Adénocarcinomes de l’intestin grêle du diagnostic au traitement
FMC-HGE, 21 mars 2015
Thomas APARICIO
Service de Gastroentérologie Hôpital Avicenne, Bobigny thomas.aparicio@avc.aphp.fr
• CONFLITS D’INTERET
• Sanofi
• Roche
• Ipsen
• Novartis
• Merck-Serono
Objectifs pédagogiques
• Incidence et facteurs de risques
• Présentation clinique et moyens diagnostiques
• Surveillance après primo-traitement à visée curative
• Traitement de la maladie métastatique
Données générales
• Intestin grêle : 75% de la longueur de l’intestin et 90%
de la surface muqueuse
• Tumeurs de l’intestin grêle <5% des tumeurs digestives
• Incidence en augmentation
• 4 types histologiques principaux :
• Adénocarcinome, tumeur neuro-endocrine, lymphome, GIST
Classification TNM (2009)
T1 Tumeur envahissant la muqueuse ou sous-muqueuse
T2 Tumeur envahissant la musculeuse
T3 Tumeur envahissant la sous séreuse
T4 Tumeur perforant le péritoine viscéral ou envahissant d’autres organes (autre anse intestinale, mésentère, rétropéritoine, pancréas
N1 Atteinte de 1 à 3 ganglions régionaux
N2 Atteinte de > 4 ganglions régionaux
Incidence des cancers de l’intestin grêle
• Adénocarcinomes = cancers de l’intestin grêle les plus fréquents
• L’incidence des adénocarcinomes de l’intestin grêle (AIG) augmente
Lepage C et al, Am J Gastroenterol 2006
Données du registre de la Côte d’Or
Faivre J et al, EUR J Cancer 2011
Incidence en Europe
Incidence annuelle des AIG estimé dans l’Union Européenne = 3595
Légère prédominance masculine et Europe occidentale
Incidence standardisée sur l’âge par million
Hatzaras, I. et al. Arch Surg 2007
Registre du Connecticut n=1260
Répartition par segment selon le type histologique
Femmes Hommes
Evolution de l’incidence selon le segment
Chow JS et al, Int J Epidemiol 1996
Données du SEER 1973-1990
Augmentation de l’incidence des AIG duodénaux
Facteurs de risque de l’AIG
• Facteurs carcinogènes des cancers coliques absent dans l’intestin grêle
(bactéries et métabolites)• Tabac, alcool, viande rouge, sucre, féculent ?
• Anomalies génétiques
– PAF, Lynch, Peutz-Jeghers
• Maladies prédisposantes
– Maladie de Crohn, maladie coeliaque
Surexpression de P53 42%
Accumulation de β caténine 20%
Instabilité microsatellite 23%
Mutation KRAS 43%
Mutation BRAF 2,5%
Surexpression HER2 +++ 3,2%
Carcinogénèse
• Série de 63 patients
Aparicio T et al, British J Cancer 2013
• Le phénotype tumoral est proche du cancer colorectal
– Instabilité microsatellite + fréquente – Implication voie wnt - fréquente
HER2 β caténine KRAS, BRAF
MMR P53
Mutations identifiées
KRAS 43%
TP53 41%
APC 13%
SMAD 4 9%
PIK3CA 9%
ERBB2 8%
BRAF 6%
FBXW7 6%
Laforest A et al, European J Cancer 2014
• Mutation ERBB2 plus fréquente que dans les cancers colorectaux
• plus fréquente dans le duodénum
• Cible thérapeutique potentielle
N=83
Cohorte NADEGE
365 AIG
diagnostiqués entre 2009 et 2012
Aparicio T et al, JFHOD 2014
Données actualisées N=355
Hommes 59%
Age 63 ans (23-90)
Duodénum
Duodéno-jéjunum Jéjunum
Iléon
51%
9%
21%
18%
Maladie prédisposante - Maladie de Crohn - Syndrome de Lynch - PAF
- Maladie coeliaque - Peutz-Jeghers
22%
9%
6%
2%
1,5%
0,5%
Stade au diagnostic
Stade N=4518
Stade 0 Stade I-II Stade III Stade IV
Indéterminés
- 40%
27%
32%
-
Registre SEER
(1988-2007)Stade N=343
Stade 0 Stade I-II Stade III Stade IV
Indéterminés
1,7%
21%
27%
38%
11%
Cohorte NADEGE
(2009-2012)Aparicio T et al, JFHOD 2014 Overman MJ et al, Ann Surg Oncol 2012
Les AIG sont diagnostiqués le plus souvent à un stade localisé
Localisation en cas de maladie prédisposante
Duodénum Duodéno-
jéjunum Jéjunum Iléon
Maladie de Crohn 7% 0% 10% 77%
Syndrome de Lynch 40% 15% 35% 5%
PAF 57% 14% 28% 0%
Aparicio T et al, JFHOD 2014
Données de la cohorte NADEGE
Recommandation
dépistage systématique des polypes duodénaux et de l’ampoule de Vater
• Registre du Johns Hopkins comparé à la population générale – Duodénum : RR : 330 [IC 95% 132 - 681; p < 0,001]
– Ampullome : RR : 123 [IC 95% 33 - 316; p < 0.001]
Risque relatif d’ADK du grêle en cas de PAF
Offerhaus GJ et al Gastroenterology 1992
Risque relatif d’ADK du grêle en cas de syndrome de Lynch
• Risque << risque cancer du côlon ou endomètre
• 110 familles du registre des Pays Bas
• HMLH1 : RR : 291 [IC 95% 71 - 681]
• HMSH2 : RR : 103 [IC 95% 14 - 729]
Vasen H et al, Gastroenterology 1996
• Registre de 40 familles Finlandaises
• Risque cumulatif de 1%
Aarnio M et al, Int J Cancer 1995
• Peut être révélateur d’un syndrome HNPCC
Babba T et al, GCB 2010
Bonadona, V. et al. JAMA 2011
Données françaises ERISCAM
Etude sur 537 familles
Recommandations actuelles
• Pas de dépistage systématique si Lynch connu
• Recherche d’une instabilité microsatellite et ATCD de cancer du spectre HNPCC en cas de découverte d’un ADK du grêle
Dépistage par vidéocapsule endoscopique ?
• Dépistage chez 35 patients avec syndrome de Lynch
– VCE et entéroscanner
– Découverte de 1 ADK du grêle et de 2 adénomes (8,6%)
Saurin JC et al, Endoscopy, 2010
Association à maladie de Crohn
• Base de donnée du Minnesota : 314 MC (1940-2001)
• RR : 41 [IC 95%, 8,5 – 120]
Jess T et al, Gastroenterology 2006
• Base de donnée du Manitoba : 2857 MC (1984-1997)
• RR : 17 [IC 95%, 4,16-72,9]
Bernstein CN et al, Cancer 2001
• Risque plus faible de développer un AIG
• si résection de la zone inflammatoire du grêle
• si traitement prolongé par les dérivés salicylés
Piton G, Am J Gastroenterol 2008
Comparaison ADK grêle : maladie de Crohn vs de novo
Palascak-juif V et al Inflam Bowel Dis 2005
• Survenue en zone inflammatoire
• Durée médiane de la MC : 15 ans
• Risque cumulé : 0,2% à 10 ans et 2,2% à 25 ans
• Proportion parmi les cancers digestifs :
• 25% après 10 ans et 45% après 25 ans
Maladie de Crohn n=20 de novo n=40
Localisation Iléon : 95% Tout le grêle
Age 47 ans 68 ans
Diagnostic pré-op 5% 55%
Survie à 5 ans 35% 30%
Association à maladie coeliaque
• Base de donnée Suédoise sur 11 019 maladies coeliaques
• ADK grêle : n=8, RR : 10 [IC 95% 4,4 - 20]
• Lymphome : n=44, RR : 5,9 [IC 95% 4,3 – 7,9]
Askling J et al, Gastroenterology 2002
Présentation clinique et moyens diagnostiques
• 217 adénocarcinomes du grêle de 1978 à 1998
(MD Anderson)• Symptômes non spécifiques :
– Douleur : 66 %, Occlusion 40%, Hémorragie 24%
• Mode de diagnostic :
– FOGD 28%, Chirurgie 26%, Opacification 22%, TDM 18%
Dabaja BS et al, Cancer 2004 518
Scanner avec entéroclyse
• Remplissage à l'eau de l’intestin grêle par une sonde naso-jéjunale, suivi d'un scanner spiralé en coupes fines
• Sensibilité de 85 à 95 %, spécificité de 90 à 96 %
• Permet le bilan d’extension tumoral dans le même temps
Boudiaf M, Radiology 2004;233:338-344
Vidéocapsule
• Contre-indiquée en cas de syndrome sub-occlusif
• Rentabilité diagnostique VCE > entéroscopie et transit du grêle
• Diagnostic de tumeur du grêle si exploration d’un saignement intestinal inexpliqué :
• Sensibilité VCE de 89% à 95%
• Spécificité de 75% à 95%
Triester SL, Am J Gastroenterol 2005;100:2407-2418
Entéroscopie double ballon
• Exploration de la totalité du grêle dans 86 % des cas
• Permet des biopsies, un tatouage pré-opératoire
• Etude rétrospective chez 152 patients avec saignement digestif inexpliqué
• Cause mise en évidence pour 75% des patients
• Dont 39 % avec tumeur de l’intestin grêle
Sun B, Am J Gastroenterol 2006;101:2011-2015
Bilan
• Scanner thoraco-abdominopelvien
• Fibroscopie + coloscopie
• Dosage ACE et CA 19-9 si métastatique
• Dosage anticorps anti-transglutaminase A + biopsies duodénale
• Phénotypage MSI
www.tncd.org
Faivre J et al, European J Cancer 2011
Survie
Survie totale des adénocarcinomes opérés et non opérés
Cancer de mauvais pronostic
Pronostic en fonction du stade
217 adénocarcinomes du grêle (1978-1998), MD Anderson
Survie médiane à 5 ans Stade II : 78 mois 52%
Stade III : 22 mois 32%
Stade IV : 11 mois 5% Dabaja BS et al, Cancer 2004
L’envahissement ganglionnaire est le principal facteur pronostic des formes localisées
Autres facteurs pronostiques
• AIG réséqués
• > 3 ganglions envahis,
• Nb de ganglions examinés < 10,
• Ratio gg envahis/gg examinés >10%
• T4, faible différentiation, primitif duodénal, âge
• Instabilité microsatellite (bon pronostic)
• AIG métastatiques
• Statut OMS
•Taux d’ACE et de CA 19.9 élevé
• KRAS muté (bon pronostic)
Aparicio T et al, Dig Liver Dis 2013
Traitement des formes localisées
• Aucune étude n’a démontré l’amélioration de la survie globale grâce à la chimiothérapie adjuvante
• Cohorte NADEGE
• Stade I-II : chimiothérapie = 16%
• Stade III : chimiothérapie = 55%
• Type de chimiothérapie : FOLFOX = 86%
Recommandations TNCD
FOLFOX adjuvant 6 mois si N+ ou T4
PRODIGE 33 - FFCD 1405 - BALLAD
ÉTUDE DE PHASE III ÉVALUANT LA CHIMIOTHÉRAPIE ADJUVANTE DANS L'AIG AIG de stade I à III
Résection R0
Bras B
Chimiothérapie
5FU/AF ou capécitabine
Stade I/II/III : Bénéfice certain de
la chimiothérapie
adjuvante
Bras C
5FU/AF ou capécitabine
Bras D
5FU/AF
ou capécitabine + oxaliplatine GROUPE 1
GROUPE 2
Randomisation Question Adjuvant
Randomisation
Bras A
Observation
Stade I/II/III : Bénéfice incertain de la
chimiothérapie adjuvante
5FU/AF ou capécitabine avec oxaliplatine
Question Oxaliplatine
Choix du clinicien ou randomisation
880 patients
100 inclusions en France
Surveillance après primo-traitement à visée curative
• Examen clinique tous les 3 mois pendant 2 ans puis tous les 6 mois pendant 3 ans
• Echographie abdominale ou scanner abdomino-pelvien tous les 3 à 6 mois pendant 2 ans puis tous les 6 mois pendant 3 ans
• Radiographie pulmonaire ou scanner thoracique annuel pendant 5 ans.
www.tncd.org
Traitement au stade métastatique
Références Protocoles Effectif Réponse
objective Survie médiane (mois) ÉTUDES RETROSPECTIVES
Crawley, 1998 5-FU seul 8 37% 13
Locher, 2005 5-FU + sels de platine 20 21% 14
Czaykowski, 2007 5FU +/- mitomycine C soins de confort seuls
16 21
6% 15,6
7,7
Overman, 2008 5FU + sels de platine 5FU sans sels de platine autres
29 41 10
46%
16%
14,8 12 *
ÉTUDES PROSPECTIVES (PHASE II)
Gibson, 2005 5FU + mitomycine C + adriamycine 38 18% 8
Overman, 2009 Capécitabine + oxaliplatine 30 50% 20,4
Survie sans progression
n SSP (mois)
LV5FU2 10 7,7(2,1-nd)
FOLFOX 48 6,9(5,0-9,9)
FOLFIRI 19 6,0(4,9-8,1)
LV5FU2-cisplatine 16 4,8(2,2-8,1)
n SG (mois)
LV5FU2 10 13,5(4,1-34,4)
FOLFOX 48 17,8(14,2-24,2)
FOLFIRI 19 10,6(8,1-28,3)
LV5FU2-cisplatine 16 9,3(4,9-17,8)
93 AIG métastatiques traités entre 1996 et 2008, étude rétrospective
Zaanan A et al, Ann Oncol 2010 p = 0.02
0 25 50 75 100
0 6 12 18 24
Mois
FOLFOX LV5FU2 - cisplatine
0 25 50 75 100
0 6 12 18 24 30 36 42
Mois
p = 0.04
0 25 50 75 100
0 6 12 18 24 30 36 42
FOLFOX
Survie globale
LV5FU2 - cisplatine
• 2
èmeligne par FOLFIRI (étude AGEO n=28)
• RO : 20%
• SSP : 3,2 mois
• SG : 10,5 mois
• Efficacité des biothérapies non démontrée
Zaanan A et al Cancer 2011
Recommandations TNCD
1
èreligne : FOLFOX
2
èmeligne : FOLFIRI
Conclusions
• AIG, tumeur rare, facteurs de risque multiples
• Localisation variable en fonction des facteurs de risques
• Pronostic plus sévère que les cancers du côlon
• Protocoles de chimiothérapie peu validés
• Apport des biothérapies ?
• BALLAD phase III chimiothérapie adjuvante
• Actualisation de NADEGE
• BIO-NADEGE
• POINTS FORTS
• La localisation la plus fréquente des adénocarcinomes de l’intestin grêle est le duodénum
• Les adénocarcinomes de l’intestin grêle surviennent dans environ 20% des cas dans un contexte de maladie prédisposante
• La biologie des AIG est plus proche de celle des adénocarcinomes colorectaux que des adénocarcinomes gastriques
• Après résection R0 l’invasion ganglionnaire est le principal facteur pronostique
• La chimiothérapie adjuvante est recommandée pour les tumeurs de stade III avec un faible niveau de preuve