Du politique au divertissement Aurélien Le Foulgoc
Cet article vise à apporter des données objectives sur le phénomène d’infotainment et à dresser un état des lieux de la représentation du politique à la télévision en France. Il repose donc sur l’exploitation d’archives audiovisuelles sur une dizaine d’années (entre 1990 et 2002). Il apparaît clairement que la politique à la télévision française est considérablement protégée par un ensemble de lois et de règles officielles ou officieuses. Les émissions de divertissement sont soumises aux contraintes électorales, moments pendant lesquels elles ne peuvent, pour diverses raisons, inviter des politiques. Il est donc évident que, même si le phénomène de divertissement s’est démocratisé, il est confronté à une volonté de rupture qui casse le rythme et le remet sans cesse en cause. Pourtant, aujourd’hui il y a plus d’émissions de divertissement que d’émissions politiques qui reçoivent des personnalités politiques. Nous sommes donc confrontés à une légitimation progressive du divertissement dans une certaine forme de traitement politique. Enfin, le genre politique se replie de manière croissante sur les émissions exceptionnelles et sur l’inclusion dans les journaux télévisés. La politique à la télévision est alors confrontée à un véritable phénomène schizophrénique, entre information et divertissement.
1990-2002: A DECADE OF POLITICS ON FRENCH TELEVISION From politics to entertainment
Aurélien Le Foulgoc
This article considers the infotainment phenomenon on the basis of objective data and reviews political representation on French television. The author draws on audiovisual archives over a 12-year period (from 1990 to 2002) to show that on French television politics is strongly protected by a set of laws
and official and unofficial rules. Entertainment programmes have to comply with electoral constraints, so that at certain times and for various reasons politicians may not be invited. Consequently, although the entertainment phenomenon has been democratized, it is subjected to intentional breaks that are a constant challenge. Yet at present more entertainment than political programmes host politicians, resulting in a gradual legitimization of entertainment in a certain form of political treatment. Finally, the political genre is increasingly turning to exceptional programmes and inclusion in TV news. Politics on television is thus faced with a truly schizophrenic phenomenon, between information/news and entertainment.
LA PAROLE POLITIQUE A LA TELEVISION : DU LOGOS A L’ETHOS
Guy Lochard et Jean-Claude Soulages
Cet article se propose de mettre en lumière les mutations de la mise en scène de la parole politique à la télévision française. Centré sur les transformations survenues dans les années 90, il avance que celles-ci ne peuvent être appréhendées que sur la base d’un examen élargi à l’ensemble des magazines à base de paroles, des débats de société aux émissions de divertissement. Cette hypothèse est confortée par la montée en force d’émissions hybrides intégrant les politiques dans des dispositifs polylogaux où, mêlés à d’autres « notoriétés » issues du monde du spectacle, ils sont pareillement soumis à des stratégies de dérision systématique. Les deux auteurs soulignent que le coût symbolique de ces prestations n’est pas sans risque car il se traduit par une renonciation définitive à la « transcendance » de la parole politique. Ils concluent en défendant une démarche d’analyse sémio-discursive dont la portée n’est pas à leurs yeux seulement descriptive.
POLITICAL TALK ON TELEVISION – From logos to ethos Guy Lochard and Jean-Claude Soulages
This article considers changes in the way that political talk is presented on French television, with a particular focus on the 1990s. The authors posit
that these changes cannot be grasped without an examination of all forms of talk show, from debates on social issues to entertainment. This hypothesis is supported by the upsurge of hybrid programmes that include politicians in polylogal devices, subjecting them to the same strategies of systematic derision as personalities from the world of show-business. The authors point out that the symbolic cost of these programmes is not risk-free, since it results in a definitive renunciation of the “transcendence” of political talk.
They conclude by defending a semio-discursive analytical approach which, in their opinion, has more than purely descriptive relevance.
DE L’ART (ET DU COÛT) D’EVITER LA POLITIQUE
La démocratisation du talk-show à la française (Ardisson, Drucker, Fogiel) Erik Neveu
A partir d’un corpus d’une quinzaine d’émissions de talk-show présentées par Thierry Ardisson, Marc-Olivier Fogiel et Michel Drucker, cet article tente de saisir la manière dont ces émissions, devenues premier espace d’invitation des élus, recomposent le débat politique. Une large part de ces évolutions peut être rapportée à un processus de désacralisation du politique, de substitution du registre du témoignage et de l’expérience à celui du discours programmatique. Les justifications de ces évolutions, en termes de meilleure connexion à un public élargi, de vulgarisation du message politique apparaissent globalement comme peu convaincantes. S’il est possible d’argumenter sur le fait que les talk-shows puissent constituer un dispositif de renouvellement du débat politique, l’offre observable en France suggère avant tout l’avancée d’un programme de perception des dirigeants politiques qui invite à les évaluer sur les mêmes critères qu’artistes, sportifs et personnages mondains familiers des plateaux télévisés. Cette étude conduit à souligner le potentiel dépolitisant de ces mises en scène.
ON THE ART (AND COST) OF AVOIDING POLITICS Democratization of the French talk-show
Erik Neveu
Based on a study of a corpus of talk-show programmes (presented by Thierry Ardisson, Marc-Olivier Fogiel and Michel Drucker) that have
become the main forums for guest politicians, the author considers the way in which these programmes reconstruct the political debate. Many of the changes observed can be related to a process in which politics is losing its sacred aura, and in which testimonies are being substituted for programmatic discourse. Justifications for these changes, in terms of closer connection to a broader public and popularization of the political message, hardly seem convincing. Although it can be argued that talk-shows could be a mean for renewing political debate, the offering witnessed in France suggests above all the development of a perception of political leaders that prompts us to evaluate them on the same criteria as artists, sportspersons and other familiar personalities on television. This study highlights the depoliticizing potential of these mise en scène.
DE L’ART DE RENDRE LA POLITIQUE POPULAIRE… OU « QUI A PEUR DE L’INFOTAINMENT ? »
Kees Brants
De nombreux auteurs européens et américains prétendent que la commercialisation compétitive des programmes de radio-télévision est la cause d’un déclin très net de l’information politique et, ce qui est pire, d’une crise au sein de la communication politique, crise d’autant plus marquée que les médias de l’information télévisuelle ne font plus confiance à l’info pure, lui préférant désormais l’info-divertissement. Ces perceptions alarmistes sont ici mises à l’épreuve de deux manières. D’une part, par un survol des travaux de science politique sur la couverture du politique dans nombre de pays d’Europe, d’autre part, à partir d’une recherche inédite sur l’évolution de la couverture télévisuelle des campagnes électorales aux Pays-Bas. Les conclusions de ces deux approches invitent à nuancer très sensiblement les discours les plus dénonciateurs sur l’existence d’un laminage des débats politiques par l’infotainment.
WHO’S AFRAID OF INFOTAINMENT?
Kees Brants
Many authors in Europe and the USA claim that commercialization and competition in broadcasting lead to a downgrading of political information
and, even worse, to a crisis in political communication highlighted by the increasing reliance of television news media on entertainment formats. The justification for this “infotainment scare” is put to the test by an overview of research on politics in television news in a number of (Northern) European countries, a first-hand research project on the campaign communications in the 1994 elections in the Netherlands, and a discussion of the implicit and explicit assumptions on which the scare is based.
LE CHERCHEUR ET L’INFOTAINMENT : SANS PEUR, MAIS PAS SANS REPROCHE
Quelques objections à la critique d’une imaginaire orthodoxie critique Erik Neveu
Cet article constitue l’ouverture d’une discussion critique des analyses de Brants et d’autres challengers de ce qui serait une orthodoxie critique en communication politique. Il souligne l’importance des questions posées par Brants, contre les réflexes d’aristocratisme intellectuel ou l’attribution d’effets non établis aux médias. Mais il objecte plus encore à une théorie implicite de la démocratie qui, sous l’alibi du refus des abstractions et postures normatives, semble tenir pour dépassée la distinction citoyen-consommateur. Il invite à développer une évaluation multidimensionnelle des contenus et effets des talk- shows qui interroge l’image qu’ils donnent d’un débat démocratique, la vision souvent appauvrissante qu’ils suggèrent des capacités des citoyens ordinaires.
THE RESEARCHER AND INFOTAINMENT – WITHOUT FEAR BUT NOT WITHOUT CRITICISM
Some objections to the critique of a critical orthodoxy imaginaire Erik Neveu
This article opens a critical debate on the analyses of Brants and other challengers of what could be termed a critical orthodoxy in political communication. It highlights the importance of the questions raised by Brants, against the reflexes of intellectual aristocratism or the attribution of un-established effects to the media. But, more importantly, it argues against
an implicit theory of democracy which, claiming to refuse normative abstractions and positions, seems to consider the citizen-consumer distinction as outmoded. The author argues for the development of a multidimensional evaluation of the content and effects of talk-shows, that questions the image they project of democratic debate, often with an undermining view of the capacities of ordinary citizens.
N’AYEZ PAS PEUR ! UNE REPONSE A ERIK NEVEU Kees Brants
Pour répondre aux critiques formulées par Neveu, il faut penser les effets de la télévision sur la politique en termes de double ambivalence : celle de ses mises en scène, mais aussi celle qu’elle révèle quant à l’inconfort des chercheurs rêvant d’un introuvable citoyen rationnel. Le dessein de mes analyses n’est pas de développer un plaidoyer pour l’infotainment mais d’inviter à être attentifs aux possibilités ouvertes par le genre, de chercher aussi des méthodologies innovantes pour comprendre leurs réceptions et leurs effets. En dépit de leurs limites, ces programmes constituent un des rares espaces ouverts à la prise de parole de citoyens ordinaires. Dans ses limites mêmes, l’infotainment doit aussi être pensé comme illustrant le paradoxe du journalisme démocratique, sa liberté, son absence de contrôle sont à la fois sa force et son talon d’Achille.
DON’T BE SCARED! AN ANSWER TO ERIK NEVEU Kees Brants
In answer to Neveu’s critique, one needs to consider the effects of television on politics in terms of a twofold ambivalence: its mises en scène, and what it reveals on the discomfort of researchers dreaming of a non-existent rational citizen. The aim of my analyses is not to formulate a plea for infotainment but to point out that we need to be attentive to the possibilities opened by the genre and to seek innovative methodologies for understanding their reception and effects. Despite their limits, these programmes are one of the rare spaces where ordinary citizens can express themselves. From the point
of view of its limits, infotainment must also be seen as illustrating the paradox of democratic journalism: its freedom and its absence of control are both its strength and its weakness.
LE NET OU LA CLOTURE DE L’ESPACE PUBLIC
Débats sur l’accident industriel de Toulouse (septembre 2001) Marie-Gabrielle Suraud
Depuis plusieurs années, des recherches mettent en avant les spécificités communicationnelles de l’internet. En particulier, le net élargirait les conditions d’accès à l’espace public et pourrait ainsi activer les tendances
« antirégulation » au sens où Habermas oppose régulation et communication.
En s’appuyant sur la mobilisation contestataire provoquée par l’explosion de l’usine chimique AZF de Toulouse (septembre 2001), on peut montrer les limites de cette thèse. En effet, le jeu des rapports qui se développent dans le collectif réclamant la fermeture du pôle chimique tend à faire du net un vecteur plus régulateur que communicationnel des débats. La potentialité d’une contribution du net à la démocratisation du débat public suppose donc qu’il soit débattu des conditions mêmes de cette contribution.
THE NET OR CLOSURE OF THE PUBLIC SPHERE
Debate on the industrial accident in Toulouse (September 2001) Marie-Gabrielle Suraud
Research in recent years has highlighted the specific communicational characteristics of the Internet. In particular, the Net is said to broaden conditions of access to the public sphere and could thus activate “anti- regulation” tendencies in the sense in which Habermas opposes regulation and communication. The author uses the protest mobilization triggered by the September 2001 explosion at the AZF chemicals plant in Toulouse to show the limits of this thesis. The play of relations that developed in the collective demanding the closure of all chemicals plants in the area tends to turn the Net into a vehicle of regulation rather than communication in these debates. The potential of the Net to contribute towards the democratization of public debate implies that the conditions of that contribution are debated.
LES RESEAUX, DES OBJETS RELATIONNELS NON IDENTIFIES ? Le cas de la communication électronique dans la recherche
Véréna Paravel et Claude Rosental
Diverses notions de réseau en sciences sociales reposent sur des représentations simplifiées des relations et de leurs dynamiques. En dépit de leurs vertus, ces représentations n’épuisent pas la question de l’élaboration des « réseaux » et de leur texture. Les systèmes et dynamiques relationnels liés à la communication électronique dans la recherche constituent un cas exemplaire pour approfondir cette question. Les « réseaux » sont ici abordés a priori comme des Objets relationnels non identifiés (ORNI). A partir d’enquêtes menées depuis le début des années 1990, l’article précise comment les usages académiques de la communication électronique contribuent à l’élaboration de formes diverses de « mises en réseau » et d’autres types de systèmes relationnels, et parfois à leur destruction.
NETWORKS, UNIDENTIFIED RELATIONAL OBJECTS?
The case of electronic communication in research Véréna Paravel and Claude Rosental
In the social sciences various notions of networks are based on simplified representations of relations and their dynamics. For all they are worth, these representations fail to exhaust the question of the elaboration of “networks”
and their texture. The relational systems and dynamics connected to electronic communication in research constitute a fine example for more in- depth analysis of this issue. “Networks” are treated here as Unidentified Relational Objects. Based on surveys undertaken since the early 1990s, the article shows how academic uses of electronic communication contribute towards the elaboration of diverse forms of “networking” and other types of relational systems, and sometimes towards their destruction.
Traduction : Liz LIBBRECHT