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INTRODUCTION À UNE GÉOGRAPHIE TRÈS HUMAINE : POPULATIONS, ENVIRONNEMENT, ÉCONOMIE Vers une géographie environnementale ?

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INTRODUCTION À UNE GÉOGRAPHIE TRÈS HUMAINE : POPULATIONS, ENVIRONNEMENT, ÉCONOMIE

Vers une géographie environnementale ?

Par Steve DÉRY

Département de géographie, Université Laval

Fascicule 1

(version du 9 mars 2009)

Introduction

1. Géographie économique, du développement, sociale, politique, géopolitique, géographie culturelle, régionale, agricole, militaire, de la population, des ressources, des transports, de l’énergie, de la santé, des communications, des religions, des sols, des bassins versants, climatologie, etc.

« Tout est curieux à l’œil du géographe »

(Jules Verne, Les enfants du capitaine Grant; cité par Brunet et al., 1993 : 234)

Circonscrire le domaine de la géographie humaine lorsqu’on s’attarde principalement aux manifestations économiques et à tout ce qui s’y rattache peut s’avérer une tâche complexe, voire impossible à pleinement satisfaire le chercheur ou le lecteur. On peut toujours gratter et découvrir, qui une nouvelle racine en amont, qui une nouvelle branche en aval, pour expliquer et comprendre un phénomène de nature économique. Quelques exemples simples peuvent illustrer cela. En 2015, l’ONU prévoit que plus des trois-quarts de la population du Zimbabwe seront atteints du SIDA, un pourcentage encore plus élevé chez les moins de 30 ans ; comment, dans ces circonstances, le pays pourra-t-il faire face à ses besoins de main-d’œuvre? Avec la remontée du niveau moyen des mers au cours des prochaines décennies, tous les pays côtiers auront des mesures à prendre, en particulier financières, pour « adapter » leur territoire, incluant parfois déplacer des milliers de personnes ; quels seront les impacts sur les budgets étatiques, sur le tissu social, sur l’organisation territoriale ? Malgré des preuves qui s’accumulent selon lesquelles le transport en commun ou collectif, qu’il soit urbain ou rural, constitue un investissement pour une société, au même titre que l’éducation ou la santé, les gouvernements québécois et canadien poursuivent outrageusement leurs politiques de subventions à l’industrie automobile (et donc au transport privé et individuel) ; comment réduire l’impact de notre mode de vie sur notre milieu quand nos gouvernements, sensés contribués à mieux organiser notre vie en société, poursuivent inlassablement la mise en œuvre d’une vision axée sur le court terme. Ces exemples ne représentent même pas la pointe de l’iceberg pour nous aider à comprendre comment l’économie constitue un filet de liens privilégiés entre les humains et leur environnement, et le rôle important de la géographie pour comprendre ce même filet.

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Cela implique dans un premier temps de dénouer la distorsion créée par les économistes néolibéraux, les environnementalistes inattentifs, nos politiciens et par les médias de ce monde, à savoir de replacer l’économie à la position qu’elle n’aurait pas dû quitter : celle d’un phénomène social parmi d’autres. Certes, l’économie constitue un aspect fondamental de la vie en société.

Grâce à l’économie de marché (qui a créé une société de marché, cf Polanyi, 1944), de plus en plus de phénomènes sociaux non économiques ont été graduellement intégrés à l’économie marchande ; espérons qu’elle ne l’englobera toutefois jamais, car ce serait tout simplement la fin de l’humain comme être social. Par ailleurs, dans un deuxième temps, il est aussi indispensable de rappeler la place de l’être humain sur terre, au sein d’un environnement qui le dépasse, l’englobe, lui impose des contraintes, l’incorpore (figure 1). Précision en apparence triviale, elle s’inscrit pourtant à contre-courant, y compris des principaux tenants du développement durable pour qui le développement, souvent employé comme synonyme de croissance économique, ne sera durable que si l’on y ajoute suffisamment de « social » et d’« environnemental » (figure 2).

Figure 1

L’économie dans la société, dans son environnement

Source : Passet (1996).

Figure 2

L’économie, la société et l’environnement dans le cadre de l’Agenda 21 ou le développement durable selon la stratégie de l’UICN

Source : UICN (www.uicn.org)

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2. Populations, environnement et économie

« La géographie économique est culturelle » (Géneau de Lamarlière et Staszak, 2000, p. 9)

Le titre de cette collection de fascicules amène d’emblée une question logique. Dans l’optique où le développement économique fait partie d’un tout plus grand, la société, qu’elle-même, gigogne, s’intègre à l’environnement, ne devrait-on pas reconsidérer l’ordre de leur présentation ? Non ! Car, si l’espace géographique existe en soi, l’environnement pour sa part n’existe que dans sa relation à un individu, un groupe, ou un lieu. Cette affirmation simple se base sur la distinction établie entre l’espace géographique et l’environnement par Roger Brunet et ses collègues dans le dictionnaire Les mots de la géographie (1993). Pour eux, les deux termes renvois à la même réalité; la différence se situe dans le fait que l’environnement, c’est « l’espace géographique vu du lieu dont on parle; tout espace géographique est environnement de lieux, environnement de ses éléments et de ses sous-systèmes » (1993 :188). Par ailleurs, l’ensemble de cette collection de fascicules s’oriente autour de la géographie du monde humain, d’où l’intérêt de partir de cet humain pour approcher le monde qui l’entoure et … l’environne. (3 octobre 2006).

Par ailleurs, utiliser le terme « économie » de préférence à, par exemple, « développement » est résolument provocateur. Ce dernier terme a été tellement galvaudé qu’il est maintenant, et malheureusement du point de vue de la richesse des langues, impossible d’en faire un usage pondéré et réfléchi. Revenir à la base me semble une option beaucoup plus intéressante que se lancer dans un examen approfondi de cette question spécifique du développement : d’ailleurs, d’autres l’ont fait avec brio, en particulier Marcus Power (2003). Dès qu’une vie en société a existé, l’économie en a fait partie, avec ses manifestations positives et négatives, variant immanquablement en fonction des différents niveaux spatio-temporels (voir aussi la trilogie de l’historien Fernand Braudel, 1979).

3. Qu’est-ce que la géographie environnementale?

La géographie prise dans son ensemble, par le biais de ses composantes physiques et humaines, constitue un domaine du savoir qui concerne autant l’être humain organisé en sociétés que le milieu géographique qui l’environne, son environnement. Toutefois, il semble bien, des connaissances que nous en avons à l’heure actuelle, qu’aucun domaine spécifique de la géographie ne s’intéresse à ce tout per se. Bien sûr, la géographie économique, surtout depuis une vingtaine d’années, intègre de plus en plus d’éléments « environnementaux », question de mode, question de préoccupations sociales ou politiques; et c’est tant mieux. Dans ce domaine, tout comme dans la manière dont l’économie est perçue par une majorité, « l’environnement » vient s’ajouter au corps de la géographie économique, tout comme le « social » d’ailleurs, comme en fait foi la schématisation du développement durable par les grands organismes des Nations Unies (figures 1 et 2). Certes, il en résulte un corpus plus vivant, plus nuancé, plus complet aussi, mais également insatisfaisant en raison même de cette hiérarchisation maladroite des systèmes : l’économie devant le social et l’environnemental.

Cette situation émerge probablement, cela resterait à être mieux étudié, de la spécialisation continue de la discipline depuis le XIXe siècle. Un premier tour d’horizon rapide fait choux blanc pour trouver des manifestations à cette géographie environnementale. Dans l’index de leur dictionnaire, Mayer et al. (2002) définissent 15 entrées différentes commençant par le mot

« géographie » sans aucune mention de géographie environnementale. Même constat chez Knox et al. (2007) dans un recueil général et assez exhaustif sur la géographie humaine. Ceux qui font de la géographie environnementale, comme Paul Arnould et Laurent Simon, dans leur livre

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Géographie de l’environnement (Arnould et Simon, 2007), font plutôt la géographie de ce qu’il est convenu d’appeler les problèmes environnementaux : écologie, réchauffement climatique, biodiversité, déforestation, désertification, développement durable, eau, conservation, villes.

Toute intéressante qu’elle soit, l’approche n’est pas encore intégratrice. Aujourd’hui, les géographes ont besoin de tisser de nouveaux liens intégrateurs au centre de leur objet d’étude pour raffermir les liens initiaux et valoriser chacune des branches issues de ce centre. Une véritable géographie environnementale, pourrait servir à construire certains de ces liens.

Dans cette optique, on peut donc définir la géographie environnementale comme étant : la géographie de l’être humain en relation avec son environnement, c’est-à-dire le milieu géographique qui l’environne selon la définition donnée par Roger Brunet et ses collègues en 1993. Cela comprendrait donc aussi la géographie économique, ou, plus largement, la géographie socio-économique au sens donné par Benko et Lipietz (2000).

4. Être humain sur terre, une question d’échelle – la responsabilité du géographe

Pour appréhender les différentes questions, les multiples problèmes qui se posent à l’observateur d’une situation donnée, il est impératif de se munir d’une grille d’analyse qui tienne compte de l’espace et du temps dans leurs multiples dimensions. Ne pas tenir compte de l’une de ces dimensions constitue un biais, un risque même, de déformer la compréhension de cette situation.

Cela est reconnu de différentes manières. Benko et Lipietz, sans l’évoquer directement, parlent d’un treillage de niveaux géographiques et temporels : « Espace donné (généalogique) et espace projeté (par la structure active) sont tous deux la spatialité (la dimension spatiale) de rapports sociaux, les uns déjà établis, les autres en plein essor, et de leur fécondité réciproque naît la réalité d'une géographie socio-économique » (Benko et Lipietz, 2000, p. 14). Et plus loin, ils insistent sur les liens entre le temps et l’espace : « Car la géographie socio-économique pour laquelle plaide ce volume est nécessairement une géographie historique. C'est-à-dire ouverte aux échecs (mérités ou non) comme aux succès (miraculeux ou construits) » (idem, p.29).

Il n’y a rien de particulier à évoquer les deux premières dimensions; ce sont celles de notre géométrie cartésiennes : le x et le y; l’abscisse et l’ordonnée (ou la profondeur); la latitude et la longitude des cartes géographiques; les coordonnées qui permettent de situer un point sur un plan, sur une carte.

La troisième dimension, pourtant déjà largement utilisée dans les systèmes d’information géographique pour préparer des infographies (est-ce encore une carte?) justement en trois dimensions, demeure en fait encore très peu intégrée dans le discours et la pratique des géographes. Il est encore très rare que les géographes parlent en termes de volume; les kilomètres carrés ont toujours la cote pour décrire tous les phénomènes géographiques qui se déploient sur une superficie donnée. Pourtant, il est de très nombreux domaines de la géographie, comme la géographie urbaine, où il apparait impératif de raffiner les outils actuels ou bien d’en développer de nouveaux. Comparer les densités de population de Tokyo et de Calcutta uniquement en termes de superficie (en kilomètres carrés) est utile; réaliser cette même comparaison en utilisant le volume (en kilomètres cubes) occupé permettrait de saisir d’une manière plus précise la relation entre cette population et son territoire. Même chose pour comprendre la forêt tropicale : une forêt dont la taille des arbres s’élève entre 30 et 40 mètres et une autre dont les arbres ne dépassent pas 10 mètres n’occupe pas le même volume d’espace même si elle peut s’étendre sur une même surface de terrain, avec toutes les incidences sur les milieux naturels et humains, sur les climats. Lorsque le gouvernement des États-Unis décide de mettre en place une loi pour

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contrôler les passagers qui passent dans son espace aérien, sans même mettre les pieds sur leur territoire, nous sommes bien ici dans une géographie qui se déploie en kilomètres cubes.

D’ailleurs, ce territoire, qui a dit qu’il se présentait uniquement en deux dimensions. Les cartographes l’ont utilement représenté et les géographes utilisé de cette manière. Mais, dès Élisée Reclus, le géographe anarchiste, certains ont dénoncé les limites, les imperfections, et parfois même les mystifications suggérées par les cartes. En géométrie, l’espace est ce qui peut être construit en ajoutant l’axe vertical des z à un plan (la cote ou la hauteur). Créer du territoire à partir de l’espace en y investissant de l’énergie (Raffestin, 1980), c’est donc construire un espace en trois dimensions, d’où la nécessité de développer des outils adaptés.

Mais tout cela reste insuffisant pour saisir la complexité des situations et des processus. Roger Brunet (1990), dans le premier livre de la géographie universelle, explique bien comment chaque fragment de la Terre est double, à la fois terre et place. Il est d’abord terre, par ses qualités intrinsèques, le sol (pédologie, géologie), le climat, la végétation, bref, ce qu’on y trouve, encore une fois, en trois dimensions. Mais, il est aussi place, c’est-à-dire en position relative au sein de différents systèmes. Cette réflexion reconnue par les géographes concerne tout autant le temps.

En fait, on peut même aller plus loin que Raffestin. Pour lui, l’espace est la matière première avec laquelle on fait du territoire. De la même manière, le temps constitue la matière pour construire de l’histoire. L’histoire est au temps ce que le territoire est à l’espace. Cette place dont parle Roger Brunet n’est pas seulement relative à des systèmes territoriaux qui se déploient à différents niveaux. Elle s’intègre aussi dans un maillage constructions systémiques dans le temps.

Cette place n’est au fond qu’un point sur un parcours idiosyncratique temporel, sur une trajectoire. Et comme toutes les trajectoires sont uniques, on peut conclure l’affirmation suivante, forgée en 2006 : « Chaque moment, chaque évènement, chaque processus, chaque individu, possède une signature spatiotemporelle propre, une empreinte digitale qui lui donne une existence à un moment et en un lieu de l’histoire et de la géographie de l’univers ».

Cette position relative dans l’espace et dans le temps peut se décliner comme suit : ce sont les échelles spatiale (géographique) et temporelle (historique). Sur une échelle spatiale, on trouve des niveaux géographiques qui nous permettent de placer un lieu, un individu, un groupe, une situation, un problème, dans ses différents contextes, en fait dans les différents systèmes auxquels il participe en approchant ou en reculant la loupe1. De même, sur une échelle temporelle, il est possible de placer des « périodes historiques » qui nous permettent d’appréhender ces mêmes variables selon des systèmes qui se présentent selon des termes variables allant des plus courts, comme le temps que prend un moustique impaludé pour piquer un être humain, jusqu’aux grands cycles géologiques de la planète ou à l’histoire génétique de l’humanité. Gibson et al. (2000) ont préparé un schéma permettant de comparer différents phénomènes naturels en fonction de ces niveaux spatiotemporels (figure 3).

Cette approche m’apparait fondamentale à la compréhension du fonctionnement de notre monde et de notre planète. Parmi ces périodes et niveaux spatiotemporels, aucun n’est réellement parfait en soi; il faut pouvoir coupler deux ou plusieurs d’entre eux pour réduire les distorsions dans l’observation et améliorer aussi nos réactions aux différents problèmes et défis qui se présentent à nous comme société humaine. De ce point de vue, les géographes doivent endosser de plus grandes responsabilités pour fournir les outils de compréhension nécessaires aux citoyens, qui pourront ensuite faire des choix de société éclairés. Il ne s’agit pas seulement de spécifier à quel niveau géographique et sur quelle période historique nous travaillons : il faut désormais coupler davantage de ces niveaux et périodes et les intégrer dans des analyses plus complexes.

1 Sur cette question, on peut utilement consulter mes précédents travaux en particulier Déry (2006).

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Figure 3

Les périodes et niveaux spatiotemporels du milieu naturel

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Encart 1. OÙ EST PASSÉE NOTRE CAPACITÉ D’ADAPTATION?

Steve DÉRY, Département de géographie, Université Laval, Le Devoir, édition du mercredi 17 janvier 2007 Le 4 janvier dernier, Le Devoir nous a souhaité une bonne année 2007 en titrant à la une: «Le réchauffement est irréversible» et, sur la page titre du cahier B du même jour: «Fini, les horaires fixes chez Wal-Mart».

Qu'ont en commun ces deux nouvelles, ainsi que plusieurs autres qui nous déstabilisent régulièrement, en ce qui concerne tant les changements climatiques que les transformations de l'économie mondiale?

Elles montrent qu'un trait fondamental de l'histoire de l'humanité a été laissé de côté dans toutes les réflexions portant sur ces sujets aussi diversifiés mais qui concernent tous les relations entre les humains et leur environnement. Il s'agit de la capacité d'adaptation des humains.

Une histoire d'adaptation

Historiquement et surtout pré-historiquement, les humains se sont continuellement adaptés, avec plus ou moins de succès, aux soubresauts climatiques d'une part et «économiques» d'autre part, à tout le moins suffisamment pour permettre à l'humanité de poursuivre son évolution vers ce que nous sommes devenus. Pour ce faire, ils ont utilisé certes leur intelligence pour innover, pour mieux utiliser et mieux comprendre leur environnement, mais aussi, plus pragmatiquement, ils ont utilisé... leurs pieds. Pour se déplacer vers des contrées moins arides, moins froides, plus propices aux systèmes de production des diverses époques: chasse, cueillette, formes variées d'agriculture, etc. Tout cela au gré des saisons, des époques, des ères.

Ce qu'on ne souligne peut-être pas suffisamment toutefois (en fait, pas du tout), c'est le carcan, en fait les carcans dans lesquels l'humanité s'est graduellement empêtrée au cours des 2000 dernières années d'histoire, avec une accélération notable au cours des 200 dernières années, depuis la révolution industrielle: des carcans démographiques, politiques, économiques, et même, depuis 1872, année de la création du premier parc national dans le monde (Yellowstone), des carcans écologiques. Construits graduellement, plus ou moins rapidement selon les cas et selon les époques, pour le pire mais aussi pour le meilleur, ces cadres plus ou moins figés réduisent aujourd'hui considérablement notre capacité de bouger, de nous adapter aux transformations auxquelles nous faisons face ou aurons à faire face au cours des prochaines décennies.

Carcans démographique, politique, etc.

La Terre n'a jamais été si peuplée d'humains de son histoire: près de sept milliards de personnes. Au moins deux autres milliards d'individus devraient s'ajouter d'ici 2050. Certaines régions du globe comptent plus de 800 habitants au kilomètre carré en zone rurale (delta du fleuve Rouge, Java, Bangladesh). Les terres les plus favorables à l'agriculture sont dans l'ensemble assez bien occupées. Il apparaît donc de plus en plus difficile de migrer au gré des saisons, des variations climatiques, des hausses du niveau de la mer, d'autant plus que... les humains ont créé des structures politiques, des frontières, qui limitent ces déplacements, le découpage de l'ensemble de la planète ayant été terminé lors de la Conférence de Berlin en 1884-85, consacrant à l'époque le découpage colonial de l'Afrique.

Le fait de découper la planète de cette manière n'a pas été remis en question depuis. Et pour en illustrer les conséquences, un seul exemple parmi plusieurs qui pourraient être donnés: les pasteurs nomades de la zone sahélienne en Afrique qui migraient traditionnellement en fonction de la répartition des pluies se sont retrouvés coincés plus au nord (près du Sahara), dans une zone dont l'aridité a graduellement augmenté au cours du XXe siècle, d'une part par la présence de nouveaux paysans sédentaires sur les terres plus au sud, d'autre part par les nouvelles frontières créées arbitrairement entre les puissances coloniales de l'époque, découpages qui ont perduré et se sont même multipliés après la décolonisation.

Carcan économique

Ces découpages, les tenants de l'orthodoxie néolibérale tentent depuis la Deuxième Guerre mondiale d'en réduire la portée. Mais paradoxalement, alors que sur le plan économique on parle davantage de

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libéralisation des échanges et d'ouverture des frontières, la situation n'apparaît pas aussi «ouverte» pour les populations locales. Le résultat de ces mesures d'ouverture dépend du système qu'on observe. Pour l'entreprise qui cherche à augmenter sa capacité d'action et d'adaptation, ce genre de libéralisation est tout à fait bienvenu. Pour les communautés locales, les employés, etc., la partie est tout autre. Leur capacité d'adaptation est considérablement réduite. Les nouvelles portant sur Wal-Mart et les horaires variables ou sur la fermeture d'une imprimerie appartenant à Quebecor, en Beauce, en sont des exemples. La crise forestière en est un autre. Selon le texte «La nouvelle loi sur les forêts: un indécent cadeau de Noël!», paru dans Le Devoir des 16 et 17 décembre 2006, la décision du gouvernement Charest de légiférer avant les Fêtes permet aux entreprises une gestion mieux adaptée, sans contrainte territoriale, mais réduit de façon draconienne les possibilités des communautés locales et des employés de ces entreprises.

La question du tourisme hivernal est un autre exemple, même si elle apparaît aujourd'hui moins criante (il a neigé au cours des derniers jours) qu'au début de janvier (alors qu'il n'y avait presque pas de neige).

C'est le même problème qui se pose: le danger de spécialiser des régions à outrance, de les rendre dépendantes d'entreprises qu'on a soulagées du carcan territorial pour les rendre plus compétitives. Les régions, elles, ne le sont plus et deviennent en péril lorsque surviennent des pépins d'ordre économique, politique, climatique, etc.

Dans le dossier du mont Orford, la même logique s'applique: le gouvernement Charest est en train d'«encarcaner» le site pour les prochaines décennies alors que les scientifiques se posent judicieusement la question de savoir s'il y aura suffisamment de neige pour faire vivre décemment une station de ski dans 20 ou 30 ans. Comment les communautés locales pourront-elles s'adapter?

L'humanité empêtrée

Certes, ce carcan, ce n'est pas l'entièreté de l'humanité qui en est responsable. Il ne faut pas s'éloigner des racines des problèmes. Le livre Comment les riches détruisent la planète d'Hervé Kempf, qui paraîtra bientôt au Québec et dont Louis-Gilles Francoeur a aussi rendu compte à la une du Devoir («Les riches au banc des accusés», les 6 et 7 janvier 2006), en témoigne justement. Ces idées rejoignent d'ailleurs celles développées par le fondateur de l'écologie sociale, Murray Bookchin, décédé l'été dernier.

Selon lui, c'est dans les inégalités sociales qu'il faut chercher la cause des problèmes écologiques actuels (Murray Bookchin, Une société à refaire - Vers une écologie de la liberté, 1993, Montréal, Écosociété).

Travailler à réduire nos émissions de gaz à effet de serre, à réduire la pollution et la dégradation de notre planète, à protéger certaines portions du territoire est important, c'est un travail de tous les jours, et chacune de nos actions personnelles compte comme chaque goutte pour la mer. Mais le véritable défi des prochaines décennies est plutôt de retrouver cette capacité d'adaptation des populations, capacité que nous avons en partie perdue. Et ici, les innovations techniques et technologiques ne suffiront pas.

Cette capacité de s'adapter et de changer les choses passe d'une part par une meilleure connaissance des carcans qui ont été construits, en particulier ceux qui figent les inégalités sociales, afin de trouver des solutions pour en sortir, et d'autre part par une meilleure connaissance des transformations en cours, qui touchent tant le milieu physique que le milieu humain de la planète.

Ce défi, ils sont déjà nombreux à le relever, en particulier chez les géographes. Il est de notre responsabilité de servir de courroie de transmission entre le savoir et les citoyens pour permettre de faire des choix éclairés et demander des comptes à nos gouvernements lorsqu'ils font passer leurs intérêts politiques personnels avant les intérêts collectifs.

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Sources citées :

BENKO, Georges et Alain LIPIETZ (dir.) (2000) La richesse des régions. La nouvelle géographie socio-économique. Économie en liberté. Paris, Presses universitaires de France.

BOOKCHIN, Murray (1993) Une société à refaire. Vers une écologie de la liberté. Montréal, Écosociété.

BRAUDEL, Fernand (1979) Civilisation matérielle, économie et capitalisme, XVe-XVIIIe siècles. Paris, Armand Colin.

BRUNET, Roger et Olivier DOLLFUS (1990) Mondes Nouveaux. Paris, Hachette et Reclus.

BRUNET, Roger, et al. (1993) Les mots de la géographie. Dictionnaire critique. Montpellier / Paris, GIP Reclus / La Documentation Française.

DÉRY, Steve (2006) Réflexions théoriques sur l'organisation des niveaux géographiques.

Cahiers de géographie du Québec, 50(141):337-345.

GIBSON, Clark C., et al. (2000) The concept of scale and the human dimensions of global change: a survey. Ecological Economics, (32): 217-239.

KNOX, Paul L., et al. (2007) Human Geography. Places and Region in Global Context.

Toronto, Pearson; Prentice Hall.

MAYER, Raoul Étongué, et al. (2002) Dictionnaire des termes géographiques contemporains.

Montréal, Guérin universitaire - 3e millénaire.

PASSET, René (1996) L'économique et le vivant. Paris, Economica.

POLANYI, Karl (1983) La grande transformation. Aux origines politiques et économiques de notre temps. Paris, Gallimard.

POWER, Marcus (2003) Rethinking Development Geographies. New York, Routledge.

RAFFESTIN, Claude (1980) Pour une géographie du pouvoir. Paris, LITEC.

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