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J La condition animale M I J L O D P C F U L E

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UNIVERSITÉ DE LIMOGES

ECOLE DOCTORALE PIERRE COUVRAT

FACULTÉ DE LIMOGES

OBSERVATOIRE DES MUTATIONS INSTITUTIONNELLES ET JURIDIQUES

Thèse

pour obtenir le grade de Docteur de l’Université de Limoges Discipline : Droit privé et sciences criminelles

Présentée et soutenue publiquement par

Pierre-Jérôme DELAGE

Le 10 décembre 2013

La condition animale

Essai juridique sur les justes places de l’Homme et de l’animal

Thèse dirigée par Monsieur Jean-Pierre MARGUÉNAUD, Professeur à l’Université de Limoges

JURY

Rapporteurs :

Monsieur Jacques LEROY, Professeur à l’Université d’Orléans

Monsieur Grégoire LOISEAU, Professeur à l’Ecole de droit de la Sorbonne (Paris 1) Suffragants :

Madame MireilleDELMAS-MARTY, Professeur honoraire au Collège de France, Membre de l’Institut Madame Françoise TULKENS, Ancienne juge et vice-présidente de la Cour européenne des droits de l’homme

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L’Université n’entend donner aucune approbation ni improbation aux opinions émises dans cette thèse ; ces opinions doivent être considérées comme propres à leur auteur.

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I

SOMMAIRE

INTRODUCTION………..………..1 PREMIÈRE PARTIE – Les tensions de la condition animale : du rien au tout………..47 TITRE PREMIER – La tradition de la réification de l’animal : l’intangibilité de la frontière Homme/animal………..….……….53 CHAPITRE PREMIER – La construction anthropologique de la frontière Homme/animal………55

CHAPITRE SECOND Les effets juridiques de la frontière

Homme/animal………88 TITRE SECOND – La tentation de l’humanisation de l’animal : la remise en cause de la frontière Homme/animal………..………..195

CHAPITRE PREMIER – La perte par l’Homme de sa prééminence

anthropologique……….….…197 CHAPITRE SECOND – L’accession de l’animal aux attributs de l’Homme juridique………..253 SECONDE PARTIE – L’entre-deux de la condition animale : ni tout ni rien………..…..363 TITRE PREMIER – La récusation de la dignité de l’animal : le nécessaire maintien de l’irréductibilité de l’Homme à l’animalité………...…..371

CHAPITRE PREMIER – La figure animale référent d’atteintes effectives à la dignité humaine………..374 CHAPITRE SECOND – Le corps de l’animal source d’atteintes potentielles à la dignité humaine……….……….514 TITRE SECOND – La consécration de l’esséité de l’animal : la nécessaire reconnaissance de l’irréductibilité de l’animal à la choséité pure……….…………557

CHAPITRE PREMIER – La titularité de l’esséité animale décalquée de celle de la dignité humaine……….………..560 CHAPITRE SECOND – La protection de l’esséité animale inspirée de celle de la dignité humaine……….………..616 CONCLUSION GÉNÉRALE………...707

(8)

II

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III

LISTE DES PRINCIPALES ABRÉVIATIONS

act. actualité

adde ajouter

AFDI Annuaire français de droit international AJDA Actualité juridique de droit administratif AJ famille Actualité juridique famille

AJ pénal Actualité juridique pénal

al. alinéa

AN Assemblée Nationale

APC Archives de politique criminelle APD Archives de philosophie du droit

art. article(s)

art. préc. article précité

Ass. plén. Assemblée plénière de la Cour de cassation

BJIPA Bulletin juridique international de la protection des animaux Bull. civ. Bulletin des arrêts de la Cour de cassation, chambres civiles Bull. crim. Bulletin des arrêts de la Cour de cassation, chambre criminelle

c. contre

CA cour d’appel

CAA cour administrative d’appel

CCC Contrats Concurrence Consommation

CCE Communication Commerce électronique

c. civ. code civil

CCNE Comité consultatif national d’éthique

CDFUE Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne

CE Conseil d’Etat

CEDH Cour européenne des droits de l’Homme c. env. Code de l’environnement

CGCT Code général des collectivités territoriales

chap. chapitre

Chron. Chronique

cit. cité(e), citation

Civ. 1ère première chambre civile de la Cour de cassation Civ. 2ème deuxième chambre civile de la Cour de cassation Civ. 3ème troisième chambre civile de la Cour de cassation CJCE Cour de justice de la Communauté européenne CJUE Cour de justice de l’Union européenne

coll. collection

Com. chambre commerciale de la Cour de cassation

Comm. Commentaire

comp. comparer

concl. conclusions

Cons. const. Conseil constitutionnel

consid. considérant

contra en sens contraire

coord. sous la coordination de

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IV

c. pén. code pénal

c. pr. pén. code de procédure pénale

Crim. chambre criminelle de la Cour de cassation c. rur. code rural et de la pêche maritime

CSDH Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales

CSP code de la santé publique

D. Recueil Dalloz

DC Recueil critique de jurisprudence et de législation Dalloz Defrénois Répertoire du notariat Defrénois

DP Recueil périodique et critique mensuel Dalloz

Dig. Digeste

dir. sous la direction de

Doctr. Doctrine

Dr. adm. Droit administratif

Dr. fam. Droit de la famille

Dr. pén. Droit pénal

Dr. soc. Droit social

DUDA Déclaration universelle des droits de l’animal DUDH Déclaration universelle des droits de l’Homme

éd. édition, éditeur(s)

égal. également

fasc. fascicule

Gaz. Pal. La Gazette du Palais

ibid. idibem (au même endroit)

i. e. id est (c’est-à-dire)

in dans

infra plus bas

Inst. Institutes

IR Informations rapides

JCP A La Semaine Juridique – Administration et collectivités territoriales JCP E La semaine juridique édition entreprise

JCP G La Semaine Juridique édition Générale

JDI Journal du droit international

JIB Journal international de bioéthique

Jur. Jurisprudence

La Doc. fr. La Documentation française

LPA Les Petites Affiches

not. notamment

NS numéro spécial

obs. observations

op. cit. opus citatum, opere citato (ouvrage, œuvre cité(e))

p. page

pp. pages

p. ex. par exemple

PIDCP Pacte international relatif aux droits civils et politiques

PIDESC Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels

préc. précité(e)

PU Presses Universitaires

rapp. rapport

rappr. rapprocher

RDP Revue du droit public

(11)

V Rev. dr. rur Revue de droit rural

RDSS Revue de droit sanitaire et social

RDT Revue de droit du travail

REDE Revue européenne de droit de l’environnement

rééd. réédition

réf. cit. et les références citées

Rép. civ. Répertoire de droit civil (Dalloz)

req. requête

Rev. dr. pén. crim. Revue de droit pénal et de criminologie RFDA Revue française de droit administratif RGDIP Revue générale de droit international public

RGDLJ Revue générale du droit, de la législation et de la jurisprudence RGDM Revue générale de droit médical

RHD Revue historique de droit français et étranger RJ com. Revue de jurisprudence commerciale

RJE Revue juridique de l’environnement

RLDC Revue Lamy droit civil

RLDI Revue Lamy droit de l’immatériel

RRJ Revue de la recherche juridique – Droit prospectif RSC Revue de science criminelle et de droit pénal comparé RSDA Revue semestrielle de droit animalier

RTD civ. Revue trimestrielle de droit civil RTD com. Revue trimestrielle de droit commercial RTDH Revue trimestrielle des droits de l’Homme

S. Recueil Sirey

Soc. chambre sociale de la Cour de cassation

Somm. Sommaires (commentés)

spéc. spécialement

s. et suivant(e)s

ss sous

supra plus haut

t. tome

TA Tribunal administratif

T. corr. Tribunal correctionnel

TGI Tribunal de grande instance

T. pol. Tribunal de police

v. voir

Vo Verbo

vol. volume

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VI

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VII

Derrida

In J. Derrida et E. Roudinesco, De quoi demain… Dialogue, Flammarion, 2001, p. 106.

« La “question-de-l’animalité” n’est pas une question parmi d’autres, bien entendu. Si je la tiens pour décisive, comme on dit, depuis si longtemps, en elle-même et pour sa valeur stratégique, c’est que, difficile et énigmatique en elle-même, elle représente aussi la limite sur laquelle s’enlèvent et se déterminent toutes les autres grandes questions, et tous les concepts destinés à cerner le “propre de l’homme”, l’essence et l’avenir de l’humanité, l’éthique, la politique, le droit, les “droits de l’homme”, le

“crime contre l’humanité”, le “génocide”, etc. ».

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1

INTRODUCTION

1. Acceptions de la condition – La condition est familière au Droit1 ; elle est, à ce titre, susceptible de plusieurs acceptions.

On songera tout d’abord à la condition suspensive ou résolutoire du Droit des contrats : en cette hypothèse, la condition2 s’entend d’un évènement futur3 et incertain4 dont dépendra la naissance ou la disparition d’une obligation ; la condition est alors une modalité de l’obligation, en ce qu’elle l’inscrit dans le temps5.

Dans une appréhension élargie – au sein de laquelle la condition du Droit des contrats tient lieu d’illustration parmi d’autres –, la condition peut aussi être prise comme synonyme de clause particulière d’un acte juridique6 (ainsi les conditions d’un traité), et, plus ouvertement encore, comme renvoyant à une « base fondamentale, [une] qualité requise »7, un impératif à satisfaire ; en ce dernier cas, la condition peut être dite sine qua non, que le Droit impose en d’innombrables occurrences : conditions d’acquisition de la personnalité juridique8, conditions d’engagement de la responsabilité civile contractuelle ou délictuelle d’une personne9, conditions de validité d’un acte juridique10 (en ce compris le mariage11),

1 Le Droit supporte ici une majuscule, pour renvoyer au Droit objectif, en même temps que pour éviter sa confusion avec le droit subjectif, qui lui sera paré d’une minuscule (aucune modification ne sera toutefois faite dans les citations de textes ou d’auteurs). V. J. Carbonnier, Flexible Droit. Pour une sociologie du Droit sans rigueur, LGDJ, 10ème éd., 2001, spéc. Deuxième partie : « Grand Droit et petit droit », p. 105 : « la rubrique de cette partie évoque l’opposition entre le Droit à majuscule et le droit à minuscule […]. En termes techniques, c’est du droit objectif et du droit subjectif qu’il s’agira » ; v. égal. G. Cornu, Droit civil. Introduction au droit, Montchrestien, 13ème éd., 2007, no 8, p. 14.

2 J.-J. Taisne, La notion de condition dans les actes juridiques. Contribution à l’étude de l’obligation conditionnelle, Thèse, Lille, 1977 ; O. Milhac, La notion de condition dans les contrats à titre onéreux, préface J. Ghestin, LGDJ, coll.

« Bibliothèque de droit privé », t. 286, 1998 ; D. Bonnet, Cause et condition dans les actes juridiques, préface P. de Vareilles-Sommières, LGDJ, coll. « Bibliothèque de droit privé », t. 449, 2005 ; M. Latina, Essai sur la condition en droit des contrats, préface D. Mazeaud, LGDJ, coll. « Bibliothèque de droit privé », t. 505, 2009. Adde, P. Derouin, Pour une analyse « fonctionnelle » de la condition, RTD civ. 1978. 1 ; P.-A. Bon, La condition portant sur l’exécution d’une obligation, LPA 26 juin 2007/no 127. 3.

3 Art. 1168 c. civ. ; v. toutefois l’art. 1181 du même code, admettant, à propos de la condition suspensive, que l’évènement en cause soit « actuellement arrivé, mais encore inconnu des parties ».

4 Ce en quoi la condition se distingue du terme.

5 En ce sens, M. Planiol et G. Ripert, Traité pratique de droit civil français, t. 7 : « Obligations – Deuxième partie » (avec le concours de P. Esmein, J. Radouant et G. Gabolde), LGDJ, 1931, no 1024, p. 331 ; J. Carbonnier, Droit civil. 1 – Introduction. Les personnes. La famille, l’enfant, le couple. 2 – Les biens. Les obligations, PUF, coll. « Quadrige Manuels », 2004, t. 1, no 169, p. 326, et t. 2, no 1048, p. 2151 ; M. Fabre-Magnan, Droit des obligations. 1 – Contrat et engagement unilatéral, PUF, coll. « Thémis droit », 3ème éd., 2012, p. 167.

6 M. Planiol et G. Ripert, Traité pratique…, op. cit., t. 7, no 1024, p. 331

7 Larousse cinq volumes en couleurs, Larousse, 1977, Vo Condition.

8 Pour s’en tenir à l’analyse classique et aux seules personnes physiques : être né vivant et viable ; v. infra, no 203.

9 Engagement qui suppose la démonstration de l’existence d’une faute, d’un dommage, et d’un lien de causalité les unissant.

10 V., concernant les contrats, l’intitulé du chapitre II du titre III du Livre III du code civil : « Des conditions essentielles pour la validité des conventions », et l’art. 1108 ouvrant ce Chapitre. Toujours en Droit des contrats, et avec Muriel Fabre-Magnan (Droit des obligations, op. cit., t. 1, pp. 170-172), il pourrait être aussi mentionné « les conditions de la condition » suspensive ou résolutoire, laquelle ne doit pas être impossible, ne pas être illicite ou immorale, et ne pas être potestative de la part du débiteur.

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2

conditions posées à une demande d’adoption12 ou d’assistance médicale à la procréation13, condition préalable de l’infraction14, condition de recevabilité d’une demande en justice15, etc.

Enfin, en une ultime conception, la condition peut signifier un état, une situation16. On pourrait, à ce titre, croire la condition en Droit être équivalente au statut : à travers l’évocation de la condition d’une chose ou d’un être, il s’agirait uniquement de s’arrêter ou de s’interroger sur sa qualité d’objet ou de sujet de droit. Mais l’intuition n’apparaît que partiellement exacte : si la condition juridique inclut bien le statut juridique, elle le déborde également, pour impliquer en plus de porter le regard sur le traitement juridique qui s’avère celui de l’entité ou de l’individu considéré. C’est ainsi que lorsque est évoquée la condition juridique de l’étranger17, de la femme18, de l’épouse19, du mineur20, de l’enfant naturel21 ou adultérin22, du domestique23, du détenu24, du créancier chirographaire25, des organisations non gouvernementales internationales26, mais encore du non-sujet de droit27, des associations non

11 V. l’intitulé du chapitre Ier du titre V du Livre Ier du code civil : « Des qualités et conditions requises pour pouvoir contracter mariage ».

12 V. l’intitulé de la section 1 du chapitre Ier du titre VIII du Livre Ier du code civil : « Des conditions requises pour l’adoption plénière » (art. 343 s.), ainsi que l’intitulé de la section 1 du chapitre II (« De l’adoption simple ») du même titre : « Des conditions requises et du jugement » (art. 360 s.).

13 Art. L. 2141-1 s. CSP.

14 P. ex. : l’appartenance de la chose à autrui est la condition préalable de l’infraction de vol, de la même manière que le fait que la chose provienne d’un crime ou d’un délit est la condition préalable de l’infraction de recel ; adde, J.-P. Doucet, La condition préalable à l’infraction, Gaz. Pal. 1972. Doctr. 726 ; B. Thellier de Poncheville, La condition préalable de l’infraction, préface A. Varinard, PUAM, 2010.

15 Ainsi la démonstration d’un intérêt à agir.

16 G. Cornu (dir.), Vocabulaire juridique, Association H. Capitant, PUF, coll. « Quadrige Dicos Poche », 9ème éd., 2011, Vo Condition.

17 V. La condition juridique de l’étranger, hier et aujourd’hui, Actes du colloque organisé à Nimègue les 9-11 mai 1988, Faculté de droit et des sciences sociales/Faculteit der Rechtsgeleerheid Katholieke, Poitiers/Nimègue, 1988.

18 M. Ancel (éd.), La condition de la femme dans la société contemporaine : état actuel des législations concernant les droits politiques, l’activité professionnelle, la capacité civile, la situation de la femme dans la famille et la condition de la femme au regard du droit pénal, Sirey, coll. « Travaux et recherches de l’Institut de droit comparé de l’Université Paris II », 1938.

19 C. Lombois, La condition juridique de la femme mariée, Editions La revue du notariat, 1969 ; D. T. C. Wang, La condition juridique de la femme mariée. Etude de droit privé français, Thèse, Lausanne, 1973.

20 J. Carbonnier, Droit civil, op. cit., t. 1, nos 426 s., pp. 877 s. : « La condition juridique du mineur » ; J.-J.

Lemouland (dir.), La condition juridique du mineur. Aspects internes et internationaux. Questions d’actualité, Litec, coll.

« Carré Droit », 2004 ; adde, K. Martin-Chenut, La condition juridique de l’enfant dans la jurisprudence interaméricaine des droits de l’homme, RSC 2008. 416.

21 J. Savatier, L’évolution de la condition juridique des enfants naturels en droit français, Bruylant, 1965 ; S. Hocquet-Berg, La condition juridique de l’enfant naturel après la condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’homme, LPA 10 mai 2002/no 93. 11.

22 C. Saujot, La condition juridique des enfants adultérins, RTD civ. 1956. 443.

23 L. Bourbon, La condition juridique des domestiques, Thèse, Montpellier, 1920.

24 J. Pradel (dir.), La condition juridique du détenu, Cujas, coll. « Travaux de l’Institut de sciences criminelles de Poitiers », vol. 13, 1994.

25 J. Bouveaux, La condition juridique du créancier chirographaire, RTD civ. 1920. 103.

26 N. Leroux, La condition juridique des organisations non gouvernementales internationales, préface J. Verhoeven, Bruylant/Editions Yvon Blais, coll. « Mondialisation et droit international », 2010.

27 J. Carbonnier, Sur les traces du non-sujet de droit, APD 34/1989. 198, repris, avec quelques modifications textuelles, sous le titre Etre ou ne pas être. Sur les traces du non-sujet de droit in Flexible Droit…, op. cit., p. 231, spéc. pp. 241-242.

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3

déclarées28, de la famille de fait29, du corps humain30, des morts31, de l’enfant sans vie32, de l’embryon et du fœtus33, des souvenirs de famille34 ou de la monnaie fiduciaire35, c’est, au-delà de sa qualité de personne (persona) ou de chose (res), l’ensemble des règles relatives à la situation faite au sujet ou à l’objet en présence qui est étudié36 (en ce sens, et à titre d’exemple, la condition des étrangers s’entendra donc de l’« ensemble des règles relatives à la situation faite dans un Etat aux étrangers, tant en ce qui concerne le régime administratif auquel ils sont soumis que les droits publics, professionnels ou privés qui leurs sont reconnus »37). Ce à quoi il faut ajouter que, si la condition juridique est plus que le statut juridique, la condition est plus que la condition juridique. Que soit approchée avec Malraux La condition humaine (1933) (une condition qui pour lui avait à voir avec le refus du déterminisme et l’engagement dans l’Histoire) ou avec Arendt La condition de l’homme moderne (1958)38 (laquelle, selon la philosophe, plongerait ses racines dans le travail, plus largement dans la vita activa), la conviction est, en effet, ferme que cherche à se révéler en ce lieu la réalité nue de l’être humain : la réalité nue de son intime, de ce qu’il est fondamentalement, comme la réalité nue de son destin, de ce qu’il vit intensément ; en clair, la condition serait indissolublement deux choses : essence et existence. Ainsi comprise, la condition n’en demeure cependant pas moins, suivant le sens un peu plus haut retenu, un état ou une situation : c’est uniquement que cette situation se teinte de la part d’insaisissable inhérente à la métaphysique ou à l’ontologie39 ; mais aussi – et pour autant sans aucun paradoxe – qu’elle s’inscrit dans un paroxysme de concrétude.

2. Des existences douloureuses – Autant, à ce dernier égard, l’affirmer dès à présent, et sans plus de réserves : saisie dans sa dimension existentielle, de vécu d’une vie, la condition

28 M. Margat, De la condition juridique des associations non déclarées, RTD civ. 1905. 235. Rappr. L. Sébag, La condition juridique des biens des associations non déclarées, RTD civ. 1939. 63.

29 J. Rubellin-Devichy, La condition juridique de la famille de fait en France, JCP G 1986. I. 3241.

30 X. Labbée, La condition juridique du corps humain avant la naissance et après la mort, préface J.-J. Taisne, PU Lille, 1990.

31 G. Timbal, La condition juridique des morts, Thèse, Toulouse, 1903.

32 N. Baillon-Wirtz, La condition juridique de l’enfant sans vie : retour sur les incohérences du droit français, Dr. fam. 2007. Etude 13.

33 R. Théry, La condition juridique de l’embryon et du fœtus, D. 1982. Chron. 231. Rappr. A. Rouast, La condition juridique de l’enfant conçu avant et né pendant le mariage, RTD civ. 1927. 137.

34 R. Demogue, Les souvenirs de famille et leur condition juridique, RTD civ. 1928. 27.

35 C. Lavialle, La condition juridique de la monnaie fiduciaire, RFDA 2009. 669.

36 G. Cornu (dir.), Vocabulaire juridique, op. cit., Vo Condition : la condition juridique est l’« ensemble des règles relatives à une certaine sorte de personnes ou de choses ».

37 Ibid.

38 Dont le titre originel était The Human Condition ; H. Arendt, La condition de l’homme moderne, 1958, Calmann- Lévy, coll. « Pocket », 2003.

39 La métaphysique s’assigne notamment pour objet la connaissance de la nature des choses. L’ontologie n’en est guère éloignée, puisqu’elle est l’étude de l’être et de ses propriétés.

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de l’Homme (un Homme que l’on pare d’une majuscule afin de renvoyer à l’être humain en général, au membre du genre humain, sans considération pour son sexe40) apparaît le plus souvent douloureuse, pétrie de souffrance – à ce point, d’ailleurs, que la tradition chrétienne fait précisément de la douleur « une donnée inéluctable de la condition humaine »41. De cette considération, un vocable vieilli, tout empreint de rang social, de place dans la société humaine42 (en somme, de l’idée d’une « étiquette apposée »43), vient fournir une première illustration : si la condition était autrefois synonyme de noblesse, « être ou entrer en condition » signifiait également, et en contrepoint, un état de domesticité44. Condition de noble, condition de domestique : dans l’une et dans l’autre, les vies qui se logeaient, évidemment, n’étaient en rien similaires. De la même manière, il existait – il existe toujours – une condition ouvrière45, qui généralement laissait – et laisse encore – voir la vie rugueuse et faite de subordination. Plus encore, Athènes46, Rome47 ou l’Ancien Régime48 avaient organisé la condition d’esclave49 : réalité d’une existence soumise et douloureuse, que le Droit avait néanmoins contribué à rendre telle.

40 La majuscule ne sera toutefois pas substituée à la minuscule dans les citations de textes ou d’auteurs employant cette dernière). Par opposition, homme sera écrit avec une minuscule lorsqu’il s’agira d’évoquer l’être humain de sexe masculin, contraire et complément de la femme (v. not. infra, nos 144 s.). La terminologie anglaise ne connaît pas ces difficultés – Homme s’y dit human, et homme man –, ce qui explique que d’aucuns soient surpris (sinon proprement choqués) par l’intitulé de la Déclaration de 1789 comme, plus largement, par l’expression « droits de l’Homme » (il est vrai trop souvent écrite « droits de l’homme »), et préfèrent en conséquence parler de « droits humains » (en anglais, human rights). V., à ce sujet, F. Rome, Nous les Hommes !, D. 2008. 3065, et surtout J.-P. Marguénaud, obs. ss CEDH, 5 sept. 2002, Boso c. Italie, RTD civ. 2003. 371 : « on sait que de grands esprits se sont rencontrés pour stigmatiser l’expression “droits de l’Homme” qui accorderait encore au mâle une place privilégiée. La dénomination “droits fondamentaux”, qui a le vent en poupe, permettrait de réaliser l’égalité terminologique des sexes mais, comme elle renvoie à une notion aux contours encore très incertains, d’aucuns insistent pour substituer sans délai “les droits humains” aux

“droits de l’Homme”. Leur combat n’est pas tout à fait inutile, mais il devrait être essentiellement dirigé contre les typographes qui oublient trop souvent le H majuscule grâce auquel la femme et l’homme sont normalement en situation de parfaite égalité. Si la présentation graphique est correcte, il ne s’agit plus guère que de savoir laquelle des deux barres verticales du H revient à l’homme, laquelle doit être réservée à la femme » ; et l’auteur d’alors ajouter immédiatement : « l’expression “droits humains” n’est pas pour autant sans intérêt : elle aiderait à établir une distinction salutaire entre les droits qui appartiennent à l’homme et à la femme et ceux qui pourraient échoir aux animaux ». Adde, J. Carbonnier, Droit civil, op. cit., t. 1, no 195, p. 378. Le terme animal, lui, ne présente pas les difficultés du mot homme (paré d’une minuscule) : il renvoie indistinctement au mâle comme à la femelle ; il ne sera donc pas nécessaire de lui attribuer une majuscule.

41 D. Le Breton, Anthropologie de la douleur, Métailié, coll. « Sciences humaines », 2ème éd., 2006, p. 89. Adde, B.

Durand, J. Poirier et J.-P. Royer (dir.), La douleur et le droit, PUF, 1997.

42 V. E. Littré, Dictionnaire de la langue française, Editions du cap, 1974, 4 t., t. 1, Vo Condition, donnant comme premier sens à ce terme : « la classe à laquelle appartient une personne dans la société ».

43 J. Carbonnier, Etre ou ne pas être…, art. préc., p. 241.

44 E. Littré, Dictionnaire…, op. cit., t. 1, Vo Condition.

45 S. Weil, La condition ouvrière, 1951 ; adde, O. Tholozan, La liberté du travail à l’épreuve de la durée du labeur dans la première moitié du XIXe siècle, RRJ 2002-4. 2029.

46 Y. Garlan, Les esclaves en Grèce ancienne, 1982, La Découverte, 1995.

47 M. Morabito, Les réalités de l’esclavage d’après le Digeste, Les belles lettres, 1981, l’auteur utilisant d’ailleurs en de très nombreuses occurrences l’expression de « condition d’esclave » (et p. ex., dès l’introduction, pp. 9 et 10).

48 Référence est bien sûr faite au Code noir de 1685.

49 V., évoquant expressément l’esclave et sa condition, J. Carbonnier, Scolie sur le non-sujet de droit.

L’esclavage sous le régime du Code civil, in Flexible Droit…, op. cit., p. 247, spéc. p. 251 : « mais, plus que sur le nombre des esclaves, c’était sur leur condition que la jurisprudence devait agir ». Sur l’esclavage, infra, nos 148 s.

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La question est parfois posée de savoir si le Droit peut garantir le bonheur, s’il existe un droit subjectif au bonheur50 : question immense, qu’il est difficile toutefois (sauf peut-être à faire réserve du cas de l’utilitariste51) de ne pas entourer d’un nimbe de scepticisme. Plus certainement, en tout cas, à défaut de garantir ou organiser le bonheur de l’Homme, le Droit peut-il faire le choix de (tenter de) le préserver du malheur, de la douleur, de la souffrance (quand il n’entreprendra pas aussi, au moins en certaines circonstances, de compenser ou réparer la peine éprouvée, le préjudice survenu52). Sauf à ce que le Droit ne fasse le choix inverse, consistant, sinon à enfermer l’humain dans la souffrance, au moins à ne pas s’attacher à l’y en sortir. C’est que le Droit, à la façon d’un Janus, peut présenter des visages contradictoires : en certains lieux, il peut ne pas être exemplaire, parfois même s’entourer comme de ténèbres (sa caution passée de la condition servile en est la preuve53), quand, en d’autres occurrences, il sait à l’inverse se faire humaniste (témoins, ses efforts contemporains pour non seulement lutter contre l’esclavage, la servitude et le travail forcé54, mais également contre la torture et les peines ou traitements inhumains ou dégradants55 et les conditions de travail ou d’hébergement contraires à la dignité humaine56).

En tout état de cause, et en un cas comme dans l’autre (cas d’un Droit plutôt malfaisant, cas d’un Droit plutôt bienfaiteur), l’enseignement est d’importance que, en plus de définir leur statut et leur condition juridiques, le Droit peut encore se saisir de la condition même des Hommes : le destin des Hommes ne lui est pas indifférent, sur le sort duquel il a le pouvoir d’influer – en bien57 comme en mal. Et, dans la mise en jeu de cette influence, probablement sa représentation, non plus de l’existence, mais de l’essence humaine, cet autre versant complémentaire de la condition de l’Homme58, sera-t-elle primordiale. C’est qu’en effet, qu’il se représente certains Hommes comme inférieurs, matière disponible pour autrui,

50 G. Mémeteau, Le droit médical est-il un droit au bonheur ?, in Apprendre à douter. Questions de droit, questions sur le droit. Etudes offertes à Claude Lombois, PULIM, 2004, p. 337 ; F. Terré, Le droit et le bonheur, D. 2010. 26 ; B.

Gauriau, Un droit au bonheur, Dr. soc. 2012. 354.

51 Sur l’utilitarisme, et ce que certains voient en lui de potentialités favorables à l’animal, infra, nos 90 s., et, surtout, no 119 s.

52 Ainsi, par exemple, de la réparation du préjudice moral.

53 Sur la proposition que le Droit de l’esclavage est un Droit inhumain, infra, no 151.

54 Pour un panorama des textes pertinents, ainsi que de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme, v. D. Roets, Vo Esclavage, servitude et travail forcé, in J. Andriantsimbazovina, H. Gaudin, J.-P.

Marguénaud, S. Rials, F. Sudre, Dictionnaire des Droits de l’Homme, PUF, coll. « Quadrige Dicos Poche », 2008, p.

382. Adde, les définitions de l’esclavage, du travail forcé et de la servitude, telles que figurant dans les articles 224-1 A s. et 225-14-1 s. c. pén. (articles issus de ou modifiés par la loi no 2013-711 du 5 août 2013).

55 V. art. 5 DUDH ; art. 7 PIDCP ; art. 3 CSDH ; art. 4 CDFUE ; art. 222-1 s. c. pén.

56 Art. 225-13 s. c. pén.

57 En ce sens, L. Sermet, Un anthropologie juridique des droits de l’homme. Les chemins de l’Océan Indien, préface A.

Diouf, postface D. Annoussamy, Agence Universitaire de la Francophonie/Editions des archives contemporaines, 2009, p. 18, affirmant que « les Droits de l’homme apparaissent comme la part du droit préoccupée par la condition humaine ».

58 V. supra, no 1, in fine.

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et la condition de ceux-ci sera fondamentalement douloureuse59. Ou, qu’au contraire, il se représente l’Homme – tous les Hommes – porteur d’une essence intangible, interdisant le rabaissement de l’humain à des états inférieurs et contraires à son humanité même, et le Droit, sans cependant rien offrir aux êtres humains du bonheur, tentera au moins de les mettre à l’abri de certaines existences, de certaines conditions d’existence. Tout au plus faut-il alors préciser que, de ces deux représentations de l’essence humaine, c’est aujourd’hui la seconde qui l’emporte – une essence à laquelle le Droit, suivant notamment en cela la philosophie, a au demeurant donné un nom : la dignité de la personne humaine, cette valeur absolue60 en vertu de laquelle jamais un Homme ne peut légitimement méconnaître la part d’égale irréductibilité partagée par son semblable en humanité61.

3. La condition animale – Ces quelques éléments établis, la question pourrait alors être posée de savoir si, comme il se saisit de la condition humaine, le Droit se saisit également (ou devrait également se saisir, ou se saisir davantage) de la condition animale.

L’interrogation, au vrai, semble irrésistiblement en appeler une autre la précédant, qui serait de savoir, en amont, s’il existe bien une condition animale, s’il est légitime (sinon simplement sensé) d’évoquer la condition de la bête comme il peut être évoqué celle de l’Homme.

A première vue, tout semble plutôt séparer l’Homme de l’animal : non seulement que l’être humain se soit éprouvé comme un être singulier, au-dessus de la Nature, au moyen de sa différenciation d’avec la bête62 (ce que d’aucuns nomment la « différence anthropozoologique »63), mais encore que, en Droit, tous les Hommes sont des personnes, quand tous les animaux, eux, sont des choses64. Or, Carbonnier le rappelait, « l’antithèse de la chose à la personne » est « l’antithèse absolue »65 : il n’est pas, dans la science juridique, de distinction plus ferme que celle des sujets et des objets de droit, et, partant, de limite ou de frontière (Giono aurait pu parler de « grande barrière »66) plus affirmée que celle dessinant la summa divisio des

59 C. Labrusse-Riou, Que peut dire le droit de « l’humain » ? Vieille question, nouveaux enjeux, Etudes oct.

2010. 343, spéc. 349, évoquant la démonstration faite par « l’histoire du droit » du « sort » généralement

« abominable » fait aux esclaves.

60 M. Delmas-Marty, Les forces imaginantes du droit. 1 – Le relatif et l’universel, Seuil, coll. « La couleur des idées », 2004, p. 128 : « la valeur juridique à protection absolue […] se lit comme le respect de la dignité humaine » ; v. aussi P.

Malaurie, Les personnes. La protection des mineurs et des majeurs, Defrénois, 6ème éd., 2012, no 283, p. 100 : « le seul droit absolu est le respect de la dignité humaine » ; v. infra, nos 79 s.

61 Pour de plus amples développements, v. infra, nos 79 s.

62 V. infra, nos 33s.

63 F. Burgat, Liberté et inquiétude de la vie animale, Kimé, 2006, p. 25.

64 V. infra, no 50 s.

65 J. Carbonnier, Etre ou ne pas être…, art. préc., p. 236.

66 J. Giono, La grande barrière : Giono raconte comment, ayant entendu lors d’une promenade des gémissements dans un fourré, il avait découvert une hase blessée à mort par des corbeaux. Il la caressait, pour tenter de la calmer. La hase ne se plaignait alors plus. Mais il n’y avait nul réconfort : c’était que la bête était encore plus

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personnes et des choses. De telle sorte que, faire référence à l’Homme et à l’animal, ce serait toujours faire référence à deux rigoureux antonymes. Avec cette conséquence que, si (puisque) distinction « radicale et irréductible » 67 entre eux il y a, si (puisque) l’un (l’animal) n’est que l’envers en négatif de l’autre (l’Homme), il y aurait, jeu de l’antithèse oblige, un non-sens à s’attarder sur cette idée que, à la condition humaine, puisse répondre une condition animale : la condition animale n’aurait pas à être pensée, car elle serait frappée d’inexistence.

Reste qu’une telle conclusion doit se voir opposer deux séries d’objections.

La première d’entre elles consiste à faire ce constat que la condition animale est d’ores et déjà étudiée, objet de réflexions scientifiques, en histoire68 comme en philosophie69 (quand l’approche n’est pas même pluridisciplinaire70). Surtout – et au-delà de ce fait remarquable que certains juristes (par exemple : Catherine Labrusse-Riou71, Grégoire Loiseau72, Yves Strickler73, Alain Couret74) ou philosophes du Droit (François Ost75) ne trouvent pas d’hésitations à user du vocable même de condition animale –, c’est bien à La condition de l’animal au regard du droit76 que Nerson avait, en 1963, consacré un plein article – un article dont la substance, dépassant les seules bornes apparentes de son intitulé (paraissant

effrayée de l’Homme que des corbeaux l’ayant auparavant agressée. Et Giono d’écrire : « ce n’était pas apaisement que j’avais porté là près de cette agonie mais terreur, terreur si grande qu’il était désormais inutile de se plaindre, inutile d’appeler à l’aide. Il n’y avait plus qu’à mourir. J’étais l’homme et j’avais tué tout espoir. La bête mourait de peur sous ma pitié incomprise, ma main qui caressait était plus cruelle que le bec des freux. Une barrière nous séparait ».

67 G. Cornu, Droit civil. Les biens, Montchrestien, 13ème éd., 2007, no 14, p. 36 : le statut générique de l’animal

« découle, en son principe, de la distinction radicale et irréductible qui, dans l’univers, sépare de l’espèce humaine, à la domination de laquelle il est soumis, le monde animal, c’est-à-dire la division des personnes et des biens. L’animal n’est pas une personne. Il n’a pas de personnalité juridique. Ce n’est pas un sujet de droit ».

68 E. Baratay, Et l’homme créa l’animal. Histoire d’une condition, Odile Jacob, 2003.

69 J.-L. Labarrière, La condition animale. Etudes sur Aristote et les Stoïciens, Peeters, 2005 ; F. Armengaud, Réflexions sur la condition faite aux animaux, Kimé, 2011 ; F. Burgat, Une autre existence. La condition animale, Albin Michel, coll.

« Bibliothèque Idées », 2012.

70 B. Cyrulnik (dir.), Si les lions pouvaient parler. Essais sur la condition animale, Gallimard, 1998.

71 C. Labrusse-Riou, Que peut dire le droit de « l’humain » ?..., art. préc., p. 351, évoquant le rapprochement de

« la condition animale [et] de la condition humaine ».

72 G. Loiseau, L’animal, bien meuble par nature, ou le reflet de tout ce qui le sépare de l’être humain, in J.-C.

Nouët et G. Chapouthier (dir.), Humanité, animalité : quelles frontières ?, Connaissances et Savoirs, 2006, p. 99, spéc.

p. 101 : « la notion de dignité est absente de la condition animale ». D’aucuns, tout à l’inverse, veulent accorder à la bête la même dignité qu’à l’humain (v. infra, nos 85 s. ; mais on récusera cette proposition, infra, nos 140 s.).

73 Y. Strickler, Les biens, PUF, coll. « Thémis droit », 2006, no 64, p. 106, évoquant, à propos de deux articles relatifs aux animaux, « une vision pro-défense de la condition animale, suivie d’une réponse toute en limite ».

74 A. Couret, note ss Civ. 1ère, 8 oct. 1980, D. 1980. Jur. 361, évoquant « les conditions humaine et animale ».

75 F. Ost, La nature hors la loi. L’écologie à l’épreuve du droit, 1995, La Découverte, 2003, spéc. chap. 5, pp. 205 s. :

« Entre sujet et objet, l’équivoque condition de l’animal, ce vivant qui nous ressemble ».

76 R. Nerson, La condition de l’animal au regard du droit, D. 1963. Chron. 1. V., pour d’autres propos doctrinaux supportant une référence explicite à la condition animale : M.-C. Piatti, Droit, éthique et condition animale. Réflexions sur la nature des choses, LPA 19 mai 1995/no 60. 4 ; B. Penaud, Tabou sur l’animal, Gaz.

Pal. 25-26 sept. 2002. 19 (utilisant, à cinq reprises, l’expression de condition animale) ; J. Pradel et M. Danti- Juan, Droit pénal spécial, Cujas, 5ème éd., 2010, no 1115, p. 654. Adde, et suivant une approche assez volontiers juridique : L. d’Este, La condition animale. Plaidoyer pour un statut de l’animal, préface A. Bougrain-Dubourg, Le sang de la Terre, 2006 ; dossier La condition animale, Trajectoires 7/2013 (en ligne : http://trajectoires.revues.org/1073).

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circonscrire le sujet au statut et à la condition juridiques de la bête77), laissait voir un souci véritable de la condition existentielle de l’animal, du sort fait par l’Homme à la bête (en ce sens, ces quelques lignes de l’auteur : « mais l’homme a surtout considéré l’animal comme une bête à tout faire ; animer de sanglants spectacles, nourrir et vêtir l’humanité, véhiculer des matériaux, servir de cible ou permettre des expérimentations. L’animal est un produit, une chose, utile ou nuisible »78). De toutes ces réflexions, il faut donc bien accepter la prémisse, à savoir : que, certainement pas construites sur une méprise ou de l’inexistant, ce que ces réflexions se sont donné pour objet d’étude procède tout à l’inverse d’une réalité effective, autrement dit, que, comme il est une condition humaine, il existe une condition animale, et qui elle aussi interroge79.

Ce qui amène à la deuxième série d’objections pouvant être formulées à l’encontre de la thèse de l’inexistence de la condition animale. C’est qu’en effet cette thèse, si elle devait être défendue, aurait contre elle de sacrifier à la seule logique de la distinction, sans penser tout ce qui peut (re)lier deux êtres pourtant essentiellement différents : pensant la dissemblance entre l’Homme et l’animal, elle occulterait ce qui, entre eux deux, relèverait par opposition de la similitude. Car c’est bien d’une dialectique « du lien et de la limite »80 dont la pensée de la condition animale a besoin, qui, sans nier tout ce qui sépare la bête de l’humain, n’oublierait cependant pas d’aussi mettre en avant tout ce qui les rapproche. Favorable au maintien de l’animal dans la catégorie des choses81 (donc à sa différentiation claire d’avec l’Homme-personne physique), l’auteur de Flexible Droit n’en écrivait pas moins : « le droit aura beau vous réifier, il ne vous empêchera pas de souffrir »82. Et pour cause : la réification juridique ne rend pas l’individu qui en est l’objet – serait-il seulement un animal – étranger à la douleur, n’adoucit en rien le sort qui peut être le sien ; et c’est justement là, nonobstant les différences primordiales, que se situe exactement le commun entre l’Homme et l’animal : dans ce fait que l’un comme l’autre peuvent avoir à souffrir de leurs existences, à souffrir dans leurs existences.

77 V. supra, no 1.

78 R. Nerson, La condition de l’animal…, art. préc., p. 1.

79 Pour un panorama des questions et opinions qui entourent la condition animale, v. le dossier (réalisé par F.

Burgat) L’animal dans nos sociétés, Problèmes politiques et sociaux no 896/janv. 2004. 5 s. ; adde, le dossier L’éthique animale : entre science et société, JIB vol. 24/2013. 11 s.

80 « Le lien et la limite » : c’est l’intitulé de l’introduction de l’ouvrage de F. Ost, La nature hors la loi…, op. cit., pp. 7 s. L’auteur évoque dans cet ouvrage le rapport de l’Homme à la Nature (en ce compris l’animal), et écrit notamment (p. 8) : « Aurions-nous perdu la nature, et le sens de notre rapport à elle, que nous devions ou la ramener à nous- mêmes, ou la transformer en artefacts technologiques ? Cette crise est tout à la fois celle du lien et de la limite : une crise du paradigme, assurément. Crise du lien : nous ne saisissons plus ce qui nous lie à l’animal, au vivant, à la nature ; crise de la limite : nous ne saisissons plus ce qui nous en distingue ».

81 J. Carbonnier, Droit civil, op. cit., t. 2, no 887, p. 1865.

82 Ibid., t. 1, no 199, p. 388.

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4. L’animal à sa juste place – Ceci posé, il importe alors d’être au plus près de la vérité : s’il est des existences animales paisibles, il en est d’autres autrement plus nombreuses pour être inquiètes, angoissées, douloureuses, parfois même proprement misérables. François Ost a pu le relever : la souffrance « est plus qu’à son tour le lot de l’animal »83, et soutenir le propos n’est pas verser dans la sensiblerie84, pas plus que dans un mauvais anthropomorphisme ; il ne s’agit, de façon dépassionnée, que de faire le constat d’une réalité.

Une réalité dont d’ailleurs le Droit lui-même accrédite la saillance, qui reconnaît la nature, non seulement vivante85, animée86, mais encore sensible87 de l’animal, i. e. sa capacité à éprouver du plaisir (du bien-être88, dit plus volontiers la terminologie juridique) comme de la souffrance, de la douleur.

Où l’on voit, en conséquence, la protection juridique de la sensibilité animale évoluer entre deux pôles : d’un côté la recherche d’une sensibilité épanouie, de l’autre le rejet d’une sensibilité éprouvée. Reste que de l’objectif au résultat, de la visée à l’efficience, le constat se fait que souvent le Droit ne parvient pas à véritablement protéger la bête de la souffrance (quand, au demeurant, il ne choisit pas de sacrifier la vie et la sensibilité animales – et peut- être davantage encore89 – au profit d’autres intérêts – économiques, scientifiques, culturels…90). Pour alors rendre un peu plus douce la condition de la bête, sont avancées

83 F. Ost, La nature hors la loi…, op. cit., p. 205.

84 Sensiblerie dont on taxe assez volontiers la « cause animale » et ses défenseurs. La cause, au contraire, est respectable ; encore faut-il qu’elle se garde d’assimiler purement et simplement la bête et l’Homme, sinon de faire primer celle-là sur celui-ci (rappr. F. Bellivier, Protection des animaux et universalisme des droits de l’homme : une incompatibilité de principe ?, Pouvoirs no 131/2009. 127). Sur la cause animale, C. Traïni, La cause animale (1820-1980). Essai de sociologie historique, PUF, 2011. Adde, sur la liberté d’expression des défenseurs des animaux, J.-P. Marguénaud, Une victoire historique pour la liberté d’expression des défenseurs des animaux : l’arrêt de Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l’homme Verein Gegen Tierfabriken Schweiz c. Suisse du 30 juin 2009, RSDA 2009-1. 21 (le numéro de requête de cet arrêt est : 32772/02) ; comp., moins favorable à la liberté d’expression des défenseurs des animaux : CEDH, Grande chambre, 22 avr. 2013, Animal Defenders International c. Royaume-Uni, req. no 48876/08.

85 V., p. ex., l’art. R. 655-1 c. pén., incriminant les atteintes intentionnelles à la vie d’un animal ; v. aussi l’art. R.

653-1 du même code, incriminant les atteintes non intentionnelles à la vie (et à l’intégrité) d’une bête.

86 V. l’art. 528 c. civ., dans sa rédaction modifiée par la loi du 6 janv. 1999 relative aux animaux dangereux et errants et à la protection des animaux, qui distingue les « animaux », « qui peuvent se transporter d’un lieu à un autre » en se mouvant « par eux-mêmes », des « corps » qui ne peuvent « changer de place que par l’effet d’une force étrangère » ; v.

égal. l’art. 524 du même code, distinguant les « animaux » des « objets ». Adde, F. Zenati-Castaing et T. Revet, Les biens, PUF, coll. « Droit fondamental », 3ème éd., 2008, no 8, e), p. 32 : « il s’est agi [avec la loi du 6 janvier 1999] de démarquer l’animal de la chose inanimée en lui retirant la qualification de corps ou d’objet que lui avait donnée la rédaction originelle ».

87 V., p. ex., l’art. R. 654-1 c. pén., incriminant les mauvais traitements à animal ; v. aussi l’art L. 214-1 c. rur.

(reconnaissant la qualité d’« être sensible » de l’animal).

88 V. not. le Protocole sur la protection et le bien-être des animaux du Traité d’Amsterdam du 10 nov. 1997 :

« lorsqu’ils formulent et mettent en œuvre la politique communautaire dans les domaines de l’agriculture, des transports, du marché intérieur et de la recherche, la Communauté et les Etats membres tiennent pleinement compte des exigences du bien-être des animaux […] ».

89 V. infra, nos 212 s.

90 Pour quelques illustrations, v. infra, nos 9 s.

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