• Aucun résultat trouvé

La poe tique de la compleḿentation dans l ećriture de Sony Labou Tansi apre s Vers une ećopoe tique

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2022

Partager "La poe tique de la compleḿentation dans l ećriture de Sony Labou Tansi apre s Vers une ećopoe tique"

Copied!
10
0
0

Texte intégral

(1)

diaspora

 

Soutenances de thèses

La poe ́ tique de la comple ́ mentation dans l’e ́ criture de Sony Labou Tansi apre ̀ s 1980. Vers une

e ́ copoe ́ tique

Soutenance de thèse, 7 janvier 2021, université Sorbonne-Nouvelle

Alice Desquilbet

Édition électronique

URL : https://journals.openedition.org/coma/6586 ISSN : 2275-1742

Éditeur

Institut des textes & manuscrits modernes (ITEM) Référence électronique

Alice Desquilbet, « La poétique de la complémentation dans l’écriture de Sony Labou Tansi après 1980. Vers une écopoétique », Continents manuscrits [En ligne], Soutenances de thèses, mis en ligne le , consulté le 06 octobre 2021. URL : http://journals.openedition.org/coma/6586

Ce document a été généré automatiquement le 6 octobre 2021.

Continents manuscrits – Génétique des textes littéraires – Afrique, Caraîbe, dispora   est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International.

(2)

La poe ́ tique de la comple ́ mentation dans l’e ́ criture de Sony Labou Tansi apre ̀ s 1980. Vers une e ́ copoe ́ tique

Soutenance de thèse, 7 janvier 2021, université Sorbonne-Nouvelle

Alice Desquilbet

1 Je vous remercie Madame la Présidente. Mesdames et Messieurs les membres du jury, Madame la présidente, je vous remercie vivement de votre présence aujourd’hui, que ce soit en chair ou en idée – pour reprendre le titre d’un ouvrage posthume de Sony Labou Tansi – pour la discussion de ma thèse intitulée : « La poétique de la complémentation dans l’écriture de Sony Labou Tansi après 1980. Vers une écopoétique ». Après trois années de recherches, c’est une vraie chance et un réel plaisir de pouvoir en discuter.

Les questionnements soulevés par mon travail ont été très justement soulignés par Pierre Schoentjes et Yolaine Parisot dans leurs rapports préalables à cette soutenance et, en attendant que nous puissions y revenir, je les en remercie.

2 Permettez-moi également d’adresser mes pensées affectueuses à ma famille et mes amis qui ont toujours été derrière moi, selon la métaphore convenue, dont le sens se trouve aujourd’hui un peu déplacé mais qui se fait malgré tout entendre – grâce aux dispositifs de la visioconférence, et j’en suis heureuse – dans toute sa concrétude.

3 Je remercie également avec beaucoup d’amitié l’équipe Sony de l’ITEM (l’Institut des Textes et Manuscrits Modernes). Le travail que Nicolas Martin-Granel mène depuis 20 ans sur les manuscrits de Sony Labou Tansi, ainsi que sa générosité à partager et faire circuler ses mines d’or au sein de notre petite phratrie francongolaise, m’ont été d’une aide inestimable. Je dois beaucoup aux travaux d’édition qu’il a réalisés avec Greta Rodriguez-Antoniotti. Ma thèse est remplie de ses trouvailles et de son amitié aussi, ainsi que celle de Julie Peghini. Leur éthique de la recherche, qu’ils mènent ensemble sur le terrain congolais en ayant toujours le souci de s’inscrire dans le cercle des amis de Brazzaville, est pour moi un exemple. Mon travail sur les dernières œuvres de Sony est aussi redevable de la thèse de Céline Gahungu sur les écrits de jeunesse de

(3)

l’écrivain, qu’elle a soutenue en 2016 et à laquelle j’avais assisté, assise au fond de la salle à côté de Patrice Yengo.

4 Les ouvrages de Patrice Yengo sont fondamentaux pour toutes celles et ceux qui souhaitent comprendre les enjeux politiques et anthropologiques des sociétés congolaises. Son essai sur la guerre civile récente du Congo Brazzaville ainsi que ses travaux sur « les mutations sorcières dans le Bassin du Congo » et « la politique du ventre » ont été fondateurs pour ma thèse. Patrice Yengo est également un fin connaisseur de la rumba congolaise et j’en profite pour souligner une coquille dans mon texte sur le nom du feu chanteur Franklin Boukaka. C’est aussi grâce aux discussions de l’équipe avec Patrice Yengo dans le bureau de Claire Riffard à l’ITEM que j’ai peu à peu compris l’univers congolais dans lequel je plongeais, avant de le découvrir en vrai, lors de mon premier séjour à Brazzaville en 2018, pour le festival de théâtre Mantsina Sur Scène.

5 Je pense aujourd’hui avec beaucoup d’affection aux amis de Brazzaville, des artistes de grand talent. Je remercie aussi mes compagnonnes et compagnons de route Ninon Chavoz, Kevin Even, Charlotte Laure, Marie Vigy, Rym Khene, Alice Chaudemanche et Julien Torchin. Nos échanges ou nos travaux communs ont été d’une aide précieuse et d’un grand réconfort.

6 Et puisque ma thèse s’est ancrée dans des lieux d’affections multiples, j’aimerais marier la Seine et le fleuve Congo à la Laïta mais aussi au Cher, qui baigne mon refuge tourangeau non loin des vignes, ainsi qu’à la Rivière salée où se trouve mon deuxième foyer lumineux, dans « le petit souffle tanguant des plaintes caraïbes » comme le dit Sony.

7 Enfin, je remercie de tout cœur mon directeur de thèse, Xavier Garnier, pour sa présence attentive pendant ces trois années, et même bien avant puisque, dès l’été 2009, dans un mail qu’il m’envoyait depuis un lieu du monde semble-t-il très mal connecté à Internet, il acceptait de diriger mon mémoire de Master 1 sur l’écriture de l’horizon chez l’écrivain malgache Jean-Luc Raharimanana. Je lui dois la découverte de Sony Labou Tansi, de Gilles Deleuze, de la géopoétique puis de l’écopoétique. Sa confiance, son attention et son enthousiasme m’ont permis d’avancer en me sentant à la fois soutenue et indépendante. Ses travaux sur Sony, ses réflexions sur l’écopoétique transculturelle potscoloniale et sa volonté de faire de la recherche collective au sein de l’Université ou au-delà (avec le groupe ZoneZadir) m’ont portée. La joie qui a été la mienne tout au long de ma thèse lui doit donc beaucoup.

8 Mon travail se fonde d’ailleurs en partie sur son ouvrage de 2015, Sony Labou Tansi, une écriture de la décomposition impériale, où il propose une analyse géopoétique des œuvres de l’écrivain congolais. Il y reprend l’hypothèse de Nicolas Martin-Granel qui met au jour l’existence de trois cycles dans l’œuvre de Sony. Mes recherches se sont centrées sur le troisième cycle qui se déploie dans les années 80 jusqu’à la mort de l’écrivain le 14 juin 1995, à 48 ans. Sony est alors publié au Seuil, il a fondé sa compagnie théâtrale du Rocado Zulu Théâtre qui est notamment invitée au festival des Francophonies de Limoges et à New-York, et il s’engage en politique au Congo de manière plus intense.

9 Selon Nicolas Martin-Granel, une mutation stylistique s’opère donc dans les romans de Sony, dès Machin la Hernie : elle concerne le chronotope, avec la création d’un environnement romanesque utopique ; le genre, avec le passage du monde masculin des hernies à l’univers féminin ; et enfin l’énonciation, avec le relai narratif des première et troisième personnes du singulier – je et il – à la première personne du

(4)

pluriel – nous. J’ai suivi l’intuition de Nicolas Martin-Granel, en faisant l’hypothèse que le changement poétique qu’il pressent dans l’écriture romanesque s’élargit à tous les genres littéraires que pratique Sony. Mon étude concerne donc les œuvres romanesques, théâtrales, poétiques et essayistiques qui sont écrites après le roman inédit Machin la Hernie, que l’écrivain rédige en 1979. En 2015, deux ouvrages de textes inédits de l’écrivain congolais ont été publiés. Il s’agit d’un recueil de courts essais intitulé Encre, Sueur, Salive et Sang et d’une édition génétique de ses poèmes, dans un volume de 1 260 pages. Ces deux publications ont révélé qu’en plus d’être un romancier prodigieux et un dramaturge important – connu pour ses romans, notamment La Vie et demie publié au Seuil en 1979, ainsi que pour son théâtre, qui a marqué le festival des Francophonies de Limoges entre 1985 et 1993 –, Sony est aussi un grand poète et un formidable essayiste. Aussi des lectures transgénériques des textes sonyens semblent- elles désormais s’imposer.

10 Aux trois critères fondamentaux que propose Nicolas Martin-Granel, j’ai souhaité en ajouter deux qui me semblent tout aussi importants. Le premier concerne les éléments naturels qui prennent une place de plus en plus active dans les intrigues sonyennes.

Dans les romans, cela se traduit notamment par le passage de la logorrhée politique à la parole terrestre. Le second critère a trait à l’usage que Sony fait du complément du nom qui mute lui aussi. Il ne reflète plus les excès « de ma hernie » dictatoriale, mais il me semble témoigner désormais d’un infléchissement écopoétique de l’écriture sonyenne.

Résumé de la thèse

11 À partir des années 1980, les œuvres de Sony Labou Tansi dénoncent l’exploitation effrénée des ressources en Afrique en opposant des cataclysmes naturels aux tractations financières de ploutocrates grotesques. Les romans, pièces de théâtre, poèmes et essais de l’écrivain congolais se donnent comme autant de prophéties qui révèlent et mettent en procès un monde miné par les prédations extractivistes, les magouilles financières et le gâchis de la « macdonaldisation » universelle. C’est en particulier par un travail poétique sur la complémentation nominale que Sony s’emploie à désenchanter les formules de la « sorcellerie capitaliste ». Cette forme grammaticale lui permet d’une part de déjouer le discours néocolonial et lui offre d’autre part un lieu syntaxique propice aux négociations avec la terre. Enfin, elle favorise la reconcrétisation des métaphores – ce qu’on a désigné comme des

« métaphores vibrantes » – que l’écrivain forge pour rendre compte de « la dimension magique » de la réalité. Sony Labou Tansi invente ainsi un nouveau style d’écriture, que l’on pourrait qualifier d’écopoétique.

Origine du projet

12 Mes retrouvailles avec Sony datent du printemps 2016. Alors que j’étais professeur dans le secondaire depuis trois ans, Xavier Garnier m’avait accordé un rendez-vous pour discuter d’un projet de thèse. Je souhaitais approfondir ma connaissance des textes sonyens dans la continuité de mon mémoire de Master 2. J’y avais proposé une étude géopoétique des écrivains congolais Tchicaya U Tam’si et Sony Labou Tansi, entre l’idée d’« appartenir au monde » de Tchicaya et celle de « venir au monde » de Sony. Pour la

(5)

thèse, Xavier Garnier me proposait de centrer mes recherches sur le « dernier Sony » et de m’inscrire dans le champ critique récent de l’écopoétique.

13 Je voulais aussi travailler sur les textes dans une perspective plus linguistique. L’usage que Sony faisait de la complémentation nominale me semblait singulier, c’est pourquoi je voulais intégrer à mon travail des analyses sur les compléments du nom. Je souhaitais ainsi continuer la pratique de la stylistique et de la grammaire que j’avais découvertes en préparant l’agrégation, notamment lors des cours de Florence Lefeuvre.

Cela me permettait également de suivre l’infléchissement plus poétique des études francophones : je souscrivais – et souscris encore – aux vœux de Claire Riffard qui appelle par exemple à « une critique utilisant les mêmes outils de Proust à Chamoiseau ».

14 Dès le printemps 2016 encore, j’ai eu la chance de rejoindre l’équipe Sony de l’ITEM, grâce à Claire Riffard justement, qui m’a très généreusement accueillie. Cela m’a permis de travailler au plus près des textes, jusque dans la matière vivante des manuscrits, mais aussi de participer à la mise en ligne des manuscrits des poèmes de Sony, avant d’être associée désormais au chantier en cours sur l’édition génétique de son théâtre.

Méthodes employées

15 L’orientation de mes travaux est en partie redevable d’un article sur les « enjeux éthiques de l’écopoétique », que nous avons écrit à dix mains avec Charlotte, Kevin, Marie et Ninon, pour le dossier ZoneZadir à paraître dans la revue Littérature. Nous avions alors privilégié une démarche inductive qui partait des textes littéraires plutôt que de principes théoriques, ainsi qu’un processus d’écriture collective. C’est aussi la double-méthode que j’ai voulu suivre dans ma thèse, en analysant en détail les textes de Sony d’une part, et en travaillant de plus en plus de manière collaborative d’autre part, pour les communications ou l’écriture d’articles par exemple.

16 Les colloques auxquels j’ai pu participer m’ont également permis d’élargir mes recherches et de préciser mes questionnements. Par ailleurs, le collectif ZoneZadir et l’Association pour l’Étude des Littératures Africaines (l’APELA) ont été des lieux d’échange qui m’ont enrichie.

Perspectives scientifiques adoptées

17 Deux perspectives scientifiques ont guidé mes recherches. La première consistait à discuter la proposition de Jean-Michel Devésa selon laquelle, à partir du milieu des années 80, l’œuvre de Sony est marquée par un infléchissement symboliste et universaliste. J’ai voulu montrer qu’il s’agit davantage d’un infléchissement écopoétique, loin d’être totalement déréalisé ou même dépolitisé. Il me semble en effet que Sony tient ensemble des préoccupations écologiques planétaires – toujours liées à des questions sociales – et des ancrages sensibles dans des terrains littéraires Kongo.

Mon travail sur l’allégorie politique de Jameson par exemple ainsi que sur la concrétude des métaphores est lié au désir de renouveler la lecture symboliste des derniers textes sonyens. J’ai essayé de montrer que, dès lors que l’engagement de Sony change de nature et prend en compte des enjeux écologiques contemporains, son écriture se

(6)

trouve aussi modifiée – mon hypothèse étant qu’elle est irriguée par un travail particulier sur la complémentation nominale.

18 La deuxième perspective de mon travail consistait à croiser les champs de la linguistique, de la poétique et de l’écologie, ainsi que l’engagement de Sony qu’on pourrait qualifier d’anticapitaliste et de tiersmondiste. Il s’agissait de tenir ensemble différents niveaux d’analyse, pour montrer que la poétique de la complémentation sonyenne qui, selon moi, s’élabore au sein du syntagme binominal (un nom + un complément du nom) reflète plus largement sa réflexion sur la complémentation entre les êtres humains et la nature, au sens où l’un sans l’autre seraient incomplets, mais aussi selon l’idée de Sony que « la nature humanise ». Sony oppose en effet très nettement le choix de la « co-existence » à celui des économies de « bâclage », comme il le dit.

Difficultés rencontrées

19 Les séjours à Brazzaville également m’ont ouvert de nouvelles perspectives de travail, provoquant aussi des remises en question sur ma thèse – voire au-delà. La connaissance des textes sonyens change à chaque voyage, selon la fortune des rencontres et les entretiens menés. Le travail sur un corpus mouvant comme celui de Sony n’est pas sans poser certaines difficultés, à commencer par la datation des textes, voire leur parenté.

« Des labyrinthes incessants, voilà ce qu’est la création », nous a averti l’écrivain. Par exemple, la pièce de théâtre Monologue d’or et noces d’argent se donne comme une réécriture d’Une vie en arbre et chars... bonds, alors que les deux textes s’avèrent en fait très différents, notamment en ce qui concerne le travail sur la parole de l’autre plurimillénaire et sur la transe qui apparaît dans Monologue d’or et Noces d’argent. De plus, le dossier génétique de cette pièce se compose de plusieurs manuscrits qu’il s’agirait de comparer afin de mieux comprendre l’évolution de la poétique sonyenne à cet égard. Les textes de Sony constituent donc un monde dont je ne suis pas (encore) sortie.

20 En outre, il m’a fallu par la suite trouver un cadre théorique pour asseoir mes analyses des derniers textes sonyens. Dans le domaine de la littérature, tandis que l’écocritique se soucie des enjeux éthiques et sociétaux qui émaillent les textes littéraires, l’écopoétique s’emploie à mettre l’accent sur les questions de forme et d’écriture qui émergent dès que la littérature se préoccupe de l’écologie. À cet égard, l’ouvrage de Pierre Schoentjes Ce qui a lieu. Essai d’écopoétique, paru en 2015, fait date : il introduit le concept d’« écopoétique » dans les études littéraires belges et françaises notamment. Je me suis centrée sur l’écopoétique plutôt que sur l’écocritique pour deux raisons principales. D’une part, j’avais déjà un corpus sonyen dense et un ancrage congolais à comprendre. D’autre part, l’orientation stylistique de mon travail m’invitait à privilégier l’étude de la critique écopoétique. J’aurais pu évoquer les travaux de Rachel Carson par exemple, je pense au Printemps silencieux (1962) qui pouvait être mis en regard du cri de la falaise de Sony, mais aussi à La Mer autour de nous (1953) où elle consacre un chapitre à la naissance des îles volcaniques, en insistant sur les forces telluriques des profonds. Néanmoins, son étude sur les îles comme réserves naturelles isolées des continents m’aurait sans doute éloignée des îles sonyennes. Par ailleurs, les réflexions de Lawrence Buell sur l’écriture environnementale – qui sont presque contemporaines de Sony – aurait pu constituer un point de départ pour dépasser les

(7)

catégories éthiques et thématiques qu’il propose, comme l’a montré Sara Buekens. Ce dépassement aurait affermi la définition de l’écriture écopoétique sonyenne à l’aide des critères esthétiques que je définis, tels que les ancrages sensibles des métaphores.

J’aurais pu également étayer mes analyses des complémentations nominales anticapitalistes du chapitre 3 avec l’étude des effets dévastateurs du développement menée par Laura Wright ou l’idée de « slow violence » de Rob Nixon, mais les essais sonyens constituaient déjà en eux-mêmes une matière très riche et je voulais avant tout faire entendre la voix de l’écrivain. Enfin, à la suite de l’essai fondateur L’Empire vous répond que je cite parce qu’il introduit les enjeux écologiques dans l’étude des littératures postcoloniales, il aurait été possible de mentionner d’autres ouvrages d’écocritique postcoloniale récents comme Postcolonial ecologies de 2011, qui s’inspire du rhizome glissantien pour connecter les études environnementales aux questions liées à l’histoire impériale. Si j’ai choisi de me concentrer notamment sur l’ouvrage plus récent de Malcom Ferdinand, c’est parce qu’il propose de penser l’écologie depuis un ancrage local, le monde caribéen, et sans doute aussi par affinité pour ce lieu.

21 La dernière difficulté que j’ai rencontrée, qui est en fait la première dans l’ordre chronologique, porte sur ma légitimité à proposer une thèse sur un écrivain congolais.

De ce point de vue, mes deux séjours à Brazzaville m’ont vraiment aidée à me lancer dans la rédaction. Il me semble que cette expérience est loin d’être anodine puisqu’elle invite à réfléchir aux conséquences de la poétique des lieux, dans lesquels les textes littéraires nous plongent. En commençant ma thèse, j’étais convaincue que la littérature devait se suffire à elle-même et que, de la même manière que les doctorantes et doctorants qui travaillaient sur le XVIIe siècle n’avaient pas besoin de voyager dans le temps, il n’était pas nécessaire que celles et ceux qui étudiaient des œuvres d’auteurs et d’autrices africaines et africains se rendissent sur le terrain. Je pensais alors que les textes suffisaient.

22 Il est vrai que la force de l’écriture sonyenne ne semble avoir besoin d’aucun autre étai.

Et pourtant, mes deux séjours à Brazzaville m’ont aidée à mieux comprendre ce que je lisais dans les œuvres de Sony. Et ce n’est pas seulement la révélation des paysages équatoriaux qui a bouleversé le cours de mes recherches car j’ai aussi fait connaissance avec toute une communauté d’artistes résistantes et résistants, pour qui l’œuvre ou le nom de Sony Labou Tansi continuent de résonner de façon fondamentale. En découvrant la ruelle Hippolyte Mbemba où habitait Sony dans l’arrondissement brazzavillois de Makélékélé, et qui débouche sur le fleuve Congo, j’ai également commencé à un peu mieux comprendre pourquoi on rapporte souvent les poétiques congolaises à la force fluviale. J’ai moi-même mieux saisi le chemin à parcourir en écoutant Dieudonné Niangouna qui, empruntant le mot de Kundera, affirme qu’il faut savoir « d’où l’auteur parle ». Aussi paraît-il souhaitable que, comme le suggère Pierre Schoentjes à propos de la recherche écopoétique, « [les livres] ne remplacent jamais l’expérience, vécue avant d’être écrite » et que l’on ne se contente pas de « pouvoir voyager en imagination seulement ».

23 Or, si l’écopoétique nous engage à aller dans les lieux, est-ce parce que la littérature ne parvient pas à nous y emmener seule ? Ou, au contraire, ne serait-ce pas la force de la littérature de ne pas nous sortir du monde mais de nous y ramener ? Je gage que les œuvres nous attirent dans des lieux, non pas à l’image des conquêtes mais comme une manière de retrouvailles, afin que nous ré-habitions l’oïkos d’une façon plus vibrante.

(8)

Résultats obtenus

24 Ces hypothèses ont affermi ma réflexion écopoétique autour de la poétique de la complémentation sonyenne. En premier lieu, la notion de complémentation articule la littérature et la linguistique. La mise en relation de ces deux champs m’a permis de réfléchir aux enjeux stylistiques des métaphores en de. Je me suis appuyée sur les travaux de Joëlle Gardes Tamine qui soutient que « la syntaxe de la métaphore n’est pas indifférente », dans la mesure où le mécanisme associatif est exacerbé par la préposition. Aussi de est-il bien plus qu’un « petit mot », comme le soutient Annick Englebert. J’ai voulu montrer que son rôle déterminatif en fait un ferment de la « co- existence » sonyenne et que sa capacité à coder l’origine démontrée par Ludo Melis ancre les images dans le réel. C’est ce que j’ai proposé d’appeler des « métaphores vibrantes », à partir des « métaphores vives » de Paul Ricoeur. Bien plus qu’une « forme d’écriture », l’usage singulier que Sony fait de la complémentation nominale serait une manière poétique de négocier le réel grâce à la magie des analogies qui vont l’élargissant, répondant ainsi à son rêve de « vie et demie ».

25 La deuxième réflexion que j’ai menée concerne la nature de l’écopoétique, définie avant tout comme un regard critique permettant de relire – voire de redécouvrir – des textes littéraires sous un nouvel angle d’analyse, à l’instar de ceux de Jules Verne comme l’a récemment soutenu Kevin Even. Forte de cette nouvelle forme de lecture critique, je me suis aussi demandée si, dans le cas de Sony, le concept d’« écopoétique » ne pouvait pas offrir une manière de qualifier un style d’écriture – celui de ses derniers textes. À cet égard, j’aimerais revenir avec vous sur un extrait d’un poème particulièrement important pour ma thèse :

j’ai foutu

la genèse par terre qu’on me laisse

le temps de réparer un Dieu en panne sous la rouille

des coca-cola sonnez vos bombes sonnez votre bêtise

de vivre du foin des chromosomes sonnez vos amours pourris en ce temps de ferraille je n’ai pas de temps à prêter aux amériques je n’en ai même à vendre au cosmocide —

le seul temps à tuer

est celui de l’homme à genoux […]

Me voici

à l’entrée de ce siècle bousillé vêtu du corps suave de Kidja ; l’Amérique

reste hélas un rêve manqué une hémorragie que l’Histoire n’a pas bouchée

(9)

La cinquième Avenue est devenue

un bel amour grandement ouvert sur les formes d’un petit

cul carrément banal et ce métro enragé qui aboie

qui aboie qui aboie Transactions Translations Folle arrogance […]

26 Ce poème du cosmocide peut-il être lu dans une perspective écopoétique ? Aucune nature n’y apparaît et les métaphores en de nous plongent dans la ferraille et les chromosomes. La couleur de la rouille associée au coca-cola prend la place de l’attention que le poète aurait pu porter aux saules pleureurs ou aux jacinthes, comme il le fait d’ailleurs dans d’autres poèmes. Ici, nul soupir des vagues ni cris de la falaise, qui se font pourtant entendre dans les derniers romans de Sony. Seuls le bruit des bombes et les aboiements du métro résonnent. Enfin, les flots hémorragiques nord- américains et le rythme des transactions financières usurpent la poésie des remous du fleuve dont Sony sait pourtant si bien parler, comme le montre son texte « l’Empire de l’eau ». Au cours de ces trois années à lire Sony, j’ai pu me rendre compte que ce qui fonde le regard écopoétique porté sur un texte réside peut-être moins dans la quête des descriptions naturelles que dans l’étude de la manière dont l’écriture rend sensible des lieux du monde. C’est là une dimension qui permettrait de suggérer que l’écopoétique se situe autant dans la lecture d’un texte que dans son écriture.

27 Enfin, le troisième résultat important de ma thèse concerne l’engagement radical de Sony. Si des débats critiques polémiques portent sur son engagement politique dans le parti nationaliste de Kolélas, je gage que la radicalité de Sony doit surtout être appréhendée par le biais des revendications sociales et écologiques qu’il porte jusqu’à la fin de sa vie et que la lecture écopoétique permet de bien montrer. L’approche monographique de mon travail vient du fait qu’il s’agit selon moi d’une voix littéraire prophétique forte et très singulière au regard de l’époque et de ses pairs sur les questions écologiques, sociales et politiques. À cet égard, il me semble que l’engagement de l’écrivain m’obligeait à m’engager moi aussi avec lui en tant que chercheuse, si je voulais en rendre compte le plus justement possible. Il m’a paru que son style incisif rendait tout ton neutre impossible, d’autant plus que je crois que l’écologie est indissociable des questions sociales et politiques que l’écrivain congolais soulève sans ambages.

28 La question de l’engagement a d’ailleurs été un point important de la réflexion que nous avons menée avec Charlotte, Kevin, Marie et Ninon pour notre article, gageant que, « dans le combat entre les valeurs associées aux expériences du monde décrites dans les textes, les lectrices et lecteurs étaient invité.e.s à choisir leur camp et les critiques littéraires, leurs armes ».

Perspectives de recherche à venir

29 Ces résultats m’ouvrent plusieurs perspectives de recherches. Je souhaiterais mettre en regard d’autres écopoétiques congolaises sur l’extractivisme contemporain, en partant

(10)

des œuvres de Sinzo Aanza et Fiston Mwanza Mujila par exemple, sur lesquelles j’ai déjà un peu travaillé. Par ailleurs, Xavier Garnier dirige un projet subventionné par l’Institut Universitaire de France qui se propose de mettre en place un observatoire des mobilisations littéraires associées aux lieux écologiquement menacés, et sa proposition de m’y associer en travaillant sur le Congo-Brazzaville m’enthousiasme prodigieusement. Vraiment, mon travail sur Sony m’a donné le goût de la recherche et le désir de continuer. Je vous remercie.

INDEX

Mots-clés : Afrique, Sony Labou Tansi, génétique textuelle, écocritique, éco-poétique Keywords : Africa

Références

Documents relatifs

Le Groupe d’experts intergou- vernemental sur l’évolution du climat (GIEC) est un organisme intergouvernemental, ouvert à tous les pays membres de l’ONU. Il « a

On appelle caractéristique d'un dipôle la courbe représentant les variations de la tensions aux bornes de ce dipôle (U) en fonction. de l'intensité du courant qui

Des questions de cours et des petits exercices pour la partie Informatique géné- rale, un ou deux algorithmes à écrire pour la partie algorithmique, un MCD (Modèle Conceptuel

• Une œuvre fait partie d’un type et un seul (Roman, BD…) • Un type peut contenir plusieurs œuvres.. • Une œuvre appartient à un courant ou à aucun • Un courant

Quelle fraction de son temps de connexion Elvis a t'il consacré à sa recherche sur la

On l’a vu, le récit de Théo Ananissoh, que Fabien Mollon considère comme un « anti-hommage à Sony Labou Tansi » (Mollon, 2015), n’est pas dépourvu de

Il faudra examiner les conditions d’une réappropriation critique des savoirs endogènes et une intégration de ces savoirs dans le mouvement de la recherche vivante. Penser la

Propriété : théorème de Pythagore : dans un triangle rectangle, le carré de la longueur de l’hypoténuse est égal à la somme des carrés des longueurs des deux autres côtés. 2)