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LA CONVENTION EUROPEENNE DES DROITS DE L'HOMME A-T-ELLE, DANS LE CADRE DU DROIT INTERNE, UNE VALEUR D'ORDRE PUBLIC? par

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I N S T I T U T D ' E T U D E S E U R O P E E N N E S U N I V E R S I T E L I B R E D E B R U X E L L E S

LA CONVENTION EUROPEENNE DES DROITS DE L'HOMME A-T-ELLE, DANS LE CADRE DU DROIT INTERNE,

UNE VALEUR D'ORDRE PUBLIC ? par

W.J. G A N S H O F V A N DER M E E R S C H

C O L L O Q U E D E V I E N N E 1965

Extrait de l'ouvrage :

« L e s D r o i t s d e l ' H o m m e

en d r o i t i n t e r n e e t e n d r o i t i n t e r n a t i o n a l »

P r e s s e s U n i v e r s i t a i r e s d e B r u x e l l e s

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L A C O N V E N T I O N E U R O P E E N N E D E S D R O I T S D E L ' H O M M E A - T - E L L E , D A N S L E C A D R E D U D R O I T I N T E R N E , U N E V A L E U R D ' O R D R E P U B L I C ? '

Rapport de

W . J . G A N S H O F V A N D E R M E E R S C H Professeur à la Faculté de Droit

et Président de l'Institut d'Etudes européennes de l'Université de Bruxelles

I . L' O R D R E PUBLIC E N D R O I T I N T E R N E

1. P o i n t de dé f i n i t i o n s y s t é m a t i q u e de l'ordre p u b l i c

P o u r répondre à la question posée, il faut tenter de déterminer ce qu'est l'ordre public et quels en sont les effets en droit interne.

Il va de soi que l'on ne saurait, dans le cadre de ce qui nous est demandé, faire, à cet égard, u n e étude comparative du droit des Etats parties à la Convention.

Mais, sans même avoir cette ambition, on souhaiterait que l'on s'entende, p o u r définir la notion d ' o r d r e public, sur une formule unique.

La diversité des disciplines juridiques dans le cadre desquelles intervient la n o t i o n de l'ordre public, et leur évolution écarte cette ambition. C'est là une première difficulté.

* On a constaté avec surprise que l'objet des rapports diffère selon qu'il est mentionné en français d'une part, en anglais ou en allemand d'autre part. Dans ces deux dernières interprétations, la question à étudier serait celle de savoir si la Convention, dans le cadre du droit interne, doit être appliquée d'office par le juge, alors que dans le texte français il s'agit de savoir si la Convention a, dans le cadre du droit interne, une valeur d'ordre public ce qui est un sujet beaucoup plus vaste. Nous avons cru répondre au vœu exprimé en répondant à la question telle qu'elle nous avait été posée, c'est-à-dire dans son texte français.

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156 W. J. GANSHOF VAN DER MEERSCH

Le professeur H a m s o n dénonçait récemment (}) — n o n sans une évidente admiration d'ailleurs — le genre féminin de la Common lau>, qu'il décelait dans son caractère peu sensible à la logique et parfois d'apparence capricieuse, mais fondamentalement impératif.

La notion d ' o r d r e public, q u ' o n la considère dans les pays de droit f o m a n o - g e r m a n i q u e ou dans les pays de Common laiv, échappe, elle aussi, à la logique et à la rigueur d u droit. Dans la Common law, elle ajoute à la perplexité d u juriste continental. E n droit français, en droit belge et, plus généralement dans les pays de droit germano- romaniste dont les institutions se situent et se définissent pourtant dans la logique, cette perplexité s'accroît encore. « Cheval rétif » dans le droit anglais (2), l'ordre public risque aujourd'hui, dans tous les droits, de mener celui qui tente de le définir dans les « sables mouvants » (3).

C'est le doyen Talion qui le rappelle dans une étude récente et fort remarquée, en commençant son exposé par u n avertissement clair- voyant : « T o u s ceux qui o n t abordé l'étude de la notion d'ordre public en o n t souligné à l'envi la difficulté ». E t notre savant collègue ajoute :

« II semble difficile de résister à l'attrait du diable qu'exerce l'ordre public, dont le contenu vague répugne à la rigueur du droit, mais dont l'imprécision relative est cependant nécessaire au b o n fonctionnement de l'ordre juridique ». Ce contenu « vague » M. Talion le voit comme u n « dialogue de la contrainte et de la liberté » ; il le situe au « point de rencontre de la volonté individuelle et de l'intérêt c o m m u n » (•*).

N o u s voici avertis. N o u s nous engageons d o n c dans l'étude qui n o u s a été demandée avec u n e ambition limitée. N o n point celle d'élaborer ici une théorie de l'ordre public, qui a fait l'objet, au cours des dernières années, de plusieurs remarquables travaux en droit national et en droit comparé (5), mais d'apporter à l'étude de la notion de l'ordre 0) L,'étudiant de l'Europe continentale en face de la Common law: conférence à la Faculté de droit de Bruxelles, le 23 mars 1965.

(») Richardson v. Mellish, (1824), 2 Bing 252.

(3) Cass. fr. Req., 21 avril 1931, Rapport PILON, S. 1931.1.377.

(*) D. TALLON, Considérations sur la notion d'ordre public dans les contrats en droit français et en droit anglais. Mélanges offerts à René Savaiier, 1965, p. 883. et 884.

f") Voy. spécialement P. MALAURIE, L'ordre public et le contrat, Paris, 1953. L'ou- vrage contient une bibliographie détaillée à laquelle nous renvoyons; Trav. Ass.

H. CAPITANT, 1952. VIT. La Notion de l'ordre public et des bonnes mœurs en droit privé;

P. D E HARVEN, Contribution à l'étude de la notion d'ordre public, Rev. crit. jur.

belge, 1954, p. 251. Cons. aussi : P. BERNARD, La notion d'ordre public en droit adminis- tratif. Bibl. de droit public, 1962.

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public une contribution, en le c o n f r o n t a n t avec les règles de la Conven- tion européenne des Droits de l ' H o m m e , ce qui renouvelle, sans doute dans une certaine mesure, son intérêt en lui ouvrant un champ nouveau.

2. Propositions de d é f i n i t i o n d e la loi d'ordre p u b l i c e n droit interne. E l é m e n t c o m m u n à ces propositions

La notion d'ordre public p e u t s'envisager dans son objet et dans ses effets. C o m m e l'écrit M . Malaurie, faisant allusion successivement à la fonction de l'ordre public et à ses effets, en France « plus que sur l'article 6 du Code civil, la jurisprudence a édifié la théorie de l'ordre public sur l'article 1133 », qui définit la cause illicite (6).

Henri Capitant réunit les deux éléments dans une définition qui a été souvent reproduite : « L'ensemble des institutions et des règles destinées à maintenir dans u n pays le b o n fonctionnement des services publics, la sécurité et la moralité des rapports entre les particuliers et d o n t ceux-ci ne peuvent en principe écarter l'application dans leurs conventions » (J) (8).

Cette proposition se rapproche, dans son second élément, de ce qu'écrit M. Esmein, dans la préface à l'ouvrage de M. Malaurie, en définissant l'ordre public, dans ses effets, comme « l'ensemble des restrictions mises par l'Etat à la liberté laissée aux particuliers d'aménager leurs rapports par des conventions » (9).

Mais généralement les auteurs qui se sont risqués à définir l'ordre public ont eu égard à son objet. Ainsi selon Henri D e Page, « la loi d'ordre public est celle qui t o u c h e aux intérêts essentiels de l'Etat o u de la collectivité, ou qui fixe dans le droit privé les bases juridiques fondamentales sur lesquelles repose l'ordre économique et moral d ' u n e C) P.MALAURIE, La notion de l'ordre public... op. cit., p. 761. Code civil.

Article 6 : On ne peut déroger, par des conventions particulières, aux lois qui intéres- sent l'ordre public et les bonnes mœurs.

Article 1133 : La cause est illicite, quand elle est prohibée par la loi, quand elle est contraire aux bonnes mœurs ou à l'ordre public.

(') Vocabulaire juridique, V° Ordre public.

(*) On trouvera d'autres définitions de l'ordre public dans P. MALAURIE, op. cit..

Appendice p. 261 et suiv.; Voy. aussi G. MARTY et P. R A Y N A U D , £>rw> civil, 1956, I. n» 99; 1962, n» 70-76, II.

(») P. ESMEIN, Préface pour « L'ordre public et le contrat » de P. MALAURIE.

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158 W. J. GANSHOF VAN DER MEERSCH

société déterminée » (lO). Cette définition ne met pas exclusivement l'accent sur les lois d'organisation de l'Etat, mais étend, à juste titre, l ' o r d r e public au droit privé. Elle est plus complète que celle que donne de l'ordre public la Cour de cassation de Belgique : « La loi d'ordre p u b l i c est celle dont les dispositions sont ordonnées en vue de l'existence m ê m e de l'Etat et p o u r le bien de la chose publique » (}^). Elle édicté des dispositions qui doivent assurer le respect d ' u n minimum d'ordre jugé indispensable au maintien de l'organisation sociale, dans u n Etat déterminé Q-^).

E n droit privé, l'idée commune à toutes les propositions est celle d ' u n e « suprématie de la société sur l'individu ». C'est l'idée du « bien c o m m u n », limite de l'autonomie de la volonté (}^). L'ordre public p r o t è g e les institutions fondamentales.

« L ' o r d r e public exprime, a dit le doyen Carbonnier dans une f o r m u l e heureuse, le vouloir-vivre de la nation que menaceraient certaines initiatives individuelles en f o r m e de contrats » Q-^).

3. L e s « b o n n e s m œ u r s » a s s o c i é e s à l'ordre p u b l i c

L'article 6 d u Code civil associe les bonnes mœurs à l'ordre public :

« O n ne peut déroger par des conventions particulières aux lois qui intéressent l'ordre public et les bonnes mœurs ». Bien qu'associées et mises par le législateur national sur le même rang, les notions se distinguent : les lois d ' o r d r e public touchent aux principes mêmes de l'organisation politique ou sociale et à sa stabilité; les b o n n e s mœurs s'expriment dans

u n « ensemble de règles à'ordre moral, faites d'habitudes et de traditions, f o r m a n t corps avec la mentalité d ' u n peuple, et suffisamment générales p o u r être indépendantes de toute religion... » (^^). C'est une notion qui exprime le m i n i m u m de moralité exigible dans la vie d'une société nationale déterminée.

(") Droit civil. 1962, I. n» 91, p. 111.

(") Cass., 21 avril 1921. Pasicrisie 1921.1. 338; 30 octobre 1924, Pasicrisie 1924.1.561;

30 nov. 1933, Pasicrisie 1934.1.88. Voir aussi les décisions et les autorités citées devant Cass., 1er févr. 1951. Pasicrisie 1951.1. 359, note 1 et 2 W.G.

(") M A R T Y et R A Y N A U D , op. cit., II n» 70.

(") Cons. H., L. et J. M A Z E A U D , Droit civil, 1962, II, n» 116 et suiv., p. 92 et suiv.

(") Droit civil, II, p. 385.

(") D E PAGE, op. cit., I, n» 90, p. 109.

(6)

Les conventions qui d é r o g e n t aux lois qui intéressent l'un o u l'autre de ces domaines é t r o i t e m e n t associés ne sont pas « légalement formées ». Elles ne tiennent d o n c pas « lieu de loi à ceux qui les o n t faites ». Elles sont soustraites à l ' a u t o n o m i e de la volonté. L'article 1134 d u code civil ne les régit pas.

4. E v o l u t i o n d e la n o t i o n d'ordre p u b l i c e n droit interne.

D i s t i n c t i o n s d a n s l'ordre p u b l i c

A u X I X ^ siècle, l ' o r d r e public avait u n caractère politique. Il compre- nait les lois concernant l'organisation de l'Etat, les lois fiscales et pénales, les lois réglant la structure de la famille. E n bref, ce qui est « o r d o n n é en v u e de l'existence m ê m e de l ' E t a t et p o u r le bien de la chose

publique»(16). A u t r e m e n t dit, «l'ordre public... embrasse l ' o r d r e qui doit exister dans VEtat (ordre politique) et l'ordre qui doit exister dans la société (ordre social) » (i'^). Par conséquent, « est d ' o r d r e public t o u t e solution des rapports entre particuliers inspirée, en t o u t o u e n partie, par u n souci de justice sociale, d e bien c o m m u n p l u t ô t que de justice particulière, c o m m u t a t i v e o u distributive » (i^).

Mais le d o m a i n e d'application de l'ordre public est variable selon les époques et il tend à croître. Il a évolué avec les conceptions politiques, sociales et é c o n o m i q u e s d u législateur. Restreint dans la première moitié du X I X ^ siècle, « il visait les conventions contraires à Vorganisation politique de l'Etat, à la bonne marche des fonctions publiques, les conventions

à caractère i m m o r a l , les c o n v e n t i o n s dérogeant aux règles sur l'état et la capacité des personnes o u sur la dévolution successorale et la réserve héréditaire. Mais sur le terrain patrimonial... on n'annulait que les conventions p o r t a n t atteinte à la liberté d u travail o u d u commerce. L e c h a m p de l ' o r d r e public n'a cessé d ' a u g m e n t e r avec le progrès des doctrines... sociales : il est a u j o u r d ' h u i considérable d u fait de l'interven- tion constante de l ' E t a t dans la direction de l'économie de la nation » Q^).

H. C A P I T A N T , Introduction à l'étude du droit civil, 1923, p. 64.

J. D A B I N , Autonomie de la volonté et lois impératives, ordre public et bonnes mœurs, sanction de la dérogation aux lois, en droit privé interne in Annales de droit et de sciences politiques, Louvain, T o m e VIII, n"34, avril 1940, p. 216. Souligné par nous.

(18) J. D A B I N , op. cit., p. 249.

(") L. J U L L I O T de la M O R A N D I E R E , Droit civil, II, 1961, p. 191. Souligné par nous.

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160 W. J. GANSHOF VAN DER MEERSCH

Le problème de l'ordre public se pose en droit interne et en droit international privé. Il se pose en droit international public.

E n droit interne, la mesure et la nature de l'ordre public varient.

Il a des « exigences différentes selon les branches d u droit où il inter- vient » (20). Ainsi, l'ordre public régit de manière absolue le droit pénal, oii t o u t est règle impérative ou prohibitive. Il régit le droit public, le droit administratif et le droit fiscal. Il domine le droit social. Il est familial. Il est professionnel (^2).

Il existe u n ordre public procédural. Ici, l'ordre public affecte n o n plus la liberté contractuelle, les libertés de l'individu ou les pouvoirs de l'administration, mais les pouvoirs du juge; l'ordre public procédural se caractérise par u n aspect positif, la modification des pouvoirs du juge, et par u n aspect négatif, la limitation de l'autonomie de la volonté.

P o u r le juge, l'ordre public est d'abord u n facteur d'action : le juge a le p o u v o i r de soulever u n moyen d'office, d'annuler sans autre examen u n e décision, de procéder à une substitution de motifs. Mais l'ordre pubUc réduit aussi la liberté du juge en ce sens que celui-ci a l'obligation de soulever tel moyen o u d'armuler telle décision (23). Les lois qui règlent la composition des juridictions et qui fixent les attributions respectives des autorités judiciaires et administratives sont d ' o r d r e public (24).

Celui-ci a envahi le domaine économique, par les contraintes que la doctrine économique au pouvoir a imposées à la liberté contrac- tuelle (25).

(^0) TALLON, op. cit., p. 884.

(^^) Cons., P. BERNARD, La notion d'ordre public en droit administratif. Bibl. de droit public Paris. 1962.

(") MARTY et R A Y N A U D , op. cit., II, n» 72 et 73.

(^') Cons. M. BERNARD, qui, dans l'ouvrage cité en note 21 ci-dessus, consacre à l'ordre public procédural d'importants développements. Sur la nature particulière de l'ordre public en droit procédural, cons. J. VINCENT, La procédure civile et l'ordre public, in Mélanges Roubier, 1961, p. 303 et suiv. et R. JAPIOT, Traité él. procéd. civ. et com., 1935, n° 12 à 16, p. 13 et suiv.

(") On ne s'attardera pas ici à l'exposé de l'ordre public dans les domaines étrangers à la question qui fait l'objet de la présente étude.

(^^) On a consacré de pénétrantes études à l'ordre public économique. Ainsi : R. SAVATIER, L'ordre public économique, D.S., 1965, p. 37, Chr. VI; déc. 1935, le doyen RIPERT en faisait mention : L'ordre économique et la liberté contractuelle Mélanges Geny, 1934, II. p. 347; G. FAR J AT, L'ordre public économique,Vath \')(>1>\

cons. aussi P. MALAURIE, L'ordre public... op. cit., spécialement p. 57 et suiv.

G. B A E T E M A N , Het ekonomisch recht en de ekonomisch openbare orde, in Studies en Voordrachten, édit. Univ. Bruxelles 1964, p. 77.

(8)

La Convention européenne d'établissement du 13 décembre 1955 se réfère à la notion d ' o r d r e public en droit interne.

L'article 1^'' dispose, en effet, que : « chacune des Parties contrac- tantes facilitera l'entrée sur son territoire, en vue d ' u n séjour temporaire, des ressortissants des autres Parties et leur permettra d ' y circuler

librement, sauf dans les cas où des raisons relatives à l'ordre public, à la sécurité, à la santé publique o u aux bonnes mœurs s'y oppose- raient » (26).

La Section I d u Protocole à la Convention s'y réfère aussi. Elle dispose que « chaque Partie a le droit d'apprécier selon des critères nationaux les raisons relatives à l'ordre public (...) qui peuvent s'opposer à l'entrée sur son territoire des ressortissants des autres Parties ».

La Section III d u m ê m e Protocole tente de préciser la notion et cite des exemples à l'appui, qui s'éloignent d'ailleurs des critères généra- lement admis. « La n o t i o n d ' o r d r e public doit être entendue dans l'acceptation large qui est, en général, admise dans les pays continentaux. U n e Partie pourrait n o t a m m e n t refuser l'accès à u n ressortissant d ' u n e autre Partie p o u r des raisons politiques ou s'il existe des raisons de croire que ce ressortissant est dans l'incapacité de couvrir ses frais de séjour o u qu'il se propose d'occuper u n emploi rétribué sans être m u n i des autorisations éventuellement nécessaires » (2^).

Le Professeur Vander Elst écrit que « l'on constate, en droit interne, une véritable gradation de l'intensité du caractère impératif des différentes institutions qui t o u c h e n t au droit privé ». Il relève q u e « cette gradation encore qu'elle ait des aspects multiples, n'en est pas moins progressive » (28).

Cette diversité et cette évolution dans l'appréciation d e ce qui est au-dessus des intérêts privés et justifie cette protection absolue fait dire à M . Malaurie : « Il n'y a pas d ' o r d r e public, il n'y a que des matières qui intéressent l'ordre public » (29).

Voy. aussi l'article 3 de la Convention du 13 décembre 1955.

Voy. aussi la notion de « l'ordre de la santé ou de la morale publique » à l'article 9, par. 2 de la Convention européenne des Droits de l'Homme.

(") R. V A N D E R ELST, Les lois de police et de sûreté en droit international privé. I. 1956, p. 77. Souligné par nous. Cons. aussi : P. BERNARD, La notion d'ordre public en droit administratif, Bibl. de droit public, 1962.

(") P. MALAURIE, Ibid., o» 167, p. 119.

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162 W . J. G A N S H O F V A N D E R M E E R S C H

5. C o n s é q u e n c e s et sanctions d e l'ordre p u b l i c en droit interne Les règles d'ordre public puisent dans l'intérêt essentiel qu'elles expriment et protègent la justification de leur force obligatoire en droit interne.

Leur observation est une condition de la validité des contrats et des autres actes juridiques qu'elles régissent. Il en est, en principe, fait application par les tribunaux, même d'office. Les parties peuvent s'en prévaloir en tout état de cause et même, généralement, en droit français et en droit belge par exemple, p o u r la première fois devant la Cour de cassation (^O). Les conventions contraires à l'ordre public sont inter- dites. U n e matière d'ordre public ne saurait, à peine de nullité, faire l'objet d ' u n e convention, d ' u n compromis, d ' u n arbitrage, d ' u n acquies- cement, d ' u n e transaction ou d'une renonciation (^i). Les règles d'ordre public sont sanctionnées par la nullité et celle-ci ne peut s'eiïacer par la v o l o n t é des parties (32). Elles sont soumises au contrôle d u ministère public, qui dans certaines matières, dispose d ' u n e action p o u r en assurer le respect.

Mais, l'ordre public, qui est multiple, varie d'intensité selon la hiérarchie des droits ou intérêts qu'il régit. Les effets qui s'y attachent et les sanctions qu'entraîne la violation des règles d ' o r d r e public peuvent varier aussi selon la matière et l'intérêt que celle-ci présente, p o u r la c o m m u n a u t é , dans la conception du législateur.

6. L'ordre p u b l i c et la loi. L a progression d u droit p u b l i c par la l o i

L ' o r d r e public a désormais p o u r source principale la loi. Son c h a m p s'étend par l'action du législateur. O n se t r o u v e en présence d ' u n o r d r e public, né d'une prolifération législative dans les ordres

économique, social et politique (^3). Sans doute, les contrats se nouent-ils C») Cons. R. JAPIOT, op. cit., n» 13, p. 13; H. ROLIN, Vers un ordre public réelle- ment international, in Hommage d'une génération de juristes au Président Basdevant, Paris, 1960, p. 441.

(") Répert. D A L L O Z , Procédure civile, 1956. II, notamment V" Ordre public n» 11.

('^) On entend ici l'ordre public en droit privé. Le contrôle du juge administratif comporte des effets moins absolus, spécialement le contrôle de la légalité formelle.

(") Cons. Rapport général du professeur L. B A U D O I N , L'ordre public et les bonnes mœurs. Trav. Ass., H. C A P I T A N T , 1952, p. 726.

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toujours par u n accord de v o l o n t é des parties, mais ils se f o n t beaucoup moins, observe le doyen Savatier, au gré de celles-ci : « Leur liberté y est de plus en plus étroitement bornée par des règles impératives et prohibitives. Celles-ci encadrent toutes les conventions et cernent strictement beaucoup d'entre elles » (3'*).

La loi peut décréter d ' o r d r e public toute matière en se fondant sur des considérations d ' o p p o r t u n i t é politique « Parce qu'il est fait d ' o p p o r - tunité politique et sociale, l'ordre législatif s'inspire des préoccupations d ' u n m o m e n t , d ' u n intérêt de l'Etat, variable par nature; il est u n élément juridique instable » (^5). Le développement de cet ordre public législatif « tend à donner, observe M. Malaurie, à l'ordre public u n e nature révolutionnaire, amorale, positive, réglementaire et dyna- mique » (36). Il a fait perdre progressivement à l'ordre public sa stricte éthique que l'ordre public déterminé par le juge maintient.

La législation sociale et la législation économique qui s'adapte aux fluctuations de la conjoncture, les lois monétaires, les lois sur les loyers, sur les accidents de travail, sur la protection de la santé, sur l'assurance obligatoire sont autant de domaines soustraits par la loi à la liberté des conventions.

L'extension du champ de l'ordre public par la loi jalonne la voie que suit le droit public dans une emprise progressive de l'autonomie de la v o l o n t é (3'^).

Le passage d u droit privé au droit public s'opère q u a n d l'Etat intervient par ses agents — législateur ou administration — dans les rapports privés (3^). Le droit public est lié à l'entrée en scène des personnes publiques, usant de l'imperium de la puissance publique.

Le législateur a t o u t p o u v o i r p o u r interdire, p o u r autoriser, p o u r donner des injonctions obligatoires (^9). Le procédé d u droit public (»*) R. SAVATIER, op. cit., p. 36.

(") Rapport P. M A L A U R I E , L'ordre public et les bonnes mœurs. Trav. Ass.

H. C A P I T A N T , 1952, p. 755, 756 et 757.

Sur l'envahissement du domaine du droit privé par le droit public, cons. : R. SAVATIER, Droit privé et droit public, D. 1946, Chr. VII; Défense du Droit privé, D. 1946, Cbr. V ; J. RIVERO, Droit public et droit privé. Conquête ou statu quo ? D. 1947, Chr. XVIII.

Cons. G. RIPERT, Le déclin du droit. Etudes sur la législation contemporaine, 1949 p. 41.

('») G. RIPERT, ibid., p. 43, 46, 52.

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1«4 W. J. GANSHOF V A N D E R MEERSCH

est celui de la décision exécutoire. L'administration c o m m a n d e ; elle force la volonté de l'administré, au n o m de l'intérêt général.

Mais la contrainte liée à l'ordre public n'a pas toujours p o u r effet de faire passer la matière d'ordre public ou devenue d'ordre public du domaine du droit privé dans celui du droit public. Ainsi l'état des personnes, le mariage, la filiation, la réserve héréditaire sont soustraits à l ' a u t o n o m i e de la v o l o n t é ; ce sont des institutions de droit privé.

7. L o i i m p é r a t i v e et loi d'ordre p u b l i c

La législation impérative s'est multipliée p o u r les raisons que l'on connaît et qu'il serait oiseux de rappeler. La loi impérative ordonne ou prohibe. Elle se caractérise par le fait que ceux qui se trouvent dans la situation qu'elle régit ne peuvent, par leur volonté, en écarter l'appli- cation. Mais la f o r m e impérative de la loi ne préjuge pas d u caractère d ' o r d r e public de la règle qu'elle formule. L'ordre public ne s'identifie pas avec la loi impérative. L'objet de la loi impérative n'est pas néces- sairement d ' o r d r e public.

D ' a u t r e part, toute loi d'ordre public est impérative par nature.

Elle a une force obligatoire absolue.

L ' o r d r e public de droit interne comporte deux éléments : 1° un élément fondamental qui réside dans la substance m ê m e de la loi : la sauvegarde du bien c o m m u n ; 2° u n élément qui n'est que la conséquence de ce caractère fondamental : la limite imposée à la « Liberté des personnes dans leurs actes juridiques »

L ' o r d r e impératif ou la prohibition, qui caractérisent la loi impéra- tive, ne sont pas nécessairement exprimés dans la loi d ' o r d r e public.

8. L'ordre p u b l i c judiciaire

Il est — on l'a v u — de n o m b r e u x cas o ù la loi elle-même se déclare expressément d ' o r d r e public dans telle de ses dispositions. Ce caractère culmine dans la sanction pénale. Mais il existe des dispositions législa- tives o ù rien, dans la forme, ne permet de déceler si elles admettent (") R. S A V A T I E R , op. cit., p. 26.

(12)

OU excluent les conventions contraires. L'ordre public ne se révèle pas toujours expressément dans le texte de la loi par u n ordre de faire o u de s'abstenir. Parfois même, malgré l'ordre exprimé (^i), la règle n'est pas d ' o r d r e public. C'est alors aux tribunaux à rechercher et à décider si des intérêts essentiels de la société sont impliqués dans cette législa- tion (42). Le juge a la faculté de qualifier d'otrdre public une loi d o n le caractère impératif o u supplétif n'est pas ou n'est pas suffisamment indiqué (43). L'ordre public est, dans ce cas, judiciaire, c'est-à-dire reconnu par le juge en raison de la matière qui fait l'objet de la loi. Il est découvert par le juge, soit dans les textes qui ne s'expriment pas impérativement, soit dans les principes généraux n o n écrits. Cet ordre public reconnu par le juge, « antithèse de la liberté contractuelle », (^4) reste substantiellement u n élément de conservation sociale et de protec- tion. Il est fondé sur u n bien c o m m u n suffisamment impérieux « p o u r permettre aux tribunaux de faire reculer devant ces règles la volonté individuelle » (45).

L ' o r d r e public judiciaire est étroitement associé à notre sujet. D a n s le silence de la loi, c'est au juge à déterminer la matière qui intéresse l'ordre public.

9. La n o t i o n d'ordre p u b l i c d a n s la C o m m o n law

O n utilise généralement en Common law l'expression public policj p o u r se référer à la notion d ' o r d r e public du droit des pays romano- germanistes (46).

Spécialement, en droit judiciaire.

(") CARBONNIER, op. cit., p. 386.

(") Cons. le rapport de P. M A L A U R I E in Trav. Ass. H. Capitant, 1952, p. 759.

(") D. T A L L O N , op. cit., p. 885; F A R J A T , op. cit., n» 17 et suiv.

(«) P. D E H A R V E N , Mouvement du droit civil belge, p. 197.

(*') Il semble que, dans la pratique du Conseil de l'Europe, comme dans celle de r O . N . U . , la notion française d' « ordre public » soit reproduite telle quelle entre guillemets dans la version anglaise des instruments internationaux. Voir notamment

— art. 1 et 3 de la Convention européenne d'Etablissement,

— art. 2 et 3 du Protocole n" 4 de la Convention européenne des Droits de l'Homme.

Voy. toutefois : l'art. 9 par. 2 de la Convention des Droits de l'Homme, où dans le texte anglais l'on se sert de l'expression « public order », qui répond à une autre notion, que l'on qualifie parfois en français « ordre public », mais qu'il serait plus exact de traduire par « paix publique », « ordre », « maintien de l'ordre » ou « pro- tection de l'ordre ». A notre avis, c'est à tort que, dans le texte français de l'art. 6, par. 1 on se sert de l'expression « ordre public »; il s'agit là non point de « public policy » mais de « public order ».

(13)

166 W. J. G A N S H O F V A N D E R M E E R S C H

Sans doute l'élément fondamental de la public policy est-il Vin- térét supérieur de la société, au n o m duquel il est fait échec au libre jeu de la volonté individuelle. Mais ici aussi s'observe le même manque de rigueur que l'on a relevé ailleurs.

La notion de public policj a été définie comme déterminée par

« l'obligation de remplir tous les devoirs q u ' o n t les h o m m e s envers la société »

Le doyen Talion (^^) cite aussi L o r d W r i g h t qui reconnaît l'existence en droit des « considérations d'intérêt public qui doivent déterminer les cours à s'écarter de leur fonction première, qui est de faire respecter les contrats et exceptionnellement de permettre que l'on y déroge » (^^).

O n le voit, la notion de public policj est, si pas semblable, à t o u t le moins fort proche de l'ordre public, tant dans son objet même q u e dans ses effets.

Mais la public policy est une institution de la Common law seu- lement. Elle est donc uniquement judiciaire, ce qui lui a conservé son caractère substantiel et sa stabilité. « La Cour n'a pas à créer des notions juridiques résultant de conceptions nouvelles de l'ordre public... ; l'ordre public n'est pas u n e n o t i o n juridique qui doive être étendue » (^o).

O n admet généralement que la public policj reste soumise à la règle d u précédent. Cette doctrine n'est, toutefois, aujourd'hui plus uniforme.

Là aussi se manifestent les effets de l'évolution économique et sociale (S^).

Sans doute y a-t-il aussi des contrats illégaux, parce que prohibés par u n acte de statute law, mais cette notion-là de l'acte illicite est (*') « The obligation to perform ail the duties which men o w e to Society, «.Egerfom V. Brownlov (1853), H.H.L.C. 1 at p. 32.

(") Op. cit., p. 886.

(*°) « Considérations of public interest which require the Courts to départ from their primary function of enforcing contracts and exceptionnaly to refuse to enforce them ».

Souligné par nous dans le texte français. V. Mildmay F E N D E R (1937), 3 AH E.R. at p. 424; Cens. Anson's Law ofContract, 21ème édit. par G U E S T A.G., 1959, p. 292 et suiv. ; Halhury's Laws of England, 3ème édit., 8, n° 216 et suiv. et l'abondante juris- prudence citée.

(''') « The Court is not to establish new heads of law founded on new public policies... ; public policy is not a branch of law to be extended » Jansen v. Dreifontein Consolidated mines (1902), A.C. 484 p. 491.

('^) Voy. Nordenfelt v. Maxim Nordenfelt Guns and Ammunition, C" (1894), A.C. 535.

(14)

absolument distincte de celle de l'acte prohibé hy public policj, o ù la nullité résulte des précédents judiciaires et de l'appréciation du juge (52).

I I . L' O R D R E PUBLIC E N D R O I T I N T E R N A T I O N A L PRIVE E n droit international privé, l'ordre public a une portée propre et détermine des effets particuliers. Ici, la notion de l'ordre public dépend, dans une large mesure, de l'opinion qui prévaut dans le pays lorsque le problème se pose (^3).

Mais il a une intensité plus grande que dans le droit interne. C'est ce q u e caractérise le professeur V a n d e r Elst en écrivant : « Si l'on admet que sont d'ordre public international toutes règles ou institutions qui possèdent, en droit interne, u n caractère d'ordre public particulièrement intense, nous devons retrouver... toutes règles ou institutions d o n t le caractère atteint la plus grande intensité en droit interne, parmi celles qui excluent en cas de conflit de lois, toutes dispositions étrangères autres o u contraires » (54).

Ce n'est pas, malgré l'expression généralement admise « l'ordre public international », un ordre public c o m m u n aux Etats. L'expression prête d o n c à équivoque.

Il s'agit ici des conflits de lois dans l'espace. Ce que l'ordre public protège et défend, c'est ce qu'il y a d'irréductible dans une institution considérée comme indispensable à une société nationale déterminée.

L ' o r d r e public de droit international privé a p o u r objet de déterminer

« la mesure dans laquelle l'application de la loi étrangère heurte les conceptions dans chaque pays, de façon à occasionner u n véritable trouble social » (55).

( " ) T A L L O N , op. cit., p. 887.

''") Répert. Dallo^, Droit civil, 1953, IH. V" Ordre public n» 93 et les autorités citées, f"") V A N D E R ELST, np. cit., 11 et 78.

Voy. D E L A P R A D E L L E et N I B O Y E T , Répertoire de droit international privé, V ordre public. N" 18 et suiv., 72 et suiv.; BATIFOL, 1949, n" 369; N I B O Y E T , Traité de droit international privé, 1944, t. 3, n" 1.048; M. P H I L O N E N K O , La notion de l'ordre public international, Clunet, 1952, 780; R. V A N D E R ELST, op. cit., I, 1956, p. 79 et suiv.; N I B O Y E T , note sur Cass. fr. Req., 21 avril 1931, S. 1391.1.378 et le rapport du conseiller PILON, devant le même arrêt ibid., p. 379 et suiv.

(15)

168 W . J. G A N S H O F V A N D E R M E E R S C H

U n e loi n'est d'ordre public international privé que p o u r autant q u e le législateur ait entendu consacrer par les dispositions de celle-ci u n principe qu'il considère c o m m e essentiel à l'ordre moral, politique o u économique établi dans u n pays déterminé et qui, p o u r ce motif, doit nécessairement, à ses yeux, exclure l'application dans ce pays de toutes règles contraires o u différentes inscrites dans le statut personnel de l'étranger (56).

I I I . L' O R D R E PUBLIC I N T E R N A T I O N A L A U S E N S D U D R O I T D E S G E N S

Bien que ce soit la valeur d ' o r d r e public de la Convention en droit interne qu'il nous a été demandé d'étudier, il paraît souhaitable de n o u s arrêter, fût-ce brièvement, là o ù il s'agit d'une convention inter- nationale, à la notion de « l'ordre public international », au sens du droit des gens, évidemment proche, par sa substance, de la notion d'ordre public en droit interne.

L ' o r d r e public international au sens d u droit des gens, c'est l'ordre public qui domine les relations des Etats entre eux et limite, p o u r des raisons tenant à leur objet, le droit de conclure des conventions inter- nationales.

D a n s u n important article (57), le professeur Henri Rolin montre c o m m e n t plusieurs internationalistes o n t très tôt accepté l'idée d'un o r d r e public conçu comme une limite de la liberté de conclure des traités internationaux pouvant d o n n e r naissance à des obligations valables.

Ainsi Fauchille écrit que « doit être reconnue nulle p o u r ' illicité ' de son objet toute convention tendant à la violation du droit inter- national positif, des règles de la morale universelle, des droits fonda- mentaux de l ' h o m m e ». (58)

("•) Cass. belge 4 mai 1950, Pasicrisie 1950.1.624; C"/. 1952 p. 284 et 802, note P H I L O N E N K O ; 16 février 1955, ]ourn. Trib., Bruxelles 1955, p. 249 et la note du professeur P. FORIERS.

(") Vers un ordre public réellement international, in Hommage d'une génération de juristes au Président Basdevant, Paris, 1960, p. 441.

(»«) P. FAUCHILLE, Traité de droit international public, I, 3ème partie, n» 819, p. 300;

cons. aussi dans le même sens, E. V A T T E L , Droit des gens. Préliminaires, par. 9 ; Livre I, par. 263; Livre II, par. 161; A. RIVIER, Droit des gens, II, Bruxelles ,1896, p. 58.

(16)

Henri Rolin est loin d'être seul à admettre la notion de l'ordre public international et à observer sa progression.

Cavaré, après avoir dit q u ' u n traité contrat ne doit pas contredire u n traité loi, ajoute : « Ce qui paraît le plus sûr, c'est que le traité ne doit pas être contraire aux principes fondamentaux du droit international ou à ce q u ' o n peut appeler le droit c o m m u n de l'humanité; exemple u n traité qui tendrait à légitimer la piraterie ou la traite des nègres serait illicite » (^^).

Scelle exprime une o p i n i o n analogue : « L'accord de deux o u plusieurs gouvernements ne suffit pas à fonder la validité juridique d ' u n e convention o u d ' u n traité. E n c o r e faut-il que cet accord soit conforme aux règles qui g o u v e r n e n t la compétence des agents juridiques internationaux. N o u s avons v u , p a r exemple, q u ' u n accord conventionnel en contradiction avec une contrainte générale bien établie devient nul, de nullité absolue » (^o).

Sibert formule le principe sous une f o r m e positive et de manière particulièrement formelle : « Vraie, en droit des gens, pour la

c o m m u n a u t é internationale, c o m m e elle l'est au regard du droit interne de chaque pays, une notion (...) surgit, celle de l'ordre public, c'est-à-dire d ' u n ensemble de règles indispensables au maintien de l'ordre et de la paix p o u r tous. Offrant u n c o n t e n u variable avec les nécessités du milieu social et avec les époques, de telles règles sont toujours — sans contes- tations possibles—impératives: absolues, elles ne tolèrent ni dispositions (ni situations) qui leur soient contraires : la volonté des parties ne peut ni les mettre à l'écart ni en suspendre l'effet... » (*i).

O n doit encore citer, p a r m i ceux qui refusent le caractère obligatoire aux traités qui iraient à l'encontre de ce qu'il y a d'essentiel dans la

morale universelle, l'ordre et la paix p o u r tous, plusieurs publicistes modernes :

Salvioli enseigne q u ' « u n traité en opposition avec les règles impératives du droit international est illicite et nul » {^^).

(") L. CAVARE, Traité de droit international public positif, 1951, II, p. 57.

(•») G. SCELLE, Manuel de droit international public, 1948, p. 640.

(•1) M. SIBERT, Traité de droit international public, 1951, p. 16.

(") G. SALVIOLI, Règles générales du droit de la paix, R.C.A.D.I., 1933, IV, p. 26.

(17)

170 W. J. GANSHOF VAN DER MEERSCH

Verdross consacra une étude aux traités interdits et relève l'existence en droit international de règles obligatoires dérivant les unes du droit coutumier, les autres prohibant les traités contra bonas mores

Il écrit : « A treaty n o r m is void if it is either in violation of a c o m p u l s o r y n o r m of gênerai international law or contra bonas mores.

A treaty n o r m is contra bonas mores if a state is prevented by an inter- national treaty f r o m fulfîlling the universally recognized tasks of a civilized state ». M. Verdross cite parmi ces devoirs : « the maintenance of the public order ».

François déclare formellement sans force obligatoire le traité qui s'écarte des prescriptions de droit impératif (^4).

Lauterpacht considère c o m m e u n e règle coutumière du droit international que des engagements i m m o r a u x ne peuvent faire l'objet de traités internationaux, non plus que des engagements qui s'écartent des principes universellement reconnus d u droit international (^^).

Il ne semble pas que l'on ait en U.R.S.S. pris directement position sur la question, mais dans la doctrine soviétique généralement admise, l'objet du traité doit être admissible d u point de vue du droit inter- national, u n Etat ne pouvant s'obliger qu'à l'égard de ce qui est légale- m e n t o u en fait dans son autorité (^^).

D o i t - o n rappeler aussi la doctrine d'Elihu Root, qui, le 27 avril 1918, lors d ' u n e réunion de la Société américaine de D r o i t international, disait : « N o u s devons comprendre que les relations entre nations intéressent le maintien de l'ordre dans la c o m m u n a u t é des nations indépendantes » (^7).

(«') A. VERDROSS, Forbidden Treaties in International Law, in A.J.I.L., 1937, p. 571-577.

(") J.P.A. FRANÇOIS, Handboek van het Volkenrecht, 1949,1, p. 652.

H. LAUTERPACHT, International Law, 1955, I, p. 505 et suiv., Henri ROLIN cite encore, en dehors de ces autorités : MC NAIR, The Law of Treaties, 1938, p. 112;

Ch. C. HYDE, International Law, 2ème édit., 1947, II, p. 1374.

(««) Cens. Jan F. TRISKA et Robert M. SLUSSER, The Theory, Law and Policy of Soviet Treaties, Stanford 1962, p. 58; W. WENGLER, Volkerrecht, 1964, I, p. 395 n»3.

(") ELIHU ROOT, Politique extérieure des Etats-Unis et dr. int,. trad. J. TESSAYRE, 1927, p. 360.

(18)

M. Rolin se réfère (^8), en outre, p o u r affirmer l'existence d ' u n o r d r e public international en droit des gens, à un avis dissident d'Anzilotti accompagnant l'avis consultatif de la Cour permanente relatif à l'affaire du projet d ' u n i o n douanière austro-allemande (^^) et à une opinion individuelle de M . M o r e n o Quintana (^o) accompagnant l'arrêt rendu le 28 novembre 1958 dans l'affaire relative à l'application de la Convention de 1902 sur la tutelle des mineurs Ç^).

Il se fonde enfin sur l'article 103 de la Charte des Nations Unies, qui consacre la primauté de la Charte sur tous autres traités, en mettant en lumière, à juste titre, que si les dispositions de la Charte, parmi lesquelles l'article 1^'' par. 3, q u i assigne aux Nations Unies la tâche de développer et d'encourager le respect des droits de l ' h o m m e et des libertés fondamentales p o u r tous, sans distinction de race, de sexe, de langue ou de religion, sont prédominantes, elles le doivent à leur caractère d'ordre public, n o n qualifié tel expressément, sans doute, mais certain ('2). L'article 103 n ' a d'autre objet que de constater ce caractère et d'en déduire la conséquence.

Cette doctrine qui c o m p o r t e , o n le voit, des nuances et des distinctions dans les limites du d o m a i n e interdit aux conventions inter- nationales, est discutée par G u g g e n h e i m , (^^) qui conteste l'existence d ' u n ordre public international et l'appréciation de la moralité d ' u n traité, mais signale, néanmoins, que le « juge Schûcking a développé avec beaucoup de vigueur la thèse que la Cour permanente de Justice internationale n'appliquerait pas u n e convention dont le contenu serait contraire aux bonnes mœurs » (J'^) et que « l'idée d'un droit international public impératif (Jus cogens) est souvent exprimée par l'idée de l'existence d ' u n ordre public international » (^^^ (^6).

(•») Op. cit., p. 455.

(•«) C.P.J.I., Rec, Série A/B n" 41.

(") Op. cit., p. 455 et 456.

(") C.I.J., Recueil, 1958, p. 106.

(") Op. cit., p. 456.

(") P. GUGGENHEIM, Traité de droit international public, I, 1953, p. 57 et 58., O M I S .

aussi, dans la même voie J.L. BRIERLY, Règles générales du droit de la paix, R.C.A.D.I., 1936, IV, Vol. 58, p. 218.

('•) Voy. l'opinion individuelle du juge SCHUCKING dans l'affaire 0 / « « , C.P.J.I., Série A/B n° 63, p. 149 et suiv., M. ROLIN s'y réfère aussi, op. cit., p. 455.

(") GUGGENHEIM, op. cit., p. 58, note 1.

('«) Voy. aussi W. WENGLER, Vdlkerrecht, 1964, I, p. 220, 395-396; P. REUTER, Principes de droit international public, R.C.A.D.I., 1961, II, p. 466-467 et 547.

(19)

178 W . J. G A N S H O F V A N D E R M E E R S C H

Rousseau s'écarte aussi de la notion de l'ordre public international, telle q u ' o n l'a sommairement exposée ici en se f o n d a n t sur les autorités généralement citées par Rolin. S'il admet la nullité d ' u n traité dont le contenu se trouve en contradiction avec une règle positive du droit des gens liant toutes les Parties contractantes, il conteste la nullité résultant de l'immoralité

N o u s ne p o u v o n s nous rallier à cette réserve. Comment admettre la licéité d ' u n traité qui aurait p o u r objet d'exclure de la garantie des droits civils ou politiques des catégories de citoyens déterminées par la race, la couleur o u la religion, d'organiser des « p o g r o m s », voire des génocides ?

N o u s souscrivons d'autant plus fermement à la doctrine de l'ordre p u b l i c international s'imposant aux Etats et dominant leurs relations, q u e la Convention européenne des D r o i t s de l ' H o m m e nous paraît avoir fait franchir à l'ordre public international une étape nouvelle et décisive C^). La sauvegarde collective des droits de l'homme, telle q u e l'a instituée la Convention de R o m e , différencie cette Convention p a r la prédominance de l'intérêt public dans le fonctionnement et la compétence tant de la Commission que de la Cour elle-même, de ce q u e connaissait jusqu'ici la procédure internationale.

Le droit de toute Partie contractante de saisir la Commission n'est s u b o r d o n n é à l'existence d'aucun intérêt particulier auquel ledit manque- m e n t aurait porté atteinte C^).

A u c u n e distinction n'est faite entre les affaires portées devant la C o u r , suivant que le recours émane o u n o n de l'Etat dont la personne lésée serait la ressortissante (8").

L e désistement, même accepté par l'Etat défendeur, ne dessaisit pas la C o u r .

( " ) Ch. R O U S S E A U , Principes généraux de Droit international public, 1944, p. 340.

R O U S S E A U , pour contester la nullité résultant de l'immoralité, se fonde sur l'opinion de Sir Hersch LAUTERPACHT, qui, on l'a vu, s'est rallié dans la suite à la thèse opposée. Voy. supra note 65, p. 170.

( " ) O n reviendra sur cette proposition, lorsque l'on étudiera la Convention elle- même et son caractère. Voy. infra, p. 18! et suiv.

(") Convention, art. 24.

(»") H . ROLIN, op. cit., p. 461 ; voy. aussi H. L A N N U N G , Quelques observations sur le problème de la mise en œuvre des Droits de l'Homme, in La Protection inter- nationale des Droits de l'Homme, 1961, p. 231.

(20)

Le recours dépasse l'intérêt de l'individu et même celui de l'Etat en tant que protecteur de ses ressortissants. C'est ici l'ordre public international qui est en cause et q u i s'est, par la Convention, enrichi de garanties nouvelles (^i).

I V . L' O R D R E PUBLIC I N T E R N A T I O N A L A U SENS D U D R O I T D E S G E N S

E T L E RESPECT D E S D R O I T S F O N D A M E N T A U X D E L ' H O M M E

1. Accepter le concept d'ordre public international en droit des gens conduit nécessairement, à notre sens, à y inclure le respect des droits de l ' h o m m e .

2. E n 1921 déjà, au cours de la session de R o m e de l'Institut de droit international, il était souligné que « les Etats ont des devoirs, au regard n o n seulement des autres Etats, mais des h o m m e s et qu'il pouvait arriver que le respect de la liberté des individus primât celui de la liberté des Etats (82).

3. E n 1929, lors de sa session de N e w Y o r k , l'Institut de droit inter- national prenait une résolution sur la Déclaration des droits internationaux de l'homme d o n t un des considérants était ainsi libellé : « Considérant que la conscience juridique du m o n d e civilisé exige la reconnaissance à l'individu de droits soustraits à toute atteinte de la part de

l ' E t a t . . . » ( 8 3 ) ( 8 4 ) .

4. D a n s le Droit international de l'avenir, Postulats, principes et propositions, publié par le « H u d s o n Committee », en avril 1944 (85), o n trouve (") H. ROLIN, op. ci!., p. 462.

Voy. le texte des projets de déclarations in A.I.D.I., 1921, Scss. Rome, vol. 28, p. 207 et suiv. Mme R O O S E V E L T ne s'est pas exprimée autrement lors de la discussion de la Déclaration universelle; Voy. Doc. A/C.3/SR.120 ; 3 novem- bre 1948, p. 6.

(»») Voy. Ann. sess. N e w York, 1929, II, p. 298-300.

('*) On sait que le Secrétariat général des Nations Unies était, en janvier 1947, alors que les travaux d'élaboration de la Déclaration universelle commençaient, en posses- sion d'un grand nombre de projets émanant tant de publicistes que d'instituts et d'associations. Voy. Doc. E / C N 4 / W 1 6 des Nations Unies et : A. V E R D O O T , Naissance et signification de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homrm, 1964, p. 41- 41.

(*^) Voy. le texte de ces principes reproduits dans VA.J.I.L., april 1944, p. 55 et 56. Le texte reproduit ici a été traduit par M. P.M. CAR JEU, R.G.D.I.P., 1959, p. 682.

(21)

174 W. J. GANSHOF VAN DER MEERSCH

u n principe II qui s'énonce ainsi : « Chaque Etat a le devoir juridique de veiller à ce que les conditions existant sur son territoire ne constituent pas un danger p o u r la paix internationale; à cette fin il doit traiter sa propre population d ' u n e manière qui ne constitue pas u n e violation des principes d'humanité et de justice o u u n défi à la conscience du m o n d e ».

L'évolution, qui tendra à conférer à ces droits une valeur d'ordre public, est amorcée dans la mesure où l'on affirme l'obligation q u ' o n t les Etats mêmes de ne pas porter atteinte à certains droits fondamentaux.

5. Charte d e s N a t i o n s U n i e s

a) A sept endroits, les droits de l ' h o m m e sont mentionnés dans la Charte et dans le préambule {^^). L'article 56, en particulier, impose aux Etats membres de l'Organisation une obligation juridique de coopérer dans le respect effectif et universel des droits de l ' h o m m e Cette obligation apparaît d'autant plus significative lorsqu'on la con- f r o n t e avec l'art. 2 par. 7 de la Charte qui exprime la règle de n o n intervention « dans les affaires qui relèvent essentiellement de la compétence nationale d ' u n Etat » et stipule que la Charte ne saurait

« obliger les Membres à soumettre des affaires de ce genre à une procédure de règlement aux termes de la présente Charte... » (^^).

h) Se pose alors la question de savoir si l'on peut considérer que les droits de l ' h o m m e f o n t partie du domaine ainsi réservé aux Etats.

La question, on le sait, a été étudiée par la Commission des Droits de l ' H o m m e ; celle-ci s'en est expliquée dans les termes suivants : « Le G r o u p e a étudié l'incidence de l'art. 2 par. 7 de la Charte des Nations

(") Char/e art. 1, par. 3, 13b, 55c, 62 par. 2, 68, 76 c.

(") Voy. R. CASSIN. La Dcclaration universelle et la mise en œuvre des droits de l'homme, R.C.A.D.I., 1951, II, p. 249, M. GANJI, International Protection of Human Rights, Droz (Genève) et Minard (Paris), 1962, p. 113 et P. G U G G E N - HEIM, Traité de droit international public. Vol. I, p. 301-302.

(") Les auteurs sont unanimes à souligner que les droits de l'homme constituent, dès la signature de la Charte, le pilier sur lequel a été édifiée l'organisation mondiale.

Ainsi : MIRKINE - GUETZEVITCH, L'O.N.U. et la doctrine moderne des droits de l'homme, R.G.D.I.P., 1951, p. 163; M. MOSKOWITZ, Human rights and tvorld order, Oceana publications, p. 253-254. Cons. aussi A. ROSS, La notion de compé- tence nationale dans la pratique des Nations Unies, in Mélanges offerts à Henri Rolin, 1964, p. 284 et suiv.

(22)

Unies sur la Déclaration o u la C o n v e n t i o n à intervenir. La clause ci- dessus lui a paru superflue. E n effet, le « domaine réservé » des Etats auquel fait allusion l'article précité, n'englobe selon une saine inter- prétation, que les questions qui ne sont pas internationalisées d'une manière ou d'une autre. D è s l'instant o ù les Etats acceptent d'émettre à leur sujet une Déclaration ou d e conclure une Convention, ils les f o n t manifestement sortir de leur « domaine réservé », et l'art. 2 par. 7 devient inapplicable {^^) ».

c) M. René Cassin, délégué de la France à la séance du 2 octobre 1948 de la 3^'^^ Commission de la Troisième session des Nations Unies exposa

dans les termes suivants la thèse française sur le par. 7 de l'Art. 2 de la Charte : « Aux yeux de la France, la compétence de l'Organisation des Nations Unies dans le p r o b l è m e des Droits de l ' H o m m e est formelle et les dispositions du par. 7 de l'Art. 2 de la Charte relatives à la

compétence nationale des Etats membres, ne sauraient être opposées à cette compétence à partir du m o m e n t où, par l'adoption de la Décla- ration » la question des droits de l ' h o m m e re/ève non plus du domaine intérieur mais du domaine international (^^).

Sur le plan de l'ordre public international, la réponse donnée à cette question est lourde de conséquences. P o u r éviter toute équivoque à ce propos, la France a proposé u n amendement ayant pour objet d'exclure explicitement la violation des droits essentiels du domaine réservé aux Etats. L ' a m e n d e m e n t n'a pas été retenu

M. René Cassin concluait, avec la clarté et la fermeté de pensée qui o n t marqué toutes ses interventions : « La notion des droits de l'homme était certainement comprise, dès avant la Charte des Nations Unies, parmi les « principes généraux de droit reconnus par les Nations civilisées » que la Cour p e r m a n e n t e de La Haye appliquait au règlement des différends internationaux, c o n f o r m é m e n t à l'article 38 de son statut.

O n peut dire que la Charte a m ê m e fait d u respect de ces droits en général, u n e règle positive de droit international conventionnel » (^^).

(") Voy. Conseil économique et social, procès-verbaux officiels, 3ème année, 6ème sess., supplément n° 1. Rapport de la Commission des Droits de l'Homme, doc, E/600, 17 décembre 1947, p. 36.

(•") Voy. Compte rendu anal, de la 92ème séance 3ème Commission, doc, A/Ci/

SR.92, 4 octobre 1948, p. 13.

(") Voy. B. MIRKINE-GUETZEVITCH, op. cil., p. 170.

(•*) loc cit., p. 294.

(23)

176 W. J. GANSHOF VAN DER MEERSCH

d) Il apparaissait, dès la signature de la Charte, impensable que l ' o n puisse considérer les violations des droits fondamentaux comme u n e « affaire domestique » (93).

e) La Charte des Nations Unies a exprimé cette règle fondamentale.

C o m m e l'écrit Sibert : « Le respect des droits fondamentaux de l'homme dans la dignité et la valeur de la personne humaine (qui) est à ce point lié au maintien de l'ordre public international que la Charte de l'Organisation des N a t i o n s Unies a placé le principe t o u t en tête de son Préambule, attestant ainsi qu'elle en fait une infrastructure fondamentale de ' o r g anisation mondiale » (9'*).

f ) Lauterpacht consacre des développements importants à la protec- t i o n des droits de l ' h o m m e dans la Charte des Nations Unies (^5). n met avec force en lumière l'obligation résultant, p o u r les Etats membres, des articles 55 c et 56 éclairés par le Préambule (^6) de « faire le maximum d'efforts » pour, soit par u n accord entre eux, soit dans la mesure d u possible par une action du p o u v o i r judiciaire et des autres autorités nationales, exercer une action afin de renforcer cet objectif fondamental de la Charte. Il souligne que les droits fondamentaux de l ' h o m m e consacrés par la Charte des N a t i o n s Unies doivent désormais être considérés c o m m e des droits que reconnaît le droit international (^7).

Il rappelle que bien que la Charte ne s'y réfère pas expressément, l'adop- t i o n éventuelle d'une Convention des D r o i t s de l ' H o m m e de caractère obligatoire p o u r les Parties contractantes (^8) a été considérée c o m m e admise implicitement par la Charte i^^).

(•') Voy. notamment, P.M. CAR JEU, Simples rematques à propos du projet de déclaration des Nations Unies sur les droits et devoirs des Etats, R.G.D.I.P., 1959, p. 687. M. CARJEU écrit que « soustrait à la compétence domestique (prévue par l'art. 2, par. 7 de la Charte), le respect des droits de l'homme est aujourd'hui un devoir international ».

(•*) SIBERT, op. cit., p. 17. Souligné par nous.

(") International Law, Sème édit. p. 738-744.

(••) A.rt. 55... les Nations Unies favorisent : ...

c) le respect universel et effectif des droits de l'homme et des libertés fondamentales pour tous, sans distinction de race, de sexe, de langue ou de religion.

Art, 56. Les Membres s'engagent, en vue d'atteindre les buts énoncés à l'art. 55, à agir tant conjointement que séparément, en coopération avec l'Organisation.

(") Op. cit., p. 740-742.

(") « . . . an instrument... imposing (unlike the Universal Déclaration of Human Rights) binding and enforceable obligations upon the Contracting Parties,... » (,0p. cit., p. 743).

(") Loc. cit., en note 2 ; Voy. aussi p. 740.

(24)

g) Jessup exprime au sujet des droits de l ' h o m m e et de la Charte u n e opinion analogue : « Déjà a u j o u r d ' h u i , écrit-il, le respect de la dignité humaine et des droits f o n d a m e n t a u x de l ' h o m m e est obligatoire p o u r les membres des Nations Unies. Ce devoir leur est imposé par la Charte, traité auquel ils sont partie. Le développement de cette obligation et sa transformation en des règles « spécifiques » requièrent de nouvelles initiatives, de caractère législatif. Le manque de

« définition » (de ces droits) et l'absence de caractère exécutoire peuvent affaiblir l'efficacité de ces dispositions; ils ne changent pas leur nature juridique. Les efforts faits dans la suite p o u r parer tant par des définitions de ces droits que par des dispositions exécutoires, ne sauraient être interprétés comme éléments de preuve de ce q u e les dispositions de la Charte n'obligeraient par les Etats membres, dans un domaine qui est à l'évidence l'un des objectifs fondamentaux de la Charte » (i"").

Passant ensuite en revue les divergences dans la jurisprudence des tribunaux de droit interne des E t a t s membres, il ajoute : ... d'autres encore (tribunaux), tout en leur (à ces dispositions) refusant le caractère directement applicable en droit interne, les ont considérés comme rele- vant de l'ordre public de l'Etat signataire de la Charte » (}^^).

6. D é c l a r a t i o n u n i v e r s e l l e d e s D r o i t s d e r H o m m e

a) Sans doute, ainsi que l'a souligné M m e Roosevelt et ainsi qu'il a été rappelé à maintes reprises depuis, la Déclaration universelle des D r o i t s de l ' H o m m e n'est-elle pas u n traité, mais « une déclaration de principes destinée à être a p p r o u v é e par u n vote formel des membres de l'Assemblée générale » Q^'^^)- Aussi la Déclaration n'a-t-elle pas constitué le « premier acte législatif international » que certains avaient espéré. Il s'agit d ' u n e déclaration — manifeste et n o n d'une déclaration

— convention {^^^).

b) O n s'est donc demandé quelle valeur juridique il convenait d'attribuer à u n tel texte. N o m b r e de délégations à l'Assemblée générale o n t considéré que les Etats auraient l'obligation d'adapter leur consti- C»») Ph.C. ]ESS\JP, A Modem Laifo/Nations, 194», p. 87 et suiv., cité par LAU- TERPACHT, op. cit., p. 740 et 741 en note 3.

^loij Voy. la jurisprudence citée ioc. cit.

(102) Voy. S. TCHIRKOVITCH, La Déclaration Universelle des Droits de l'Homme et sa portée internationale, R.G.D.I.P., 1949, p. 376.

Voy. R. CASSIN, loc. cit.. p. 266.

(25)

178 W. J. GANSHOF VAN DER MEERSCH

t u t i o n et leurs lois à l'esprit, sinon à la lettre, de la Déclaration (104).

L e délégué du Liban a proposé que l'on ajoutât à l'article 30 de la Déclaration que « les lois de tous les Etats doivent être compatibles avec les buts et principes de l ' O . N . U . tels qu'ils sont formulés dans la Charte » Q-^^). Q u a n d à M. Dehousse, faisant la distinction entre «valeur juridique » et « force obligatoire », il a développé, devant l'Assemblée générale, une théorie qu'en raison de son intérêt particulier, on rappel- lera ici : « L'inclusion de principes qui ne se trouvent pas dans le droit coutumier des nations, a-t-il dit, engendrera p o u r les Etats membres l'obligation de prendre ces principes très sérieusement en con-

sidération (los), ce qui les amènera à envisager la question d'adapter leur Constitution et leur législation à la Déclaration qu'ils auront approuvée.

Naturellement aucun Etat m e m b r e ne sera dans l'obligation d'effectuer u n e telle adaptation. Aucun Etat membre, même s'il a voté en faveur de la Déclaration, ne sera juridiquement tenu d'en inscrire les principes dans sa législation, mais il aura Vobligation d'en tenir compte. Autrement dit, les recommandations auxquelles aboutissent les travaux de la Commis- sion créeront u n commencement d'obligation p o u r les Etats membres. C'est dans ce sens que la délégation de la Belgique envisage la force et la p o r t é e de la Déclaration internationale des Droits de l ' H o m m e : ce d o c u m e n t aura une valeur juridique incontestable, il n'aura pas de valeur obligatoire proprement dite, mais il créera p o u r les Etats membres l'obligation d'envisager la suite à donner à cette recommandation de l'Assemblée générale » (i"'').

c) La plupart des auteurs ne mettent pas en doute la valeur juridique de la Déclaration (i^s). M. Tchirkovitch considère que la Déclaration universelle représente « les principes généraux modernes relatifs aux droits et libertés humaines » et que « les principes généraux contenus dans la Déclaration des Nations Unies sont incorporés, d'ores et déjà, dans le droit international positif m o d e r n e ou le droit international nouveau c o m m e on s'est habitué, depuis u n certain temps, à l'appeler » (i"^).

Il affirme encore que « c'est ... c o n f o r m é m e n t à cette évolution et aux (104) v o y . S. TCHIRKOVITCH, loc. cit., p. 378.

(106) Voy. Doc. A/C.3/244/Rev. 1/1, 14 octobre 1948.

(106) Voy. LAUTERPACHT, op. cit., p. 738 et suiv., Voy. supra p. 170.

(1°') Doc. A/C.3/SR.108, 21 octobre 1948, p. 7, souligné par nous.

("«) Ainsi : B. MIRKINE-GUETZEVITCH, loc. cit., p. 176 et suiv. ; P.M. CAR JEU, loc. cit., p. 687 et suiv.

(">») Loc. cit., p. 381.

(26)

exigences actuelles de la conscience juridique des peuples civilisés q u e les principes généraux sur les droits et libertés humaines contenus dans la Déclaration des Nations Unies f o n t partie, dès à présent, de ce droit international nouveau » (i^").

d) O n doit se demander si, p a r référence à cette notion de principes généraux de droit relatifs aux droits de l'homme, on n'évoque pas l'aurore d ' u n véritable ordre public international dont les droits de l ' h o m m e feraient partie. Dans u n texte que l'on cite supra, M. René Cassin plaçait déjà la notion de « Droits de l ' H o m m e » au rang des « principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées » ( m ) . La Décla- ration universelle a réaffirmé et fortifié ce postulat.

e) A notre sens, la Déclaration universelle contient pour les Etats des guiding principles p o u r l'adaptation souhaitée et proposée de leur législation.

f ) M. René Cassin lui-même estime que, si on ne peut reconnaître à la Déclaration universelle q u ' u n e valeur juridique incomplète, on doit néanmoins considérer que la « résolution de l'Assemblée générale qui a adopté la Déclaration revêt ... une force juridique plus grande que les recommandations ordinaires », en v e r t u de l'article 56 de la Charte qui fait u n devoir aux Etats de coopérer dans le respect des droits de l'homme(ii2).

C'est lui encore qui nous paraît le mieux aborder la portée d'ordre public des droits de l'homme, i n d é p e n d a m m e n t de leur proclamation dans u n e déclaration, lorsqu'il écrit : « il existe un lien direct, étroit entre le respect pratique des droits de l ' h o m m e dans la société où il vit et l'établis- sement d ' u n ordre international véritable. Q u a n d les ressortissants d ' u n Etat totalitaire ou anarchique sont opprimés, les h o m m e s des autres pays sont aussi menacés. Par un processus implacable, c'est l'indépendance et la vie même de l'ensemble des Nations qui sont mises en

danger » ("3) ( i " ) . ("») Ibid., p. 382.

('") Voy. supra, p. 175.

(>") Loc. cit., p. 293.

("») R. CASSIN, ibid., p. 243.

Lorsque M.A. EISSEN verra dans la Convention de Sauvegarde « la con- tinuatrice de la Déclaration universelle », il se demandera si « elle n'a pas entendu, elle aussi, viser l'individu à l'égal de l'Etat, non plus en leur assignant un simple idéal commun, mais en édictant des normes impératives pour l'un comme pour l'autre ? « La Convention et les devoirs de l'individu » in LM protection interMtionale des droits de l'homme dans le cadre européen, 1961, p. 168-169.

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