s’opposent à des collections d’objets plus récents, appartenant à l’archéologie classique ou historique ou, même, à l’ethnographie. De manière théorique, on pourrait proposer la définition suivante : une collection d’archéologie préhistorique regroupe des vestiges (objets manufacturés ou résultats des activités humaines) datés d’avant l’apparition de l’écriture dans la région considérée. Dans le cadre d’un musée, la collection d’archéologie préhistorique pourrait être définie comme l’ensemble de tous les objets qui participent au discours et à la présentation des connaissances sur les hommes d’autrefois.

Une telle définition estompe la limite incertaine entre les objets et le savoir qui leur est associé. En outre, l’importance de l’environnement des hommes préhistoriques dans la connaissance de leurs cultures impose un discours qui se situe le plus souvent à cheval entre les sciences naturelles et les sciences humaines.

Collections « anciennes », collections « récentes »

A l’évidence, la composition et la qualité d’une collection de musée dépendent beaucoup des conditions historiques et scientifiques dans lesquelles les objets qui la constituent ont été récoltés et acquis. De même, l’intérêt et le contenu d’une collection reflètent avant tout son histoire et les préoccupations des conservateurs successifs qui l’ont enrichie. On pourrait donc différencier les collections

« anciennes » des collections « récentes ». Toutefois, cette distinction est relative, car elle porte essentiellement sur l’abondance et la qualité des informations qui les accompagnent et sur leur diversité.

Collection = sélection

Toute collection d’objets archéologiques est le résultat d’une série de choix ou plutôt de sélections successives (fig. 1). La première sélection est tout d’abord le fait des hommes préhistoriques eux-mêmes, qui produisent des vestiges matériels qu’ils abandonnent par la suite (objets cassés, perdus, résidus des activités artisanales, domestiques, etc.) ou qu’ils déposent intentionnellement (dépôts, tombes, etc.).

Ainsi, certaines productions humaines n’ont aucune chance de parvenir jusqu’à nous car elles n’ont pas été conçues pour se conserver ou, alors, elles sont volontairement détruites. Ensuite, la sélection est naturelle, avec la conservation ou la destruction de certaines catégories de vestiges, en fonction de leur matière ou de leurs conditions de dépôt. Ainsi, par exemple les productions en bois ou en matières végétales ne sont préservées que dans les sites d’habitat établis en milieu humide, tandis que les armes et bijoux en bronze ont plus de chances d’être retrouvés dans des sépultures, que dans des habitats où le métal des pièces démodées ou cassées est continuellement refondu pour couler de nouveaux objets.

Au moment de leur découverte, les vestiges subissent une nouvelle sélection, cette fois de la part des archéologues. Les méthodes de prélèvement, d’observation, de conservation et les préoccupations de l’époque peuvent favoriser une catégorie d’objets au détriment des autres.

Ainsi, le discours sur une culture préhistorique basé essentiellement sur une collection d’objets, obligatoirement peu représentative de toute la diversité de cette culture, sera immanquablement incomplet s’il n’intègre pas des informations externes aux éléments de cette collection.

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Figure 1. Du produit des activités humaines aux objets conservés dans les collections préhistoriques.

Suite des sélections qui aboutissent à l’objet muséographique.

Statut et fonction de l’objet dans les collections de préhistoire

Compte tenu de l’absence de textes disponibles sur les populations préhistoriques, les vestiges de terrain et les objets produits par ces peuples (objet pris ici au sens large : tout artefact produit par l’homme, mobilier ou immobilier) constituent les seules archives utilisables pour étudier, décrire et illustrer leur mode de vie et leur culture. Les questions que suscitent ces vestiges, auprès des chercheurs mais aussi du public, recouvrent donc un champ de connaissances plus vaste que celui qui peut être abordé strictement par les vestiges conservés.

Pour chaque objet ou chaque ensemble d’objets on peut distinguer d’une part, les données objectives que l’on possède sur ces artefacts, qu’elles soient intrinsèques (matière, mode de fabrication, fonction, etc.) ou extrinsèques (provenance, époque et toutes celles relatives au contexte culturel en relation avec cette ou ces pièces) ; d’autre part, les connaissances complémentaires aux « faits archéologiques », qui appartiennent à l’ensemble des constructions produites à l’aide de ces données.

Le préhistorien devra donc utiliser ces objets comme des matériaux pour produire et diffuser un savoir étendu sur les populations préhistoriques qui les ont confectionnés. Dans cette perspective, le rôle de l’objet dans une exposition est tout d’abord de susciter l’interrogation (sur sa fonction, sa fabrication, etc.), mais aussi l’émotion et l’admiration du public (par son esthétique, son ancienneté, son authenticité, etc.). Ensuite, il peut servir de support pour introduire des notions plus complexes, orientées vers des aspects touchant, par exemple, l’organisation sociale, la pensée, l’idéologie et l’environnement des hommes d’autrefois.

Ces caractéristiques distinguent les collections de préhistoire et celles d’archéologie classique ou historique, car ces dernières disposent le plus souvent de sources écrites pour expliquer la signification et le rôle des objets qui les constituent.

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Ainsi, leur fonction est plutôt d’illustrer l’histoire et non d’en être la source principale.

En plus du rôle de support d’information et « d’outil de médiation », l’objet archéologique possède une fonction patrimoniale évidente, car il représente souvent pour le public le seul témoignage concret des populations d’autrefois. Sa présence confirme et prouve l’existence passée des cultures évoquées.

Définition des publics et des objectifs d’une exposition Les publics et leurs connaissances implicites

Une exposition est une interaction entre des objets (ou plutôt un dispositif muséographique qui comporte des objets) et des publics. La définition des publics passe non seulement par la prise en compte du profil sociologique et intellectuel du plus grand nombre des visiteurs attendus, mais aussi et surtout par l’évaluation de la culture générale de ces publics. A priori, une présentation d’archéologie préhistorique doit pouvoir s’adresser à tous les publics, quel que soient leur âge et leur éducation. Néanmoins, le concepteur du projet doit aussi considérer l’ensemble des idées fausses (ou simplement périmées) que pourrait détenir le visiteur type (Stoczkoswski 1994 : 16-21). La culture archéologique du visiteur devient ainsi plutôt un obstacle pour lui communiquer une nouvelle interprétation, car il est inévitable qu’une exposition de préhistoire propose des interprétations nouvelles qui s’opposent à un certain nombre d’idées reçues et de conceptions anciennes. Dans ce cas, la qualité et la lisibilité du dispositif muséographique seront seules garantes de l’acceptation par le public de cette nouvelle interprétation, mieux que toute argumentation scientifique.

Dans cette situation, la démarche la plus logique est de viser comme « public cible » tout d’abord le jeune public, c’est-à-dire les visiteurs dénués d’a priori, à l’exception des codes sémiotiques propres à notre culture. La culture générale nécessaire à la « lecture » de l’exposition devrait pouvoir se limiter au bagage scolaire minimum, mais accompagné de compétences d’observation et de curiosité qui permettent à la fois de poser les questions et de trouver les réponses à l’aide des outils mis à disposition du visiteur.

Quels sont les objectifs effectifs d’une présentation publique d’archéologie préhistorique ?

Contrairement à l’opposition traditionnelle proposée entre la « muséologie d’objet » dans les musées d’art – souvent propre à l’archéologie classique, historique ou l’égyptologie – et la « muséologie d’idée » dans les musées de science (Davallon 2000 : 106-113), une exposition de préhistoire pourrait être définie comme une

« exposition de science qui présente des objets ». Plus encore, elle devrait être la combinaison entre trois pôles : les objets archéologiques, le savoir sur ces objets et les liens qu’ils peuvent générer et, enfin, les visiteurs avec le rapport à la science qu’ils entretiennent et la perception du discours présenté par les concepteurs de l’exposition.

Dans la définition des objectifs d’une exposition de préhistoire, on pourrait donc distinguer deux composantes : la dimension cognitive et la dimension communicative. Cependant, l’objectif de diffusion de connaissances ne devrait pas prétendre se substituer à un programme pédagogique d’enseignement de la préhistoire. En effet, le musée n’est pas un lieu d’enseignement (même s’il peut

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s’intégrer à un « réseau de connaissances »). Les informations présentées dans l’exposition parviennent au visiteur de manière très inégale, en fonction de sa disponibilité et du but qu’il s’était fixé en entrant dans le musée (divertissement, curiosité, apprentissage, etc.). La dimension communicative est, elle, plutôt le fait des informations non explicites, véhiculées par l’ensemble du dispositif muséographique et non seulement par les unités de ce dispositif.

Quels choix de présentation pour une exposition de préhistoire ?

Parmi la multitude de façons de présenter une collection préhistorique dans un musée, le seul souci devrait être de trouver un équilibre entre l’intérêt scientifique d’une collection et la masse de connaissances archéologiques qui lui est associée.

La recherche de cet équilibre demande de faire des choix précis, qui vont influencer profondément les options muséographiques de l’exposition (fig. 2). Ces choix se situent dans différents domaines, dont le type de présentation :

– Présentation typo-chronologique : les objets sont classés par types et chronologie.

Il s’agit là d’une présentation très proche du discours savant. Cependant, pour un large public ce type de présentation est assez rébarbatif et ne peut être apprécié qu’à l’aide d’une certaine culture scientifique ou de fastidieuses explications.

– Présentation fonctionnelle, par exemple : l’évolution chronologique et technologique de la taille du silex, de la hache en pierre ou en bronze, de la céramique domestique, etc. Cette présentation est déjà d’un niveau plus synthétique de connaissance. Néanmoins, elle fournit encore une vision très fragmentaire et partielle des cultures préhistoriques.

– Présentation thématique, par exemple : la chasse, la construction des cabanes, la métallurgie du bronze, l’agriculture, les structures sociales, les échanges, etc. Ces thèmes, appartiennent à un haut niveau explicatif, ils demandent une scénographie plus élaborée, mais permettent de traiter des aspects qui ont le mérite de placer les objets dans une perspective culturelle et non de les mettre au centre du discours.

– Présentation d’une histoire plus élaborée, d’un récit historique, c’est-à-dire un discours basé sur une synthèse de plusieurs thèmes, régions ou périodes. Il s’agit, cette fois, d’une interprétation de rang élevé, au niveau social, environnemental ou culturel, dans laquelle les hommes occupent le premier plan au détriment des objets qui les représentent.

En fait, ces options constituent autant de « langages médiatiques » distincts, qui permettent d’exprimer des liens différents entre des objets, groupes d’objets et même des concepts non représentés par des pièces originales (Davallon 2000 : 91).

Cependant, dans une même exposition ces options ne s’excluent pas l’une l’autre, elles sont plutôt complémentaires. Leur combinaison constitue une « stratégie muséographique ».

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Figure 2. Les choix de présentation pour une exposition de préhistoire.

Un autre choix se pose au concepteur d’une exposition d’archéologie, a fortiori d’archéologie préhistorique, c’est celui d’exposer les connaissances acquises sur la préhistoire ou, plutôt, les démarches et méthodes pratiquées pour acquérir ces connaissances. La deuxième option a probablement le mérite d’attirer un certain public, pour lequel l’intérêt pour le travail des archéologues est tout aussi vif que celui pour la vie des hommes préhistoriques. Pour les archéologues ce choix est certes valorisant car ils occupent cette fois le premier plan dans l’exposition, à travers leurs méthodes et techniques de recherches. Ces deux options ont chacune leur valeur. Néanmoins, si elles sont conjointes dans le même espace muséal, le danger est grand pour le public de ne pas identifier clairement les objectifs du concepteur de l’exposition et ainsi d’avoir plus de peine à structurer les éléments d’information en une représentation mentale et conceptuelle précise.

Une dernière alternative se pose au responsable d’une exposition de préhistoire : c’est le choix entre un axe diachronique ou un axe synchronique pour la présentation ? Faut-il plutôt privilégier un récit historique (histoire du peuplement d’une région) ou favoriser une vision extensive d’une seule période avec tous les aspects qui la concernent ? Souvent cette opposition se résout d’elle-même par les caractéristiques propres de la collection à présenter : le choix des objets disponibles dans la collection imposera un axe synchronique ou plutôt diachronique, suivant la richesse du discours inspiré par les matériaux et des connaissances archéologiques acquises. Quant au sens de parcours de la diachronie, on peut opposer le sens historique (du plus ancien vers le plus récent) au sens stratigraphique (de l’actuel vers le passé), c’est-à-dire le sens que parcourent les archéologues, lorsqu’ils fouillent le terrain, et qu’ils découvrent des vestiges toujours plus anciens et plus profonds. A notre avis, parmi la masse des codes implicites que le public doit déchiffrer pour comprendre le message de l’exposition, celui qui consiste à penser que le fil de l’Histoire se déroule de la période la plus ancienne vers la plus récente reste un code universellement admis qu’il est imprudent de transgresser.

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Jusqu’ici, nous avons seulement parlé des contraintes et des choix relatifs à la présentation des collections de préhistoire ou, plus exactement, à la présentation des connaissances scientifiques sur les cultures préhistoriques à l’aide des objets conservés. On peut donc, enfin, traiter de la forme que pourra prendre cette présentation et de l’élaboration du discours produit par la mise en scène des objets.

Le rôle du texte, des reconstitutions et de l’image dans la présentation

Actuellement, il faut résoudre une nouvelle contradiction : d’une part, les informations issues de la recherche sur les populations préhistoriques sont de plus en plus riches et complexes ; d’autre part, les habitudes médiatiques font que le public est de moins en moins disposé à lire des légendes sur des panneaux ou dans des vitrines. Un moyen efficace de traiter cette contradiction est d’avoir recours aux reconstitutions, qu’elles soient réelles ou virtuelles. Une « reconstitution archéologique » permet de recréer, autour d’un objet original ou de son fac-similé, les éléments manquants ou l’environnement qui en expliquent l’usage, la fonction ou la signification.

Un autre type de reconstitution archéologique est la maquette (de village, d’habitation, de sépulture, d’atelier, etc.), qui propose à la fois une vision schématique (parce que réduite), mais néanmoins précise et structurée de l’organisation d’un habitat, d’une scène domestique, artisanale ou religieuse et qui, en conséquence, fournit un cadre d’intégration aux objets archéologiques présentés dans les vitrines voisines.

Quant aux images de reconstitutions archéologiques, leur élaboration est beaucoup plus complexe, car elles font appel à un savoir qui dépasse largement celui lié strictement aux objets, pour déborder sur des connaissances plus générales (sociales, religieuses, idéologiques, etc.), relatives à une culture et à un territoire donné.

La fonction de l’image : récit ou suggestion ?

Si l’image de reconstitution archéologique est très riche de sens, ce sens ne sera certainement pas le même pour tous les spectateurs. En effet, sa fonction est de participer à un scénario, proposé par les archéologues sur le mode de vie des populations préhistoriques, ou de suggérer une ambiance qui permette au visiteur, par l’imagination, de créer son propre récit en fonction de sa culture et de ses aspirations.

La production d’une image de reconstitution archéologique obéit ainsi à des règles qui sont celles du récit historique, ses contraintes et ses libertés y sont comparables (Veyne 1971). Néanmoins, l’ambiguïté serait de faire passer l’image d’une reconstitution pour une « image scientifique », alors qu’elle ne sera jamais qu’une projection fantasmatique propre à l’archéologue qui l’a commandée et au dessinateur qui l’a tracée (Stoczkowski 1995). Ainsi, l’interprétation des « faits objectifs » en archéologie (a fortiori en préhistoire) n’appartient ni totalement à la Science, ni tout à fait à la Littérature. Les règles de production des constructions possèdent leurs propres caractéristiques, que certains auteurs classent dans une Troisième voie (Gardin 1991 : 273-254 ; Gardin 1995).

Même si l’on a la prudence et l’honnêteté de préciser quels sont les éléments objectifs (données acquises) et les éléments subjectifs (éléments reconstitués), il faut être conscient que les images archéologiques mènent leur propre existence. Ainsi, elles deviennent très vite incontrôlables par les auteurs qui les ont produites. Une évolution du contexte de perception des images (social, politique ou historique) peut

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influencer le public et l’inciter à adopter, à rejeter ou à corriger une image, en lui attribuant un sens nouveau. (Kaeser 2002 : 34).

La popularité et la crédibilité d’une image archéologique dépendent plus de sa qualité artistique que de sa validité scientifique. La part de rêve qu’elle suscite chez le spectateur tient lieu de validation du contenu. Un bon exemple nous est fourni par une peinture de Hippolyte Couteau, exposée au Musée d’art et d’histoire de Genève, peinte pour l’exposition nationale suisse de 1896 et qui représente une scène de retour des hommes préhistoriques le soir dans un village lacustre (fig. 3).

Figure 3. « Un soir dans un village lacustre » toile peinte par Hippolyte Couteau pour l’exposition nationale suisse de 1896, Musée d’art et d’histoire de Genève (version redessinée par Yves G.

Reymond).

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A l’exception de l’architecture des cabanes et de leur position par rapport à l’eau, qui ne sont plus conformes aux connaissances actuelles, les éléments archéologiques représentés dans cette toile (objets, outils et armes) sont encore acceptables par rapport à nos interprétations actuelles. Pourtant, l’objectif de cette image, par sa composition et sa mise en scène, est beaucoup plus artistique (et inconsciemment idéologique) que scientifique, même si elle fait appel aux conceptions archéologiques largement diffusées à la fin du 19e siècle. La composition de la scène produit sur le spectateur une impression qui dépasse beaucoup le « message scientifique », pourtant conforme aux interprétations archéologiques de l’époque.

On peut opposer à cette peinture une autre image (dessinée par André Houot pour illustrer un ouvrage de vulgarisation, actuellement en cours de rédaction), mais qui comporte plus ou moins les mêmes éléments archéologiques, traités cette fois dans un but didactique. D’ailleurs, l’angle de prise de vue et la composition de ces deux illustrations sont très représentatifs des objectifs implicites qu’on leur assigne.

Dans le tableau de Couteau, la vue en contre-plongée accentue le caractère dramatique de la scène. Elle place le spectateur au niveau de l’eau et des bêtes chassées (nature et monde sauvage) et oriente le regard vers le haut de la plate- forme, où les femmes, gardiennes du confort domestique qui règne dans le village lacustre, s’apprêtent à transformer le produit de la chasse en nourriture civilisée (Ripoll 1994 : 210). Le dessin de Houot, adopte un angle de vue exactement opposé, en plongée, qui montre bien le statut de cette image : une vision scientifique (objective ?) d’un village littoral du Néolithique moyen, avec ses occupants (hommes et femmes) qui se livrent à diverses tâches domestiques et artisanales (fig. 4).

Peut-on se passer des objets dans une exposition d’archéologie ?

Si l’explication du contexte culturel ou naturel qui a entouré ou produit l’objet archéologique est considéré comme plus important que l’objet lui-même, pourrait-on se passer de l’objet, pour ne présenter que les interprétations qui l’accompagnent ? Certainement non ! Car alors on oublierait que l’objet archéologique est à la base des interprétations et que ces dernières ne peuvent être validées que par la présence dans le musée de l’objet original. En outre, un objet archéologique (et en particulier ceux issus de la préhistoire) porte en lui non seulement des données scientifiques sur sa fabrication sa fonction et son utilisation, mais aussi une charge émotive considérable pour le public, qui fait partie intégrante du dispositif muséographique.

Enfin, les interprétations et les explications évoluent mais les collections restent, même si elles sont complétées par de nouvelles acquisitions d’objets mieux documentés. Ainsi, les constructions archéologiques proposées aujourd’hui autour des objets récoltés sur des sites littoraux mettent en scène les mêmes types de vestiges que ceux présentés, dans les années 1854-1930, en relation avec les reconstitutions désormais désuètes des fameuses « cités lacustres ». Cet exemple démontre aisément que le discours sur les collections peut changer, mais que les objets demeurent !

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Figure 4. Interprétation actuelle d’un village préhistorique littoral au Néolithique moyen, illustration d’un livre de vulgarisation en préparation sur la préhistoire du haut bassin rhodanien, dessin André Houot.

La place de l’exposition de préhistoire dans le réseau des connaissances

Lors de la discussion sur les objectifs d’une exposition d’archéologie préhistorique, nous avons volontairement minimisé le rôle éducatif que constitue l’exposition de musée, notamment pour le public scolaire. En réalité, ce n’était que pour mieux le défendre, mais en insistant cette fois sur la complémentarité entre toutes les formes de savoir et de supports de connaissances dont l’exposition de musée fait partie.

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En fait, c’est surtout la qualité des liens qui pourraient exister (ou être créés) entre l’exposition du musée et les autres sources d’informations disponibles sur la préhistoire qui sera seule garante de l’efficacité du transfert des connaissances auprès du public. Dans cette perspective, l’exposition d’archéologie préhistorique devrait être vue, dès sa conception, comme appartenant à un réseau de connaissances, dont l’enseignement scolaire représente un autre des éléments au même titre que les publications vulgarisées, les reconstitutions de sites archéologiques, l’accès aux autres musées de la même disciplines, les documents électroniques, etc.

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Bibliographie

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Références

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