SANTÉ PUBLIQUE /PUBLIC HEALTH
Les infections à Listeria monocytogenes à Tunis : à propos de sept cas
Listeriosis in Tunis: seven cases reports
A. Elbeldi · H. Smaoui · S. Hamouda · S. Helel · F. Hmaied · I. Ben Mustapha · S. Barsaoui · S. Bousnina · Z. Marrakchi · M. R. Barbouche · A. Kechrid
Reçu le 5 avril 2010 ; accepté le 7 septembre 2010
© Société de pathologie exotique et Springer-Verlag France 2010
Résumé Les infections à Listeria monocytogenes étaient considérées comme exceptionnelles en Tunisie. Elles sont rares chez l’immunocompétent, touchant essentiellement les âges extrêmes et la femme enceinte. Nous rapportons sept cas de listériose diagnostiqués entre 2000 et 2008.
Il s’agit de cinq nouveau-nés et de deux nourrissons. Les nouveau-nés étaient hospitalisés pour suspicion d’infection maternofœtale. Les deux nourrissons ont été hospitalisés pour fièvre associée à des signes digestifs pour l’un et des signes neurologiques pour l’autre. L. monocytogenesa été isolé à partir de LCR dans quatre cas (les deux nourrissons et deux nouveau-nés), des prélèvements périphériques dans deux cas (deux nouveau-nés) et des hémocultures dans un cas (nouveau-né). L’étude de la sensibilité aux antibiotiques a montré que les souches étaient sensibles à l’amoxicilline et aux aminosides, mais résistantes aux céphalosporines de troisième génération (C3G). Des explorations immunitaires ont été réalisées pour les deux nourrissons et étaient norma- les. L’issue a été fatale dans un seul cas, les autres patients
avaient bien évolué sous antibiothérapie adaptée. Notre étude montre que la fréquence de la listériose en Tunisie est en progression. Il faut donc savoir l’évoquer afin de ne pas passer à côté d’une listériose qui risque d’être fatale.
Pour citer cette revue : Bull. Soc. Pathol. Exot. 104 (2011).
Mots clésListeria monocytogenes· Infection néonatale · Immunocompétent · Enfant · Tunisie · Maghreb · Afrique du Nord
AbstractListeria monocytogenesis a Gram positive faculta- tive intracellular bacterium that can be responsible for severe infections, affecting essentially pregnant women, immuno- compromised patients at the early and later stages of life. In Tunisia, invasiveL. monocytogenesinfections are thought to be exceptional and limited data are available about listerio- sis. We reported seven cases (five newborn children and two infants) of human listeriosis that occurred in Tunis from 2000 to 2008. The newborn children were hospitalized for suspicion of maternofœtal infections. The two infants were hospitalized for fever associated with digestive signs in one case and neurological signs in the other.L. monocytogenes- was isolated from culture of cerebrospinal fluid in four cases, peripheral samples in two cases and from blood culture in one case. Isolates identification was based on conventional methods. Antimicrobial susceptibility was realized accord- ing to the recommendation of the “Comité de l’antibio- gramme de la Société française de microbiologie”. All L. monocytogenes isolates were sensitive to amoxicillin and aminoside but resistant to 3rd generation cephalospo- rins. Investigations of the immune system were realized for the two infants including phenotypic analysis of peripheral blood cells by flow cytometry, lymphocyte proliferation assays, phagocytic cell functions and measurement of immu- noglobulins as well as complement. All these explorations were normal for both infants. The outcome was fatal in only one case (a newborn child), and all the other patients recovered after adapted antibiotic treatment. In conclusion, our study shows that listeriosis is not exceptional in Tunis.
A. Elbeldi · H. Smaoui (*) · S. Hamouda · A. Kechrid Laboratoire de microbiologie, hôpital d’enfants de Tunis, Tunisie e-mail : hanen.smaoui@rns.tn
A. Elbeldi · I. Ben Mustapha · M. R. Barbouche
Laboratoire de cyto-immunologie, institut Pasteur de Tunis, Tunisie
S. Barsaoui
Service de médecine infantile A, hôpital d’enfants, Tunis, Tunisie
S. Bousnina
Service de médecine infantile B, hôpital d’enfants, Tunis, Tunisie
Z. Marrakchi
Service de néonatologie, hôpital Charles-Nicolle, Tunis, Tunisie
S. Helel · F. Hmaied
Laboratoire de microbiologie et biologie moléculaire, CNSTN, technopôle Sidi-Thabet, Tunis, Tunisie
Bull. Soc. Pathol. Exot. (2011) 104:58-61 DOI 10.1007/s13149-010-0110-8
Cet article des Editions Lavoisier est disponible en acces libre et gratuit sur bspe.revuesonline.com
Thus, it is necessary to know how to evoke this diagnosis, at any age, in order to establish an early and adapted antibiotic treatment and to avoid fatal outcome.To cite this journal:
Bull. Soc. Pathol. Exot. 104 (2011).
KeywordsListeria monocytogenes· Neonatal infection · Immunocompetent · Child · Tunis · Maghreb · Northern Africa
Introduction
Listeria monocytogenesest une bactérie Gram positif, intra- cellulaire facultative, rarement pathogène chez le sujet immu- nocompétent. Elle se greffe sur des terrains particuliers : l’immunodéprimé, le sujet âgé, la femme enceinte et le nouveau-né [2]. Les manifestations cliniques des infections à L. monocytogenespeuvent aller d’un simple syndrome pseu- dogrippal ou une gastroentérite, aux tableaux graves de méningite, méningoencéphalite ou rhomboencéphalite [5].
En cas d’infection sévère et en dehors des terrains particu- liers, la réalisation d’un bilan immunitaire est souhaitable.
En Tunisie, seuls quelques cas sporadiques d’infections à L. monocytogenes ont été décrits et publiés [1,3]. Nous rapportons sept cas colligés à l’hôpital d’enfants de Tunis sur une période de neuf ans.
Matériel et méthodes
Il s’agit d’une étude rétrospective concernant sept cas de listériose diagnostiqués entre 2000 et 2008. Les souches ont été isolées de différents produits pathologiques au labo- ratoire de microbiologie de l’hôpital d’enfants de Tunis. Des prélèvements sanguins sur tubes héparinés et tubes secs ont été réalisés chez les nourrissons pour la pratique des bilans immunologiques.
L’identification des souches de L. monocytogenes a été orientée par le caractèreβ-hémolytique des colonies, la colo- ration de Gram (bacille Gram positif), la présence de catalase et l’hydrolyse rapide de l’esculine. L’identification a été confirmée au CCOMS Listeria, Institut Pasteur de Paris.
L’étude de la sensibilité aux antibiotiques a été réalisée par la méthode de l’antibiogramme selon les recommanda- tions du comité de l’antibiogramme de la Société française de microbiologie.
Le génogroupage des souches a été réalisé pour unique- ment quatre souches au CCOMS Listeria, Institut Pasteur de Paris.
Les deux nourrissons ont eu le bilan immunitaire suivant :
•
test de bactéricidie au nitrobleu de tétrazolium (NBT).L’absence de réduction du NBT (Sigma) en noir de formazan indique un déficit de l’activité phagocytaire ;
•
phénotypage des cellules mononuclées du sang périphé- rique (PBMCs) par cytométrie en flux en utilisant les anticorps monoclonaux suivants couplés à différents fluorochromes (Becton, Dickinson) : anti-CD3, anti-CD4, anti-CD8, antirécepteurs de l’IL12 et antirécepteur de l’INF-γ;•
tests de prolifération lymphocytaire : la prolifération des PBMCs, en réponse à des mitogènes, à l’anti-CD3 et aux antigènes vaccinaux, a été évaluée par la quantification de l’incorporation de la thymidine tritiée ;•
dosage des immunoglobulines et des fractions C3 et C4 du complément par immunodiffusion radiale.Résultats
Les principales caractéristiques et résultats obtenus des patients étudiés sont résumés dans le Tableau 1.
Le nombre de cas par an est passé de 0,4 cas par an entre 2000 et 2004 à 1,25 cas par an entre 2005 et 2008.
La distribution des sept cas selon l’âge montrait que la lis- tériose touchait surtout les nouveau-nés (cinq cas). Parmi ces derniers, deux avaient une méningite postnatale tardive, deux présentaient une détresse respiratoire néonatale associée à un sepsis sévère et un était asymptomatique et hospitalisé pour une surveillance clinique après un accouchement à domicile.
Les deux nourrissons présentaient une méningoencéphalite.
Une fièvre maternelle associée à un syndrome pseudogrippal périnatal a été retrouvée chez les mères de deux nouveau-nés.
L. monocytogenesa été isolé à partir de LCR dans quatre cas, des prélèvements périphériques dans deux cas et des hémocultures dans un cas (Tableau 1). À l’antibiogramme, toutes les souches isolées étaient sensibles à l’amoxicilline et aux aminosides, mais résistantes aux céphalosporines de troisième génération (C3G). L’étude du génogroupe des souches deL. monocytogenesa montré qu’elles étaient tou- tes de génogroupe IVb (sérotypes 4b, 4d et 4e) (Tableau 1).
Un nouveau-né était décédé par un choc septique au bout de 48 heures d’hospitalisation malgré une antibiothérapie adaptée (amoxicilline et gentamicine). Cinq patients ont été traités par amoxicilline et gentamicine en bithérapie pendant cinq jours, puis par amoxicilline en monothérapie. La durée totale du traitement était de 21 jours. Le patient P3 (portage sain) avait bien évolué sans traitement. L’évolution clinique à moyen terme des trois autres nouveau-nés était favorable dans tous les cas. Chez les deux nourrissons, la méningo- encéphalite s’est compliquée d’un épisode convulsif dans un cas et de microabcès cérébraux dans l’autre cas. Le bilan immunitaire réalisé chez ces deux patients était normal.
L’enquête alimentaire réalisée chez tous nos patients et chez les mères des cinq nouveau-nés n’a pas permis d’identifier la source de l’infection.
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Discussion
L’incidence des infections àL. monocytogenesest inconnue en Tunisie du fait de l’absence de déclaration obligatoire des cas diagnostiqués. Les publications sur ce sujet dans notre pays sont rares et concernent le plus souvent des cas isolés de listériose [1,3].
Nous rapportons une série plus importante qui concerne sept cas de listérioses diagnostiqués dans notre laboratoire sur une période de neuf ans. Cela confirme que les listérioses sont rares en Tunisie, mais non exceptionnelles. Par ailleurs, le nombre de cas isolés par an est en progression. Cette progression pourrait être due aux modifications de nos habi- tudes alimentaires : généralisation de la consommation de produits cuits conservés à +4 °C, introduction de la viande congelée comme nouvelle source de consommation. Les deux nourrissons et les mères des cinq nouveau-nés pour- raient être contaminés par la voie digestive, mais l’enquête alimentaire était négative. La transmission maternofœtale par voie hématogène transplacentaire ou lors du passage dans la filière génitale expliquerait les infections chez les nouveau-nés.
Le neurotropisme deL. monocytogenesexplique la locali- sation neuroméningée retrouvée chez quatre de nos patients.
Elle peut parfois être à l’origine de complications neuro- logiques graves comme c’était le cas des deux nourrissons.
L. monocytogenes possède plusieurs sérotypes dont les plus fréquents sont 4b, 1/2a et 1/2b, mais le sérotype 4b serait le plus virulent [4]. Les quatre souches pour lesquelles nous avons réalisé le génogroupage appartiennent au géno- groupe IVb renfermant le sérotype 4b. En effet, deux des patients, chez qui, les souches isolées ont pu être génogrou- pées (P5, P6) avaient un tableau clinique compliqué.
L. monocytogenesest habituellement sensible à l’amoxi- cilline et aux aminosides et résistante aux C3G. Les attitudes thérapeutiques sont différentes selon les équipes et les pays.
Certains préfèrent inclure systématiquement l’amoxicilline dans le traitement de première intention de toute infection néonatale, et d’autres se contentent d’une bithérapie asso- ciant une C3G et un aminoside [1,6]. Vu que nos résultats montrent que les infections àL. monocytogenesen Tunisie atteignent particulièrement les nouveau-nés, une triple anti- biothérapie incluant l’amoxicilline est fortement conseillée dans le traitement de toute infection néonatale et devant tout signe de gravité. L’antibiothérapie sera par la suite adap- tée selon le germe isolé et sa sensibilité aux antibiotiques.
En dehors des terrains particuliers (immunodéprimé, nouveau-né, femme enceinte), une listériose sévère reste rare. Plusieurs études ont montré l’importance des mono- cytes/macrophages, de l’IL12 et de l’INF-γdans la défense contre les micro-organismes à développement intracellulaire comme L. monocytogenes [7]. De ce fait, pour les deux Tableau1Principalescaractéristiquesetrésultatsobtenusdespatientsétudiés/Maincharacteristicsandresultsofpatientsstudied Numérodu patient/date
Âge/sexeMotifsd’admissionDiagnosticretenuType deprélèvement GénogroupeComplicationsÉvolutionsous traitement P1/20001jour/masculinFièvre+détresse respiratoirenéonatale
InfectionmaternofœtaleHémoculture––Bonne P2/20041jour/masculinFièvre+détresse respiratoirenéonatale InfectionmaternofœtalePrélèvements périphériques–ChocseptiqueDécédé P3/20051jour/masculinSurveillanceaprèsun accouchementàdomicile
PortagesainPrélèvements périphériques
IVb–– P4/200518jours/masculinFièvre+hyporéactivitéMéningitepostnataletardivePonctionlombaireIVb–Bonne P5/200714mois/masculinFièvre+strabismeMéningoencéphalitePonctionlombaireIVbConvulsionsIRM cérébralesans anomalies
Bonne P6/200710mois/masculinFièvre+troubles digestifs+asthénie etrefustéter
MéningoencéphalitePonctionlombaireIVbMicroabcèscérébraux àl’IRMcérébrale Bonne P7/20089jours/masculinFièvre+refusdetéterMéningitepostnataletardivePonctionlombaire––Bonne
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nourrissons ayant présenté une listériose grave, il nous a semblé judicieux de pratiquer un bilan immunitaire en explo- rant particulièrement la fonction phagocytaire et l’expression des récepteurs de l’IL12 et de l’INF-γ. Bien que le bilan pratiqué fût normal, cela n’exclut pas la présence d’autres anomalies non explorées par nos méthodes.
Conclusion
Les listérioses sont des infections graves, et non exception- nelles en Tunisie. Il faut savoir les évoquer pour instaurer une antibiothérapie précoce et adaptée. La déclaration obligatoire des cas ainsi que la comparaison des souches humaines avec des souches alimentaires seraient un bon moyen pour lutter contre cette maladie.
Remerciements Nos remerciements s’adressent à M. Leclercq Alexandre et à toute l’équipe du Centre national de référence des Listeria, centre collaborateur de l’OMS pour la listériose d’origine alimentaire, Institut Pasteur, Paris, France, pour avoir réalisé la confirmation de l’identi- fication des souches et le génotypage.
Conflit d’intérêt : les auteurs déclarent ne pas avoir de conflit d’intérêt.
Références
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2. Farber JM, Piterkin PI (1991)Listeria monocytogens, a food-borne pathogen. Microbiol Rev 55(3):476–511
3. Fendri C, Kechrid A, Chebbi F, et al (1989) Listériose en Tunisie : à propos de trois cas. Med Mal Infect 19:470–1
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7. Serbina NV, Pamer EG (2008) Coordinating innate immune cells to optimize microbial killing. Immunity 29(5):672–4
Bull. Soc. Pathol. Exot. (2011) 104:58-61 61
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