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Article pp.135-153 du Vol.34 n°182 (2008)

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L’article apporte un nouvel éclairage sur les processus par lesquels les institutions composant le canal de distribution coordonnent et régulent leurs relations afin d’appréhender et d’intégrer l’incertitude du marché. Le secteur des arts du spectacle, qui sont des activités à haut risque, dépendantes des financements publics et marquées par une demande finale incertaine, a été retenu pour conduire un travail empirique et enrichir la réflexion. Du leadership de l’un ou l’autre des coéchangistes, s’appuyant sur la notoriété des artistes comme source de pouvoir, jusqu’au pilotage conjoint de la relation, fondé sur la confiance mutuelle, différentes formes de gouvernement des relations peuvent ainsi coexister au sein d’un même canal pour gérer l’incertitude du marché.

ISABELLE ASSASSI ESC Toulouse

Régulation du canal dans un

environnement incertain

Le cas des arts du spectacle

DOI : 10.3166/RFG.182.135-153 © 2008 Lavoisier, Paris

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À

la suite de la crise des « intermit- tents du spectacle » survenue en France durant l’été 2003, et de l’annulation de nombreux festivals qui en a résulté, un rapport sur l’avenir du spectacle vivant dans l’Hexagone a été remis au ministre de la Culture en avril 2004 (Latarjet et al., 2004). L’une des principales difficultés du secteur y est ainsi présentée :

« La question de la surproduction se pose, même si sa connotation marchande dérange.

Car il faut l’affirmer : la crise, tant dans sa dimension de l’emploi, que dans celle de l’équilibre entre création et diffusion est aussi une crise économique dans la mesure où elle traduit l’incapacité des divers inter- venants à réguler leurs échanges – y compris les échanges non marchands. » (Latarjet et al., 2004, p. 13, souligné par nous).

Ces préoccupations managériales, qui font référence à la régulation des échanges entre fournisseurs et distributeurs dans le secteur des arts du spectacle, rejoignent sur le fond une interrogation théorique majeure dans le champ de la recherche sur les canaux de distribution. Cette dernière porte en effet sur la définition d’un modèle d’équilibre des relations entre producteurs et distribu- teurs quant au partage de la valeur au sein du canal (Filser, 2004). L’équilibre repose-t- il sur l’existence de contre-pouvoirs mis en œuvre par les institutions confrontées à la domination d’un autre membre du canal, ou alternativement, sur la mise en place de pro- cessus coopératifs fondés sur la confiance mutuelle des participants ? La question reste posée aujourd’hui, malgré la contribu- tion de recherches relativement récentes dans ce domaine (Filser, 2005).

Le canal de distribution du spectacle vivant est précisément caractérisé, comme le suggère la citation ci-dessus, par l’indé-

niable pouvoir des distributeurs face à une surproduction chronique de spectacles, mais également par la très forte incertitude du marché à laquelle est confronté l’en- semble des membres du canal : du fait de la nature souvent innovante du spectacle et de sa dimension expérientielle, la demande finale est pour le moins incertaine. Dès lors, l’étude du canal de distribution du spectacle vivant, jusqu’ici peu abordée en France, pourrait contribuer à apporter un nouvel éclairage sur les processus de coor- dination et de régulation mis en œuvre par les différentes institutions pour tenter de réduire les risques liés à l’innovation et l’incertitude du marché. Comment un pro- ducteur, qui a pris un important risque financier sur un spectacle innovant, peut-il tenter de piloter le canal pour essayer de maîtriser la distribution de son spectacle ? Quelles sont les sources de pouvoir sur lesquelles il s’appuie ? Comment un distri- buteur, qui a programmé plusieurs spec- tacles novateurs dans sa saison, peut-il gérer son risque : en collaborant en amont avec les producteurs et/ou en travaillant sa programmation afin de la doter d’un avan- tage concurrentiel ?

Telles sont donc les questions auxquelles nous essayons de répondre dans cet article, à travers l’étude des relations entre produc- teurs indépendants et distributeurs de spec- tacle vivant en France. Une telle analyse est en effet de nature à enrichir la compréhen- sion du fonctionnement des canaux de dis- tribution dans des secteurs risqués où l’in- certitude environnementale et l’incertitude aval sont fortes. Elle repose sur deux dimensions :

– l’une, de type vertical, s’intéresse aux relations entre les différents membres du canal et à leurs modes de coordination,

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– l’autre, de type horizontal, se focalise sur la gestion de l’assortiment du détaillant ; dans les arts du spectacle, l’assortiment n’est autre que la programmation annuelle du théâtre ou de la salle de spectacle.

La première partie de l’article sera ainsi consacrée à la présentation de l’organisa- tion du canal de distribution du spectacle vivant ; elle permettra de souligner, d’une part, la diversité et l’hétérogénéité des inter- venants et, d’autre part, de révéler les mécanismes qui conduisent à rendre le mar- ché si incertain. Puis nous proposerons, dans une deuxième partie, un cadre concep- tuel susceptible de rendre compte de l’orga- nisation des relations entre producteurs et distributeurs. Enfin, dans une troisième par- tie, nous présenterons, à partir des résultats d’une recherche empirique conduite auprès de trois théâtres en région et 11 compagnies indépendantes, les stratégies mises en œuvre par les institutions du canal pour appréhender et intégrer l’incertitude du marché.

I. LE CANAL DE DISTRIBUTION DU SPECTACLE VIVANT : DES INSTITUTIONS CONFRONTÉES

À UNE FORTE INCERTITUDE En première analyse, le canal de distribu- tion du spectacle vivant ne présente guère de spécificités puisque les fonctions de chacun des membres le composant sont conformes à ce qui est observé dans les canaux de distribution des produits de grande consommation et industriels : le

producteur de spectacle vivant est bien l’agent qui, en amont du canal, prend le risque financier sur la création et la fabri- cation du spectacle, assumant les coûts artistiques, techniques et de commerciali- sation auprès du distributeur (Assassi, 2005). Ce dernier, dénommé diffuseur1, peut être assimilé au détaillant puisqu’il gère un lieu de vente et de représentation (la salle de spectacle) destiné à accueillir le public, à qui il propose une programmation annuelle. Le canal de distribution du spec- tacle vivant est court, le diffuseur étant, en général, en contact direct avec le produc- teur. En outre, la personne qui est en charge des achats et de la sélection des spectacles est, le plus souvent, le directeur (ou direc- teur délégué) de l’établissement, ce qui montre l’importance stratégique de la pro- grammation dans ce secteur.

L’environnement institutionnel joue, ici plus qu’ailleurs, un rôle déterminant dans la configuration du canal. Ce dernier est en effet caractérisé par une ligne de fracture très nette entre les « institutions » et les

« indépendants », et par un mode finance- ment public qui constitue une première forte source d’incertitude pour toutes les organisations du secteur. En outre, le spec- tacle vivant est, comme l’ensemble des acti- vités culturelles, caractérisé par sa nature innovante et sa dimension expérientielle.

Ces deux caractéristiques expliquent en grande partie l’incertitude du marché aval, à laquelle sont confrontés aussi bien les producteurs que les distributeurs. Ces trois points sont évoqués successivement.

1. Le terme « diffuseur » est préféré, dans le secteur des arts du spectacle vivant, à celui de distributeur car il per- met précisément d’indiquer que les consommateurs, achetant un droit d’accès à l’œuvre, vont disposer momenta- nément de l’œuvre artistique sur le lieu de spectacle sans qu’il y ait transfert de propriété (Evrard, 1993).

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1. Des institutions très diverses au sein du canal de distribution

Le profil des organisations composant ce canal est en effet très contrasté. Existent ainsi, à côté de grands pôles institutionnels de production (opéras, théâtres et orchestres nationaux, centres chorégraphiques nationaux, etc.) ou de diffusion (scènes nationales ou conventionnées, théâtres municipaux, etc.), financés à hauteur de 70 % ou plus par les collectivités publiques (État, région, département, ville), de plus petites structures qualifiées, parfois abusi- vement, « d’indépendantes » :

– Coté production, ce sont en effet pas moins de 3 300 compagnies professionnelles de théâtre, de cirque, de danse, etc., sous statut d’association 1901, qui créent et tentent de commercialiser leurs productions auprès des diffuseurs (Latarjet et al., 2004). A rayonne- ment local ou national, plus rarement inter- national, leur pérennité dépend étroitement des financements publics (de 30 à 70 % selon les cas), mais également des cofinancements (ou coproductions) de leurs spectacles par les grands pôles institutionnels de création ou de diffusion décrits précédemment.

Seuls les producteurs-tourneurs de musique actuelle, et plus marginalement du théâtre privé parisien, sont majoritairement organi- sés en sociétés commerciales et exercent leur métier sans nécessairement faire appel à la subvention publique.

– La diffusion « indépendante », quant à elle, présente un profil similaire, puisqu’à côté de structures commerciales privées du type Zénith, qui financent leur activité par

les recettes de billetterie et les ventes de services associés (restauration, boissons, etc.), coexistent une kyrielle de petites salles (cafés concerts, cafés théâtres, etc.), dont le fonctionnement est souvent fragile et dépend aussi bien de la billetterie que de la subvention publique.

2. Première source d’incertitude : la captation des subventions

Le mode de financement public des institu- tions composant le canal de distribution du spectacle vivant modifie les conditions de la concurrence et aggrave souvent les rapports de force en son sein, aussi bien au niveau horizontal, entre organisations exerçant la même fonction, que vertical, entre produc- teurs et distributeurs. Les membres du canal de distribution se retrouvent ainsi, à des degrés divers, fortement dépendants de leurs bailleurs de fonds. L’accès à ces res- sources financières publiques constitue un enjeu majeur et une source d’incertitude réelle, même si cette dernière est de nature différente selon les institutions en question.

En effet, les pôles institutionnels, qu’ils soient de production ou de diffusion, sont assurés de bénéficier de manière structu- relle de subventions de fonctionnement. Ils se doivent néanmoins de répondre aux exi- gences de leurs financeurs (formation des publics, actions en faveur des publics défa- vorisés, création ou diffusion en zones rurales, etc.), tout en conservant leur auto- nomie artistique. Du reste, la subvention accordée par les collectivités publiques se formalise par le biais d’un document écrit qui, quelle que soit sa forme2, constitue une

2. Il peut en effet s’agir soit de conventions très formalisées entre l’établissement culturel et les financeurs, qui explicitent très clairement le « cahier des charges » auquel l’entreprise culturelle doit se conformer, soit de docu- ments plus simples, qui correspondent la plupart du temps aux formulaires de demandes de subventions et dans les- quels sont inscrites les actions à mener.

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sorte de « contrat d’objectifs » auquel ces établissements sont liés, même si ces objec- tifs sont plutôt de moyens que de résultats.

En outre, le montant total de la dotation annuelle peut parfois être revu à la baisse, par exemple du fait d’un changement de majorité politique à la tête d’une collecti- vité territoriale et d’une réorientation des priorités en matière de politique culturelle, ou bien encore d’un conflit avec les finan- ceurs publics3.

L’incertitude liée à l’environnement institu- tionnel, bien que relative, est donc avérée.

Elle est en revanche très élevée dans le cas des compagnies de création, dont le finan- cement est rediscuté chaque année devant les collectivités publiques, et qui doivent justifier de la pertinence artistique et de la viabilité économique de leur projet. L’une des clés de l’évaluation du dossier par les bailleurs de fonds reposant sur l’existence d’une coproduction du spectacle par un diffuseur, l’incertitude est souvent double pour les compagnies de création puis- qu’elles ne sont jamais certaines de pouvoir obtenir ces deux types de financement concomitamment.

3. Deuxième source d’incertitude : la demande finale

La demande finale est source d’incertitude à deux niveaux : d’une part, compte tenu de la nature innovante du spectacle vivant ; d’autre part, compte tenu de la dimension fortement expérientielle du spectacle vivant. Abordons rapidement ces deux aspects.

a) L’incertitude due à la nature innovante du spectacle vivant

Prototype par nature, le spectacle vivant constitue une innovation en raison de sa nouveauté intrinsèque, la vocation d’un créateur étant de produire quelque chose de nouveau et d’original (Chiapello, 1999).

Certes, dans ce secteur comme dans tous les autres, la définition et le degré de nouveauté posent question. La nouveauté dans les arts vivants se décline en effet le long d’un continuum, depuis le spectacle en totale rupture avec ce qui se faisait précédem- ment, jusqu’à la nouvelle mise en scène/en musique d’une œuvre du répertoire par des créateurs et interprètes connus et reconnus du public (Bourdieu, 2002). Mais il reste que le processus de création est pour le moins incertain, tant sur le plan de son aboutissement (puisque le résultat est à advenir), que sur celui de la qualité du pro- duit qui en résultera finalement.

Le diffuseur prend alors des décisions d’achat dans un contexte très risqué : il s’engage souvent à sélectionner et acheter un spectacle, parfois un ou deux ans à l’avance, alors même que ce dernier en est encore à un stade d’ébauche, de pré-projet (Audubert et Daniel, 2001). Le risque est d’autant plus important que la faible fré- quentation d’un spectacle représente une mévente définitive, non rattrapable les jours suivants, comme c’est le cas pour l’en- semble des activités de services. Il s’ensuit que la perte sèche occasionnée par l’insuc- cès d’un ou plusieurs spectacles program- més dans l’année peut être lourd de consé-

3. L’exemple du conflit d’avril 2007, qui a opposé les collectivités locales et le directeur du CDN de Caen, finale- ment non renouvelé dans ses fonctions et privé de subventions publiques, rappelle combien les activités et les orga- nisations artistiques sont fragilisées par leur dépendance à l’égard des fonds publics.

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quences dans l’équation économique de l’établissement.

b) L’incertitude due à la dimension expérientielle du spectacle vivant

À l'instar des autres produits culturels, le spectacle vivant est de nature expérientielle.

Le consommateur recherche d’abord le vécu d’une expérience esthétique, chargée émo- tionnellement (Hirschmann et Holbrook, 1982), qui peut représenter, entre autres, une source de plaisir, d’échange, de découverte (Bourgeon et Filser, 1995). Cette expérience de consommation rend l’évaluation a priori du spectacle particulièrement difficile pour le consommateur, a fortiori s’il s’agit de créations, c’est-à-dire de spectacles nouvel- lement mis en scène et interprétés.

Les spectacles ne sont évidemment pas

« testables » avant de vivre l’expérience proprement dite. Ils peuvent même, parfois, demeurer difficilement évaluables après avoir été vus, en particulier s’ils sont nova- teurs et font appel à des codes difficilement appréciables par le public4(Dupuis, 2002).

L’incertitude générée par ce type de produit est donc immense pour le consommateur, qui se trouve souvent dans l’incapacité d’émettre un jugement a priori, voire a pos- teriori. Au final, la sanction du marché peut ainsi s’avérer, pour l’ensemble des institu- tions du canal, particulièrement forte dans un secteur où la nouveauté est la règle et le succès très aléatoire (Rouet, 1989).

II. UN CADRE CONCEPTUEL POUR RENDRE COMPTE DES RELATIONS

ENTRE COMPAGNIES ET DIFFUSEURS

Parmi les nombreuses contributions théo- riques sur les échanges interorganisation- nels au sein du canal, celle de Heide (1994), qui s’inscrit dans ce qu’il est convenu d’ap- peler les théories du « gouvernement du canal » (Filser, 2000), s’est avérée particu- lièrement pertinente dans le contexte des arts de la scène. L’un des intérêts majeurs de ce courant théorique est en effet d’avoir mobilisé simultanément plusieurs corpus, parfois opposés, pour améliorer la compré- hension de l’organisation du canal de distri- bution. Heide (1994) s’est ainsi appuyé sur les apports de la théorie des coûts de tran- saction, sur ceux du courant comportemen- tal, de l’échange relationnel, ou même de la dépendance des ressources, pour proposer sa typologie des modes de gouvernement des relations au sein des canaux.

De la théorie de coûts de transaction (Williamson, 1975), pour laquelle les pro- cessus de coordination des canaux sont uni- quement fondés sur la minimisation des coûts, Heide (1994) extrait tout particuliè- rement le concept « d’incertitude comporte- mentale » ; ce dernier résulte de l’opportu- nisme éventuel des coéchangistes qui peuvent, avant ou après avoir signé un contrat, exploiter la situation à leur avan- tage, notamment si des actifs spécifiques

4. L’édition du Festival d’Avignon 2005, sous la direction artistique de Jan Fabre, constitue un exemple embléma- tique de ces difficultés d’appréciation du spectacle vivant par le public : les critiques et journalistes (du Figaroet du Mondenotamment) ont été nombreux à relater le désarroi du public qui, désarçonné, ne savait que penser des spec- tacles qui lui étaient proposés dans le « in ».

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sont en jeu5. Des théories sociologiques du canal ou de l’échange relationnel, il retient notamment le concept de confiance comme mode de coordination alternatif au pouvoir (Bradach et Eccles, 1989 ; Morgan et Hunt, 1994). Enfin, suivant la théorie de la dépen- dance des ressources (Pfeffer et Salancik, 1978), Heide (1994) considère que l’incer- titude peut également être environnemen- tale et liée à la dépendance des entreprises vis-à-vis des ressources externes ; il faut ainsi rappeler que, dans le cas des arts du spectacle, la dépendance des membres du canal vis-à-vis des bailleurs de fonds est patente.

Défini par Williamson (1975) comme une manière d’organiser les relations entre deux coéchangistes, le gouvernement du canal est alors un cadre institutionnel qui servira de support à des contrats6, quels qu’ils soient. Deux situations et trois formes idéals typiques le caractérisent selon Heide (1994) :

– Le gouvernement par le marché. Il s’agit dans ce cas de contrats ponctuels dans le cadre d’échanges discrets (au sens de McNeil [1980]), dans lesquels l’incertitude comportementale est faible et les actifs spé- cifiques inexistants. Auquel cas, le gouver- nement par le marché, qui sert de support à des échanges entre institutions indépen- dantes s’entendant sur un prix, est la forme la plus adaptée de coordination des rela- tions au sein du canal.

– Le gouvernement hors marché. Dès lors que l’incertitude, qu’elle soit comporte- mentale ou environnementale, est forte, les entreprises vont avoir recours à des struc- tures de gouvernement en dehors du mar- ché, qui permettent la mise en place de mécanismes de contrôle (hiérarchie) ou incitatifs (bilatéral) : elles peuvent alors coordonner leurs relations soit en exerçant le leadership sur un plan hiérarchique (gou- vernement unilatéral), soit en établissant de manière plus ou moins formalisée des rela- tions interpersonnelles, fondées sur la coopération, la confiance et les normes rela- tionnelles (gouvernement bilatéral). La confiance entre partenaires nécessite en effet un fort degré de partage des normes relationnelles. Ces dernières constituent ainsi une sorte de code de conduite impli- cite qui garantit contre des comportements opportunistes (Heide et John, 1992 ; Jap, 1999).

Heide (1994) se propose alors d’analyser ces trois configurations types à partir d’items présentés dans l’encadré ci-après.

Bien que conçu à l’origine pour analyser les relations entre entreprises industrielles ou commerciales, cette grille se révèle tout à fait pertinente pour étudier les relations entre les compagnies artistiques et les théâtres, à la condition, bien entendu, de l’adapter aux réalités empiriques du secteur des arts du spectacle.

5. Rappelons que les actifs spécifiques sont des investissements durables, qui sont réalisés à l’appui de transactions particulières, spécifiques et non redéployables en l’état. La dépendance de l’agent qui a investi dans des actifs spé- cifiques risque alors d’augmenter (« effet cliquet »), alors que, dans le même temps, le partenaire qui en bénéficie peut se montrer opportuniste. Dans les arts du spectacle, la mise en place de dispositifs scéniques spécifiques demandés par le diffuseur, une programmation avec des contraintes absolues de dates et de planning, ou bien encore des investissements de coproduction faits par le diffuseur, sont autant d’exemples d’actifs spécifiques.

6. Il faut souligner ici que le secteur des arts du spectacle ne fait pas exception. Il existe bien, pour chaque spec- tacle monté, un contrat, quelle que soit sa forme (vente, coproduction, etc.), signé entre les compagnies et les théâtres.

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GRILLE D’ANALYSE DES DIFFÉRENTS MODES DE GOUVERNEMENT DES RELATIONS AU SEIN DU CANAL

Heide (1994) se propose d’analyser les trois configurations types de gouvernement des rela- tions (gouvernement par le marché, gouvernements unilatéral et bilatéral) sur la base des principaux mécanismes de gouvernement d’une relation, depuis sa naissance, jusqu’à son extinction, en passant par son déroulement. Ainsi, pour chacune des trois formes de gou- vernement des relations, les mécanismes de gouvernement vont se décliner selon des moda- lités différentes :

1)Initiation de la relation. Elle comprend l’évaluation de chacun des partenaires potentiels, les premières négociations ainsi que les mobiles de conclusion du contrat (Dwyer et al., 1987).

2)Déroulement et maintien de la relation. Elle se définit notamment à travers la « spécifi- cation » des rôles de chacun des partenaires, les mécanismes d’incitation, les procédures de contrôle et les mécanismes d’ajustement :

– la spécification des rôles peut se définir comme la manière dont les décisions et les fonc- tions sont réparties entre les coéchangistes,

– les mécanismes d’incitation visent à encourager le respect des engagements grâce à dif- férentes formes de récompense pour chacune des parties,

– les procédures de contrôle s’intéressent essentiellement à la mesure de la performance, – enfin, les mécanismes d’ajustement permettent à la relation d’évoluer en fonction des modifications de l’environnement ; ils s’intéressent en particulier aux modes de négociation, aux différents types de communication, que cette dernière soit formelle ou informelle (Mohr et Nevin, 1990), et à la manière dont les conflits peuvent être réglés.

3)Extinction du contrat. Des relations futures sont-elles ou non envisagées ?

III. QUELLES STRATÉGIES POUR APPRÉHENDER ET INTÉGRER

L’INCERTITUDE ?

Une recherche réalisée au sein d’un centre dramatique national (CDN) d’une scène nationale (SN) et d’un grand théâtre muni- cipal (TM), dont les principaux aspects méthodologiques sont présentés dans l’en- cadré « Aspects méthodologiques de la recherche », a permis, d’une part, d’établir la composition type d’un diffuseur et de

s’intéresser à la manière dont les diffu- seurs font face à l’incertitude du marché, d’autre part, de recenser les différents modes de gouvernement des relations entre producteurs et distributeurs à travers l’analyse du processus de sélection et de référencement des spectacles. L’analyse a mis en lumière la diversité des modes de relations entre producteurs et distributeurs pour gérer l’incertitude au sein du canal.

Ces deux aspects sont présentés et discutés successivement.

Source : Heide (1994).

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ASPECTS MÉTHODOLOGIQUES DE LA RECHERCHE

Protocole de recherche et grille d’analyse utilisée

Le dispositif mis en œuvre pour appréhender les relations verticales au sein du canal de dis- tribution du spectacle vivant a consisté à analyser le mode de construction de la program- mation d’un diffuseur, tant en termes de structure que de processus (sélection des compa- gnies et/ou des spectacles et, plus largement, gestion de la relation). Pour rendre compte de la structure d’une programmation, trois variables-clés ont été utilisées. Elles sont issues des contributions relatives à la politique d’achat et d’assortiment du détaillant (Assassi, 2003 ; 2007) :

1)L’origine du projet à évaluer,qui peut émaner soit de la compagnie artistique, soit du dif- fuseur lui même.

2) Le contexte relationnel qui peut s’analyser à partir de l’existence (ou non) de relations antérieures, et du climat qui s’est alors instauré dans cette relation.

3)Le degré de nouveauté du spectacle, qui peut se mesurer à partir de deux indicateurs : les

« créations », spectacles inédits, et les « diffusions », spectacles déjà présentés dans un autre théâtre ou lors d’un festival.

Méthode de recherche

Trois études de cas ont été conduites, au sein d’une même région française7 auprès d’un CDN, d’une SN et d’un TM. Ces sites ont été choisis dans la mesure où ils répondaient bien à l’objectif de variété, puisque chacun d’entre eux caractérise une situation type de la distri- bution du spectacle vivant en France. Les 43 CDN (budget en général supérieur à cinq mil- lions d’euros) ont en effet une mission relative au soutien de la création contemporaine par le biais des coproductions. Les 63 SN ont principalement une mission de diffusion de la création contemporaine et de développement des publics grâce à une programmation pluri- disciplinaire (théâtre, danse, musique, etc.). Enfin, les théâtres municipaux, majoritairement financés par les villes, ont pour vocation de diffuser des spectacles très divers, tant dans le genre que dans le style.

Collecte des données

Pour collecter les données, deux techniques complémentaires, l’entretien semi-directif et la documentation interne, ont été utilisées, et ont permis une réelle multi-angulation des sources, notamment grâce à la diversité des personnes interrogées. Les entretiens ont en effet été conduits, côté producteurs, auprès des administrateurs ou des chargés de diffusion (qui ont en charge la commercialisation des spectacles) de 11 compagnies. Côté diffuseurs, les entretiens ont été menés auprès des directeurs d’établissements, principaux décideurs en matière de programmation, ainsi qu’auprès d’autres responsables (administrateur de pro- duction, responsable communication, directeur technique), susceptibles d’influencer la pro- grammation et, plus largement, la gestion de la relation. Quatre guides d’entretien, établis selon la fonction de l’interlocuteur, ont été élaborés, balayant l’ensemble des thèmes relatifs au gouvernement de la relation (intérêts à collaborer, niveau d’engagement, valeurs défen-

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1. L’assortiment du diffuseur : faire face à l’incertitude du marché par des

« stratégies de compensation »

La composition type de la programmation d’un diffuseur, qui n’est pas sans rappeler celle d’un assortiment de produits de grande consommation, se structure autour de quatre composantes, comme l’indique le tableau 1 : – La composante « réactive » correspond à des spectacles à forte notoriété du fait de la célébrité des artistes qui figurent sur l’af- fiche (auteurs, compositeurs, interprètes).

Ces spectacles, majoritairement des créa- tions, sont conçus et proposés par les com- pagnies qui ont identifié les attentes du public et cherchent à répondre à une frac- tion significative d’entre elles. Le diffuseur qui « réagit » à cette offre a alors tout inté- rêt à l’adopter dans sa programmation, compte tenu du fort potentiel de ventes qu’elle représente. Une telle composante correspond, dans le secteur des produits de grande consommation, aux marques natio- nales proposées par les industriels à la grande distribution.

– La composante « relationnelle » com- prend également des spectacles initiés et conçus par les compagnies, mais ces der- niers ne bénéficient pas d’une notoriété préalable (artistes inconnus du grand public). Le référencement de ces spectacles, là aussi essentiellement nouveaux (11 créa- tions sur 14 spectacles), dépend en grande partie du climat de confiance qui a pu s’ins- taurer au fil du temps entre les deux parties.

Le contexte relationnel joue ici un rôle déterminant.

– La composante « proactive » désigne la prise d’initiative du diffuseur qui constitue une offre originale, lui permettant d’affirmer ses valeurs artistiques et ses intuitions esthé- tiques. Il cherche ainsi à se différencier de ses concurrents grâce à une anticipation des attentes de la clientèle fondée sur une démarche très proactive qui va l’amener à faire découvrir un nouveau talent au public.

Cette composante n’est pas sans évoquer, dans le secteur des produits de grande consommation, la présence des marques de distributeurs dans l’assortiment du détaillant.

dues et/ou partagées, répartition des rôles, mécanismes de régulation) et à la transaction pro- prement dite (épisodes de négociation). Au final, 20 récits ont été collectés, ainsi que 16 documents susceptibles de rendre compte de la relation fournisseurs-détaillants (contrats, lettre de prospection artistique, dossier de communication, etc.).

Analyse

Le processus d’analyse a combiné une approche centrée sur les récits et les contextes de cha- cun des théâtres et une approche centrée sur les comparaisons inter-sites à partir des diffé- rents thèmes retenus (Miles et Huberman, 1994). Les données ont été interprétées à partir d’une analyse de contenu thématique. Une phase descriptive a ainsi permis de décrire, grâce à des matrices de synthèse et d’ordonnancement, la composition de la programmation des trois théâtres étudiés. À la suite de ce premier travail d’analyse, la composition idéal typique de la programmation d’un diffuseur a pu être identifiée. Une phase explicative a ensuite cherché à relier cette programmation type aux différents mécanismes comportementaux.

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– La composante « stratégique » enfin, ren- voie à des spectacles qui, bien qu’initiés par le diffuseur, répondent davantage à une volonté de renforcer son positionnement et à satisfaire les attentes connues de son public, plutôt qu’à une affinité esthétique.

Le diffuseur effectue ici des choix « straté- giques », destinés soit à équilibrer son offre (par exemple, spectacles d’avant-garde vs.

grands classiques, ou théâtre vs.autres arts de la scène), soit à répondre à un cahier des charges qu’il aura pré-établi, concernant par exemple une semaine thématique ou un festival au sein de la saison. Ces spectacles sont pour l’essentiel des diffusions, c’est-à- dire des spectacles qui ont déjà été produits et vus sur d’autres scènes.

Ces constatations empiriques livrent un pre- mier enseignement majeur sur les stratégies de « compensation » suivies par l’ensemble des diffuseurs pour tenter de se prémunir au mieux face aux risques engendrés par l’in- certitude du marché. La mise en œuvre

d’une programmation équilibrée, où le dif- fuseur cherche à compenser le risque pris sur des nouveautés par des spectacles déjà

« éprouvés » sur le marché, s’apparente aux

« stratégies de compensation » utilisées dans le secteur de l’édition et du cinéma, où les succès permettent de pallier en partie les éventuels échecs. Ces résultats confirment, en outre, l’importance des « œuvres sûres » pour l’équilibre économique des théâtres (Benett et Kottasz, 2001).

Le distributeur tente ainsi de diminuer le risque perçu par le consommateur face à la nouveauté en lui proposant finalement un spectacle déjà produit, qui a rencontré du succès ailleurs, et dont les critiques et la presse se sont faits les échos positifs (Colbert, 2000). Alors que la plupart des diffuseurs se réclament volontiers de la création contemporaine la plus novatrice, il faut souligner que, comme l’attestent les chiffres indiqués dans le tableau 2, l’en- semble des théâtres étudiés équilibrent au

Tableau 1– Caractéristiques des différentes composantes de la programmation d’un diffuseur

Composante Caractéristiques

Caractéristiques des spectacles entrant dans l’assortiment

Répartition des 43 spectacles étudiés

Degré de nouveauté du produit

Réactive

Notoriété des équipes artistiques

10

7 créations 3 diffusions

Stratégique

Cohérence de la programmation et réponse à un

« cahier des charges »

13

3 créations 3 diffusions Proactive

Choix esthétiques affirmés

6

3 créations 3 diffusions Relationnelle

Antériorité de la relation entre les deux

coéchangistes

14

11 créations 3 diffusions

Initiative producteur(compagnie) Initiative diffuseur

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final leur programmation, même si la part relative de chacune des composantes varie considérablement selon les diffuseurs.

Ces différences s’expliquent en partie par la diversité des modalités de financement public, tant en termes de montant, de condi- tions d’obtention que de missions. Elles montrent, en outre, l’impact qu’ont ces der- nières sur la stratégie de programmation.

Ainsi, la faible proportion de spectacles

« réactifs » dans la programmation de la SN est essentiellement due à la faiblesse rela- tive de son budget (1,9 million d’euros) par rapport aux deux autres établissements (res- pectivement sept millions d’euros pour le CDN et trois millions d’euros pour le TM), qui peuvent, eux, se permettre d’acheter des spectacles nouveaux avec des têtes d’af- fiche. Pour pouvoir présenter néanmoins des créations, ce diffuseur s’appuie sur son réseau relationnel. La mission générique assignée au CDN, à savoir le soutien de la création contemporaine, la défense du répertoire classique et le rayonnement des grands noms de la scène, ainsi qu’un budget conséquent, explique le profil « équilibré »

de la composition de ce théâtre qui joue ainsi sur tous les leviers.

Enfin, la très forte part des composantes réactives et stratégiques du TM (83 %) doit être rapprochée des conditions d’obtention des subventions : ces dernières sont accor- dées par la municipalité pour couvrir uni- quement les charges fixes (salaires des per- manents et fonctionnement de la salle), le théâtre ayant, en revanche, l’obligation de couvrir l’achat de ses spectacles par la billetterie. Cette condition de financement, que l’on retrouve notamment dans le cas du théâtre privé parisien, conduit effective- ment le directeur de cet établissement à

« optimiser » l’accès à ses subventions. Sur 17 spectacles, 11 s’appuient sur des têtes d’affiche susceptibles d’assurer un taux de remplissage optimal de la salle. Ces spec- tacles entrent alors soit dans la composante réactive, soit dans la composante straté- gique. Les deux autres établissements, non contraints sur le financement de leurs achats, proposent davantage de spectacles risqués, sans notoriété préalable des artistes.

Tableau 2– Répartition des différentes composantes de la programmation d’un diffuseur

Composante Caractéristiques

Répartition des composantes (en %) par théâtre*

Réactive

CDN = 21 % SN =17 % TM = 31 %

Stratégique

CDN = 21 % SN = 8 % TM = 52 % Proactive

CDN = 29 % SN =17 %

TM = 0 % Relationnelle

CDN = 29 % SN = 58 % TM = 18 %

* Compte tenu du petit nombre de spectacles étudiés pour chacun des théâtres, les pourcentages indiqués ici permettent seulement de révéler le profil des théâtres. Ils ne peuvent en aucun cas être généralisés à l’ensemble de la population étudiée, c’est-à-dire l’ensemble des CDN, SN et TM.

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2. La coordination des relations au sein du canal et la gestion de l’incertitude Le tableau 3 présente, pour chaque compo- sante de programmation (colonne 1), les différents mécanismes de gouvernement qui les caractérisent (colonne 2), et indique la forme de gouvernement des relations qui y correspond (colonne 3).

Ces résultats empiriques permettent, d’une part, d’identifier les différents modes de gouvernement des relations entre produc- teurs et distributeurs dans le canal de dis- tribution du spectacle vivant, d’autre part, de mener une réflexion sur la diversité des processus utilisés par les différentes insti- tutions du canal pour intégrer et gérer l’in- certitude comportementale ou environne- mentale.

a) Les différentes formes de gouvernement des relations entre producteurs et distributeurs

Toutes les formes de gouvernement des relations entre producteurs et distributeurs existent dans les arts du spectacle. Le gou- vernement par le marché désigne ici des transactions tout à fait ponctuelles entre compagnies et diffuseurs, dans lesquelles le prix et le potentiel économique du spectacle constituent les éléments déterminants de la négociation entre les deux parties, puis dans la prise de décision finale du distributeur.

Dans cette configuration, chacune des par- ties « joue sa partition » : les compagnies conçoivent des spectacles et les distribu- teurs les sélectionnent afin de les mettre à la disposition du public. Les « procédures de contrôle » sont alors exclusivement liées au fort potentiel de ventes et à sa mesure directe par le pourcentage de places ven- dues. Au sens strict, les mécanismes d’ajus- tement ne figurent pas dans le gouverne-

ment par le marché, étant donné la nature très ponctuelle des interactions (Heide, 1994).

Mais dans les arts du spectacle, les transac- tions s’étalent suffisamment dans le temps pour nécessiter des modifications mineures par rapport aux engagements pris initiale- ment. Auquel cas, les protagonistes ont recours à la Loi à travers les dispositions préexistantes dans le contrat de vente établi entre les deux parties. La communication entre les deux cocontractants est ici for- melle et se limite aux informations néces- saires à la bonne réalisation de la prestation sur le plan artistique, technique et financier.

Enfin, la transaction se termine après la levée du décor et le paiement final de la prestation à la compagnie. L’avenir n’est pas envisagé dans cette configuration de relations.

Les formes de gouvernement hors marché (gouvernement unilatéral et bilatéral) sont caractérisées par le fait, pour les co- contractants, d’envisager la possibilité d’une relation à plus long terme, mais éga- lement par l’éventualité d’un engagement plus important du diffuseur dans la produc- tion des spectacles (contrat de coproduction en particulier). Même s’il comporte des mécanismes communs avec le gouverne- ment par le marché (sur la répartition des rôles et les modalités de communication), le gouvernement unilatéral en diffère cepen- dant par l’importance qui est donnée, dans cette configuration, au comportement des cocontractants, tant au niveau de l’initiation de la relation qu’à celui des mécanismes d’incitation. Ainsi, la volonté de préserver des possibilités de collaboration future est forte et constitue un réel mécanisme d’incitation, en particulier pour le distribu- teur.

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Tableau 2– Composantes de la programmation et modes de gouvernement de la relation Composantes de la programmation Composante réactive Composante relationnelle Composante proactive Composante stratégique Initiation de la relation et mobiles de conclusion du contrat Ventes potentielles Fidélité réciproque, Valeurs congruentes (fort partage esthétique) Complicité artistique Valeurs congruentes (fort partage esthétique) Spectacles «militants» Compétences de l’artiste/potentiel artistique et financier du diffuseur

Procédures de contrôle et de régulation Performance mesurée quantitativement: pourcentage de places vendues Performance mesurée quantitativement (taux de remplissage) et qualitativement (qualité de la collaboration et du spectacle) Forte implication du diffuseur dans la création des spectacles. Performance mesurée quantitativement et qualitativement Forte implication du diffuseur dans la création des spectacles Performance mesurée quantitativement et qualitativement (qualité de la collaboration et du spectacle) Éléments de négociation et qualité de la communication Communication formelle: conditions tarifaires et techniques Communication informelle: nombreux échanges sur le montage des créations en cours Transparence budgétaire (le budget du producteur est connu du diffuseur) Communication informelle: nombreux échanges sur le montage des créations en cours Communication formelle: conditions tarifaires et techniques Formes de gouvernement de la relation Gouvernement par le marché Pilotage de la relation par le producteur Gouvernement bilatéral Pilotage de la relation conjoint, mais le diffuseur garde le leadership Gouvernement bilatéral Pilotage de la relation conjoint Gouvernement unilatéral Pilotage de la relation par le distributeur

Mécanismes d’incitation Faible niveau d’engagement Le spectacle doit correspondre à ce qui était convenu Fort engagement du distributeur Le futur de la relation importe fortement Le futur de la relation est important et envisagé Niveau d’engagement assez fort du diffuseur: implication dans la recherche de tournées et la mise au point de certains spectacles

Rôles des cocontractants Rôles distincts Rôles parfois mixtes Rôles parfois mixtes Rôles distincts (sauf pour organisation de festivals)

123 Mécanismes de gouvernement de la relation

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Dans le gouvernement bilatéral, enfin, l’ini- tiation de la relation est fondée avant tout sur un réel partage des valeurs sur le plan artistique. De plus, les rôles peuvent se che- vaucher : les distributeurs peuvent prendre l’initiative dans la construction de l’offre et solliciter différents producteurs capables de répondre à leurs attentes. Comme dans le gouvernement unilatéral, les mécanismes d’incitation sont fortement liés au désir d’inscrire la relation dans le long terme. En outre, l’engagement dans la relation est fort avec la coproduction de spectacles. Au-delà des aspects quantitatifs (pourcentage de places vendues), les aspects qualitatifs, sou- vent mesurés de manière informelle, en par- ticulier la qualité artistique du spectacle ou le degré de satisfaction des spectateurs, sont des indicateurs importants pour mesurer les résultats. En ce qui concerne les méca- nismes d’ajustement, la priorité est donnée à une solution négociée en interne. La com- munication est à la fois formelle et infor- melle et amène les deux membres du canal à partager fréquemment des informations importantes de manière transparente (sur le budget de la production notamment). Enfin, même après la levée des décors, la relation entre les deux partenaires n’est pas termi- née : elle sera entretenue par des contacts réguliers et pourra permettre de se retrou- ver, quelques années plus tard, autour d’un nouveau projet.

b) Du leadership au pilotage conjoint : des modes variés de coordination des relations pour gérer l’incertitude La surproduction chronique de spectacles en France amène souvent les observateurs et les professionnels du secteur des arts de la scène à conclure que le leadership du canal est toujours assuré par le diffuseur. Il

s’agit là d’une conclusion quelque peu hâtive car elle ne prend pas en compte la grande diversité des formes d’organisation des relations entre producteurs et distribu- teurs, et ignore la multiplicité des processus mis en œuvre par les membres du canal pour gérer l’incertitude comportementale et environnementale à laquelle ils font face.

Ainsi, coexistent au sein du canal des formes de relations dans lesquelles, effecti- vement, l’un des membres domine l’autre, et pour lesquelles les critères économiques sont déterminants, et des formes de rela- tions interpersonnelles fondées sur la confiance et le partage de valeurs autour d’un projet commun.

L’identification de relations de pouvoir dans le canal de distribution du spectacle vivant a permis de faire émerger les sources de pouvoir (ou de contre-pouvoir) utilisées par les professionnels du secteur. Dans la com- posante réactive, c’est le contrôle de la

« quasi-marque » par la compagnie ; dans la composante stratégique, c’est celui de

« l’assortiment » par le diffuseur :

– Les spectacles « réactifs » jouent le rôle de « quasi-marques », c’est-à-dire de spec- tacles vedettes, voire « pré-vendus » (grâce à l’effet de notoriété du ou des artistes), qui confèrent à la compagnie un fort pouvoir sur le diffuseur et constituent, en réalité, une source de contre-pouvoir contre la domination des distributeurs. Ce dernier a en effet intérêt à adopter cette offre dans sa programmation, sous peine d’une forte sanction économique (faible remplissage annuel de la salle). Le succès économique de la programmation d’un théâtre, néces- saire pour tous les types d’établissement (même si, comme nous l’avons vu, certains sont plus contraints que d’autres), est ainsi fondé en partie sur sa composante réactive.

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Dans cette configuration, il laisse alors le soin aux compagnies de piloter l’échange et de lui proposer l’offre la plus susceptible de répondre à ses objectifs économiques. L’es- sentiel de la relation est fondé sur l’achat d’un spectacle clés en main et la négocia- tion de conditions tarifaires. Le risque pris par le diffuseur quant à l’incertitude sur la demande finale (il y a une majorité de créa- tions dans cette composante) est ici large- ment compensé par la célébrité des artistes.

– Dans la composante stratégique, le diffu- seur, ayant la maîtrise absolue du choix des spectacles, se trouve en situation de déci- deur et d’arbitre. Cette composante, bien que ne jouant pas obligatoirement sur la notoriété des artistes (six cas seulement sur 13) va pourtant permettre de drainer du public dans la mesure où, précisément, le diffuseur a identifié préalablement les attentes de ce dernier et y répond. C’est la raison pour laquelle les spectacles apparte- nant à cette composante sont, dans leur grande majorité, des diffusions et non des créations (10 cas sur les 13) : le diffuseur a déjà vu le spectacle ailleurs afin de s’assu- rer qu’il correspondra bien aux attentes de son public et au « cahier des charges » qu’il s’est fixé. Ayant ainsi l’initiative de l’offre, le diffuseur conserve le leadership sur la relation et assume réellement son rôle de leader en aidant, par exemple, une compa- gnie étrangère à organiser une tournée sur le territoire français afin d’amortir les frais de déplacement.

La composante relationnelle, à l’inverse, conduit à une relation beaucoup plus équili- brée entre les deux partenaires, bien que le diffuseur, du fait de la position d’arbitre qu’il occupe face aux nombreuses proposi- tions des compagnies, conserve le leader- ship de la relation. Mais dans la mesure où

il s’agit, pour l’essentiel, de spectacles nou- veaux (11 créations sur les 14 spectacles entrant dans cette composante), produits par des artistes en général inconnus du grand public, l’existence d’un climat de confiance entre les deux coéchangistes est nécessaire pour tenter de réduire les risques liés à la diffusion de tels produits. La confiance du producteur envers le diffuseur s’exprime ici par le fait que le premier sait pouvoir compter sur le second pour le sou- tenir dans son projet de création, soit à tra- vers la coproduction, très utilisée dans cette composante8, soit à travers le préachat, c’est-à-dire l’achat d’un spectacle en créa- tion (contrat de cession sur création).

Côté diffuseur, la confiance est liée au fait qu’il ne doute ni de la qualité du spectacle qui sera finalement présenté au public, ni des conditions de coopération au moment de la production proprement dite (collabo- ration des équipes techniques, échanges sur le projet artistique, etc.). L’engagement du diffuseur constitue effectivement une preuve du climat de confiance régnant entre les deux partenaires9, d’autant que le projet est rarement finalisé à ce stade de l’accord de coopération. Le leadership du diffuseur, qui va décider au final de la programmation du spectacle, est accepté car ce dernier contribue de manière décisive à donner sa chance au spectacle de rencontrer un public.

Enfin, la composante proactive conduit à un pilotage réellement conjoint car il s’agit de spectacles plutôt risqués, compte tenu de la faible notoriété des artistes et/ou de la nou- veauté du spectacle. Cette composante est la seule susceptible de révéler réellement les choix artistiques du diffuseur. Celui-ci entend ainsi faire partager ses goûts au public sans se préoccuper d’une quelconque

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performance économique. Le diffuseur, dans ce type de relations, joue effective- ment le rôle de « passeur », comme certains d’entre eux aiment à se définir. La confiance entre les deux coéchangistes y est élevée, essentiellement du fait d’un fort partage sur le plan esthétique et/ou de valeurs « militantes ». Chacun des membres du canal essaie alors de mettre ses compé- tences au service de son partenaire afin de donner le maximum de chances de succès au spectacle concerné.

CONCLUSION

Cet article avait pour but d’apporter un nouvel éclairage sur les processus par les- quels les institutions composant le canal de distribution coordonnent et régulent leur relation afin d’appréhender et d’intégrer l’incertitude du marché. Dans la mesure où le spectacle vivant est une activité à haut risque, fortement dépendante des finance- ments publics et marquée par une demande finale très incertaine, il a constitué un ter- rain empirique pertinent et fertile pour enrichir la réflexion sur les processus de régulation du canal. Il est ainsi apparu que différentes formes de gouvernement des relations coexistent au sein d’un même canal pour gérer l’incertitude du marché, depuis le leadership de l’un ou l’autre des coéchangistes, jusqu’au pilotage conjoint de la relation. L’incertitude est alors régu- lée de deux façons différentes. Le risque pris sur une création, pour laquelle l’esti- mation de la demande est très incertaine, est compensé :

– Soit par la notoriété des artistes qui jouent ici un rôle de « quasi-marque », susceptible de rassurer par avance le spectateur sur la qualité ou l’intérêt du spectacle. Ces têtes d’affiche constituent une source de pouvoir des producteurs vis-à-vis des distributeurs et assurent leur leadership dans la relation.

– Soit par la confiance mutuelle qui s’est établie, au fur et à mesure des collabora- tions passées, entre les deux partenaires.

Les diffuseurs, assurant le pilotage de la relation, sont en effet plus à même de prendre des risques avec des producteurs dont ils connaissent déjà la qualité artis- tique et la capacité à mettre en œuvre un projet (financements, aspects techniques, etc.). De leur côté, les producteurs, lors- qu’ils ne peuvent compter sur la notoriété des artistes à l’affiche pour assurer le lea- dership de la relation, s’adressent en priorité à des diffuseurs avec lesquels un climat de confiance a pu être établi.

La recherche a également permis de souli- gner que le pouvoir ne saurait s’appuyer exclusivement sur la mise en œuvre de pro- cessus coercitifs et qu’au sein d’une même relation, confiance et pouvoir ne sont pas incompatibles. Ainsi, le diffuseur exerce-t-il un contrôle sur le canal de distribution lors- qu’il construit la composante stratégique de son assortiment, sans pour autant exclure la possibilité de structurer certaines de ses relations sur la base d’un climat de confiance. Au final, l’opposition pouvoir vs.

confiance semble devoir être nuancée au profit d’une influence simultanée et conco- mitante de ces deux processus de régulation du canal.

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Références

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