• Aucun résultat trouvé

La détention préventive en Suisse romande et notamment à Genève

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2022

Partager "La détention préventive en Suisse romande et notamment à Genève"

Copied!
228
0
0

Texte intégral

(1)

Book

Reference

La détention préventive en Suisse romande et notamment à Genève

ROBERT, Christian-Nils

ROBERT, Christian-Nils. La détention préventive en Suisse romande et notamment à Genève . Genève : Georg, 1972, 209 p.

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:147082

Disclaimer: layout of this document may differ from the published version.

1 / 1

(2)
(3)

LA DÉTENTION PRÉVENTIVE EN SUISSE ROMANDE

ET

NOTAMMENT A GENÈVE

(4)
(5)

CHRISTIAN NILS ROBERT

Ancien assistant à la. Faculté de Droit (Genève) Avocat

Directeur-adjoint du Service de Protection de la Jeunesse

/ /

LA DETENTIO, N PREVENTIVE EN SUISSE ROMANDE

ET

NOTAMME}~T A GENEVE

'

GENÈVE

LIBRAIRIE DE L'UNIVERSITE:

GEORG & Cie S.A.

(6)

© 1972 by Librairie de l'Université Georg et Cie S.A.

Droits de traduction, de reproduction et d'adaptation réservés pour tous pays.

(7)

REMERCIEMENTS

La présente étude ayant nécessité l'accord de nombreuses auto- rités administratives ou judiciaires, nous présentons nos excuses aux personnes qui, tout en ayant contribué à l'exécution de ce programme de recherches, n'ont pas été lrlommément désignées ci-après. Nous pensons aux Présidents des départements cantonaux de justice et police et aux Présidents des différentes juridictions pénales canto- nales ou de district qui nous ont permis d'accéder à leurs archives.

L'anonymat dans lequel nous les avons confinés ne les prive pas pour autant de notre très profonde gratitude.

Nos remerciements vont donc à Monsieur le Procureur général J. Eger, à Monsieur le Juge F. Thévenoz, Président de la Cour de justice, et à Monsieur le Juge V. Jacot des Combes, Président du Tribunal de première instance et de police, qui nous ont accordé l'autorisation de consulter, dans leurs instances respectives, les dos- siers sélectionnés. Monsieur Henri Schmitt, Chef du Département de justice et police, doit être remercié du libre accès aux documents administratifs de la prison de St-Antoine. MM. E. Voldet et H. Chênes, respectivement directeur et sous-directeur de la prison de St-Antoine, ont également contribué, par leur collaboration, aux recherches particulières menées dans leur établissement.

Outre ces autorisations formelles, d'autres organismes et spé- cialistes ont été consultés, sollicités, ou même importunés. Le Centre cantonal d'informatique et ses collaborateurs trouveront ici l'expres- sion de nos remerciements. Son directeur, Monsieur le Professeur B. Levrat, nous a, dès le début, encouragé dans une voie qui sem- blait, à l'époque, quelque peu ésotérique. Nous n'oublierons pas non plus les assistants et chefs de travaux de l'Institut des sciences de l'éducation et du Laboratoire de psychologie appliquée (Faculté des Sciences), qui ont su, avec une diligence sans exemple, initier des béotiens à des démarches statistiques pourtant élémentaires. Ils ont aussi efficacement mis en application des programmes mathémati- ques sur ordinateur, demeurés malheureusement obscurs pour le juriste.

(8)

Monsieur le Professeu1r Philippe Graven a suivi de très près l'évo- lution des travaux et a témoigné sans relâche d'une disponibilité et d'une patience dont nous lui savons particulièrement gré.

Enfin, Madame M. Gisel-Bugnion, assistante de droit pénal, a consacré des heures innombrables à un travail laborieux de compi- lation, mais aussi de recherche. Sa compétence, son amabilité et sa serviabilité constantes ont accompagné l'exécution complète de cette étude. Nous sommes d'autant plus son obligé que, sans elle, cette parution n'eût pu être envisagée dans des délais si brefs.

Genève, octobre 1971. C.N.R.

(9)

ATF CF CG CPPFR CPPFRIB CPPGE CPPNE CPPVD CPPVS CPS JCP JZ PCPP

ABRÉVIATIONS

Recueil officiel des arrêts du Tribunal fédéral suisse.

Constitution fédérale de la Confédération suisse.

Constitution cantonale genevoise.

Code de procédure pénale français.

Code de procédure pénale fribourgeois (11.5.1927).

Code de procédure pénale genevois (7.12.1940).

Code de procédure pénale neuchâtelois (19.4.1945).

Code de procédure pénale vaudois (12.9.1967).

Code de procédure pénale valaisan (22.2.1962).

Code pénal suisse.

jurisclasseur périodique (Semaine juridique).

juristenzeitung.

Projet de code de procédure pénale genevois (texte adopté par la Commission du Grand Conseil en deuxième lecture ; projet de loi 1701 - A) 1970.

PLC Projet de loi constitutionnelle modifiant le Titre III de la Consti- tution genevoise (liberté individuelle et inviolabilité du domicile ; texte adopté par la Commission du Grand Conseil en cinquième PPF

RDPC RGDP RIDP RI CPT RPDP RPS RSC Sj StGB StPO ZStW

lecture ; projet de loi 1702) 1970.

Loi fédérale sur la procédure pénale (15.6.1934).

Revue de droit pénal et de criminologie (Bruxelles).

Revue genevoise de droit public.

Revue internationale de droit pénal.

Revue internationale de criminologie et de police technique.

Revue pénitentiaire et de droit pénal.

Revue pénale suisse.

Revue de science criminelle et de droit pénal comparé.

Semaine judiciaire (Genève).

Strafgesetzbuch der Deutschen Bundesrepublik (25.8.1953).

Strafprozessordnung der Deutschen Bundesrepublik (17.9.1965).

Zeitschrift für die gesamte Strafrechtswissenschaft.

(10)
(11)

« Le constituant et le législateur genevois se sont montrés respectueux de la liberté personnelle et ont organisé un système de garanties formelles en faveur de l'inculpé. En revanche, ils ont laissé à la prudence des magistrats compétents l'appréciation des conditions pouvant justifier matériellement la détention préventive. Ceux-ci ne disposent pas pourtant d"un pouvoir discrétionnaire. N'importe quel intérêt public ne peut pas justifier n'importe quelle atteinte aux droits constitutionnels des citoyens. Mesure extrêmement grave pour celui qu'elle touche, la détention préventive ne devra être ordonnée et prolongée, dans chaque cas parti- culier, que si des motifs impérieux d'intérêt public la rendent indispensable. »

Arrêt rendu par la Chambre de droit public du Tribunal fédéral, le 2!i août 1969, dans l'affaire Castella (SJ 1970 p. 241).

(12)
(13)

INTRODUCTION

Les institutions pénales et pénitentiaires font l'objet de critiques incessantes, ce n'est pas nouveau. Il suffit, pour s'en convaincre, de relire Beccaria 1 ou Tocqueville 2. Mais aujourd'hui ce n'est plus seu- lement dans les ouvrages des théoriciens et des spécialistes que le système répressif est mis en question : la presse s'y attaque 8 • Les peines privatives de liberté, le :sursis, la détention préventive et même encore la peine capitale 4 alimentent les colonnes des journaux et les émissions radio-diffusées et télévisées.

Le système répressif reste suspect et parmi ses institutions la détention préventive occupe sans conteste une place fort inconfor- table car toujours remise en cause dans son fondement, et réguliè- rement critiquée dans son application.

Cette mesure est étroitement liée au fonctionnement traditionnel de la justice pénale : destinée initialement à faciliter la recherche de la vérité, la détention préventive s'est lentement imposée dans l'économie générale du système répressif : elle est utilisée à l'en- contre d'une personne inculpée d'une infraction et son application, préalable au jugement de culpabilité, entraîne une privation provi- soire de liberté ; mais on a trop souvent reproché à la détention pré- ventive de frapper indistinctement coupables et innocents pour croire encore que là est le principal problème. Cette mesure, d'essence procédurale, perd chaque jour davantage ce caractère pour prendre,

1 Beccaria : Dei delitti e delle pene, Livourne, 1764.

2 A. Tocqueville et O. Beaumo1t1t : Système pénitentiaire aux Etats-Unis et de son application en France, Paris, 1845.

s L'Express, 12-18 avril 1971 (N° 1031) : Enquête de six journalistes sur les prisons françaises; Journal de Genève, 24-25 juillet 1971 : consacre un article à la création d'un «Groupe d'information sur les prisons», ayant publié en mai 1971 une plaquette intitulée Enquête dans vingt prisons, Paris.

4 Relire la presse française ap1iès la déclaration du Ministre de l'intérieur R. Marcellin, proposant la peine de mort pour les trafiquants de drogue (26 juillet 1971).

(14)

2 INTRODUCTION

illégalement d'ailleurs, la place de sanctions qui ressortissent au seul droit de fond et aux autorités de jugement.

Châtiment anticipé et irréparable par le mal qu'elle peut causer, la détention préventive est devenue, au fil du temps, et parallèlement à la naissance d'un certain scepticisme sur l'efficacité du traitement pénitentiaire, l'un des instruments de l'intimidation pénale.

Objet d'un « détournement» 5 de la part des autorités judiciaires, la détention préventive est donc en mutation pour des raisons étran- gères aux modifications légales que l'on tente de lui imposer. Les accusations les plus graves portées contre elle la qualifient d'abus de pouvoir 6, de préjugement 7, de peine provisionnelle 8 . Son procès semble dès lors se justifier. Mais les indices sont insuffisants, il faut des pièces à conviction. A cela s'ajoutent les dénonciations unanimes des médecins, psychiatres et criminologues 0 : la détention préventive est dangereuse quel que soit son emploi. Ses conséquences sur la santé physique et psychique du prévenu, ses répercussions familiales, sociales, professionnelles et économiques font d'elle un mal certain et connu, que son application quotidienne, hors de proportion avec ce que com- mandent les nécessités procédurales, ne fait qu'augmenter.

5 R. Schmelck et O. Picca : Pénologie et droit pénitentiaire 1967, p. 206.

6 j. Vernet : op. cit.

7 R. Badinter: Le Monde, 12-13 avril 1970.

s J. Krümpelmann (ZStW 1970, p. 1087) emploie le terme de « vorweggenom- mene Strafe » pour qualifier la détention préventive.

o A. Ohm: Personlichkeitswandlung unter Freiheitsentzug, Berlin, 1964, p. 20 : « Die Verhaftung stellt in der Regel einen starken Schock dar. Die ersten Tage der Untersuchungshaft sind bei Erstinhaftierten haüfig eine schwere Krise, die sie psychisch ausserordentlich tangiert. »

M. Friedland : op. cit., p. 172 : «The period before trial is too important to be left to guess-work and caprice. At stake in the process is the value of individual liberty. Custody during the period before trial not only affects the mental, social and physical life of the accused and his family, but also may have a substantial impact on the result of the trial itself. »

F. Clerc : De la responsabilité de l'Etat par le fonctionnement de la justice pénale, Mélanges O.A. Germann RPS 1959, p. 374 : « Moralement, la détention préventive affecte souvent davantage que l'exécution d'une peine : le nombre de suicides au cours de l'instruction est sensiblement plus élevé qu'après le jugement.»

Cf. dans le même sens en Suisse : H. Dubs : Anrechnung der Untersuchungs- haft auf die Strafe, RPS 1960, p. 183, notamment p. 184 et 194; C. Bonnard :

JT 1960 IV, p. 73; W. Heim : JT 1964 IV, p. 42 ; SJ 1971, p. 377 : Cour de cassation genevoise, arrêt Oestringer.

(15)

INTRODUCTION 3 Sa longue survie s'explique par deux postulats judiciaires : la détention préventive est nécessaire à la manifestation de la vérité, elle est une garantie de l'exécution de la peine. D'ailleurs, les éminents services qu'elle a rendus à la justice la dispensent parfois encore d'être motivée. Echappant donc pendant longtemps à toute réforme effective, la détention préventive fait enfin l'objet de la sollicitude attentive de quelques législateurs.

L'Allemagne a, par sa « novelle » de procédure de 1964, réformé fondamentalement son droit de la détention préventive : limitation de son emploi et de sa durée par l'établissement de conditions, création de substituts ou mesures restrictives de liberté, contrôle strict de son application 10 •

En France, et pendant plus d'un siècle, la détention préventive a bénéficié d'un régime de faveur, que lui ont contesté, avec une vigueur plus apparente que réelle, quelques Gardes des Sceaux 11 . En sursis depuis 1958, date d'une première réforme de la détention préventive, qui lui avait conféré la qualité de « mesure exceptionnelle », sans pour autant lui en imposer le caractère 12, cette institution a subi son dernier assaut en juillet 1970. La détention préventive est terminologiquement devenue « provisoire » et de nature subsidiaire, par rapport au con- trôle judiciaire constitué d'une douzaine de modalités, toutes restric- tives et non privatives de liberté 13 •

10 H. Dünnebier : op. cit.

11 Compte de la justice criminelle ; préface du Garde des Sceaux (1886) (cité par Garraud, Traité théorique et pratique d'instruction criminelle, vol. 3, p. 152) : « Sans méconnaître parfois la nécessité impérieuse de l'instruction judi- ciaire, je crois devoir insister auprès des magistrats pour qu'ils mettent en pra- tique, dans la mesure la plus large possible, les lois protectrices de la liberté individuelle. »

Circulaires du Garde des Sceaux du 18 juillet 1946 et du 8 mars 1947, rap- pelant toutes deux que l'incarcération doit cesser dès que disparaissent les raisons qui la motivent (circulaires citées par Bouzat, in RIDP 1953, p. 119).

JCP 1952 III N° 16903 : Circulaire du Garde des Sceaux du 2 avril 1952 :

«La détention préventive ne peut être que l'exception justifiée par les fré- quentes nécessités de l'ordre public ou de la recherche de la vérité » (sic).

Telles étaient donc les déclaratiions périodiques de la Chancellerie. Et les magistrats français n'ont pourtant jamais senti une volonté sérieuse de sa part de mettre un terme aux abus de la détention : « Les circulaires sont de la poudre aux yeux», écrivent-ils à ce sujet dans un ouvrage collectif et publié sous un pseudonyme (Ch. Laroche-Flavin, La machine judiciaire, 1968, p. 113).

12 F. Gallery : op. cit., p. 895.

1a Loi du 17 juillet 1970 tendant à renforcer la garantie des droits individuels des citoyens.

(16)

4 INTRODUCTION

La Yougoslavie, l'Union Soviétique, l'Italie et l'Autriche peuvent également s'honorer de récentes et importantes révisions législatives de procédure pénale, ayant affecté avant tout l'arrestation, la déten- tion préventive et l'instruction préparatoire 14•

Les réformes législatives dans un domaine encombré par l'habi- tude 15, les passions et les mythes, sont certes difficiles et n'atteignent pas toujours leur but car « les actes de la fonction judiciaire sont conditionnés par trois facteurs : le passé du juge, le passé de l'insti- tution judiciaire et l'opinion publique 16 », bien plus que par la loi elle-même.

Ces réformes pourtant tendent toutes à limiter les abus de la détention préventive, notamment en fixant des conditions strictes à son application et en imposant au juge l'obligation de motiver son emploi.

De telles réformes sont-elles nécessaires là où elles n'ont pas encore été entreprises ? Pour tenter d'y répondre on peut comparer la situation pratique dans un système connaissant ces restrictions et dans un système qui les ignore, ce qui est précisément possible en Suisse romande.

C'est surtout à l'aide de données précises que ces réformes pour- ront atteindre leur but. Or le dossier de la détention préventive est encore très incomplet. Notre prétention n'est pas d'y apporter une pièce décisive, mais des èléments d'appréciation.

14 Yougoslavie: loi du 11 mai 1967 (entrée en vigueur le 1.1.1968) modifiant et complétant le Code de procédure pénale. Cf. V. Bayer : la réforme du code de procédure pénale yougoslave, RSC 1969, p. 79.

Union Soviétique : Règlement sur la détention préventive du 11 juillet 1969 (SSSR N° 29). Cf. N. Marie: Un nouveau texte de loi soviétique, RSC 1970, p. 460.

Italie : Legge 1 luglio 1970, N. 406 concernente la determinazione delle durate della custodia preventiva nella fase del giudizio e nei vari gradi di esso (Gazetta ufficiale, 1970, 4266).

Autriche: Strafrechtsiinderungsgesetz du 8 septembre 1971.

15 «Les jurisconsultes s'habituent à vivre avec la loi existante. Ils en contrac- tent le respect ( ... ), ils se figurent que ce qui existe aujourd'hui ne saurait être modifié sans entraîner une révolution ... » E.R. Laboulaye, in Revue des cours littéraires, 1865, p. 745.

16 S. Fuster, conseiller à la Cour d'appel de Paris, connu comme journaliste et écrivain sous le pseudonyme de Casamayor, in L'Express, 8-14 septembre 1969.

(17)

INTRODUCTION 5

1. BUTS DE: LA RECHERCHE

a) Description du phénomène.

Toute recherche est d'abord descriptive : la nôtre n'y peut faire exception. Et dans un domaine relativement nouveau comme celui de la criminologie, des programmes de recherche purement phénoméno- logiques et descriptifs sont encore nécessaires ; leur intérêt a été mis en évidence récemment encore par les programmes de recherche de plusieurs pays européens 17 •

La détention préventive nous a paru mériter une telle étude, dans la mesure précisément où son application est sans cesse contestée, et fait l'objet de dénonciations ou observations toujours partielles ou relatives à un cas particulier, sans qu'on puisse en apprécier ni les fondements ni la valeur réelle. Il convenait donc de présenter, sous un aspect descriptif, le phénomène de la détention préventive.

L'observation a été faite dans les cinq cantons romands, soit : Vaud, Valais, Neuchâtel, Fribourg et Genève, ceci afin de limiter l'étude à une région (linguistiquement délimitée) aux procédures pénales différentes et présentant tout de même une certaine similitude de mentalité.

Les principes stricts d'une étude dogmatique 18 ont donc été aban- donnés au profit d'une étude essentiellement descriptive.

b) Typologie du phénomène.

Après avoir unifié le droit de fond, tant civil que pénal, les cantons suisses ont maintenu leurs procédures respectives, les uns ayant subi l'influence germanique, les aubes l'influence française 19• Dans le domaine de la détention préventive, la sphère d'influence française a rétréci comme une « peau de chagrin » et Genève est le dernier can-

11 Conseil de l'Europe : Orientations actuelles de la recherche criminologique, Strasbourg, 1970. Cf. notamment le rapport de H. Schultz, p. 137 et plus spé- cialement p. 146.

18 Une étude dogmatique complète sur la détention préventive en Suisse a été achevée récemment par j. Krümpelmann : Die Untersuchungshaft in der Schweiz (rapport polycopié), Fribourg en Brisgau, 1970.

10 F. Clerc : Note sur les sources de la procédure pénale en usage en Suisse, RSC 1951, p. 69.

2

(18)

6 INTRODUCTION

ton romand à appliquer encore l'ancien système français, caractérisé par un blanc-seing accordé au juge d'instruction. Les autres cantons ont introduit, partiellement ou totalement, la casuistique d'origine allemande dans leurs codes de procédure pénale respectifs 20, ceci à l'exemple de la PPF.

Parfaitement conscient des limites maintes fois relevées, et inhé- rentes aux comparaisons des statistiques criminelles, nous avons néanmoins jugé intéressant de « mesurer » les effets, sur la pratique de la détention préventive, de la technique législative, celle-ci niétant que le reflet des options politiques prises par le législateur dans le règlement des rapports entre l'individu et l'Etat.

c) Détention préventive et condamnation.

Une étude d'ensemble, consacrée aux diverses conséquences (psy- chologiques, économiques, sociales, etc.) de la détention préventive, imposerait la constitution d'une équipe pluridisciplinaire de chercheurs et plusieurs années d'études. Nous nous sommes donc limité à l'exa- men purement objectif et chiffré des liens qui peuvent exister entre la durée de la détention préventive et la durée de la peine, puis entre l'utilisation de la détention préventive et l'octroi du sursis.

D'une part, l'étude de l'influence quantitative de la détention pré- ventive sur la durée de la peine permet de déterminer avec '~me

certaine vraisemblance si la pratique judiciaire s'oriente ou non vers une utilisation de la détention préventive à des fins rétributives. D'au- tre part, l'incidence qualitative de la détention préventive sur la déci- sion finale permet de mettre en évidence la nature préjudicielle de cette mesure procédurale.

Notons que si des recherches anglo-saxonnes 21 se sont déjà atta- chées à définir statistiquement les multiples répercussions de la déten- tion préventive sur la décision finale, aucune d'elles n'a toutefois porté précisément sur l'incidence de la durée de la détention préven- tive sur la durée de la peine.

d) Caractéristiques personnelles ou délictuelles et détention pré- ventive.

Le début de la procédure judiciaire est marqué par la décision de mise en détention préventive ; celle-ci est prise sur la base d'un

20 Art. 2 ch. 3 CPPFRIB. Puis, s'inspirant de l'art. 44 PPF : Art. 117 CPPNE ; Art. 65 CPPVS ; Art. 59 CPPVD.

21 E. Oibson : op. cil. ; A. Rankin : op. cil. ; M.L. Friedland: op. cil.

(19)

INTRODUCTION 7 certain nombre de caractéristiques. Afin d'ébaucher l'esquisse d'une étiologie de la détention préventive, l'incidence de sept variables a été étudiée en relation avec la mise en détention. Toutes les variables prises en considération peuvent être connues lors de la décision de mise en détention, soit lors du premier interrogatoire. Certaines d'en- tre elles sont absolument indépendantes de la poursuite pénale (l'ori- gine, les antécédents, le domicile, l'emploi et la formation), et d'autres sont dépendantes de celle-ci (type de participation aux infractions poursuivies et type d'infractions commises).

JI. HYPOTHÈSES

La chronique judiciaire, d'ailleurs essentiellement consacrée aux affaires pénales, conduit à des observations quotidiennes fort variées.

De là toutefois à des hypothèses exprimées sous leur forme véri- fiable, il y a une longue étape de réflexion et de vérifications préa- lables, d'autant plus difficile à franchir que le concept de « sociologie judiciaire », qui pourrait recouvrir le domaine de recherches analogues à celle-ci, n'en est encore qu'à ses débuts. Nous devons ici reconnaître nos difficultés, quant à la formulation de règles plus ou moins géné- rales pouvant constituer nos hypothèses de travail.

1) Les différents systèmes légaux, régissant la détention préventive, permettent d'élaborer une typologie de son utilisation : l'application de cette mesure est notamment plus fréquente lorsque ses conditions d'utilisation ne sont pas précisées dans la loi.

2) La détention préventive influence quantitativement la peine ; la durée de la peine prononcée et la durée de la détention préventive subie sont des données en étroite corrélation l'une avec l'autre.

3) Certaines caractéristiques personnelles du prévenu, sans relation aucune avec les éléments légaux, matériels ou moraux de l'infraction commise, jouent un rôle prépondérant dans l'utilisation de la déten- tion préventive.

4) La détention préventive influence qualitativement la peine pro- noncée. L'utilisation de la détention préventive est en étroite associa- tion avec la condamnation à une peine sans sursis.

L'étude des dossiers genevois a été faite de façon détaillée afin d'obtenir une image aussi fidèle que possible de la réalité ; quelques

(20)

8 INTRODUCTION

hypothèses avaient également été émises concernant le système genevois :

a) Dans un système sans conditions d'application de la détention préventive, la validité de certains mandats est un moyen efficace de limiter la durée de la détention préventive.

b) La mise en liberté sous caution n'est à même de protéger effica- cement ni le prévenu détenu ni la justice.

Telles ont donc été nos hypothèses initiales, auxquelles se sont jointes des perspectives nouvelles découvertes en cours d'étude, tant il est vrai que la relation instrumentale et dialectique du chercheur avec le mathématicien « n'aboutit pas à une limitation de recherche mais à un enrichissement: par la venue en surface du matériau signi- ficatif enfin privilégié au dépens des informations attendues, mais sans rapport interne avec l'objectif poursuivi » 22

Il est certain, toutefois, que notre travail ne présente qu'un pre- mier pas vers des recherches plus approfondies, que pourront mener conjointement psychologues, statisticiens, criminologues et juristes.

Ill. MÉTHODES ET TECHNIQUES

L'étude d'un phénomène juridique précis implique la description de ses normes, mais aussi de ses conduites effectives. Or la réalité peut être appréciée de différentes façons, selon des méthodes très diverses. Il suffirait de :se référer aux études et enquêtes socio-juri- diques entreprises en France, préalablement à d'importantes réformes législatives, pour se convaincre de la multiplicité des moyens d'inves- tigation 23 •

22 M.L.M. Raymondis et A.M. Favard : Rapport de méthodologie, in Conseil de l'Europe : Orientations actuelles de la recherche criminologique, Strasbourg, 1970, p. 115.

23 A la demande du Ministère de la justice, l'Institut Français d'Opinion Publique a effectué différents sondages : l'un avait pour objet les régimes matrimoniaux. Exécuté en 1964-65, ses résultats ont été publiés dans Sondages, revue française de l'opinion publique, 1967, No. 1.

Puis, une autre étude, également demandée par le Ministère de la justice au même organisme, a analysé et mesuré (en 1965) les attitudes des Français à l'égard de la transmission successorale des biens (cf. Sondages, 1970, N° 4).

(21)

INTRODUCTION g La méthode descriptive a présenté des avantages certains dans la perspective d'accéder, non pas à un diagnostic complet de l'institution, mais à certaines généralisations ; toutefois la manipulation de variables et la présentation d'observations,. étendues à un nombre élevé de cas, ne conduisent pas systématiquement à des conclusions valables. C'est en lui associant la méthode comparative que de simples observations peuvent alors amener à des conclusions de portée immédiate.

On a souvent reproché aux juristes de ne guère s'intéresser à l'étude des documents écrits 24C'est la science politique qui semble avoir réussi à donner l'impulsion à la sociologie juridique et aux recherches fondées sur des documents d'archives administratives ou judiciaires. Ce sont à ces archives, de différents cantons, que nous nous sommes donc adressés pour la consultation des dossiers de procédure des juridictions choisies.

N'exerçant ainsi aucun contrôlle sur la façon dont les documents qu'il consulte ont été rédigés, le chercheur se borne alors à établir la liste élémentaire des variables dont il a besoin, qu'il rassemble ensuite à la lecture des documents.

Dès lors qu'une consultation méthodique devait être entreprise sur une vaste échelle, les informations concernant la détention pré- ventive, ainsi que les principales étapes de la procédure pénale, nous fournissaient des données partielles. Il était alors intéressant de rele- ver également des éléments d'ordre personnel et criminologique non apparents dans les statistiques officielles 2-0.

Après une étude préliminaire, 28 renseignements ont été jugés dignes d'intérêt et en relation directe ou indirecte avec la détention préventive. Ces renseignements peuvent être groupés selon leur spé- cificité comme suit :

références techniques et procédurales . . . 2 identification . . . 4 statut socio-professionnel . . . 5 antécédents judiciaires et criminologiques . . 6 caractéristiques des dernières infractions . . 3 étapes de la procédure pénale . . . 5 décisions judiciaires . . . . . 3 Total . . . 28

.24 R. Pinto et M. Grawitz, op. cit., p. 435.

21> Ces statistiques ne donnent d'ailleurs que des renseignements très frag- mentaires sur l'administration de la justice : Rapport de gestion du Conseil

(22)

10 INTRODUCTION

Ces 28 rubriques ont été codées de façon simple et présentées comme une formule 26, sur laquelle l'enquêteur reproduit (après les avoir convertis en code adéquat) les renseignements obtenus à la lecture des pièces des dossiers pénaux. Ces formules sont ensuite lues et les données direcltement reportées sur cartes perforées, puis sur. bande magnétique. L'information est alors à la disposition du chercheur, moyennant l'utilisation d'un langage d'interrogation qu'il suffit d'assimiler pour dialoguer très rapidement avec la collection d'informations. Nous avons en effet choisi d'emblée le traitement statistique par ordinateur 27 d'une part pour tester en quelque sorte, l'utilisation de l'ordinateur dans le cadre de recherches socio-juri- diques et d'autre part pour étudier un petit nombre de variables sur un échantillon relativement important (1.400 dossiers ont été con- sultés, fournissant chacun 28 données). Or seule cette technique garantit la rapidité et la sécurité des résultats, la comparaison simul- tanée d'un grand nombre de dossiers et la sélection illimitée de variables.

Tel est, sommairement décrit, l'ensemble coordonné des techni- ques appliquées à l'obtention de nos informations et à leur exploi- tation. Ajoutons toutefois que certaines conclusions n'ont été obte- nues que par l'application de méthodes statistiques spéciales, tou- jours brièvement exposées préalablement aux résultats.

d'Etat (publication annuelle), Chancellerie d'Etat, Genève ; Annuaire statistique genevois (publication annuelle) ; Statistique de la criminalité en Suisse (publi- cation annuelle), depuis 1969: Les condamnations pénales en Suisse, Bureau fédéral de statistique, Berne.

26 Cf. annexe 1.

27 Deux langages-machine ont été utilisés :

a) Langage INFOL (de INFormation Oriented Language) : il est orienté vers le stockage et la recherche d'informations et permet de réduire au minimum la présentation de résultats lors de recherches statistiques. Ce système simple permet le tri de l'information mais non pas son traitement.

b) Langage FORTRAN (de FORmula TRANslation) : permet d'effectuer les calculs numériques des applications scientifiques et le traitement mathé- matique de l'information.

(23)

INTRODUCTION 11

IV. DOCUMENTS ET ÉCHANTILLONNAGE

Ce n'est guère que depuis une dizaine d'années que les recher- ches criminologiques utilisent cette source inépuisable que constituent les archives de la justice 28• Cette étude nouvelle et scientifique des dossiers pénaux devrait permettre au législateur, au magistrat et au chercheur d'accéder à une nouvelle vérité, jusque-là cachée, voire déformée par la pratique judiciaire.

Notre choix s'est porté sur les procédures jugées par les deux juridictions pénales supérieures de chaque canton (correctionnelle et criminelle), qui ont le plus fréquemment à juger des accusés ayant été détenus préventivement 20 • Ceci s'explique évidemment puisque la relation entre la détention préventive et la peine devait être recher- chée. D'autre part, l'échantillon a été limité aux jugements rendus en une année, ceci afin de consigner dans des limites raisonnables le fastidieux travail de dépouillement de dossiers au contenu non systématique et très différent selon les cantons.

La détermination des jugements d'une année est certes arbitraire, comme l'est d'ailleurs le choix de tout échantillon, et nous sommes conscient des limites de nos conclusions, valables exclusivement pour 1969. Toutefois aucun élément décisif ne permet de douter de l'exemplarité des jugements étudiés, et nous n'avons introduit aucun biais au niveau de la sélection qui eût pu avoir des conséquences sur les résultats et nos conclusions. Enfin, les dispositions procédurales des cantons choisis n'ont pas subi de modification en 1969 : l'état du droit est donc resté constant durant l'année d'étude.

Ce sont ainsi des problèmes de choix, de contrainte et d'objectifs qui ont déterminé la taille de notre échantillon.

28 Pour les recherches en cours dans les pays européens, consulter : Echan- ges internationaux d'informations sur les projets de recherches criminologiques dans les Etats membres, publication hi-annuelle publiée par le Conseil de l'Eu- rope, Division des problèmes criminels, Strasbourg.

2 0 Pour que soit aussi complète que possible la présentation des résultats genevois, les procédures jugées par le Tribunal de police (inférieur à la Cour correctionnelle) et ayant fait l'objet de détention préventive ont également été étudiées.

D'autre part, vu l'intérêt évident que présente l'aspect judiciaire de la ges- tion d'une maison d'arrêt, le registre d'écrou (1969) de la prison dite de Saint- Antoine a également été consulté : cet établissement pénitentiaire est le seul du canton de Genève (330.000 habitants).

(24)
(25)

PREMllÈRE PARTIE

LA DÉTENTION PRÉVENTIVE

(26)
(27)

LA DÉTENTION PRÉVENTIVE

INTRODUCTION

Si la procédure pénale d'inspiration française s'est longtemps refusée à définir la détention préventive, la doctrine a maintes fois tenté d'en préciser la nature et les buts. Ainsi F. Hélie a-t-il écrit, en une formule qui ne fit d'ailleurs pas l'unanimité 1 que « la détention préalable est à la fois une mesure de sûreté, une garantie de l'exécu- tion de la peine et un moyen d'instruction. C'est sous ces trois aspects qu'elle doit être examinée pour reconnaître le droit de son application et ses limites » 2 •

Afin de ne pas isoler l'aspect théorique des nécessités ou exigences de la procédure pénale actuelle, les trois justifications de la détention préventive seront accompagnées de données concernant l'évolution actuelle de la justice pénale. Car il est évident que l'on ne peut pas isoler la dogmatique de l'institution si l'on veut en présenter essen- tiellement la pratique.

Ainsi l'expertise psychiatrique, la multiplication des courtes peines d'emprisonnement, la fréquence toujours plus élevée du sursis ne sont pas sans atteindre profondément le triptyque jusque-là inaltérable de la détention préventive, moyen d'instruction, garantie de la peine et mesure de sûreté.

§ 1. LA DÉTENTION PRÉVENTIVE COMME MOYEN D'INSTRUCTION

a) Présence de l'inculpé.

A l'heure où les laboratoires de criminalistique deviennent les annexes nécessaires de nos cours pénales, la détention préventive, elle, reste le meilleur, le plus sûr laboratoire pour la conscience d'un juge : celui de l'aveu. Car la justice pénale continue incontestable-

1 Oarraud : op. cit., Tome lll, p. 129.

2 F. Hélie : op. cil., Tome V, p. 748.

(28)

16 LA DÉTENTION PRÉVENTIVE

ment à puiser ses preuves dans les interrogatoires des prévenus et les confrontations. Aussi importe-t-il de ne pas laisser l'auteur pré- sumé s'échapper, faire disparaître les traces du délit, suborner les témoins, se concerter avec les complices éventuels. La réalité est-elle aussi simple et schématiqute ?

La présence de l'inculpé ou du prévenu aux séances d'instruction préparatoire, de même qu'à l'audience de jugement, est évidemment indispensable. Mais la détention préventive impose à l'inculpé une disponibilité de tous les instants qu'il s'agirait de justifier. Car « autre chose est contraindre un inculpé à venir assister à un interrogatoire d'une heure ou deux, autre chose le détenir ou l'arrêter. Comment a-t-on glissé de la coercition intermittente à la coercition conti- nue ? » 8

La nécessité sociale, d'ailleurs limitée, et la commodité des magis- trats ne sont que des explications très insatisfaisantes de la détention préventive 4

Pourtant, les récents développements des sciences, improprement dites auxiliaires, ont mis en évidence la nécessité d'une observation médicale et psychiatrique de l'inculpé. Il ne saurait, aux yeux de cer- tains, se concevoir de libéraliser Je système alors que des nécessités impérieuses postulent l'étude scientifique de la personnalité de l'in- culpé et, donc, sa présence pendant l'instruction.

Ce problème est fort bien résumé par I' Administration péniten- tiaire française, dans son rapport général annuel de 1959 : « Il faut reconnaître qu'une conciliation s'avérerait utile entre le principe posé par l'art. 137 du Code de procédure pénale, où le caractère exceptionnel de la détention préventive est affirmé solennellement ( ... ) et les nécessités d'une connaissance approfondie de la personnalité du délinquant avant son jugement, connaissance qui implique le plus souvent l'observation et l'examen du prévenu en détention. » 5 Mais là encore le raisonnement est vicié à la base, car on sait trop ce que valent les observations en milieu carcéral. Certains spécialistes les contestent à juste titre avec vigueur, n'ignorant pas qu'un détenu

s ]. Carbonnier, op. cil., p. 62.

4 Cf. déjà Larnaude : « Il y a là une justification maladroite qui a plutôt nui à la cause de la détention préventive qu'elle ne l'a servie. Il est certain que le juge, qui a l'inculpé sous la main, qui peut l'interroger à tout moment, jouit d'une grande commodité pour faire son instruction, pour tâcher notamment d'obtenir l'aveu de l'inculpé ; mais je ne crois pas que personne puisse soutenir que la liberté individuelle doit être ainsi subordonnée ou même sacrifiée à de simples convenances professionnelles.» (RPDP 1901, p. 196.)

11 Op. cit., p. 20.

(29)

LA DÉTENTION PRÉVENTIVE 17 n'est qu'un prisonnier, dont l'observation scientifique est de ce fait inexacte, vaine, faussée par les conditions mêmes de l'environne- ment 6 ; l'esprit policier et pénitentiaire d'une institution est diffici- lement compatible avec l'observation scientifique, de même d'ailleurs qu'avec tout traitement.

L'expertise psychiatrique, qui tend à devenir un moyen d'ins- truction nécessaire, sinon suffisant dans un nombre croissant de cas, n'exige pas, bien au contraire, la détention de l'inculpé. 7

6 Plusieurs auteurs ont, à réitérées reprises, rappelé les difficultés des obser- vations scientifiques menées en détention sur des inculpés. C'est De Greeff qui, l'un des premiers, a dénoncé la valeur de tels examens, dans un rapport prépa- ratoire au Cycle d'études des Nations Unies de décembre 1951, dont le contenu est résumé par M. Ance! dans : Le procès pénal et l'examen scientifique des délinquants, Melun, 1952.

Le Professeur O. Heuyer relevait que « au point de vue de l'expertise médico- légale, c'est au cours de la prisorn préventive que le prévenu s'entraîne à la simulation ; celle-ci est d'autant plus savante et avertie que la prévention dure plus longtemps» (Bulletin de la Société internationale de criminologie, 1952, p. 31).

A propos de l'examen ambulatoire de l'inculpé, le Professeur F. Clerc écri- vait : «Cette formule est particulièrement heureuse, car le délinquant n'étant pas arraché à son milieu et à ses préoccupations, l'observation se fait dans des conditions plus favorables qu'en captivité » (Revue internationale de politique criminelle N° 3 1953: La place de l'examen scientifique dans la procédure cri- minelle, p. 17).

Sir L. Fox a relevé les exigences humaines et institutionnelles qu'impose- raient de véritables observations (Penal Practice in a Changing Society 1959), cité par Hugh j. Klare : The Problem of Remand in Custody for Diagnostic Purposes, Etudes pénologiques dédiées à la mémoire de Sir L. Fox, 1964, p. 113.

Sur un point précis, un expert français près les tribunaux pénaux s'exprime ainsi : «Nous pensons que l'incarcération, surtout en période de prison préven- tive pendant l'instruction, entraîne ILln état dépressif qui place le sujet dans une situation d'infériorité vis-à-vis des tests de performance » (R. Resten, Caracté- rologie du criminel, Paris, 1959, p. 102).

En dépit de cette unanimité qui rassemble les milieux médicaux et crimino- logiques, certains auteurs n'ont pas cru bon d'évoquer ces difficultés et l'obstacle évident que constitue la détention. Ainsi Th. Kammemer n'en parle pas dans une étude sur La relation entre médeci'n et inculpé dans l'expertise mentale crimi- nelle (Evolution Psychiatrique, 1956, p. 433), de même que Broussolle dans L'expertise psychiatrique pénale (Mélanges de Criminologie, Hambourg, 1969, p. 55).

Dans sa thèse sur la relation c:linique en milieu pénitentiaire, le Dr Hoch- mann n'aborde pas non plus ce problème (La relation clinique en milieu péni- tentiaire, Paris, 1964).

7 En 1969, l'Institut de médecine légale de Genève s'est vu confier par la Cour d'assises et la Cour correctionnelle 65 expertises psychiatriques, dont 18 ont pu être exécutées ambulatoirement (27 %).

(30)

18 LA DÉTENTION PRÉVENTIVE

Cette évolution de la justice pénale ne fournit donc aucun élément valable à l'appui d'une justification nouvelle de la détention préven- tive. Tout au contraire l'utilité grandissante de l'observation et de l'expertise psychiatrique, menées dans des conditions de vie nor- males et non en détention, postulerait elle aussi la réduction du nom- bre des détentions préventives.

D'autre part la pratique de nos tribunaux permet de constater que la présence de l'inculpé à l'instruction et au jugement n'est pas aussi essentielle que le laisseraient supposer certains magistrats : les mises en liberté interviennent presque toujours durant l'instruction, sans pour autant la perturber et les défauts sont relativement fré- quents dans quelques cantons où ils sont parfois provoqués (notam- ment par l'expulsion administrative).

Enfin la fréquence actuelle des audiences d'instruction dans cer- tains cantons n'est pas de nature à mettre en évidence la nécessité d'une disponibilité constante du détenu.

b) Sauvegarde de l'instruction.

Sous le terme de collusion, la pratique judiciaire comprend la disparition des preuves, la concertation avec les complices et la subornation de témoins. Or la détention préventive est de ce triple point de vue soit insuffisante, soit inutile.

La rapidité avec laquelle la police découvre l'infraction et son auteur pourrait jouer un rôle considérable et tempérer les craintes exagérées qui entourent les risques de collusion. Mais cette rapidité souhaitée est toute relative 8 , et il est bien illusoire de confier à la détention préventive survenant longtemps après la commission de l'infraction la tâche de combattre le risque de collusion et de le neu- traliser sous toutes ses formes. Les preuves sont déjà détruites, les complices endoctrinés et les témoins gênants menacés ou achetés.

Certes, dans un nombre appréciable de cas, le risque de collusion croît avec la découverte de l'infraction et de son auteur, mais il demeure que la détention préventive, destinée à éviter le risque de

s Chiffres obtenus à Genève (1969) : dans 32,4 % des cas, l'auteur est arrêté dans les deux jours qui suivent la commission de l'infraction ou de la dernière infraction en cas de concours. Dans 67,6 % des cas, l'auteur a pu, en l'espace de quelques jours (3-9 jours : 10,2 %), de quelques semaines (10-49 jours : 25,5 %), de quelques mois (50-399 jours : 26,3 %), prendre toutes mesures utiles et opérer en toute sécurité, sans parler des infractions contre la propriété et les droits pécuniaires, les faux dans les titres, parfois découverts plus de 400 jours après leur commission (5,6 %).

(31)

LA DÉTENTION PRÉVENTIVE 19 collusion, est un leurre. On ne saurait l'admettre systématiquement lorsqu'une période d'une certaiine durée s'est écoulée entre la com- mission de l'infraction et l'arrestation.

En outre, avant même d'être l'école du crime, la prison, et singu- lièrement la maison d'arrêt, sont l'école de la collusion. Les moyens de communication se développent parallèlement à la connaissance qu'en ont les autorités. Il suffit, pour s'en convaincre, de lire quel- ques romans récents, parfois même d'observer simplement la façade d'une maison d'arrêt. Et les bfl.timents les mieux conçus n'empêche- ront rien car l'esprit inventif, qu'exacerbe la détention, découvrira toujours de nouveaux moyens de communication.

Les risques de communication entre détenus préventifs ou avec l'extérieur sont d'autant plus grands qu'un pourcentage élevé d'in- fractions est commis en bande ou à deux (Genève, 1969 : 41,3

% ).

Dès lors, le besoin de communication au sein d'une maison d'arrêt est des plus impérieux, mais ne doit pas faire oublier non plus le problème, combien plus difficile à résoudre, de la collusion avec des complices non encore arrêtés ou des tiers non susceptibles d'être arrêtés, tels que partie civile, plaignant, dénonciateur, témoins, qui sont loin d'être toujours et systématiquement hors de tout soupçon dans ce domaine.

Il faut donc bien admettre qu'une instruction rapide permet, grâce aux mesures variées (saisies, perquisitions, expertises, etc.) mises à la disposition du juge d'instructiion, d'éviter toute collusion, bien mieux que la détention préventive, qui ne peut que la susciter. Enfin, l'exis- tence même d'un risque de colllusion ne doit pas être exagéré. Des statistiques allemandes fournissent le pourcentage de détention pré- ventive motivé par le risque de collusion : en 1908, 0,49

% ,

et en 1969, 0,37 % 9.

« En tout état, la détention préventive, motivée par le souci d'évi- ter la collusion, ne peut être de longue durée, car il suffit de quelques jours parfois pour mettre les preuves les plus fragiles à l'abri, pour saisir des pièces à conviction. » 10

9 Dünnebier : op. cit., p. 120. On peut, d'autre part, signaler une statistique allemande, faite dans le Land Niedersachsen, en 1966, soit après la réforme de la détention préventive. Ces chiffres indiquent, de façon évidente, l'importance numérique très relative de certains motifs de détention préventive, dont on surestime le rôle : risque de fuite, 90,8 % - risque de collusion, 3,1 % - risque de récidive, 3,9 % - délits contre la vie, 2,1 % (chiffres cités par ]. Krümpelmann, ZStW 1970, p. 1063).

10 J. Carbonnier : op. cit., p. 71.

(32)

20 LA DÉTENTION PRÉVENTIVE

Ainsi le risque de collusion, s'il peut être admis dans un certain nombre de cas comme motif de détention préventive, ne justifie cepen- dant qu'une mesure privative de liberté de courte durée.

Par souci d'exhaustivité le problème de l'aveu ne peut être passé sous silence, bien que notre étude ne puisse apporter sur ce point ni observations ni résultats. II convient cependant de signaler ici l'impor- tance quasi-mystique connue et reconnue de l'aveu, dans l'instruction pénale 11 • II est malheureusement évident que la détention préventive elle-même, sans parler des mesures qui peuvent la rendre plus dure encore, tel le secret 12, a un but caché, voire illégal, mais faisant inti- mement partie de sa nécessité en tant que mesure d'instruction : elle constitue un puissant instrument de pression pour briser la résistance de celui qui ne veut pas avouer, un « succédané de la torture » 13Pour- tant, les plus longues instructions sont loin d'aboutir toutes à des aveux. Sans allonger sur un sujet qui n'a pas été étudié, rallions-nous à Carbonnier, car notre opinion est faite sur la tyrannie de l'aveu, de l'arrestation au jugement : « Nous poserions volontiers pour principe que tout aveu fait en état d'arrestation ou de détention est a priori suspect » 14 •

11 Dufernex l'avait déjà relevé (op. cit., p. 72) : «comme nous l'avons cons- taté, la tendance générale de ce régime, c'est l'aveu. Questionner le prévenu semble la voie qui mène le plus directement à la découverte de la vérité ( ... ).

Pour mieux atteindre à ces fins et saisir les instants propices, rien ne vaut assurément la séquestration, car l'inculpé demeure sans cesse à portée de la main, on peut disposer de sa personne à loisir ; ( ... ) la cellule est l'auxiliaire du secret. »

Cf. également Ch. Gilliéron : L'évolution de la preuve pénale, RPS 1946, p. 206 : «De nos jours, le magistrat, pour avoir la certitude de tenir le cou- pable, exige presque toujours l'aveu. Il s'agit là d'un état d'esprit général que nous avons constaté et qui augmente d'année en année. ( ... ) Redonner à l'aveu une importance primordiale dans l'administration de la preuve nous ramène insensiblement au régime de la preuve légale. »

12 Il convient de rappeler que, malgré les critiques incessantes et justifiées dont cette mesure est l'objet, son utilisation « pour les besoins de l'instruction » reste fréquente : elle a été utilisée à Genève dans 28 cas en 1969, et les détenus mis au secret y ont fait en moyenne 20 jours.

1s F. Clerc : op. cit., RPS 1968, p. 166.

14 j. Carbonnier: op. cit., p. 73.

(33)

LA DÉTENTION PRÉVENTIVE 21

§ 2. LA DÉTENTION PRÉVENTIVE COMME GARANTIE DE L'EXÉCUTION DE LA PEINE

L'une des justifications essentielles de la détention préventive réside incontestablement dans la garantie qu'elle offre pour l'exécu- tion de la peine prononcée. Prévenus et accusés comparaissant déte- nus devant la juridiction de jugement constituent de véritables gages de la Justice 15, pour reprendre l'expression imagée de Muyart de Vouglans. Mais la créance ainsi garantie demeure des plus douteuse : pénitence, intimidation, élimination ou réforme ? Sans vouloir abor- der ici des problèmes qui relèvent de la philosophie de la peine, il n'est que de· rappeler l'échec de la peine privative de liberté pour douter de la légitimité d'une mesure qui en garantit une autre, dont l'inefficacité n'est plus contestable, tout au moins dans son applica- tion actuelle. « Le xx1° siècle s'étonnera sans doute de notre étrange fidélité à des modes de réaction criminelle hérités du passé, et dont l'expérience démontre l'inefficacité. » 16

La peine classique, avec sa souffrance nécessaire et rédemptrice, n'est plus praticable. Pourtant l'on utilise encore pour la garantir, voire la préserver, peut-être la remplacer, une institution, qui n'est ni nécessaire ni juste, dont les fâcheuses conséquences ont été main- tes fois dénoncées. Car l'important est finalement de savoir ce que garantit la détention préventive : l'exécution de la peine, mais de quelle peine ?

Précédant une condamnation avec sursis, la détention constitue, dans tous les cas où elle n'était pas absolument justifiée par les nécessités de l'instruction, un non-sens évident et une mesure pro- cédurale particulièrement inadéquate, menaçant de faire échec à l'acceptation de toute sanction pénale. Car s'il ne fait guère de doute que la liberté individuelle n'est que modérément menacée par l'exis- tence même de la détention préventive, il en va tout autrement de

15 Les procédures correctionnelles et criminelles étudiées (1969) donnent par canton les pourcentages suivants :

Fribourg . . 11,5 % de prévenus détenus jusqu'au jugement Valais . . . . 16,9 % de prévenus détenus jusqu'au jugement Vaud . . . . 21,5 % de JPrévenus détenus jusqu'au jugement Neuchâtel . . . 30,1 % de prévenus détenus jusqu'au jugement Genève . . . . . 44,5 % de prévenus détenus jusqu'au jugement

10 M. Ance!: La défense sociale nouvelle 1966, p. 316.

3

(34)

22 LA DÉTENTION PRÉVENTIVE

son régime de fait qui, sans être aussi pénible que l'exécution d'une peine privative de liberté, n'en est que plus dangereuse voire crimi- nogène : le procès des maisons d'arrêt a déjà été fait. Mais il est bon de relever ici que toute détention préventive, aussi brève soit- elle, peut contrecarrer les effets positifs que pourrait avoir le sursis : la promiscuité aveugle, l'impossibilité de travailler, la rupture fami- liale, sociale et professionnelle, sont bien pires que l'exécution d'une peine privative de liberté de durée déterminée.

L'échec du sursis peut se forger en détention préventive 17 : cette constatation est d'autant plus affligeante que le sursis, tel que le prévoit l'art. 41 CPS, n'a nullement besoin d'être garanti dans son exécution 18, sauf en cas de patronage, et qu'ensuite cette mesure est affublée, en droit suisse, de conditions d'octroi si strictes, « inté- ressant davantage la gravité objective de l'infraction et le passé judiciaire de l'infracteur que la prise en considération de sa person- nalité intime » 19, que ces conditions peuvent être rapidement con- nues et acquises lors d'une instruction de très courte durée.

Quant aux condamnés sans sursis, il ne fait aucun doute que pour eux la détention préventive aura garanti l'exécution d'une par- tie de leur peine, mais elle l'aura garantie de façon très inéquitable : moralement plus dure et physiquement plus douce, la détention pré- ventive sous ces deux aspects n'a rien de commun avec l'exécution de la peine. La détention préventive est-elle alors une garantie excessive ou insuffisante ?

D'autre part, deux constatations statistiques doivent apporter des éléments permettant de mettre en doute l'intérêt démesuré attri- bué à la détention préventive comme garantie de la peine.

1) En Suisse, un tiers seulement des condamnés à des peines privatives de liberté ne bénéficie pas du sursis.

11 «Le sursis simple et surtout le sursis avec mise à l'épreuve sont influencés et dénaturés dans une mesure qu'il faudrait déterminer, par la détention préven- tive qui les précède ( ... ). Le rôle intimidant de la peine est atténué pour cer- tains, les liens avec le travail rompus, les relations familiales perturbées ( ... ) mais plus encore l'atmosphère qui règne actuellement dans les maisons d'arrêt ( ... ) accumule chez le détenu les forces de résistance au traitement en liberté.

La détention préventive nous paraît agir dangereusement sur les méthodes de traitement en milieu libre» (cf. ]. Vérin : op. cit., p. 711-712).

18 Ce que nos cours pénales savent très bien. A Genève, en 1969, 18,8 % des (21/112) condamnations avec sursis sont assorties de l'expulsion. Sans parler d'une condamnation où sursis et patronage sont accompagnés d'une expulsion.

19 R. Berger : Le système de probation anglais et le sursis continental, Genève, 1953, p. 184.

Références

Documents relatifs

La Côte d’Ivoire, respectueuse de ses engagements internationaux, a consacré ce principe dans le titre I de la Constitution promulguée le 8 novembre 2016, donnant une large place

• Inscription : Suite à votre inscription sur notre site internet crb.ch/formation, une confir- mation vous sera adressée avec la facture, au plus tard une semaine avant le début du

- Une maman d'élève (bibliothécaire) tient une permanence le vendredi apr ès- midi ; elle accueille des enfants qui on t des travaux encours. Chaque grande case est

Les montres de l'une ou l'autre des deux classes peuvent être soumises pour être observées dans l'autre classe d'épreuve que celle pour laquelle elle sont destinées.. Une montre

fait surtout les générations de pionnières. Mais surtout, elles ont été éduquées dans des familles où filles et garçons font bje d traitement égalitaire,

 Ils  y  travaillent  actuellement..  Les  langues  se  nourrissent  réciproquement  quand  l’environnement  éducationnel  les  utilise   et  les

Compte tenu de cette amélioration de la qualité de l'air, la mesure incitative permettant à tout un chacun d'utiliser les transports publics du bassin genevois au tarif réduit