• Aucun résultat trouvé

L’abandon de l’animal comme choix de disposition patrimoniale – Ceci établi, il convient de remarquer que d’aucuns ont pu discerner (ceci au moins depuis une

Dans le document J La condition animale M I J L O D P C F U L E (Page 137-140)

Section II : Les consolidations modernes

L ES EFFETS JURIDIQUES DE LA FRONTIÈRE H OMME / ANIMAL

64. L’abandon de l’animal comme choix de disposition patrimoniale – Ceci établi, il convient de remarquer que d’aucuns ont pu discerner (ceci au moins depuis une

sentence du jurisconsulte Paul1002) dans la faculté romaine d’abandon de la bête actrice du dommage une reconnaissance de la responsabilité de l’animal. Dans son étude consacrée à La responsabilité (1920), Fauconnet affirmait ainsi que « la responsabilité des animaux est implicitement reconnue dans les législations qui admettent l’abandon noxal »1003 : jugeant « inadmissible de voir dans l’abandon noxal une simple prestation pécuniaire »1004, il considérait que les « deux termes de l’alternative » de l’action de pauperie (mais aussi de l’action de pastu, qu’il décrivait dotée de la

997 Justinien, Inst., 5, 9 ; Dig., 9, 1, 1, 3. V. aussi J.-F. Brégi, Droit romain. Les obligations, op. cit., p. 102. A noter, cependant, cette autre traduction de pauperies, qui s’entendrait du dommage causé par un quadrupède (l’absence de raison de l’acteur du dommage n’étant alors qu’implicitement entendue, par la référence même à un dommage émanant d’un animal) : v. J.-P. Lévy et A. Castaldo, Histoire du droit civil, op. cit., no 622, p. 929 ; A.

Fliniaux, Une vieille action…, art. préc., p. 251.

998 J.-P. Lévy et A. Castaldo, Histoire du droit civil, op. cit., no 622, p. 929.

999 J. Antier, Droit romain : des actions noxales…, thèse préc., p. 101 ; Y. Coppolani et F. Jean, Les animaux dans les anciens droits…, art. préc., p. 369 ; J.-P. Legros, in JurisClasseur Civil Code, art. 1382 à 136 – Fasc. 151-10 : Droit à réparation. Responsabilité du fait des animaux. Généralités, nov. 2009, no 6. Ulpien donnait cet exemple (Dig., 9, 1, 1, 10) : si un ours s’enfuit et fait du mal à quelqu’un, l’action de pauperie ne peut être exercée contre son propriétaire (qui, au demeurant, n’est peut-être plus tel en raison de la fuite de la bête, redevenue une res nullius), car l’ours a agi selon sa sauvagerie naturelle. Adde, J. Carbonnier, Droit civil, op. cit., no 1168, p. 2348. En revanche, était réputé agir contre sa nature le cheval qui ruait ou s’emballait, ou encore le bœuf donnant des coups de cornes : ibid., et J.-F. Brégi, Droit romain. Les obligations, op. cit., p. 102. Dans une veine assez proche, au début du XXème siècle, la Cour de cassation refusera d’appliquer l’article 1385 aux accidents de voitures pour lesquels il n’était pas établi que les chevaux se fussent montrés méchants ou vicieux (Req., 29 janv. 1906, DP 1907. 1. 71). Mais la solution sera vite abandonnée (Civ., 25 juin 1914, S. 1915. 1. 150). Adde, J. Carbonnier, Droit civil, op. cit., t. 2, no 1168, pp. 2348-2349.

1000 A. Fliniaux, Une vieille action…, art. préc., p. 281 ; P. Fauconnet, La responsabilité…, op. cit., p. 54.

1001 On remarquera que, outre que l’action de pauperie était une action générale relative aux dommages causés par des quadrupèdes appropriés, et l’action de pastu une action spéciale relative aux seuls préjudices résultant d’un pacage illicite, une nuance entre ces deux actions était encore que la première mettait essentiellement l’accent sur le fait de l’animal, quand la seconde visait bien plutôt le fait de l’Homme (celui de faire paître ses bêtes sur le terrain d’autrui) : v. J. Carbonnier, Droit civil, op. cit., t. 2, no 1168, p. 2348 ; A. Fliniaux, Une vieille action…, art.

préc., p. 281. Pour autant, que l’accent ait été mis plutôt sur le fait de la bête ou plutôt sur celui de l’être humain, en un cas comme dans l’autre, c’était uniquement la responsabilité du propriétaire qui était retenue, v. infra, ce même développement.

1002 V. A. Fliniaux, Une vieille action…, art. préc., pp. 267 s.

1003 P. Fauconnet, La responsabilité…, op. cit., p. 54.

1004 Ibid., p. 56.

124

même option à la faveur du responsable du pacage illicite1005) devaient être regardés comme

« deux systèmes de sanctions. Ou bien le propriétaire, responsable du fait de ses animaux, supporte la sanction de leurs actes ; si cette sanction est purement restitutive, il répare le dommage […]. Ou bien l’animal, personnellement responsable de son fait, en supporte la sanction : tout se passerait entre lui et l’offensé, si l’animal pouvait être son propre maître […] ; mais puisqu’il appartient à un maître, celui-ci intervient nécessairement : il approuve et facilite l’exécution de la sanction »1006. Et d’autres auteurs d’ajouter que le fondement de l’abandon de la bête à la victime du dommage serait la vengeance privée, qui assertent en ce sens que « Partout où règne la vengeance privée, nous retrouvons la théorie des actions noxales »1007 ; en ce dernier cas aussi l’animal est donc regardé responsable : responsable – et pas seulement acteur ou instrument – du dommage, qui, livré entre les mains de la victime (plutôt de la famille, avec à sa tête le pater familias), serait exposé à sa vengeance1008.

Ces opinions, cependant, ne sont pas unanimes, car contredites par d’autres qui, à juste titre, refusent de voir à travers la pratique de l’abandon de l’animal l’affirmation de sa responsabilité. Dans leur Histoire du droit civil, Jean-Philippe Lévy et André Castaldo écrivent à ce sujet que, à travers la livraison à elle de l’animal, la victime du dommage est, « en quelque sorte, payée sur la bête qui constitue […] pour elle une indemnité »1009. Car il n’était, au fond, question que de cela : d’un mécanisme indemnitaire1010, de compensation (comme l’était au demeurant la Loi du Talion, si souvent et à tort réputée norme de vengeance privée1011), par lequel le propriétaire de la bête, lorsqu’il décidait de ne pas réparer directement le préjudice subi par la victime, lui abandonnait1012 alors une partie de sa propriété, de son patrimoine, comme un autre moyen de l’indemniser1013 (c’est exactement l’analyse d’Arlette Lebigre, qui affirme :

1005 Ibid., p. 54.

1006 Ibid., p. 56.

1007 J. Antier, Droit romain : des actions noxales…, thèse préc., pp. 108 s., cit. p. 121.

1008 V. F. de Visscher, Les actions noxales…, op. cit., ainsi que le compte-rendu de cet ouvrage par C. Appleton, RHD 1919. 112. Adde, les diverses thèses énumérées relativement au fondement de l’abandon des animaux dans le cadre des actions de pastu et de pauperie par A. Fliniaux, Une vieille action…, art. préc., pp. 251 s.

1009 J.-P. Lévy et A. Castaldo, Histoire du droit civil, op. cit., no 622, p. 930. V. aussi, parlant similairement d’« indemnité » à propos de l’abandon, J. Imbert et G. Levasseur, Le pouvoir, les juges et les bourreaux. 25 siècles de répression, Hachette, 1972, p. 195.

1010 Cette nature indemnitaire, réparatrice, est d’ailleurs confirmée par un extrait des Institutes de Justinien (4, 8), à propos de l’abandon noxal de l’esclave : « Lorsque des actions sont exercées noxalement, il est permis au maître qui a été condamné, soit de s’acquitter de la condamnation qui a été prononcée, soit d’abandonner son esclave en réparation » ; v. J.-F.

Brégi, Droit romain. Les obligations, op. cit., p. 101.

1011 V. R. Draï, Œil pour œil : le mythe de la loi du Talion, J. Clims, coll. « Liens sacrés », 1986. Adde, précisément à propos de la noxalité, J.-F. Brégi, Droit romain. Les obligations, op. cit., p. 103, affirmant qu’il n’est pas « à proprement parler » question à travers elle du « droit de se venger ».

1012 L’abandon, d’ailleurs, pouvait n’être que temporaire : la bête, en effet, pouvait n’être livrée en gage que pour un temps à la victime ; c’était là une facilité pour le propriétaire : il disposait de plus de temps pour réunir le montant de l’indemnité constituée sur sa tête. V. J.-P. Lévy et A. Castaldo, Histoire du droit civil, op. cit., no 622, p.

929.

1013 Celui à qui avait été abandonnée la bête pouvait, par exemple, la vendre, ou encore l’employer à ses services.

125

« Livré et remis à un nouveau maître, l’animal représente dans le patrimoine de celui-ci la contrepartie économique que le paiement de l’aestimatio lui aurait procuré d’une autre manière »1014). L’option en présence – payer l’estimation du dommage/compenser le préjudice par l’abandon de la bête – apparaissait donc telle l’expression d’un choix de disposition patrimoniale, et en aucun cas ne signifiait une acceptation ou un désistement de responsabilité1015 : toujours, c’était l’Homme et uniquement lui qui était responsable, cette responsabilité pouvant simplement se concrétiser de deux manières au plan patrimonial. Et pourquoi l’Homme était-il seul responsable, et jamais la bête ? Parce que lui était une personne, et elle, une chose – en cela dépourvue de patrimoine.

L’analyse proposée se confirme d’ailleurs au regard de l’évolution de la pratique de l’abandon noxal. Originellement, en effet, c’était tous les alieni juris, toutes les « personnes en puissance »1016 (i. e. les personnes en devenir, les personnes possibles, qui étaient donc en même temps autant de choses présentes, d’actuels « non-sujets de droit »1017 – la catégorie comprenait notamment1018 les fils et filles de familles ainsi que les esclaves) qui pouvaient faire l’objet d’un abandon par le pater familias ou le maître1019. Or, avec le Bas-Empire, les fils et filles de familles (surtout les fils) allaient accéder à la personnalité juridique et à la pleine capacité patrimoniale1020 : devenus des personnes, ils n’étaient alors plus susceptibles de faire l’objet d’un abandon noxal, et la raison en était simple : ils pouvaient eux-mêmes « répondre directement sur leurs biens des délits privés qu’ils [avaient] pu commettre »1021. Par opposition, l’esclave, lui, était demeuré une chose ; en conséquence, il continuait à être abandonné noxalement.

Mais s’il avait été affranchi après le délit1022 – c’est la solution des Institutes de Justinien1023 –, la

1014 A. Lebigre, Quelques aspects de la responsabilité pénale en droit romain classique, préface J. Imbert, PUF, 1967, p. 29.

Rappr. R. Savatier, Le droit de la personne et l’échelle des valeurs, in En hommage à Victor Gothot, Liège, 1962, p.

567, spéc. p. 568 : « depuis l’abandon de la responsabilité noxale, la réparation en nature tient peu de place en matière de responsabilité, à côté de la réparation pécuniaire » (pour Savatier, l’abandon noxal était donc une forme de réparation).

1015 Contra, P. Fauconnet, La responsabilité…, op. cit., p. 56. Reste que l’on voit mal quelle cohérence juridique il y a à faire varier l’imputation de la responsabilité en fonction d’un seul choix du propriétaire de l’animal : que celui-ci décide de payer le dommage, et il est, selon Fauconnet, le responsable ; qu’il décide, à l’inverse, d’abandonner son animal, et c’est ce dernier qui doit alors supporter la responsabilité du préjudice causé.

L’ensemble n’apparaît pas tenable, qui subordonne l’établissement de la responsabilité à un choix effectué a posteriori (i. e. après la survenance du dommage), alors même que c’est en amont, sur des principes directeurs dégagés a priori, et ensuite appliqués à chaque cas d’espèce, que doivent être déterminées les règles de la responsabilité.

1016 J.-F. Brégi, Droit romain. Les obligations, op. cit., p. 101 ; J.-P. Lévy et A. Castaldo, Histoire du droit civil, op. cit., no 620, p. 927.

1017 Au sens donné par Carbonnier dans son article déjà cité (Etre ou ne pas être…, art. préc., p. 233) : « Il n’est de non-sujets de droit que ceux qui avaient vocation théorique à être sujets de droit, et qui sont empêchés de l’être ».

1018 Mais pas uniquement, car il fallait y ajouter la femme mariée, in manu.

1019 J.-F. Brégi, Droit romain. Les obligations, op. cit., pp. 101 et 108.

1020 Ibid. S’agissant des filles de famille, certains auteurs affirment que des « raisons de bienséance » devaient conduire les juristes, notamment ceux de l’époque de Justinien, à refuser le maintien de leur abandon noxal (J.-P. Lévy et A. Castaldo, Histoire du droit civil, op. cit., no 621, p. 929).

1021 J.-F. Brégi, Droit romain. Les obligations, op. cit., p. 108.

1022 Ibid., p. 105.

126

faculté de noxalité disparaissait, et l’ancien esclave devenu Homme libre devait répondre de son fait passé ; il n’y avait là que de la pure logique juridique : l’affranchissement avait fait d’une originelle res humaine un sujet de droit, titulaire d’un patrimoine. Voilà qui confirme pourquoi l’animal ne pouvait jamais être regardé comme responsable dans le cadre de l’action de pauperie (comme dans celui de l’action de pastu, à supposer qu’elle réservait une identique faculté d’abandon1024) : parce que selon le Droit romain, seules les personnes1025 répondaient de leurs actes dommageables ou de ceux des choses1026 en leur possession1027, l’animal, lui, objet de droit et non-titulaire d’un patrimoine, ne pouvait supporter les prolongements juridiques de ses agissements préjudiciables. En clair : c’était sa qualité de chose qui faisait de la bête un impossible sujet de responsabilité.

B – Les procès d’animaux

65. Origine et typologie des procès d’animaux – Un autre lieu historique de

Dans le document J La condition animale M I J L O D P C F U L E (Page 137-140)