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Histoire de la Méditerranée

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Histoire de la Méditerranée

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D U M Ê M E A U T E U R :

Diffusion Pion :

L A L U T T E POUR LA V I E .

M E N S O N G E S ET V É R I T É , e s s a i s u r l a F r a n c e . L E S GRIMACES DE L ' H I S T O I R E .

LES E C H É A N C E S DE L ' H I S T O I R E OU L ' E C L A T E M E N T DES EMPIRES COLONIAUX DE L ' O C C I D E N T .

L E S CONVULSIONS DE L ' H I S T O I R E OU LE DRAME DE LA DÉSUNION E U R O P É E N N E .

L A M A R I N E DANS L ' H I S T O I R E DE F R A N C E .

H a c h e t t e :

L A M A R I N E FRANÇAISE P E N D A N T LA SECONDE GUERRE MONDIALE ( c o u r o n n é p a r l ' A c a d é m i e F r a n ç a i s e ) , e n c o l l a b o r a t i o n a v e c J a c q u e s M o r d a l .

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l ' O r d r e d u j o u r

PAUL AUPHAN

ancien Secrétaire d'État à la Marine

Histoire de la Méditerranée

LA T A B L E R O N D E 40, rue du Bac

PARIS-VII

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© Les Éditions de la Table Ronde, 1962.

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« La Méditerranée est la mer des idées, de la civilisation et des arts, la mer épique. L'Océan, sans les missionnaires qui parfois le traversent, ne serait que le chemin des ballots, la mer marchande... »

Louis VEUILLOT.

(Les Français en Algérie.)

« Activité économique, activité intellectuelle, activité politique, activité religieuse, activité artistique, tout se passe, ou du moins tout semble naître autour de la mer Intérieure. »

Paul VALÉRY.

(Variété — Conférence du 15 nov. 1922.)

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Introduction

T

OUT être vivant est mû intérieurement par un principe qui le fait germer, croître et s'épanouir jusqu'à remplir la tâche qui lui est dévolue dans l'harmonie du monde créé. De même toute civilisation prend sa source dans un absolu d'ordre religieux, positif ou négatif, qui lui imprime sa force d'expansion.

Mais, alors que le végétal ou l'animal est déterminé dans ses fins, une civilisation, par suite du libre jeu humain, peut évoluer avec les générations successives et finir par diverger notablement de son orientation initiale. On ne peut pas dire alors qu'elle trahit ses origines, car, malgré tout, la tradition continue à l'imprégner. On ne peut pas dire, non plus, qu'elle leur reste fidèle puisque la société qui l'incarne les néglige, les oublie ou même les renie... Telle est l'aventure de la civilisa- tion chrétienne, plus exactement — l'Eglise n'étant inféodée à aucune forme temporelle — de la civilisation qui s'est élaborée autour de la pensée et de la morale chrétiennes sur les rives de la Méditerranée.

C'est un peu cette histoire que je vais essayer de raconter, en la ramassant assez pour placer dans une perspective suffi- samment longue les événements qui la jalonnent, seule manière de les comprendre, de les expliquer et d'en tirer des leçons applicables aux échéances politiques qui nous pressent.

Parsemée des reliques du passé, la Méditerranée n'est pas une mer comme les autres. Il serait osé d'en parler sans la connaître autrement que par les livres. A cet égard la vie m'a

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gâté. Comme tous les marins qui ont fait les deux guerres, je l 'ai sillonnée jusque dans la plupart de ses recoins. J'y ai subi des coups de vent furieux, suffoqué au mouillage dans les coques surchauffées de nos bateaux d'acier, grelotté sous la bora ou le mistral, haleté au souffle brûlant du khamsin, fris- sonné intérieurement après quelque atterrissage scabreux, redouté la splendeur indiscrète de la nuit au cours de mainte opération de guerre, maudit parfois la transparence si limpide de l' eau qu'un sous-marin en plongée peut s'y sentir aussi gêné qu'un homme se promenant tout nu dans la rue, ce qui n'est pas drôle quand on aperçoit un Zeppelin dans son péris- cope... J'ai fait plusieurs longs séjours à terre dans le Levant au contact de l'Islam. J'ai occupé pendant quelque temps à Fiume un poste d'observation sur les Balkans. J'ai accompli le pèlerinage de Jérusalem. J'ai eu des amis à l'Université d'El Azhar. Pour moi, comme pour de nombreux marins de la première guerre mondiale, Milo n'évoque pas que la Vénus sans bras du Musée du Louvre et la statue de Ferdinand de Lesseps, aujourd'hui déboulonnée, reste inséparable du pay- sage qui nous accueillait, après de longues patrouilles, dans les jetées de Port-Saïd.

La Méditerranée est une mer si dense en événements histo- riques qu'il est rare de défiler au large d'un de ses sites sans qu'il ne vous rappelle quelque épisode ou quelque bataille.

Il n'est pas de cap, d'île, de promontoire qu'on ne double sans émotion tant on y sent encore la présence des marins d'au- trefois, aventuriers héroïques que Charybde et Scylla, au débouché de Messine, suffisaient à effrayer. La Méditerranée est par excellence la mer épique.

Cependant, elle ne constitue qu'un cadre, qu'un décor de théâtre. Ce qui est intéressant, ce sont les acteurs qui en peuplent les rives, c'est la pièce que depuis trois ou quatre mille ans ils continuent à jouer.

Elle est une pièce à clef, et même à clef très simple. Mais on ne peut la trouver qu'en survolant les événements de haut et qu'en les éclairant sous un angle convenable, comme ces archéologues aviateurs qui font réapparaître des contours que le temps avait effacés.

La lente élaboration du berceau gréco-romain où la religion chrétienne devait éclore a d'abord été une question de peuple-

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ment. Elle fut l'œuvre des innombrables millénaires de la pré- histoire. Il en est issu une population méditerranéenne déjà très mêlée, plus nombreuse à l'Est qu'à l'Ouest, plus avancée techniquement et plus évoluée politiquement en Orient qu'en Occident.

Quelles qu'aient été, après l'époque tribale, les formes de vie en commun adoptées par l'un ou l'autre des peuples rive- rains (cités, fédérations de cités, colonies...), elles étaient plus harmonieuses et plus équilibrées que les grands ensembles totalitaires du monde asiatique. La Méditerranée est essen- tiellement une mer humaine et la première geste de ses marins a été pour défendre à Salamine l'humanisme grec contre le despotisme oriental.

Rassemblée pour l'action en une sorte d'union sacrée, la Grèce, une fois la Méditerranée sauvée, est retombée dans ses discordes. Sans doute tenons-nous d'elle à cet égard... Devant cette carence, une poigne militaire s'imposait pour dominer l'anarchie méditerranéenne. Elle s'est dégagée peu à peu des événements. De Salamine à Actium, quatre siècles de guerres internationales et de guerres civiles ont fait surgir un pouvoir central romain qui a réuni sous son autorité les divers secteurs de la « mer Intérieure », enfin prête à assumer son rôle.

Ce n'est pas par hasard que le Christ est né sur les bords de cette « mer du milieu des terres », au carrefour des trois continents qui ont peuplé le reste de la planète et à une époque où les relations maritimes, dans un cadre pacifié, étaient devenues assez sûres pour permettre une expansion naturelle de la « bonne nouvelle ».

A l'inverse des dominations politiques qui s'imposent tou- jours plus ou moins par la violence, c'est par la souffrance que le christianisme, au bout de trois siècles, a triomphé. Une fois enraciné jusque chez les Barbares au prix d'un brassage de trois nouveaux siècles, il a fait éclater sa coquille romaine et une Méditerranée transformée, rajeunie, radieuse est apparue à ses riverains. Elle comprenait trois Etats nationaux — l'Es- pagne wisigothique, la Gaule franque, l'Italie lombarde — et une vaste fédération, l'Empire byzantin qui, en dehors de son noyau grec et de ses ramifications slaves ou orientales, tenait trois grands protectorats : la Syrie, l'Egypte, l'Afrique du Nord.

Tous ces Etats étaient chrétiens, et même, pourrait-on dire, catholiques romains, puisqu'aucun schisme ne les séparait.

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Issue de cette foi commune, une seule civilisation, la civi- lisation chrétienne, encadrait la société cultivée. Sans doute s 'incarnait-elle en divers peuples, d'origines, de tradi- tions, de langues différentes; mais, malgré les discordes résultant des passions humaines, ces peuples ne formaient qu 'une même famille, qu 'une seule plante prête à s'épanouir en de multiples rameaux.

C 'est à cet ensemble harmonieux que l'Islam a porté un coup dont les conséquences ne sont pas encore épuisées, puis- que, sous un aspect qui a varié, la guerre sainte dure tou- jours.

Pourquoi la chrétienté a-t-elle été si facilement submergée?

Les leçons qu'on peut tirer de la non-résistance des chrétiens valent pour aujourd'hui encore. Il est certain aussi que l' Islam constituait pour des peuples encore à moitié barbares une religion diaboliquement tentante car, simultanément, elle répond au besoin de surnaturel qui est au fond de toute âme humaine et laisse à peu près libre cours aux passions les plus sensuelles ou les plus cruelles, alors que le christia- nisme cherche à les maîtriser. Ainsi pour les peuples sous- évolués d'aujourd'hui.

Les croisades — à part la première et, plus tard, celle de Saint Louis — n'ont pas été conduites dans le respect de leur appellation. Bien que la foi n'ait jamais été reniée par les Croisés comme par nos gouvernements modernes — ce qui constitue, malgré tout, une différence fondamentale — l'esprit de lucre l'a trop souvent emporté sur celui d'apos- tolat et le témoignage rendu face à l'Islam en a été vicié.

Le comble a été la prise de Constantinople par les Occiden- taux eux-mêmes. Elle a scindé définitivement la chrétienté en deux, ruiné le principal obstacle qui barrait l'Europe à l'Islam, préparé l'islamisation de la vieille capitale byzantine, dressé le monde gréco-slave contre l'Occident.

Une fois installés à Stamboul, les sultans ottomans ont ras- semblé sous leur autorité à la fois temporelle et spirituelle tous les musulmans de la Méditerranée depuis la frontière du Maroc jusqu'à l'Adriatique en passant par Alger, Tunis et Le Caire. Leur empire fut en quelque sorte la réplique sub- vertie, anti-chrétienne, constamment en expansion, de l'ancien empire d'Orient. Heureusement la vague musulmane put

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être arrêtée, à terre sous les murs de Vienne, sur mer à la bataille de Lépante, croisade sans la France sinon contre elle puisque la politique française s'employait alors à assister les Algéro-Turcs contre nos coreligionnaires méditerranéens, au grand scandale de la chrétienté. Par une ironie dramatique qui porte en elle sa leçon, c'est à nous aujourd'hui d'avoir comme adversaires les lointains descendants des musulmans que nous avons jadis aidés.

Toujours pourrissant, mais jamais abattu parce que les puissances européennes s'enrichissaient de sa misère, l'empire ottoman a tenu sous sa coupe pendant plus de quatre siècles les autres pays musulmans de la Méditerranée et les a mar- qués de la corruption qui accompagne toute occupation, ce qui a eu des conséquences. Par crainte de ne pas profiter de la totalité de ses dépouilles, la Grande-Bretagne, suivie de la France comme de son ombre, l'a défendu un moment contre la Russie en Crimée. Or si Constantinople, occupée par le tsar, était redevenue chrétienne, quelques financiers occidentaux en auraient sans doute pâti, mais les problèmes de la guerre 1914-1918 ne se seraient pas posés et peut-être ne connaîtrions-nous pas aujourd'hui la subversion commu- niste.

Ce n'est pas seulement en cette circonstance que le XIX siècle a été celui des occasions manquées.

Suivant une filière que nous remonterons, l'Islam arabe avait introduit en Méditerranée l'habitude de la course, c'est-à- dire du brigandage en haute mer au détriment des chrétiens sous couvert de guerre sainte. Au XIX siècle c'était encore le seul moyen d'existence de régences comme Alger dont les bagnes restaient peuplés d'esclaves chrétiens. Excédée, la France, avec l'accord des autres puissances chrétiennes de la Méditerranée, saisit l'occasion d'y mettre fin.

Le caractère maraboutique de l'Islam moghrebin le sous- trayait pratiquement à l'autorité du lointain khalife de Cons- tantinople. Celui-ci venait de voir sa flotte anéantie à Nava- rin et avait son armée empêtrée dans la guerre de l'Indépen- dance hellénique. L'autre souverain musulman qui aurait pu réagir, Méhemet Ali, entouré de Français, était notre client et ami, au moins jusqu'au moment où nous devions lui faire, un siècle à l'avance, le « coup du Glaoui ». En 1830 il n'y

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avait ni presse arabe, ni radio, ni propagande subversive d'aucune sorte. Les autochtones étaient des êtres simples, res- pectueux de la force, épris de justice, qui, bien qu'envoûtés par l'Islam, n'auraient pas été insensibles à certaines atti- tudes. Les Kabyles avaient été autrefois chrétiens et s'atten- daient un peu à le redevenir... Bref si, sans contraindre les consciences, nous avions seulement donné un exemple chré- tien et favorisé l'apostolat, tout était possible et nous aurions peut-être aujourd'hui, suivant l'expression de Mgr Lavigerie,

« une deuxième France, c'est-à-dire une France chrétienne sur l'autre rive de la Méditerranée ».

C'est le contraire que l'on fit. A travers ses fluctuations, notre politique eut une constante : l'attitude systématique- ment anti-chrétienne et pro-musulmane de l'Etat. Nous cueillons aujourd'hui les fruits de ce reniement. Ils seraient plus amers encore si une multitude d'officiers, de colons, de fonctionnaires n'avaient porté, à titre personnel, un témoi- gnage compensateur.

Dire que le problème algérien se pose depuis cent trente ans est vrai dans une certaine mesure. Mais il faudrait préciser pourquoi. Car ce n'est pas seulement parce que nous avons développé insuffisamment l'économie, bâti trop peu d'écoles, truqué des élections ou enseigné les faux-semblants démocra- tiques que ce problème reste pendant. C'est essentiellement parce que nous n'avons rien fait au point de vue spirituel pour intégrer les musulmans, corps et âme, à notre civilisation.

La religion communautaire du Coran est comme une chape de plomb sur les âmes; elle les étouffe sous son fatalisme sans joie; elle les empêche de s'épanouir; elle s'accorde mal avec la conception occidentale de la vie familiale que tant de musulmans évolués nous envient. Si nous avions vraiment aimé nos administrés, nous aurions tout fait pour les libérer de ce poids. C'était d'autant plus facile que le musulman, vivant souvent plus près de la nature, a, mieux que beaucoup d'entre nous, le sens profond de Dieu. Il suffisait de l'élargir aux dimensions infinies de la Révélation chrétienne. Avant d'affirmer que c'était impossible, il fallait au moins essayer.

Or nous n'avons jamais donné de notre civilisation que l'enve- loppe matérielle privée de son noyau chrétien. Nous avons suscité des besoins sans dire la morale d'emploi correspon- dante. Nous avons fait perdre la foi à beaucoup sans la rem- placer par autre chose que par ces « vertus chrétiennes

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devenues folles » que sont les idées démocratiques modernes, infusées sans tradition ni contrepoids.

L'histoire ne peut être que sévère pour le saccage de la Méditerranée par l'Islam. En toute justice, elle devrait l'être autant pour les Etats « chrétiens » de l'Occident moderne qui, égarés par leur laïcisme antireligieux, n'ont pas su répondre à la détresse morale informulée du monde musulman.

Quand on la comprime à l'extrême, l'histoire de la Médi- terranée se réduit aux deux « tableaux » d'un diptyque : celui où la civilisation chrétienne s'est élaborée au sein de l'ordre romain et celui où une intruse, la civilisation musulmane, est venue l'attaquer et a essayé de la dominer, créant un déséquilibre qui dure encore 1

L'assaut de l'Islam a été conduit, d'abord par les Arabes (sept siècles), ensuite par les Turcs ottomans (cinq siècles). La coexistence, au moins une coexistence pacifique et durable, s'est révélée impraticable avec les Arabes, difficile avec les Turcs, dont les sujets chrétiens, périodiquement massacrés, ont fini par se libérer au cours des guerres balkaniques et dont les chrétiens de l'extérieur ont dû se protéger par des Capitulations.

Actuellement la civilisation musulmane en Méditerranée s'exprime à nouveau par les Arabes, mais sous la forme d'une floraison de nationalismes qui se sont réveillés à la dispa- rition de cette sorte d'Autriche-Hongrie mahométane qu'était l'empire ottoman. Or c'est nous-mêmes qui les avons forgés à la flamme jacobine des principes de 1789, provoquant ainsi ce retour à la frénésie et à l'hostilité sous-jacente d'autrefois.

Telle est la situation.

Elle n'a rien de commun avec celle des diverses colonies exotiques où les hasards de la politique avaient conduit jadis l'une ou l'autre des grandes puissances européennes.

Il est naturel qu'après y avoir été préparée par sa métro-

1. Il ne faudrait pas croire que ce sentiment soit oublié. Préfaçant un livre de Amin Chaker sur l'Afrique du Nord publié en 1954, Nasser écrit en glorifiant le passé : « Les navires arabes ont labouré les vagues de la mer vers la Sicile et l'Italie pour effacer par la civilisation arabe l'ido- lâtrie des Roumis... Quoique de nations différentes, tous étaient arabes parce que l'arabe était leur langue et tous étaient musulmans parce Mahomet était leur prophète... etc. »

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pole, u n e colonie, devenue adulte, accède à l'indépendance nationale; comme l'éducation avant l'émancipation de l'enfant, la formation préalable d'une élite compétente est essentielle;

c'est peut-être parce que les chefs de nos anciens territoires d'Afrique noire sortent pour la p l u p a r t d'écoles chrétiennes qu'ils font preuve d'une relative modération... Mais, sur les rives de la Méditerranée, il ne s'agit pas comme là-bas de simples implantations coloniales qu'on laisse voler de ses propres ailes dès qu'elles en sont capables : il s'agit de l'affrontement à la civilisation chrétienne d'une civilisation traditionnellement hostile et cela dans u n bouillonnement social où se mêlent a u j o u r d ' h u i la faim de peuples sous- équipés, la guerre du pétrole, le sourd travail de sape de l'idéo- logie communiste.

P o u r garder la bonne route dans ce complexe, le talent, si machiavélique qu'il soit, ne suffit pas. Il faut u n fil directeur.

C'est parce qu'il a lâché la r a m p e des principes chrétiens que l'Etat n'arrive à résoudre ni les problèmes fondamentaux qui se posent dans la métropole face au communisme, ni ceux qui se posent en Afrique du Nord face à l'Islam.

L ' h o m m e n'est pas venu sur cette terre n'importe comment et p o u r y faire n'importe quoi. Il y a une finalité dans la destinée humaine, une hiérarchie des valeurs à respecter pour y parvenir.

Le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes n'est pas plus absolu que le droit d'un passant dans la rue à faire ce qui lui plaît : l'un et l'autre sont subordonnés au bien commun, celui des passants ou celui des peuples. La Société des Nations pensait naguère que l'application intempestive de cette idée

« détruirait l'ordre et la stabilité à l'intérieur des Etats et inaugurerait l'anarchie dans la vie internationale ». Il y a des biens plus chers que la vie humaine, plus précieux même que la paix. Sous prétexte d'établir des relations pacifiques

— et l'histoire montre qu'avec l'Islam c'est hasardeux — il ne faut pas risquer de compromettre un bien encore plus élevé dans l'échelle des valeurs : l'existence même de l'Occi- dent chrétien, clef de voûte d'un monde qui en est venu à s'appeler libre p a r p e u r de dire son nom de baptême, dont il reste pourtant profondément marqué. Et qui d'autre que nous, chrétiens d'Occident, pourrait, p o u r le moment, se charger du flambeau, si vacillante que nous en ayons mis la flamme?

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rière eux quelque miracle qui apparaîtrait ensuite comme naturel.

Les événements marchent vite. Mais la cause que nous devons servir demeure. Elle est en définitive la cause unique des civilisés chrétiens que nous sommes, incroyants compris.

décembre 1961

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C H A P I T R E P R E M I E R

Les premières civilisations maritimes

L

'ESPRIT humain cherche toujours un pourquoi aux choses. Il aimerait trouver au déroulement de l'histoire une règle simple qui, après avoir été éprouvée sur les événements passés, lui permettrait d' ouvrir, comme avec une clef, la porte de l'avenir. C'est ainsi qu'Arnold Toynbee ramène l'histoire à des « défis » lancés par la vie aux civi- lisations successives, que les communistes invoquent la « dia- lectique », opposition violente entre deux antagonismes d'où surgirait à la longue quelque nouveau progrès, que d'autres imaginent des « couples » contradictoires luttant dans la nature, comme le Bien et le Mal ou l'ivraie et le b o n grain de la parabole.

Ces hypothèses ne font que déplacer le problème. Au plan extrême de la synthèse, l'histoire n'est que la projection tem- porelle de la Création. Comme la finalité humaine, elle reste le secret de Dieu.

Ce que nous pouvons dégager en revanche ce sont quelques constantes, quelques idées politiques, stratégiques ou morales, qui se retrouvent toujours en dénominateur c o m m u n dans des situations semblables. Dans ce domaine, plus à notre portée, la distinction entre civilisations continentales et civi- lisations maritimes, entre peuples bornés par la terre et peuples vivant de la mer est u n des concepts les plus féconds.

Les peuples terriens, s'ils n'ont pas de frontière commune avec leurs rivaux marins ou si cette frontière est facilement défendable, ne peuvent pas grand-chose contre eux. De leur côté, les peuples maritimes, tout-puissants dans leur élément, parviennent peut-être à gêner leurs antagonistes continentaux

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en les investissant, mais sont incapables de les poursuivre chez eux et de les contraindre. Les uns et les autres opèrent dans des domaines sans prises réciproques, ou plutôt opéraient, car l'aviation et les fusées ont établi entre eux la jonction qui manquait.

Dans le passé, p o u r battre u n peuple continental, un peuple m a r i n a dû se procurer des alliés qui pussent lui servir de soldats sur le continent (comme l'Angleterre en guerre avec la France de l'ancien régime) ou se résigner à se transformer lui-même en soldat (comme les Etats-Unis d'Amérique en 1917 et en 1941).

Inversement u n peuple continental n'a p u t r i o m p h e r d'un peuple m a r i n qu'en édifiant lui-même une flotte de combat supérieure (ce fut le cas de Rome contre Carthage) ou en contractant alliance avec une puissance maritime (François I allant chercher la marine ottomane contre la flotte espa- gnole) .

Il y a là une évidence que tous les chefs militaires n'ont pas vue (Napoléon I p a r exemple) ou que beaucoup d'éru- dits, en général peu ouverts aux choses de la mer, n'ont pas su utiliser p o u r expliquer l'histoire. Il est sage de l'avoir présente à l'esprit au m o m e n t où s'ouvre le récit, encore e m b r u m é de préhistoire, de la compétition humaine sur les rives de la Méditerranée.

Dans la haute antiquité, alors que le cheval y était encore inconnu et que le chameau n'était pas sorti des plaines d'Ara- bie, les grands cours d'eau offraient des possibilités de cir- culation que la terre ferme, à l'état brut, ne présentait pas.

C'est ainsi que les civilisations méditerranéennes les plus anciennes sont nées le long de fleuves qui fertilisaient les terres et facilitaient les transports : d'un côté l'Egypte et la longue vallée du Nil, de l'autre la puissance qui, sous divers noms (Mittani, Assyrie, Elam...), exploitait les plaines du Tigre et de l'Euphrate, en contact p a r l'Iran avec les plus lointaines civilisations humaines.

Ces deux Etats étaient de type continental. Leurs popula- tions étaient formées d'agriculteurs depuis longtemps fixés au sol par le cycle de leurs cultures, non de chasseurs ou de pasteurs errant avec leurs troupeaux. Ils puisaient dans la richesse des plaines d'alluvion qu'ils exploitaient une force d'expansion qui les faisait déborder constamment sur leurs voisins restés plus ou moins nomades; elle les mettait aussi

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en compétition réciproque dans la région mitoyenne qui les séparait et qui leur servait souvent de champ de bataille : la Syrie. Leurs flottes étaient essentiellement fluviales. Leurs navires ne devaient pas beaucoup différer des dahabiehs ou des keleks d'aujourd'hui. Quand ils se risquaient au-delà des embouchures, ce n'était qu'en longeant le littoral, les Egyp- tiens vers la Libye ou la Syrie, les Mésopotamiens dans le golfe Persique.

Terriens et conquérants, les Egyptiens étaient plus pous- sés à annexer leurs voisins immédiats qu'à coloniser outre mer.

D'ailleurs une loi ancienne interdisait d'abandonner le sol sacré de la patrie si l'on ne voulait pas p e r d r e la protection de ses dieux. Mais la vie a parfois des impératifs qu'aucune loi ne saurait étouffer : le seul arbre qui poussait en Egypte était le palmier, aussi i m p r o p r e à la construction des palais qu'à celle des navires; trois mille ans avant Jésus-Christ, les Egyptiens installèrent u n comptoir d'échanges à Byblos (Djebaïl), sur la côte du Liban, pour acheter le bois des belles forêts environnantes. Le transport vers l'Egypte s'effectuait par mer, à bord de navires affrétés sur place aux commerçants

de la côte.

D'où venaient ces armateurs-marins, Vikings méditerra- néens antérieurs à ceux du Nord, dont u n m a r i n ne saurait sans émotion évoquer la mémoire? Ni les historiens, ni les archéologues n'ont complètement éclairci le mystère. A l'époque dont nous parlons, la côte syrienne avait une popu- lation déjà hétérogène, dominée p a r une élite intelligente, industrieuse, d'esprit religieux, venue de l'Est (golfe Persique ou Yemen), en partie à travers le désert, en partie p a r la mer Rouge : c'étaient les Phéniciens, les « hommes rouges ».

Les sites qu'ils choisissaient p o u r s'établir étaient presque toujours les mêmes : une île à quelques centaines de mètres de la côte. Leurs bateaux y trouvaient u n abri; la plaine en face leur fournissait de quoi vivre; le caractère insulaire de la fondation les mettait hors d'atteinte des attaques continen- tales. Plus tard, au temps de la colonisation européenne, Hong-Kong, Saint-Louis du Sénégal, pour ne citer que ces cas, seront aussi des fondations insulaires.

J'ai vécu moi-même près d'un an dans u n site de cette sorte : celui de l'île Rouad (Arvad des Phéniciens). Des murs cyclo- péens encore debout témoignent d'une technique compa- rable à celle des pyramides de Gizeh. Les armateurs de cette

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île minuscule (500 mètres sur 800, trois mille habitants) pos- sédaient en 1915 plus de deux cents petits voiliers qui reliaient entre eux les divers ports de Syrie, d'Egypte ou de Chypre, fendant les mêmes eaux que leurs ancêtres cinq ou six mille ans plus tôt. Tyr, qui devait devenir leur capitale, était bâtie sur une île, comme Rouad et comme, plus tard, Pharos d'Alexan- drie, alors que Byblos, antérieur à eux, était sur la terre ferme.

A l'exception de ces précurseurs, les peuples du pourtour méditerranéen ne s'étaient pas encore « jetés à l'eau ». Les distances, p o u r les moyens de l'époque, paraissaient effrayantes. P o u r permettre aux riverains de la Méditerranée de s'exercer aux traversées maritimes, il n'y avait pas mieux que la m e r Egée. Non pas que celle-ci soit calme : elle est au contraire balayée p a r les vents et m ê m e l'été les brises de beau temps la font moutonner au point de la rendre désagréable. Mais les abris y étaient nombreux pour les petits navires de cette époque et les distances entre les îles telles qu'on ne perdait une terre de vue que pour en découvrir une autre.

A l'époque où les marins phéniciens se risquaient de Syrie à Chypre, de Chypre dans l'Archipel, une autre civilisation insulaire, celle des Pélages, commençait à s'établir dans les Cyclades et poussait ses navigateurs jusqu'en Crète. Pélages et Phéniciens, hommes du Nord et hommes du Sud, confron- tèrent leurs techniques. Sans qu'on sache très bien la part qui revient à chacun d'eux, de leur conjugaison naquit l'ins- trument qui allait régenter la Méditerranée pendant plusieurs millénaires : la galère.

P a r les Dardanelles, la marine des Pélages, maîtresse de la mer Egée, pénétra en mer Noire. Comme le courant était trop fort dans le détroit pour être remonté p a r un bâtiment à rames lourdement chargé (courant qui devait encore forte- ment gêner les sous-marins alliés essayant de pénétrer en Marmara en 1915), les marchandises étaient débarquées sur la côte d'Asie en face de l'île de Lesbos, acheminées par terre et reprises à bord en Marmara. Les Dardanelles servaient aussi de lieu de passage aux peuples d'Europe ou d'Asie en migra- tion d'une rive à l'autre. Mille ans avant le siège qu'Homère devait poétiser, la Troade et Troie, sa capitale, avaient déjà une importance stratégique.

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Au milieu du troisième millénaire avant Jésus-Christ, des forgerons orientaux, travaillant des minerais d'origine mal définie (Caucase, Malaisie?), exerçaient leur industrie en Asie mineure et dans les ports phéniciens de Syrie. Les marins égéens entrèrent en relations avec eux. La civilisation du bronze s'épanouit en Crète bien avant de gagner les autres régions méditerranéennes. La métallurgie compléta le carac- tère agricole et marin de la thalassocratie de Minos. « La tradition, écrit Thucydide, nous apprend que Minos est le plus ancien roi qui se soit créé une flotte. » La Crète devint aux Etats continentaux du Levant, petits et grands, ce que l'Angleterre du XIX siècle devait être au continent européen.

Son hégémonie dura environ cinq siècles (de 2000 à 1500), malgré la destruction de la capitale, Cnossos, au milieu de cette période pour des raisons qui n'ont pas été élucidées, mais qui n'empêchèrent pas sa restauration.

Pour faire du bronze il faut du cuivre et de l'étain. Les Egyptiens et les cités phéniciennes de Syrie travaillaient les minerais du Sinaï. Les Egéens, eux, trouvaient leur cuivre en Crète même, ou à Chypre qui doit probablement son nom au précieux métal. Quant à l'étain, pour suppléer aux loin- taines sources asiatiques, ils se tournèrent vers l'Europe encore vierge et entreprirent de la prospecter. Sans doute regar- daient-ils ce continent inexploré, alors couvert de forêts, du même œil que les Espagnols du XVI siècle découvrant l'Amé- rique... Combien d'années mirent-ils à se renseigner sur les gisements minéraux qui devaient leur paraître aussi impor- tants pour leur suprématie maritime et commerciale que le pétrole ou l'uranium aujourd'hui?... Nous ne connaissons, et encore bien mal, que les voies d'accès qu'ils utilisèrent. L'une, essentiellement nautique, les conduisit en Espagne, en Gaule, en Cornouaille, en Irlande même, dit-on. Une autre route par- tait des colonies satellites que le monarque de Minos avait conquises dans l'Hellade, franchissait l'isthme de Corinthe, remontait l'Adriatique et conduisait par terre aux sources du Danube, d'où l'on accédait en Bohême.

Parmi les cités que les Crétois « protégeaient » sur la terre ferme, Mycènes et Corinthe, reliées entre elles par une route cyclopéenne, occupaient une place de choix. Elles comman- daient en effet le passage de l'isthme de Corinthe, aussi bien dans le sens nord-sud pour défendre le Péloponèse ou en déboucher, que dans le sens est-ouest, de mer Egée en mer

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Ionienne et vice versa. Le transit maritime d'une mer à l'autre s'effectuait pour les embarcations et les navires légers par une route équipée d'un chemin de roulement; les bâtiments trop lourds étaient déchargés et leur cargaison acheminée par voie de terre de l'autre côté de l'isthme.

Pour les marins d'alors, qu'ils se rendissent en Adriatique ou vers la Sicile, les vents et les courants du cap Matapan constituaient un risque que le raccourci de Corinthe permet- tait d'éviter. Plutôt que d'affronter les coups de vent du large en débouchant de Cythère (Cerigo), les navigateurs venant de la mer Egée préféraient traverser l'isthme, passer par le golfe de Patras et longer le littoral à terre des îles Ioniennes, où ils trouvaient en cas de besoin de nombreux abris : c'est encore la route que les navires alliés pratiquaient en 1914-18 pour se garer des sous-marins allemands.

Mycènes avait ainsi dans le réseau commercial des années 1500 avant J.-C. une importance analogue à celle de Suez ou de Panama aujourd'hui.

Les Mycéniens et leurs voisins des autres cités de l'Hellade étaient des terriens venus du Nord. Les Crétois leur avaient appris à cultiver la vigne et l'olivier, importés d'Asie. Ils les avaient formés à la navigation et aux choses de la mer. Com- ment ces « colonisés » se retournèrent-ils un jour contre leurs maîtres? Quel fut le processus de disparition de l'hégémonie crétoise? A la suite de quels événements la capitale Cnossos fut-elle une fois de plus détruite? L'histoire l'ignore encore et l'ignorera peut-être toujours. Ce qui est certain est qu'une hégémonie maritime mycénienne succéda à la thalassocratie de Minos et dura environ deux siècles (1400-1200). Mycènes était la capitale d'Agamemnon au moment de la guerre de Troie.

Sous l'égide des Mycéniens, les Grecs de la haute antiquité occupèrent Rhodes, Chypre et plusieurs ports d'Anatolie.

Grâce aux Mycéniens, la civilisation du bronze, jusque-là confinée dans le Levant, se répandit en Méditerranée par les comptoirs maritimes qu'ils fondèrent à Corcyre (Corfou), à Tarente, en Sicile, aux Baléares, aux îles Eoliennes (Lipari).

Pendant ces premiers balbutiements de la navigation com- merciale en Méditerranée, de sérieux bouleversements ébran- laient, à terre, le Proche-Orient.

D'une part, de nouveaux venus, les Doriens, arrivant du Nord, s'infiltraient dans l'Hellade, passaient dans les îles de

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la mer Egée et achevaient de détruire les villes de Crète.

Chassés par eux, beaucoup de Grecs émigraient et s'instal- laient de l'autre côté de l'eau sur les rives de l'Anatolie. Avec eux apparaissait la technique du fer. L'épée de fer allait sur- classer les armes de bronze.

D'autre part, les Hittites, ancêtres lointains des Turcs, qui avaient réussi à former un Etat autour du site d'Ankara, dis- putaient aux Egyptiens la possession de la côte syrienne. Par un mouvement nord-sud d'accordéon, qui se reproduira sou- vent dans l'histoire, c'était tantôt l'armée égyptienne, tantôt l'armée hittite qui occupait la région. En 1293 avant J.-C. une grande bataille mit aux prises les deux armées fortes chacune d'environ 30 000 hommes à Kadesh, sur les rives de l'Oronte.

C'est la première bataille organisée que l'histoire ait enre- gistrée. Les Hittites avaient, les premiers, attelé des chevaux à des chars de combat. Le grand Ramsès II commandait en personne les Egyptiens. Il n'écrasa pas son adversaire, mais réussit à le refouler assez loin pour conserver la Syrie. Du même coup les villes phéniciennes lui restaient assujetties.

La « terre » tenait encore la « mer » sous le boisseau.

Cependant des vagues d'émigrants venant toujours du Nord continuaient à déferler sur le pourtour de la mer Egée. Portés par les marins grecs, des groupes poursuivirent leur route vers le Sud. Un jour, « des peuples venus de la mer », suivant l'expression consacrée tirée des documents de l'époque, débar- quèrent sur le littoral égyptien tandis que des Libyens atta- quaient par terre le delta.

L'empire des pharaons résista; mais, obligé de se replier sur lui-même, il perdit la Syrie. Aux prises avec les Grecs d'Anatolie, les Hittites étaient hors d'état de les remplacer.

Les cités phéniciennes étaient enfin débarrassées de la pré- sence de l'un ou de l'autre occupant et par conséquent de toute pression continentale. Plus rien n'arrêtait l'essor de leurs navires, de leurs commerçants, de leurs colons. Par les Phé- niciens et par les Grecs — c'est-à-dire par la mer — la civi- lisation allait se répandre en Méditerranée.

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C H A P I T R E I I

Phéniciens contre Grecs

L

A Syrie phénicienne fait songer à la Ligue des villes han- séatiques. Car ce n'était ni u n Etat centralisé régnant sur u n empire, ni une sorte de minuscule Angleterre débordante d'émigrants. Pas davantage la colonisation phéni- cienne n'a été un phénomène d'expansion nationale, au sens que nous donnons aujourd'hui à ce terme 1

Les cités marchandes de la côte de Syrie et leurs fondations en Méditerranée n'étaient pas unies par un lien politique, mais par une simple communauté d'intérêts et de civilisation.

Chaque cité s'administrait elle-même. Numériquement, en comparaison des Etats continentaux du Proche-Orient, les Phéniciens devaient être très peu nombreux; mais les sites où ils s'étaient installés (comme l'île Rouad) étaient minus- cules et il fallait bien que quelques-uns allassent chercher fortune ailleurs. Dans les pays où ils abordaient, les nouveaux venus s'imposaient par leur esprit d'organisation, leur effica- cité technique (navale, architecturale, industrielle, agricole..., etc.), le clavier de leurs relations commerciales. Ils ont été, semble-t-il, des colonisateurs pacifiques, ne cherchant pas, comme les Romains, à tout unifier sous leur férule. Ils ont rendu un éminent service à la civilisation occidentale et, par elle, à l'humanité entière, en substituant des lettres aux hiéro- glyphes et en inventant l'alphabet improprement appelé

« latin », que nous utilisons encore, mais qu'eux écrivaient de droite à gauche comme l'arabe aujourd'hui.

1. E. Renan, Mission de Phénicie : « La Phénicie ne fut pas un pays;

ce fut une série de ports avec une banlieue assez étroite. »

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Il n'y a probablement pas de carrefour maritime ou d'escale intéressante sur les routes commerciales méditerranéennes où les Phéniciens n'aient jadis installé quelque comptoir. Si l'on n'en trouve pas plus de traces c'est que beaucoup sont maintenant noyés sous l'eau comme Pharos d'Alexandrie ou enfouis dans les sables comme Utique. On n'a pas pu tout fouiller. Rien qu'à s'en tenir aux fruits certains des recherches archéologiques ou historiques, les implantations phéniciennes dix ou onze siècles avant Jésus-Christ forment un réseau déjà impressionnant.

En Syrie même, Tyr, pillée parfois par les Philistins, doit à un pillage encore plus radical de Sidon d'avoir dominé peu à peu sa rivale et d'être devenue la place maîtresse des autres opulentes cités égrenées le long de la côte : Beyrouth, Tripoli, Byblos, Rouad... Au sud, sur le littoral de la Pales- tine, les Phéniciens sont implantés à Akka (le futur Saint - Jean-d'Acre), Dor (Tantoura), Ascalon, Jaffa, où ils vont peut- être chercher les minerais du Sinaï. A partir de l'an mille (règne du roi David), les victoires des Hébreux sur les Phi- listins leur assurent la tranquillité sur la côte.

La Bible (Livre des Rois, chapitres V, VI, VII) nous apprend que ce furent des Phéniciens qui construisirent le temple de Jérusalem et le palais du roi Salomon. On trouve dans les célèbres prophéties d'Ezéchiel sur la ruine de Tyr l'indica- tion des matériaux avec lesquels les navires phéniciens étaient construits : cèdre du Liban ou de Chypre, pin ou cyprès de l'Hermon, chêne de Transjordanie, textiles d'Egypte. D'après la même source, on pouvait acheter à cette époque sur la place de Tyr des chevaux d'Arménie, de l'ivoire et de l'ébène d'Afrique, des vins et des laines de Damas, du blé et de l'huile de Palestine, des étoffes des Indes. L'airain phénicien était réputé dans toute la Méditerranée.

L'empreinte phénicienne sur l'Egypte était naturellement très forte. Des marins phéniciens ont travaillé pour les pha- raons comme ingénieurs hydrauliciens. Ils avaient des comp- toirs à Pharos (Alexandrie), Tanis, Bubaste, Mendès, Saïs.

On relève des traces de fondations phéniciennes à Chypre, à Rhodes, en mer Egée et sur le littoral de l'Hellade. Cepen- dant, ils ont plutôt abandonné cette zone aux Grecs pour se lancer vers les horizons presque inexplorés à l'époque, de la Méditerranée occidentale.

Les mines d'Espagne (or, argent, cuivre, étain) les atti-

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raient. Aux environs de l'an 1100, ils franchissent Gibraltar et s'installent dans le site insulaire ou péninsulaire de Cadix.

Peu à peu ils civilisent la partie méridionale du pays et aménagent des voies d'accès aux fameuses mines dont ils monopolisent la production. Ils s'élancent vers l'Angleterre, vers l'Irlande, vont même peut-être jusqu'au Jutland troquer leur bronze contre de l'ambre. Longeant d'autre part l'ingrate côte africaine, ils atteignent la région qu'on baptisera plus tard le Rio de Oro (encore de l'or...).

Pour aller si loin il fallait des escales. Ce seront : Palerme et Sorente en Sicile, Gozzo à Malte, Pantellaria, Utique et Cherchell en Afrique, Cagliari en Sardaigne, Minorque et Iviza aux Baléares, Malaga en Espagne, sans compter vraisembla- blement une traînée de relais dans les anfractuosités de la côte septentrionale d'Afrique. D'après les auteurs anciens, les navires phéniciens naviguaient à une vitesse commerciale moyenne de 500 stades (90 kilomètres) par jour. Ils met- taient donc en gros un mois et demi à traverser la Méditer- ranée d'un bout à l'autre de leur empire.

La plupart de ces ports n'étaient que des marchés d'échange ou des points de relâche. Différentes à cet égard furent les fondations effectuées au tournant de l'Afrique, entre le cap Bon et le cap Blanc. Ces colonies se peuplèrent d'émigrants qui, en introduisant la culture de la vigne et de l'olivier, fixèrent au sol les nomades locaux ou Numides. C'est pro- bablement à eux que l'on doit l'installation de pêcheries et de madragues, comme on en trouve encore dans maint recoin poissonneux de cette côte. Peu à peu ces colons rayonnèrent et mirent le pays en valeur. De commerçants orientaux, les Phéniciens mêlés aux autochtones se transformèrent en agri- culteurs et donnèrent à la Tunisie du Nord une personnalité qui la différencie encore de ses voisins.

Cela commença autour d'Utique. Mais le lieu était mal- sain, le port s'ensabla et un nouveau foyer de colonisation fut fondé à Bizerte, au débouché d'un lac dont les poissons devaient contribuer pour beaucoup à la subsistance de la cité.

Enfin en 814 (date traditionnelle, mais non certaine), pour des raisons mal connues, synchrones de troubles politiques à Tyr (la légende de Didon), une nouvelle ville fut bâtie sur un promontoire aéré, non loin d'un autre lac également pro- pice à la pêche : Carthage.

Exploitant un continent neuf, maîtresse du bassin occiden-

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tal de la Méditerranée, Carthage allait peu à peu supplanter Tyr et devenir elle-même la capitale d'un autre empire.

Pour comprendre comment cela s'est fait, il faut revenir dans le Levant et considérer ce qui se passait sur le continent, dans le dos de la mère patrie tout entière tournée vers la mer.

Depuis l'époque de la migration hittite, au milieu du second millénaire, les rives du Tigre et de l'Euphrate avaient été le théâtre d'un vaste brassage de peuples venus successive- ment d'un peu partout. Aux environs de l'an mille avant Jésus- Christ, ceux que l'histoire devait appeler les Assyriens occu- paient en force la Mésopotamie actuelle. L'Etat de formation continentale qu'ils constituaient tendait à l'absolutisme et cherchait à s'ouvrir à tout prix une « fenêtre » sur la Médi- terranée.

Vers les années 870, à force de guerroyer en Cilicie et d'avancer dans la vallée de l'Oronte, les Assyriens, débouchant de la trouée de Homs, virent enfin la vaste mer bleue miroiter au soleil et, comme les militaires de tous les temps, s'avan- cèrent pour y « tremper leurs armes » : de vieilles inscrip- tions le proclament. Sans fausse honte, les cités phéniciennes payèrent tribut pour pouvoir continuer leur commerce mari- time.

Dans le siècle suivant, il arriva aux Assyriens ce qui arrive à tous les conquérants totalitaires : maintes régions qu'ils avaient occupées et qu'ils croyaient avoir définitivement sou- mises se révoltèrent. Leurs représailles furent implacables.

Jusque-là le monde oriental avait été relativement doux et policé, moins « barbare » en tout cas que pourrait le faire croire cette épithète que, plus tard, les Romains devaient lui donner : « terrorisé, rompu, saignant, il ne cessera désor- mais de nourrir contre son vainqueur une haine inexpiable 1 » En 722, les Assyriens, ayant reconquis le littoral syrien, battent les Egyptiens à Gaza, mais ne peuvent les poursuivre, faute de navires pour passer par mer ou de chameaux pour traverser le désert. Deux générations suivantes, nouvelle expé- dition punitive : les Bédouins fournissent cette fois les cara- vanes demandées, ce qui permet à l'armée assyrienne de faire la conquête de l'Egypte, mais Tyr refuse encore d'affréter

1. A. Moret, Histoire de l'Orient.

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ses bateaux. Pour l'y contraindre, un détachement entreprend du continent le siège de l'antique cité insulaire.

En 663 l'empire assyrien, capitale Ninive (près de Mossoul), est à son apogée. Assourbanipal (dont la légende a fait Sar- danapale) règne de l'Anatolie à l'Ethiopie, du golfe Persique à la Méditerranée. Mais le siège de Tyr dure toujours. Il durera treize ans, au bout desquels les militaires assyriens, campés sur le rivage en face de l'île, seront aussi impuissants qu'au premier jour. Cependant toute la côte est entre leurs mains et le « blocus continental » qui en résulte conduit finalement la cité qui ne vit que de commerce à transiger et à payer tribut à Ninive.

Ce n'est qu'un abaissement momentané. A la mort de Sar- danapale en effet, la dictature assyrienne s'écroule sous les coups des Arabes, des Mèdes, des Perses, des Scythes et des autres peuples qu'elle avait asservis. Aux cris de joie de tout l'Orient, Suse et Ninive sont détruites. Mais seuls les peuples militaires sont en mesure de profiter de cette disparition.

Conformément à la tradition, la Chaldée et l'Egypte se dis- putent la possession de la Syrie. A deux reprises, en 597 puis en 587, le roi chaldéen Nabuchodonosor s'empare de Jérusa- lem et en déporte la population. En 573 il parvient à s'emparer de Tyr.

Cette fois c'est la fin.

Les cités phéniciennes de Syrie continueront à exister comme places maritimes commerciales, mais en perdant l'indépen- dance qui avait permis leur essor outre-mer. La « terre » aura asservi et comme stérilisé la « mer ». Bientôt Cyrus, prolongé par son fils Cambyse, absorbera tout l'Orient et étendra l'empire des Perses jusqu'à la Méditerranée. La Phénicie ne sera plus qu'une province marginale de cet empire conti- nental et les navires phéniciens travailleront sans scrupule au profit du nouveau pouvoir.

Jusque-là Carthage avait conservé un vague lien avec Tyr.

Symboliquement la colonie africaine payait tribut à la mère- patrie. L'arrivée des Perses sur le littoral de la Méditerranée mit fin à toute connexion politique et relâcha les contacts commerciaux. Détachée de l'Orient, appuyée sur ses fonda- tions de la Méditerranée occidentale et de la côte africaine (peut-être jusqu'au Cameroun), Carthage se mit à voler de ses propres ailes.

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Le premier obstacle auquel se heurta l'expansion cartha- ginoise fut l'expansion concurrente des Grecs.

L'histoire grecque n'est pas celle des seules cités hellènes d'Europe. La Grèce antique était formée d'un semis d'îles en mer Egée, encadré à l'Est et à l'Ouest par une série de cités asiatiques ou européennes, toutes situées au bord de la mer ou proches d'elle 1

Les cités maritimes grecques qui ourlaient la côte d'Ana- tolie étaient si bien placées, leur population si ingénieuse, l'intérieur du pays si attrayant que la civilisation grecque aurait sans doute pénétré plus profondément en Asie si elle ne s'était heurtée aux peuples continentaux : d'abord les Lydiens, ensuite les Assyriens, enfin les Perses. Tout en payant aux vice-rois perses — les satrapes — le tribut qu'il fallait pour pouvoir continuer leur commerce, les Grecs comprirent que toute expansion vers l'Est était impossible. C'est surtout vers l'ouest de la Méditerranée qu'ils déversèrent le flot de leurs émigrants, de leurs marins, de leurs colons. Mais, alors que les Phéniciens avaient atteint l'extrémité de la Méditer- ranée occidentale en côtoyant la rive septentrionale de l'Afrique, les Grecs, débouchant du golfe de Corinthe, sui- virent dans la même direction l'antique route des Egéens par Corfou et Tarente en restant dans les eaux européennes.

Chaque continent fut ainsi marqué par la marine qui lui appor- tait la civilisation : l'Europe méridionale par les Hellènes, l'Afrique du Nord par les Phéniciens. Cause importante de divergence morale entre les deux rives, Nord et Sud, de la Méditerranée.

Une première vague de colons grecs fonda Cumes, dans le golfe de Naples, en 850. D'autres émigrants s'installèrent en Italie du sud (Tarente, Sybaris, Crotone), en Sicile, en Corse, en Sardaigne. Victor Duruy prétend qu'une cité comme Sybaris pouvait mobiliser, vers l'an 620, trois cent mille combattants.

Ce qui est sûr, c'est qu'au bout d'un ou deux siècles beau- coup de ces colonies étaient puissantes et prospères.

Aux environs de l'an 600 une expédition montée par la ville grecque de Phocée (Anatolie) établit une succursale dans le

1. « Sans la Grèce d'Asie, la Grèce d'Europe n'eût pas été la Grèce », a écrit Glotz dans son Histoire grecque. Ce jugement est à rapprocher de celui de Victor Duruy : « La Grèce d'Asie aurait été la Grèce véri- table si elle avait eu les Thermopyles pour la défendre.»

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QUELQUES SITES DE LA MÉDITERRANÉE ANTIQUE

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site qui devait devenir Marseille; quand en 544 les Perses occupèrent leur cité, la plupart des Phocéens d'Asie se réfu- gièrent dans la nouvelle fondation; un demi-siècle plus tard, les Marseillais, devenus trop nombreux, essaimèrent à leur tour vers Antibes et Monaco ou, le long du littoral espagnol, jusqu'aux environs de Sagonte, en face des Baléares. Là, les Grecs se heurtèrent aux Carthaginois qui commençaient à faire tache d'huile en Espagne méridionale. Ce sera longtemps la frontière en même temps qu'un marché d'échanges entre les deux expansions rivales.

Un autre endroit névralgique était la Sicile. Depuis le VIII siècle, les Grecs, refoulant ce qui restait des antiques fon- dations phéniciennes, s'étaient installés à Messine, Taormina, Catane, Agrigente... et surtout à Syracuse, dont des déma- gogues énergiques — les « tyrans » — avaient fait une très forte place militaire. Malgré leur rivalité, allant parfois jus- qu'à la guerre, et la diversité de leur politique indigène, ces colonies étaient parvenues à former un semblant de fédération sous l'autorité de Syracuse et cette fédération était florissante.

La Sicile était comme l' « Amérique des Grecs 1 », mais une

« Amérique » déjà autonome et représentant en Méditerranée une puissance au moins égale à celle des ligues qui se for- maient périodiquement autour d'Athènes ou de Sparte.

Face aux riches colonies grecques, les Carthaginois tenaient la partie occidentale de l'île avec Palerme, Marsala, les îles Ægates. Leurs croisières entre la Sicile et l'Afrique contrô- laient l'accès à la Méditerranée occidentale; mais le détroit de Messine leur échappait, d'où des guerres continuelles pour mettre la main sur cette entrée dérobée.

Entre la Sicile et l'Espagne, le « front » maritime gréco-car- thaginois passait par la Corse et la Sardaigne, où les colonies des uns et des autres ne cessaient de se combattre. Les Cartha- ginois n'étaient que des commerçants. Ils n'avaient rien de militaire. Leurs armées étaient formées d'un ramassis de mer- cenaires razziés sur les côtes. Les Grecs alliaient de solides vertus militaires à l'esprit de négoce; ils avaient plus de sens politique; par l'émigration ou les naissances leur nombre aug- mentait sans cesse. Dans les combats terrestres ils étaient en général vainqueurs.

Sur mer les Carthaginois restaient les plus forts. En 535

1. E. Cavaignac, Histoire de l'Antiquité.

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avant J.-C. ils avaient battu sur les côtes de Corse une escadre grecque essentiellement composée de vaisseaux phocéens (pho- céens d'Asie et phocéens de Marseille). Ils tenaient les deux rives du détroit de Gibraltar et en interdisaient le passage aux Grecs qui avaient commencé à s'y glisser. Leur suprématie en Méditerranée occidentale était incontestable. Mais les Grecs avaient pour eux la solidité de leurs implantations en Italie méridionale et en Sicile avec Messine et, comme ils étaient aussi des marins, ils auraient peut-être un jour évincé leurs adversaires.

L'histoire ne devait pas laisser le duel se dérouler. C'est aux Romains qu'elle réservait le rôle. Car, au moment où les deux peuples marins s'affrontaient en Méditerranée occidentale, l'Orient continental et totalitaire faisait planer sur la Médi- terranée — et sur sa fille future, l'Europe — une telle menace qu'elle allait forcer les Grecs de Grèce à se retourner pour la défendre.

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C H A P I T R E I I I

La Méditerranée sauvée

A

LA fin du VI siècle avant notre ère, où l'histoire devient mieux établie, la puissance dominante sur le pourtour méditerranéen était sans conteste l'Empire perse.

Héritier de Cyrus qui s'était avancé un moment en Libye jusqu'à menacer Carthage, le roi Darius régnait en souverain absolu de la Syrie à l'Indus, du Nil à la mer d'Aral. Bien qu'il côtoyât la Méditerranée des Dardanelles au delta égyptien, cet Etat n'avait rien de marin. Quand il avait besoin de navires, il prenait ceux des cités anatoliennes ou phéniciennes sur les- quelles s'étendait sa domination. Pour assembler la multi- tude de races et de nations dont il était composé, le pouvoir avait institué une religion d'Etat, le zoroastrisme, une langue officielle, l'araméen, et une administration à la fois centralisée et autoritaire, celle des satrapes.

Par rapport à cet immense empire, la Grèce n'était alors qu'un ramassis inorganisé d'îles et de petites cités, le plus souvent en guerre les unes contre les autres. L'opulente ville cosmopolite de Corinthe (héritière lointaine de Mycènes) n'avait qu'un caractère commercial. Sparte et Athènes étaient les seules têtes politiques. La première, capitale de la Laconie, abritait un peuple militaire, d'esprit terrien, qui ne regardait guère au-delà de ses frontières, celles du Péloponèse. L'autre, Athènes, rayonnait dans tout l'Archipel et constituait une puissance essentiellement maritime : c'est elle qui allait sau- ver du despotisme asiatique l'embryon de notre civilisation.

Trouvant naturel de s'étendre sans fin, l'Empire perse occupa un jour les fondations grecques du Bosphore, coupant ainsi la route, vitale pour les Grecs, du blé de mer Noire.

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D'autre part, la domination asiatique était si sévère qu'en 499 les cités grecques du littoral d'Asie mineure se révoltèrent, appelant les Grecs d'Europe à leurs secours. Une escadre athé- nienne fut battue en essayant de soutenir les rebelles. Les Perses rétablirent l'ordre dans leur empire, restèrent bien entendu sur les rives du Bosphore et entreprirent une expé- dition militaire, forte, dit-on, de cent mille hommes, pour aller châtier chez eux ces Athéniens qui avaient osé soutenir leurs frères de race. C'est le début de ce que les historiens ont appelé les guerres médiques.

En 490 la flotte perse (six cents unités, dit-on) traverse la mer Egée, s'empare de Naxos et vient débarquer une partie des troupes qu'elle transportait dans l'île d'Eubée, judicieuse- ment choisie comme base d'opérations pour prendre Athènes à revers. Le général perse espère d'ailleurs qu'un groupe de factieux, achetés à prix d'or, lui livrera sans coup férir une ville réduite à ses seules ressources, car les autres cités hésitent ou tardent à la secourir. Il débarque ses troupes à Marathon, sur la terre ferme en face d'Eubée, pour y attirer les défen- seurs d'Athènes (pas plus de dix mille hommes) pendant que lui-même sautera avec son escadre sur la ville sans défense en faisant par mer le tour du cap Sounion. Malheureusement pour lui, les Perses, surpris, sont bousculés par les Grecs à Marathon. Manœuvrant « dans les lignes intérieures », dirait un tacticien, la petite armée athénienne, exaltée par sa vic- toire, se retourne et arrive assez tôt devant Phalère, plage d'Athènes, pour empêcher l'escadre perse qui y parvenait presque en même temps de tenter un nouveau débarquement.

Le coup est manqué. Les Perses se retirent. Face à l'Asie, une force matérielle et morale vient de se révéler aux confins de la Méditerranée.

Darius est furieux. Son successeur Xerxès met dix ans à rassembler les éléments d'une des plus colossales expéditions que l'histoire ait vues puisque, d'après Hérodote, elle aurait compté plus de deux millions de combattants et une masse égale de non combattants. Même si l'on estime ce total exa- géré, il est certain qu'il s'agissait d'une entreprise sans com- mune mesure avec les forces que pouvaient lever les minus- cules Etats confédérés de Grèce, parmi lesquels la plus grosse agglomération — Athènes — ne comptait même pas cent cinquante mille habitants, femmes et enfants compris. En fait, les forces grecques mobilisées s'élèveront à environ cent

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mille hommes, surtout spartiates, et trois cent quatre- vingts bâtiments de guerre, surtout athéniens.

Le plan de Xerxès consiste à franchir les Dardanelles à pied sur deux immenses ponts de bateaux, tour de force technique à cause du courant, et à cheminer par terre vers la Grèce pour pouvoir plus aisément nourrir ses hommes et ses chevaux. La flotte doit appuyer la marche de l'armée le long du littoral et empêcher la marine grecque d'intervenir. Pour éviter le cap venteux du mont Athos, on a creusé un canal dans l'isthme, à la base de la péninsule, ainsi transformée en île. De même les embarcations seront déhalées sur un chemin de rou- lement entre le golfe de Cassandre et celui de Salonique, où s'opère la concentration. Tout a été prévu avec d'amples marges. Rarement expédition aussi importante fut mieux préparée. Rarement le destin de l'Europe connut une telle menace.

Du côté grec on se dispute pour savoir où l'on tentera d'ar- rêter cette masse qui s'avance comme une inondation. Raison- nant en bons militaires, mais pensant surtout à eux, les Spar- tiates voudraient qu'on se retranchât dans le Péloponèse en établissant la ligne de résistance sur la position naturelle que constitue l'isthme de Corinthe. C'était sacrifier d'avance Athènes et abandonner à l'invasion la moitié du pays. Fina- lement, tout en conservant le gros des troupes sur l'isthme, on envoie un détachement de cinq à six mille hommes à l'endroit de la côte, au nord d'Athènes, où la montagne ne laisse qu'un étroit passage le long de la mer : ce sont les Thermopyles. Embusquée entre l'île d'Eubée et la terre ferme, la flotte athénienne flanque la position du côté de la mer.

Au mois d'août de l'année 480, les Perses se présentent en bon ordre devant ce « bouchon ». Les Grecs résistent héroï- quement, font perdre à l'ennemi des milliers d'hommes, mais n'en retardent la progression que de trois jours. Pendant ces trois jours, de furieux combats navals se déroulent au large, meurtriers surtout pour les Perses; mais, quand la flotte grecque apprend que la position des Thermopyles est forcée, elle ne peut que se replier au Sud vers sa capitale et vient mouiller à Salamine, en face des ports d'Athènes, où elle pro- tège l'exode de la population affolée.

Là, pendant que Xerxès, victorieux, occupe l'Attique et campe sur l'Acropole, la discussion recommence entre géné-

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LA GRÈCE ANTIQUE.

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