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Géographie Économie Société: Article pp.141-164 of Vol.9 n°2 (2007)

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Géographie, économie, Société 9 (2007) 141-164

GÏOGRAPHIE ÏCONOMIE SOCIÏTÏ GÏOGRAPHIE ÏCONOMIE SOCIÏTÏ

Les conflits du quotidien en milieu rural étude à partir de cinq communes

The conflicts of the every day life in rural areas.

Study from five municipalities

Luc Bossuet

UMR SADAPT, INRA-INA P-G,16 rue Claude Bernard, 75 231 Paris Cedex 05.

Résumé

Au cours des dernières décennies, les campagnes ont vu se multiplier les conflits d’usage et de voisi- nage. La coprésence d’individus et de groupes sociaux dont les repères, les conceptions et les prati- ques diffèrent fortement conduit à des incompréhensions et des empiétements territoriaux. Si de telles situations sont révélatrices d’intérêts antagonistes, elles témoignent également d’une recherche de nouveaux équilibres sociaux, économiques et politiques. A travers différents exemples liés à l’appro- priation et à l’accès à l’espace rural et à des pratiques diverses l’accent est ici mis sur les motifs des conflits, les modalités de règlement utilisées et certaines conséquences dues à ces affrontements.

© 2007 Lavoisier, Paris. Tous droits réservés.

Summary

During the last decades, conflicts about the use of territory and neighborliness in the countryside have been multiplied. The co-presence of individuals and social groups that have soundly different references, conceptions and practices, leads to misunderstandings and territorial trespassing. If such situations could be revealing of antagonistic interests, they also testify of the research for new social, economic and political balances. Through several examples, dealing with the appropriation and access to rural space and to different practices, we are focusing on the reasons of conflicts, the ways to regulate them and certain consequences due to this confrontation.

© 2007 Lavoisier, Paris. Tous droits réservés.

*Adresse email : lbossuet@inapg.inra.fr

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Mots clés : Conflit, rural, usage, individualisation, socialisation.

Keywords: Conflict, rural area, use, individualization, socialization.

En l’espace de trente ans, les campagnes françaises ont vu leurs fonctions se diver- sifier. Considérées au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale essentiellement à tra- vers l’activité agricole, elles sont chaque jour davantage résidentielles, touristiques et assurent des fonctions de détente (Dubost F., 1998). Elles sont également chargées de nombreuses dimensions patrimoniales ; naturelle, architecturale et culturelle, objets de multiples convoitises. La reconnaissance de ces fonctions est généralement attribuée aux importantes migrations durables et saisonnières urbaines, oubliant un peu rapidement que de nombreux ruraux sont également attachés à ce cadre de vie et choisissent d’y demeu- rer (Sotiropoulou E. et al., 2002). Pour expliquer ces phénomènes, les conditions de vie offertes par les campagnes - moindre pollution, stress limité, rupture avec l’anonymat citadin (Perrot M., 1998) - et les possibilités de logement à un plus faible coût qu’en ville sont généralement évoquées. Ce faisant, au même titre que certains quartiers urbains, les campagnes attirent des populations aux origines sociales et géographiques multiples, aux profils économiques et culturels variés, et qui entretiennent avec la ville des rapports différenciés (Bossuet L., 2006). A cela viennent s’ajouter des pratiques campagnardes de plus en plus diversifiées. Trois conceptions majeures de la ruralité s’affichent alors :

• la première concerne la relation entretenue avec cet espace géographique particulier.

La campagne est vue par certains usagers avant tout comme un espace de liberté, dénué de règles précises. Il serait donc possible à chacun d’y développer différentes formes d’action en adéquation avec ses aspirations personnelles. A cette vision s’ajoute le fait qu’un nombre grandissant d’acteurs considère que la propriété individuelle du sol leur offre la possibilité de faire ce qu’ils veulent de leurs biens mais également qu’elle leur ouvre un droit d’ingérence sur les espaces contigus (Bonnain R., 1998) ;

• la seconde a trait au devenir de l’espace rural. Deux logiques s’opposent de ce point de vue. La campagne est perçue comme un espace patrimonial soit à sacraliser au nom de sa préservation, soit à valoriser et à consommer. A ces fins, certains acteurs soutiennent l’essor de nouvelles pratiques alors que d’autres s’y opposent afin de pérenniser des usa- ges plus anciens ou plus simplement pour privilégier leur quiétude (Bossuet L., 2005a) ;

• la troisième s’inscrit plus directement encore dans la sphère relationnelle. Certains usa- gers, sortes de Robinsons des temps modernes, considèrent cet espace particulier comme un refuge qui doit les mettre à l’abri de toute ingérence (Urbain J-D., 2002). A l’opposé, d’autres, par refus de l’isolement, sont à la recherche d’une sociabilité de proximité qui s’exprime à travers différentes formes ludiques et de détente (Simmel G., 1981).

Ces diverses constructions de la ruralité et les différentes pratiques de l’espace rural qui y sont liées, révèlent une forte atomisation des acteurs individuels et collectifs. Cette der- nière s’appuie sur un affaiblissement des relations de voisinage, impliquant un moindre contrôle social de proximité, au profit de liens affinitaires, incluant souvent des relations entretenues à distance. Cette individualisation se manifeste à tous les niveaux, y compris au sein du monde associatif (Ion J., 1997), situation qui conduit nombre de municipali- tés à insister sur la régression du lien social. C’est toutefois omettre que, dans le même temps, des individus provenant d’origines sociales et géographiques différentes nouent

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des alliances autour d’intérêts communs. Il n’en demeure pas moins que la coprésence d’acteurs dont les objectifs diffèrent, conduit à l’affirmation de velléités singulières, diffi- cilement conciliables. Dans une telle configuration, chaque acteur, individuel ou collectif, engage des actions, sans généralement porter une attention quelconque aux conséquences qui vont invariablement en découler. Dans certains cas de figure, les répercussions vis-à- vis des intérêts d’autrui sont limitées ou nulles et n’entraînent pas de réactions particuliè- res. Dans d’autres cas, les effets produits entraînent des nuisances à l’origine de tensions qui dégénèrent parfois en conflits.

Ces deux états s’inscrivent dans la durée mais le passage de l’un à l’autre nécessite d’être précisé à partir des jeux développés par les acteurs. Les nuisances appellent sys- tématiquement des réactions, quelle que soit la forme de celles-ci. En cas d’absence de réponse, par négligence, par refus ou par mépris, comme dans le cas où la demande est combattue sans autre forme d’explication, la montée en puissance de la tension est iné- vitable et dégénère en conflit. Le passage d’un état à l’autre s’inscrit donc dans la mon- tée en puissance des antagonismes, ces deux états empruntant des chemins différents et variés du point de vue de leur affirmation. La tension se caractérise par des échanges plus ou moins tendus mais laissant la porte ouverte à d’éventuelles négociations. Le recours à d’autres moyens, de l’invective à la voie de faits, de déclarations dans les organes de presse à des manifestations collectives d’opposition, du recours à la force publique et à des actions en justice sont davantage caractéristiques du conflit. Ainsi la transition entre ces deux formes correspond à la violence employée et à la façon dont la prégnance de la contrainte subie est vécue. Il s’agit dans tous les cas de figure, d’en- gagements graduels visant à prendre de la distance vis-à-vis de l’interlocuteur tout en le conduisant au retrait (Elias N., 1983). En cela le conflit doit être considéré comme une forme particulière de socialisation visant à établir de nouveaux équilibres socio- culturels, économiques et politiques à travers des rapports de force (Simmel G. 1998).

En raison de l’interdépendance entre les acteurs d’un même territoire, le statu quo qui résulte de leur affrontement est alors fonction de la capacité de chacun d’entre eux à entériner le jeu de l’adversaire, ce qui implique la mobilisation de ses réseaux de rela- tions, tant pour faire reconnaître le bien fondé de son point de vue que pour disposer d’arguments capables d’emporter la partie (Elias N., 1993).

Les rivalités qui nous intéressent ici correspondent à des actions qui constituent des ruptu- res vis-à-vis de codes de conduites jusque là en vigueur. Ils se manifestent à travers différentes formes d’appropriation de l’espace géographique, via des conditions d’accès et d’usage à ce dernier, portant préjudice à ceux qui sont ou s’estiment être ses réels titulaires. Ces rivali- tés s’inscrivent donc dans une contestation sociale à dimension spatiale. Afin d’approcher la diversité de telles situations ainsi que le passage de l’état de tension à celui de conflit, nous mobilisons les résultats de travaux menés sur les choix de localisation résidentielle en milieu rural et leurs conséquences vis-à-vis du quotidien, incluant les mobilités et les implications sociales et politiques villageoises et en dehors de celui-ci de la part des ménages (Bossuet L., 2000 et 2005). Ces recherches ont donné lieu à des enquêtes qualitatives auprès de l’ensemble des ménages de trois communes de Midi-Pyrénées et auprès d’un échantillon représentatif de la population dans deux villages de Charente Maritime. Parmi ces localités, trois sont caracté- ristiques de situations en voie de périurbanisation. Deux correspondent à des villages musée alors qu’un autre est représentatif de contexte d’enclavement prononcé. C’est trois cas font

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l’objet d’une forte fréquentation touristique. Prenant appui sur ces différentes enquêtes, l’ob- jectif est de montrer que les antagonismes rencontrés sont bien souvent les révélateurs d’une profonde méconnaissance des règles et normes en vigueur et le reflet de conceptions différen- tes de la réalité. Pour autant, ils sont également fondateurs de nouvelles ruralités dès lors qu’ils conduisent à la redéfinition des alliances entre individus et entre groupes sociaux.

A partir des situations rencontrées lors de ces enquêtes, le texte est structuré en deux parties. La première est centrée sur des rivalités entre individus en position de face à face.

Ces cas offrent l’occasion d’illustrer les différentes conceptions de la ruralité définies plus haut. Elles permettent d’expliciter plus précisément le type de tensions auxquelles elles donnent lieu. A cet effet, sont présentées des exemples dans lesquels la proximité géographique des résidences, l’incivilité 1, la contestation de droits de propriété ou au contraire le recours à la législation sont utilisés pour restreindre l’accès à diverses por- tions de l’espace rural. La seconde partie s’intéresse à des situations d’action à caractère collectif. Il s’agit de contextes dans lesquels des intérêts divergeant sont sources de rivali- tés et donnent parfois lieu à la redéfinition des groupes en présence à travers de nouvelles alliances. A ce titre, l’accent est mis alternativement sur les jeux internes aux collectivités enquêtées, avant de focaliser sur les actions entreprises par les habitants de ces commu- nes contre des agressions venues de l’extérieur. Les divers types d’action menés dans ce cas de figure permettent de les distinguer en fonction de la mobilisation collective qu’ils nécessitent et de leurs conséquences en termes d’implication et de solidarité.

Face aux différentes réalités rencontrées, appréhender les antagonismes, au-delà de leurs spécificités propres, nécessite de développer deux démarches concomitantes. La première, axée sur l’objet de rivalité, exige de positionner celui-ci au regard du cadre juridique en vigueur, tout en sachant que le droit évolue toujours avec un temps de retard pour correspondre aux mutations de la société. C’est ce qui est fait lors des exemples cités à chaque fois que les acteurs font appel, soit à de la négociation, soit lors de recours en justice. La seconde nécessite de prendre en compte l’acteur dans ces différentes dimen- sions ; historiques, relationnelles et socioculturelles, afin d’en saisir les valeurs et les repères et d’en comprendre les prises de positions. Or, les références de chacun peuvent à tout moment évoluer en fonction de nouvelles expériences vécues car l’individu n’est jamais un être abouti mais au contraire en perpétuelle transformation, tout comme la société à laquelle il participe (Elias N., 1991). A cela s’ajoute que les différents cas pré- sentés prennent appui sur des situations vécues dans des localités différentes. Par leur diversité, ils sont représentatifs des mutations socioculturelles générales de la ruralité contemporaine.

1. Les querelles de voisinage ou la défense d’intérêts individuels

Dans cette partie, plusieurs aspects sont abordés, tous ayant trait à la proximité géo- graphique entre des résidences et des activités sociales ou économiques productrices de bruits, de nuisances olfactives, ou conduisant à la modification du paysage préexistant.

Elles doivent toutes être considérées comme la manifestation de mutations profondes

1 L’incivilité se manifeste par le non respect de règles et de normes sociales comportementales, intégrant la politesse ou ce qui est convenu comme telle au sein de chaque société.

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qui irriguent les ruralités contemporaines et les nouveaux rapports de pouvoir qui s’y instaurent. A travers les prises de position exposées, reflétant différentes querelles de voisinages, c’est en effet la défense d’intérêts particuliers défendus par des familles dont l’ancienneté et la permanence de résidence ne suffit pas à expliquer leurs oppositions vis-à-vis de la situation auxquelles elles sont confrontées. Celles-ci prennent la forme de rivalités entre voisins. Sans s’appesantir sur les dissensions parfois ancestrales entre certaines familles, trois prétextes sont principalement cités lors des enquêtes à savoir : les nuisances dues directement à la proximité géographique, l’incivilité correspondant au non respect des règles et des normes de conduite en vigueur et qui se révèle lors du par- cours d’un même territoire, enfin les atteintes aux biens d’autrui. Dans les faits, le motif invoqué correspond pour les acteurs à des empiétements socio-spatiaux qui se manifes- tent par le non respect de l’autre et de ses droits ainsi que par l’absence de conformité à des règles et à des normes durablement établies, habituellement connues et reconnues, et qui régissent ordinairement les comportements et les échanges. Dans bien des cas, il suffit de rappeler ce corpus pour que les conditions socialement acceptables du bien vivre ensemble s’imposent de nouveau. Ce n’est toutefois pas toujours le cas car d’une part tout le monde ne possède pas les mêmes repères, d’autre part les codes de conduite des uns et des autres peuvent être à tout moment contestés.

1.1. Les tensions et conflits liées à la proximité géographique résidentielle

Au cours des enquêtes, une majorité des habitants des différentes communes visitées mentionnent subir régulièrement des nuisances mettant en cause le voisinage. Celles liées aux bruits sont les plus couramment citées. Elles sont en elles mêmes révélatrice d’une réelle renaissance rurale qui sous d’autres aspects sont pourtant perçues de façon positi- ves par les mêmes acteurs. Pour bien comprendre la gêne occasionnée, il est cependant nécessaire de les discerner selon leurs origines en fonction de l’environnement socio-spa- tial dans lequel elles se déroulent. Au cœur de l’espace résidentiel, elles proviennent :

• des restaurations successives des édifices publics et privés ;

• des travaux d’équipement (assainissement, enterrement des lignes électriques et télé- phoniques, etc.) qui se multiplient, concomitamment au développement résidentiel et touristique de l’espace rural ;

- Ici, il n’y a plus moyen d’être tranquille. On ne peut même plus ouvrir les fenêtres tellement il y a de poussière. C’est tout le temps en travaux. La maison voisine, celle d’en face et maintenant, ils refont la voirie… Le maire a beau dire que c’est pas- sager, cela fait bientôt deux ans que ça dure.

• des discussions extérieures et tardives, des animations et des festivités organisées par les différents groupes d’habitants, ainsi que la circulation nocturne des deux roues ;

- L’été, cela devient infernal. On ne peut plus laisser les fenêtres ouvertes. Tous les soirs, ils jouent à la pétanque jusqu’à pas d’heure en parlant à tue tête. Le bruit des boules qui s’entrechoquent, vous ne pouvez pas imaginer. On leur a bien demande d’aller jouer plus loin mais rien y fait.

- Pratiquement tous les soirs, il y a quelque chose et quand il n’y a rien, ceux sont les mobylettes et les scooters.

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- En été les bars et les restaurants envahissent les espaces publics avec leurs tables. Il y a du bruit et de l’agitation très tard. Parfois, c’est insupportable. Mais on a beau se plaindre, rien y fait.

• de la fréquentation touristique croissante des villages et de l’encombrement de leurs rues - Certains touristes montent jusqu’ici en voiture et s’enfilent dans les ruelles. Cela

bouchonne comme jamais.

- Nous sommes venus ici dans les années soixante-dix. C’était un village tranquille où tout le monde se connaissait. Aujourd’hui, c’est bien différent ! Ce n’est pas les vacanciers qui posent problème. On peut considérer que la plupart sont d’ici. Non, c’est tous ceux qui font du profit sur le dos du village… Ils attirent du monde ici, et tout le monde doit en subir les conséquences…

Dans la campagne proprement dite, les troubles sonores sont directement liés aux acti- vités agricoles.

Les moissons et l’irrigation nocturnes des cultures estivales sont habituellement citées comme des nuisances, en raison du trouble du sommeil occasionné aux résidents voisins des parcelles sur lesquelles ont lieu ces travaux 2.

- Pendant des années, nous avons supporté le bruit du canon (d’irrigation) sur le maïs.

Nous lui avons dit plusieurs fois, mais rien n’y change. Et puis cette année, la grand- mère est vraiment fatiguée, alors nous nous sommes allés voir le maire et nous avons déposé plainte à la gendarmerie. Ce n’est tout de même pas compliqué de respecter le sommeil des autres.

Les secondes nuisances mises en avant sont les troubles olfactifs, qui dressent l’ensem- ble des résidents contre les seuls agriculteurs actifs. L’épandage des boues d’épuration et des lisiers est incriminé, tout autant que les odeurs nauséabondes émanant d’élevages intensifs de porcs et de volailles.

- L’an dernier M s’est lancé dans l’épandage de boues d’épuration. Comme il a des parcelles dans toute la commune et qu’il faisait déjà chaud pour la saison, il y avait une odeur pestilentielle partout. Tout le monde s’est mobilisé et on a déposé une péti- tion à la mairie. Cette année, il n’a pas osé recommencer.

- Déjà avec la proximité de son bâtiment, on a tout le temps l’odeur du fumier à la maison, mais quand il le sort, la route en est couverte. Au moins depuis que les gen- darmes sont passés le voir, tous les soirs il nettoie la route.

Deux dimensions entrent en ligne de compte pour définir la nuisance et sa percep- tion : la durée de l’événement et sa répétition. Si le premier terme peut caractériser le passage de la tension au conflit, le second tend à accentuer l’antagonisme et à accroître la perception de la nuisance. Appliqué au cadre particulier de notre étude, ces dimensions prennent un caractère spécifique qui se manifeste dans le passage de la dénomination de

« campagne » à celle de « ruralité ». Autrefois perçu comme lieu de tradition au sens que lui donne Corbeau (2000) 3, d’arriération et parfois qualifié de vulgaire par une certaine

2 En Midi-Pyrénées, le Préfet de Région a fait rappeler par affichage en mairie les interdictions de tapages nocturnes et la gendarmerie a du intervenir pour verbaliser en de nombreuses occasions ces dix dernières années.

3 Dans son article, l’auteur différencie la modernité, décrite de tout temps ! Induit nécessairement des ruptures et des mutations… La tradition (apparaît) comme cristallisée, la reproduction sociale, le continuum culturel... L’expression d’une idéologie nostalgique.

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élite, cet espace est aujourd’hui communément investi de valeurs positives par la société, y compris par les familles rurales les plus anciennes. Il s’oppose à l’urbanité à travers l’image partagée de calme et de tranquillité, d’air pur, d’interconnaissance impliquant le respect de l’autre. Dans ces conditions, avoir choisi de rester habiter à la campagne ou de venir y résider correspond à fuir le bruit, la poussière et les odeurs désagréables et non à devoir les subir. Pour s’opposer à de telles nuisances les habitants de deux des villages enquêtés se sont constitués en associations de préservation du cadre de vie. L’une d’entre elle a utilisé les relations de ses membres avec la municipalité pour que les épandages de boues d’épuration n’aient plus lieu. L’autre, après plusieurs tentatives de négociation avec les professionnels du bâtiment, s’est tournée vers la justice. Les habitants d’une autre commune ont déposé plainte auprès de la gendarmerie afin de faire respecter les horaires légaux en matière de nuisance sonores et les agriculteurs ont été contraints de s’y conformer. Enfin, deux municipalités, sous l’effet de réclamations individuelles et collectives, ont pris des arrêtés visant à interdire l’accès de certaines zones villageoises à la circulation aux non riverains et à limiter dans le temps et dans l’espace certaines manifestations nocturnes.

D’autres causes, impliquant la proximité géographique, sont également mentionnées par les ruraux comme sources de tensions. Celles-ci concernent les évolutions paysagères de l’environnement résidentiel, en l’occurrence :

• la réalisation de lotissements ou la simple construction d’une maison individuelle dans le voisinage ;

- Quand j’étais jeune, ici c’était la campagne. Plus ça va et plus il y a d’HLM à plat, ces lotissements ça pollue tout. Les gens qui habitent là-dedans sont intolérants. Ce n’est pas comme ceux qui ont choisi de rénover le village ou d’anciennes fermes. Ceux-là, ils prennent le temps de discuter et on trouve toujours le moyen de s’arranger.

- Nous sommes venus là parce que c’était la campagne, pas comme en proximité de Saintes. Eh bien aujourd’hui, c’est la ville qui gagne !… On vous flanque un pavil- lon sans vous demander votre avis. Et la vue alors… Déjà qu’ils nous ont collé l’autoroute. Il faut voir le bruit lors des grands départs…

• l’édification d’un équipement collectif : ligne électrique, route, etc. ;

- Depuis qu’ils ont lancé le projet de contournement de Toulouse, les gens se rendent compte qu’ils vivent dans un eldorado. C’est pour le protéger qu’on a créé l’association de défense du Lauraguais. Personne n’a envie d’avoir ce machin au pied de sa maison.

- Ici, il y a autant de ciel que de terre… C’est le paradis. Et puis, il y a eu un type qui a eu le projet de créer un aéroclub juste à côté. On était juste dans l’axe de la piste, vous vous rendez compte. Alors on s’est tous mobilisés et la préfecture a fini par refuser le projet. On a eu chaud !

• l’arrachage d’une haie, la coupe à blanc d’un bois, l’arasage de talus, l’extension de friche, etc. ;

- Autrefois, il y avait des haies. Mais maintenant, avec la disparition de l’élevage, il faut de grandes parcelles pour les cultures. En un sens c’est la loi du progrès. Moi cela me fait mal et je m’y oppose. Je suis allé voir le maire pour qu’on garde le pay- sage. Peu à peu cela fait son chemin parce qu’il y a l’érosion des sols.

- Ici, nous avons la forêt domaniale. Les gens ont l’habitude d’aller s’y promener.

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Et puis à côté vous avez la forêt privée, pour le bois de chauffe. Les propriétaires coupent tous les vingt ans et vous en avez pour des années avant que cela revienne.

C’est pareil avec les terres laissées à la friche. Aujourd’hui elles entourent le village.

Heureusement que certaines personnes mettent leurs chevaux en pacage sinon ce serait la friche partout.

Deux motifs sont ici invoqués. Une perturbation de la vue dont disposaient les habitants auparavant et le non respect de la qualité du site. Dans ces cas de figure, la défense de l’environnement est mise en avant. Si la prise en compte de la nature est une préoccupation bien réelle, invoquer la protection de l’environnement cache parfois malgré tout des reven- dications nettement moins avouables. Légitime du point de vue collectif pour de nombreux ruraux, elle est bien souvent le prétexte pour assurer la défense d’intérêts individuels.

Si les travaux d’aménagement et de rénovations, publics et individuels, produisent des désagréments aux riverains et par voie de conséquence des tensions entre voisins, le respect de la législation du travail impose des heures pendant lesquelles ces activités sont autorisées. De fait, cette réglementation limite la contestation, dès lors que les règles édictées sont respectées. Pour les avoir enfreint de quelques minutes, afin de finir le chantier de réfection du monument aux morts, un maçon de l’un des villages enquêtés s’est vu traduit devant les tribunaux pour tapage nocturne et condamné par le tribunal d’Albi, indépendamment des arguments de soutien déposés par la municipalité devant la juridiction. Suite à cette affaire, aucun des trois entrepreneurs de maçonnerie de la commune ne se présente plus aux appels d’offre communaux. Mieux, par rétor- sion, aucun d’entre eux n’accepte d’effectuer des travaux au domicile du plaignant et de ceux qui l’ont soutenu dans sa démarche. De son côté, si la fréquentation touristique des lieux, trois villages sur les cinq considérés, prend parfois des dimensions importantes, et par voie de conséquence crée des tensions entre résidents, qu’ils soient permanents ou saisonniers réguliers, ainsi que des conflits entre villageois, la majorité des ménages met surtout en avant l’intérêt collectif retiré de ces mouvements saisonniers.

- L’essor du tourisme permet de faire vivre le pays et ainsi les enfants peuvent rester là, au lieu de partir comme partout ailleurs.

- C’est bien parce qu’il y a de l’activité l’été, qu’il y a de la vie dans le village. Les gens d’ici reviennent. Ils participent aux animations. Mais sans les touristes, ce ne serait pas possible. Certains se plaignent des extérieurs. Mais sans eux, le village serait plus que ruine et désert.

Ces deux témoignages montrent que les mutations que connaissent les ruralités n’op- posent pas les anciennes familles villageoises aux nouveaux venus, résidents perma- nents, saisonniers et vacanciers de passage. Ce qui est en cause, ce sont davantage les perturbations que génèrent les activités, quelles qu’elles soient, vis-à-vis du cadre de vie conçus comme un cadre privatif alternativement pour chacun à dimension indivi- duelle ou collective. Les évolutions paysagères mentionnées et les réactions qu’elles entraînent à divers niveaux témoignent de cette réalité. L’ensemble des conflits men- tionnés montre que dans ce cadre l’espace géographique proche de l’habitation est de plus en plus souvent conçu par nombre de ruraux, indépendamment de leur ancienneté de résidence ou de présence, comme un bien dont les changements d’usages ainsi que la rénovation doivent faire l’objet de négociations préalables entre propriétaires, riverains et intervenants extérieurs. Dans le cas contraire, la liberté d’entreprendre définie par le

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droit de propriété est vécue comme une limite au droit individuel et collectif de résider.

Or, seule la réglementation en vigueur permet aux acteurs de s’opposer à des nuisances réelles, soit par la négociation, soit par des recours en justice.

1.2. Les tensions dues à l’incivilité

L’incivilité se caractérise par le non respect de règles régissant habituellement les rela- tions entre les individus et les groupes d’un espace donné. Réelles ou ressenties, de telles agressions tendent à se multiplier lorsque les différents usagers ne disposent pas de réfé- rences communes en raison d’histoires sociales différentes, phénomène amplifié par les migrations résidentielles actuelles, couplées à des mobilités quotidiennes et saisonnières croissantes (Elias N., 1997). Est-ce à dire que cette incivilité est seulement le lot de nou- veaux venus ? Certainement pas comme l’atteste ce témoignage :

- Les enfants du maire, sont comme certains arrivants. Ils ne saluent jamais… C’est à se demander où ils ont vécu !

Dans de telles circonstances, les modes d’expression et les comportements usuels ne permettent pas systématiquement de saisir les attentes des uns et des autres, encore moins lorsque l’environnement social dans lequel évolue l’individu est changeant (Bossuet L., 2005b). Dès lors, ce qui est perçu par l’un comme une agression peut très bien ne pas l’être par l’autre. Le discours tenu par deux personnes rencontrées dans une même commune permet de saisir ce dilemme.

- Madame B. passe quasiment tous les week-ends en courant. Croyez vous qu’elle dirait bonjour ? A ses yeux nous n’existons pas. C’est à se demander où elle a été élevé…

La personne mise en cause explique seulement :

- Ici, c’est très agréable, j’aime bien aller courir. Il n’y a personne.

La simplicité de ce cas ne doit pas effacer d’autres formes d’agression, tout aussi sympto- matiques d’une méconnaissance des us et coutumes locaux de la part de défenseurs suppo- sés de la nature, originaire ou non de la campagne. La contestation d’une pratique ancienne est souvent vécue par ses adeptes comme une mise en cause de leur identité. La chasse, activité de détente relativement commune dans le sud-ouest, est vivement critiquée par les défenseurs de la faune sauvage. Il faut toutefois noter que si, dans les décennies passées, la pratique cynégétique visait exclusivement le petit gibier (lapins, lièvres, perdreaux, faisans et oiseaux migrateurs), aujourd’hui elle se déroule de plus en plus souvent en battue en raison de l’intensité des dégâts occasionnés aux cultures par le gros gibier (sanglier et che- vreuil). Une autre raison, moins connue, explique cette pratique collective. Elle concerne les risques encourus par les automobilistes 4. Vis-à-vis de cette pratique de chasse, les discours tenus reflètent autant le mépris de l’autre que l’expression de sa propre dévalorisation.

- Je leur ai fait comprendre que je ne veux pas de cela chez moi. Qu’ils aillent faire leurs saloperies ailleurs.

A quoi les chasseurs répondent :

- C’est bien beau de traiter les autres d’écorcheurs comme il l’a fait, mais demain, il peut être envahi par les cochons, il se débrouillera tout seul....

4 Selon les statistiques de l’assurance Groupama, mutuelle agricole, le nombre d’accidents de la route occa- sionné par le gros gibier est en progression chaque année.

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Méconnaissance du milieu et des risques courus par chacun, contestation des pratiques et des valeurs identitaires défendues sont ainsi à l’origine du rejet de l’autre. Chacun, certains du bien fondé de ses conceptions et de ses usages, à n’en pas douter plus écologiques que celles de son voisin, convoque pour les défendre, la coutume et le droit, opposant sa vision de la campagne aux arguments de l’autre.

Dans ce cas précis, la conflictualité demeure car personne n’accepte de débattre préférant camper sur ses positions.

La fréquentation touristique de l’espace rural peut également être source d’incivi- lité. Dans bien des cas, l’absence de retenue de la part de visiteurs peu respectueux, voire peu scrupuleux, est à l’origine de tensions entre ruraux et promeneurs. Une enquête menée auprès des résidents permanents et saisonniers de l’un des plus beaux villages de France, site classé par les monuments historiques, a permis d’identifier plusieurs sources de tensions :

• la cueillette des fleurs plantées et semées par les habitants et qui parsèment les ruelles à la belle saison ;

• l’intrusion des visiteurs dans les jardins et les maisons ;

- Les touristes sont sans gêne. L’autre jour j’étais dans mon jardin en train de bronzer et tout à coup je me suis retrouvé avec une petite famille qui passait par là, histoire de visiter. Les gens sont incroyables. Ils ne respectent rien.

- De nombreux touristes ne se gênent pas. Ils cueillent les fleurs qui fanent aussi sec. Ils rentrent chez les gens pour voir. L’autre jour, en allant porter ses courses à Madame H., j’en ai trouvé un qui était rendu au grenier. Il visitait. Ce n’est pas un zoo, ici !

• le ramassage régulier des fruits le long des chemins de randonnée et dans les jardins isolés ; - Au bout de la vigne, il y a le chemin de grande randonnée qui passe. C’est vrai

que dès le printemps, c’est agréable de pourvoir discuter avec les gens. Mais quand tous les ans lorsqu’arrive la vendange vous constatez que sur les cinq ou six premiers rangs, il n’y a plus un raisin, là vous rentrez en colère. Ils cueil- lent une grappe entière et comme ce n’est pas mur, ils la jettent par terre… Et ils font tous cela !

La répétition de tels événements conduit à des décisions parfois drastiques.

- J’avais six noyers le long du chemin. J’ai eu beau monter la garde, rien n’y a fait.

Je ne récoltais plus une noix. Un beau matin, j’ai décidé de couper mes arbres ainsi personne n’aura rien.

Si les promeneurs sont accusés en bloc de ne rien respecter, le conflit prend parfois la forme d’une opposition entre ceux qui se sentent spoliés par la fréquentation de leur ter- ritoire et ceux qui développent une activité de la valorisation économique de ce flux sai- sonnier. Une fois encore, le conflit met au prise des acteurs indépendamment du fait qu’ils résident sur place en permanence ou non et qu’ils soient originaires ou non des lieux. Les premiers tiennent en effet les seconds responsables des méfaits occasionnés par cet afflux temporaire de visiteurs, considérant que le pays n’en tire aucun profit.

- Ils tirent profit du village sans rien lui apporter. Par contre, ce sont les autres qui en subissent les inconvénients. Chapardage des fruits ici, clôtures ouvertes par là, etc.

Si on a tous ces problèmes, c’est bien parce qu’il y en a qui attirent les touristes par ici car ils y ont un avantage.

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- Personnellement, je n’ai rien contre eux. Je constate seulement qu’ils sont arrivés il y a dix ans et vivent bien, alors que les enfants du pays sont obligés de partir pour avoir un travail…

Les trois types d’incivilités retenus montrent que sous l’effet des migrations touris- tiques et résidentielles, durables et temporaires, des individus dont les repères diffèrent fortement de ceux jusqu’alors en vigueur développent des relations à l’autre révélatrices d’une forte individualisation des comportements. Ces agissements ne sont pas seulement le fait de migrants, mais également d’acteurs dont les familles sont depuis longtemps implantées en milieu rural. C’est donc la modification profonde des rapports de sociabi- lité et de pouvoir dont ces faits et gestes témoignent. Cette individualisation des compor- tements provoque des empiétements territoriaux, source du rejet de l’autre. L’incivilité est ainsi facteur de tensions et prétexte à conflit.

1. 3. Les tensions liées à la contestation des droits de propriété et les entraves à la libre circulation des personnes

Le droit de propriété, défini dans le préambule de la Constitution par les notions d’usus, d’abusus et de fructus, et repris dans le code civil, peut laisser penser qu’il assure une paix séculaire au propriétaire d’un bien et à ses descendants. Il n’en est rien. Un bien peut être grevé de servitudes ; droit de passage, d’échelle, etc., contestées par l’une ou l’autre des parties. Dans d’autres situations, un voisin peut à tout moment revendiquer un droit particulier sur un bien alors que jusqu’à présent il n’en possède aucun. A titre d’exemple, il suffit que pendant trente années consécutives, la famille de celui-ci ait usé du bien en question sans aucune contestation pour en réclamer la co-propriété par prescription acqui- sitive. Dans les trois communes de Midi-Pyrénées, sept cas de ce type sont recensés au cours de l’enquête, dont trois aboutissent devant les tribunaux.

La réfection de l’habitat rural et l’installation d’aménagements connexes peuvent éga- lement être sources de conflits entre voisins. Une modification des écoulements d’eaux pluviales provenant des toitures est souvent l’objet de conflits inextricables. Dans de tels cas de figure, le propriétaire responsable comme la mairie, organisme délivrant les permis de construire, se renvoient généralement la responsabilité, chacun cherchant à minimiser sa responsabilité.

- Lorsqu’ils sont arrivés tout s’est bien passé. C’est après que cela s’est envenimé.

Ils ont refait leur toiture et à cette occasion ils ont modifié leur écoulement. L’eau déboulait chez moi, rentrait dans la maison. Je suis allé les voir mais rien n’y a fait.

Je suis allé à la mairie et on m’a répondu que ce n’était pas de leur ressort. Je ne savais plus quelle pièce y coudre.

Du point de vue juridique, tout propriétaire est tenu de gérer les eaux provenant de son fond et ne peut pas en modifier la destination. Dès lors que celles-ci se déversent sur le domaine communal, la municipalité est tenue de les canaliser afin d’éviter qu’elles s’écou- lent sur les biens voisins situés en aval. Les deux cas rencontrés lors de nos enquêtes ont trouvé une solution grâce au recours à l’assistance juridique de compagnies d’assurances.

De la même façon, l’édification d’une construction d’une surface de moins de vingt mètre carrés ne nécessite ni autorisation de travaux, ni permis de construire. Cette disposition légale peut pourtant être source de conflit. L’exemple d’une terrasse édifiée par l’un des

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habitants de l’un des villages enquêtés a donné lieu à de fortes tensions entre voisins et avec la mairie car cette construction a occasionné une vue sur la propriété adjacente, ce qui est contraire au droit. Après avoir engagé un recours auprès du tribunal administratif contre la municipalité, les protagonistes de cette affaire ont fini par trouver un terrain d’entente, le propriétaire de la terrasse prenant à sa charge de rehausser le mur de son voisin.

Si ces différents cas de figures sont caractéristiques de tensions entre des individus ou des familles, d’autres situations ont des implications sociales plus larges. L’accès à l’espace rural constitue à ce titre un enjeu sociétal de première importance. Il emprunte nombre de sentiers, a priori ouverts à tout le monde. Or, il n’en est rien, comme la légis- lation l’atteste. En effet, les chemins possèdent des statuts divers, ce qui implique que leur usage soit légalement régi par des réglementations spécifiques (Lombard P., 1992), sans que le commun des mortels soit en mesure de distinguer ces différences de visu.

Certains chemins appartiennent à des personnes physiques et relèvent alors du droit de la propriété privée. A défaut de convention particulière avec des collectivités locales ou des associations, leurs propriétaires peuvent à tout moment en interdire l’accès. C’est ce qu’a fait un habitant de l’une des communes, fatigué du va et vient incessant de randonneurs qui passaient tous les étés devant sa porte en traversant son jardin.

D’autres sont la propriété de personnes publiques et relèvent de leur domaine privé.

- Les chemins de l’association foncière ont pour vocation de desservir les parcelles et non de servir de voie de délestage. Les gens passent à tombeau ouvert et détériorent les chemins. En plus, il y en a qui en profitent pour jeter n’importe quoi dans les parcelles ; poubelles, anciennes machines à laver… Comme on a peu de moyen pour tout entretenir, on a fermé certains chemins et on entretient moins les autres. Ainsi les gens hésitent à y rouler en voiture, même si certains sont allés se plaindre à la mairie que ces chemins ne soient pas suffisamment entretenus.

D’autres font partie de leur domaine public et peuvent dans ce cas être affectés à des usages du public ou à ceux d’un service public tel que l’Office National de Forêts. Ces différents statuts impliquent des règles de gestion et d’usages spécifiques (Belrhali H, et al., 2002), qui permettent d’interdire l’accès temporairement à ces voies ; exploitation forestière du secteur desservi, travaux de sécurisation d’un site comme dans deux des communes supports des enquêtes, etc. Ce type de situation est potentiellement source de conflit avec les usagers s’opposant à de telles restrictions.

- A la mairie, nous avons souvent des réclamations de la part de randonneurs contre la fermeture momentanée de certains chemins. Les gens ne comprennent pas qu’en cas de risque, lié à l’exploitation de la forêt communale, nous avons obligation de procéder ainsi car c’est notre responsabilité qui est engagée en cas de problème.

- Le conseil a pris la décision de fermer l’accès au chemin de ronde, le temps des travaux de réfection. Et bien, il ne passe pas une journée sans que quelqu’un vienne se plaindre et on a beau leur expliquer, rien n’y fait.

La pluralité des situations évoquées et les altercations auxquelles elles donnent lieu sont révélatrices de la diversité des conceptions de l’espace rural. Les exemples de tensions, qu’ils soient de voisinage, d’incivilité et d’atteinte aux biens privés et publics ont tous pour origine des intérêts divergents. En situation de face à face, l’antagonisme est ressenti par chaque partie comme une mise en cause de ses droits, mais avant tout de son identité. En réponse à l’incivilité, c’est habituellement le rejet, la négation de l’autre et son exclusion qui

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sont utilisés. Dans les deux autres situations citées ; tapage nocturne et altération du cadre vie via les conséquences dues à la rénovation des édifices privés et publics ainsi qu’à la mise en valeur des sites, les protagonistes font bien souvent, en dernier ressort, appel à la justice.

Celle-ci paraît être le seul recours capable de trancher le litige, chacun espérant retrouver son intégrité, celle de ses biens et sa tranquillité. A partir des exemples cités, l’état de ten- sion peut se définir comme une période pendant laquelle l’un des protagonistes cherche à imposer son choix alors que l’autre tente de réfréner les atteintes plus ou moins quotidien- nes auxquelles il est confronté et développe pour cela des actions plus ou moins graduelles en fonction de la contrainte subie. Cette seconde stratégie a pour but de faire comprendre à l’agresseur qu’il ne respecte pas la règle en vigueur et doit donc se retirer, et qu’à défaut, son manque patent de bonne volonté pour revenir à la situation initiale devient intolérable.

L’effort apporté pour contrecarrer l’agression implique de façon aléatoire des possibilités de négociation afin de trouver une solution acceptable pour sortir de la crise.

2. Les conflits ou les jeux d’influence au sein des collectivités villageoises

De son côté, l’état de conflit se caractérise par le passage à un stade supérieur de la relation. Faute de réponse positive, ou du moins apaisante de la part de l’agresseur, la vic- time agit de façon à faire savoir à son interlocuteur qu’en tout état de cause il est hors de question de se plier à ses exigences. A cela s’ajoutent les situations de conflits anticipés.

Face à une menace éventuelle, l’agressé potentiel engage une action visant à préserver dans l’avenir ses intérêts propres. Dans ces deux cas de figure, le retour ou la préservation de l’état initial sont non négociables et par voie de conséquence rejettent toute forme de conciliation. La situation conflictuelle s’établit donc lorsque les tensions ou les risques encourus parviennent à leur paroxysme, c’est-à-dire lorsque les protagonistes ne sont plus en mesure d’admettre d’autre solution que le retrait de l’autre, la consécration pleine et entière de sa défaite. A ce stade, chacun exige la validation durable de la position qu’il revendique. Si ce type de position ne paraît laisser place à aucune alternative, dans la réalité elle est rarement figée en raison de l’évolution des équilibres en présence au cours du conflit. En cela, les conflits entre groupes, entre une collectivité et son extérieur, pos- sèdent les mêmes fondements que les conflits entre individus. Il s’agit d’empiétements sociaux et spatiaux mettant en cause l’identité et la possession d’un bien, quelque soit la nature de celui-ci. C’est pourquoi, les conflits sont toujours violents, révélateurs des rela- tions de pouvoir et des mutations socioculturelles de la société en question.

Si le conflit est une occasion d’affirmation du « moi », individuel ou collectif (Mead G.H., 1963), il correspond avant tout à une forme de socialisation, dans la mesure où il contribue, même partiellement, à la redéfinition des positions défendues et par voie de conséquence à celle des contours des groupes d’acteurs en présence. Les frontières de ces derniers fluctuent en effet avec le temps, en fonction de la succession des événe- ments, des stratégies utilisées, des arguments développés et de l’intérêt de chaque acteur à un moment donné (Maisonneuve J., 1997). C’est pourquoi, chaque phase du conflit représente un moment critique pour chacun des participants. Or, comme l’ont montré Oberschall (1973) et Granovetter (1973) la mobilisation la plus efficace est le fait de collectifs ayant bien résistés à la désintégration en raison des affinités interindividuelles de leurs membres et aux efforts consenties par chacun d’entre eux. La solidarité qui se

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manifeste dans ces instants, correspond bien à une velléité politique d’affirmation ou de contestation de l’ordre établi. Toutefois, elle ne peut pas être réduite aux seules stra- tégies développées par les acteurs impliqués (Chazel F., 1993). Il faut également que l’action engagée ait des chances politiques de réalisation ; c’est-à-dire qu’elle soit en mesure de mobiliser plus largement que le groupe initiateur de la contestation, indépen- damment du cours pris par les événements (Martin R., 1987). Dans ce cas de figure, une menace extérieure, ou jugée comme telle, est un élément généralement déterminant de renforcement de la cohésion d’un groupe, même si celle-ci faisait plutôt défaut au préa- lable. Cependant la dynamique d’un groupe contestataire est largement liée à la taille de celui-ci. Si, plus il est restreint et plus ses membres participent aux discutions et aux décisions (Oberlé D., 1995), en retour la contestation interne est généralement perçue comme une menace identitaire qui favorise l’exclusion (Elias N, 1991). Inversement, plus le groupe possèdent de membres est moins les déviances internes sont prises à l’origine comme une menace. Quelque soit le cas de figure, emporter l’adhésion de ceux qui seraient les moins enclins à suivre une initiative, surtout lorsqu’elle ne sert pas directement l’intérêt général, consiste à montrer qu’elle ne lui porte pas préjudice (Pharo P., 1985), quitte à développer des controverses, au premier abord contestable.

A ce jeu, les opposants d’un jour peuvent fort bien se retrouver unis le lendemain au cours du conflit qui les préoccupent ou après un conflit qui les a opposés, dès lors qu’ils y trouvent un avantage commun.

Au cours de cette partie, il s’agit d’appréhender le conflit à travers le positionnement collectif d’individus considérant le groupe comme le rassemblement d’intérêts conver- gents à un moment donné et conduisant à l’adoption d’une stratégie particulière vis-à-vis du hors groupe ; retrait, défense ou attaque, afin assurer l’efficacité de l’action et l’hégé- monie du collectif sur un territoire. Pour rendre compte de ces positionnements succes- sifs, nous proposons tout d’abord la confrontation entre des intérêts divergents au sein de villages, avant de présenter deux situations relatant les conflits entre les habitants de localités et ce qu’ils considèrent comme une ingérence extérieure. Ce dernier volet per- met de mettre en évidence deux modalités de mobilisation collective, facteur de cohésion différenciée. L’une repose sur une mobilisation participative alors que l’autre emprunte la voie de la délégation.

2.1. L’aménagement du territoire, un enjeu collectif

Suite aux migrations résidentielles et saisonnières urbaines en direction des campa- gnes, la question foncière est de nouveau centrale pour nombre de collectivités locales.

Dans un contexte où les rapports de pouvoir évoluent, la gestion de ce bien est chaque jour davantage conflictuelle. Le développement de règles de plus en plus contraignantes, visant à contrôler la périurbanisation et à assurer la protection de la nature, complexi- fient les rapports entre les fonctions productive, résidentielle, environnementale et récréa- tive de l’espace rural. A cela s’ajoute le jeu interne à chaque commune et la question de l’aménagement des centres bourgs, chacun ayant de ce point de vue son avis sur ce que doit-être le « beau ». Face à ces évolutions législatives et sensorielles, il est intéressant de connaître les formes de gestion mises en place dans différentes situations sociales et

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géographiques étudiées. A cette fin, sont présentés ci-dessous trois exemples de gestion communale portant respectivement sur le régime des Plans d’Occupation des Sols (POS), et des PLU (Plans Locaux d’Urbanisme). Enfin sont exposés les enjeux liés à l’aménage- ment du cœur d’un village. Ces quatre cas permettent de tirer des enseignements sur les conflits liés à l’aménagement local du territoire.

2.1.1. Trois cas de gestion du territoire communal sous les régimes des POS et des PLU

La législation en matière de POS n’avait aucun caractère obligatoire. Deux exemples offrent l’occasion de mettre en évidence des modes de gestions différenciés, caractéristi- ques de la diversité des situations, sous ce régime.

- Dans le premier cas, en l’absence de POS, l’urbanisation est gérée par la municipalité qui arbitre entre les intérêts contradictoires des anciennes familles villageoises les plus aisées, propriétaires fonciers absentéistes, et ceux des entrepreneurs agricoles.

Des tractations régulières ont lieu afin de définir les lots à bâtir, afin d’éviter d’une part des frais d’équipements trop élevés pour le budget communal, et d’autre part le mitage du territoire qui risque d’handicaper l’activité agricole. Le reste de la popula- tion, familles modestes du pays et migrants aisés ou non, n’est jamais consulté. Cette situation favorise les conflits car les exclus des choix communaux ont le sentiment d’être des citoyens de second ordre. Ils voient en effet leur environnement évoluer rapidement et en subissent les conséquences en termes de nuisances sonores, visuel- les, empiétements divers, sans être en mesure de s’y opposer. Comme personne n’est disposé à accepter de voir son voisinage se bâtir et que la majorité des résidents reste inorganisée, ces familles ne peuvent pas s’opposer aux décisions de la minorité agissante.

- Dans le second cas, plusieurs propriétaires fonciers désirent vendre leurs biens en ter- rains à bâtir dans le voisinage du bourg. Mais ils n’y parviennent pas, en raison de deux contraintes ; le classement du village moyenâgeux par les Monuments Historiques et la définition d’un POS, inchangé depuis plusieurs années. Cette impossibilité conduit les propriétaires fonciers à s’opposer à la majorité des habitants, notamment aux pro- fessionnels du tourisme qui tentent de sauvegarder l’image actuelle du site. Chaque clan fait bien évidemment pression sur la mairie pour faire valoir ses intérêts, sans que les vendeurs potentiels parviennent à leur fin.

L’instauration des PLU fait généralement suite à l’existence d’un POS. Cette décision entraîne la prise en compte de critères techniques (zone de captage d’eaux, etc.), environ- nementaux (ZNIEFF 5, Natura 2000, etc.) et patrimoniaux (forêts, architecture, paysage, etc.). Ces contraintes cherchent à s’opposer à une gestion communale dépendante d’inté- rêts individuels, en favorisant des intérêts collectifs sur le long terme. Elles tentent égale- ment de dépasser la logique d’une urbanisation grandissante, suite à une demande crois- sante de terrains à bâtir qui se fait au détriment de l’activité agricole. Site classé par les Monuments Historiques, le village en question voit son urbanisation limitée au sud par la présence d’une forêt et une zone marécageuse d’intérêt floristique et faunistique, à l’ouest

5 Zone naturelle d’intérêt écologique, faunistique et floristique

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par un fleuve, frontière naturelle de la commune, au nord par un vallon abrupt et au-delà par les meilleures terres agricoles communales. Seul l’Est du territoire offre la possibi- lité d’une extension du bourg. Les terres de ce secteur appartiennent à des propriétaires fonciers non agricoles, disposés à vendre leurs biens en terrains à bâtir, ce qui correspond au projet municipal. Or, ce secteur est mis en valeur par un jeune agriculteur, éleveur de bovins lait, dont le siège d’exploitation se trouve à la sortie immédiate du village. Que les terres qu’il exploite en fermage soient considérées comme terrains à bâtir implique inévi- tablement un prix de vente élevé que son activité ne lui permet pas d’acquérir. Fermier, il peut toujours faire valoir son droit de préemption. Eleveur, il appréhende le voisinage de nouveaux habitants et la façon dont les nuisances liées à son activité seront ressenties et éventuellement combattues. Conseiller municipal, fortement impliqué dans la vie locale, il lui est difficile de s’opposer à un projet communal au profit de ses intérêts propres, même s’il sait pouvoir trouver des appuis au sein de la collectivité. Pour l’instant, aucune décision n’est prise et aucune solution n’émerge pour concilier intérêt urbanistique com- munal et préservation d’intérêts économiques individuels. Dans ce cas, les incertitudes actuelles permettent d’éviter le conflit, même si les tensions sont déjà présentes. Cette situation permet néanmoins d’accréditer que ce n’est pas le régime de gestion du territoire qui permet à lui seul de définir les solutions acceptable par tous. L’adoption du PLU, en remplacement du POS, ne règle pas la question à laquelle sont confrontés la municipalité et l’agriculteur en question. Ce qui apparait central est alors de savoir comment les rap- ports de confiance entre les différents acteurs (mairie, propriétaires fonciers, agriculteur directement impliqué et agriculteurs à quelques années de la retraite en position de libérer des terres dans les environs) seront en mesure de répondre au double enjeu communal, à savoir l’urbanisation et la mise en valeur économique du territoire.

2.1.2. L’aménagement des centres bourg

Au-delà des tensions soulevées par la rénovation de l’habitat des centres bourgs, trai- tée plus haut, la réfection et l’aménagement de l’espace public au coeur des villages sont également sources de tensions et de conflits entre les usagers. L’exemple de l’un des sites classés étudié permet d’en rendre compte. La municipalité a à sa charge l’entretien des remparts, de la voirie et est responsable de la sécurité de la population et des visiteurs.

Afin de remplir ses missions au mieux, ses agents entretiennent les fortifications et leurs abords en procédant à la coupe de la végétation, y compris des arbres. Elle fait gravillon- ner les places et les ruelles, disposer des bancs et interdit certaines portions des espaces publics à la circulation des véhicules en déposant des blocs de granit à l’entrée de certai- nes voies d’accès.

Une partie des habitants soutient ces actions, considérant que ces mesures sont ration- nelles puisqu’elles correspondent à des nécessités. Une autre partie juge que le bon goût ne s’exerce pas : Ce ne sont que graviers, béton, bloc de granit et désherbage… Pour s’opposer aux choix municipaux, ce groupe se constitue en association de défense du site et assure une campagne de sensibilisation auprès des autres résidents. Parmi les pro- moteurs de cette action, plusieurs sont également membres de l’association des parents d’élèves. Ils utilisent cette position pour proposer d’embellir le village grâce à la vente de fleurs dont le profit est reversé à l’école afin de financer une classe verte à laquelle tous les écoliers participent. Par cette action collective, ils mobilisent toute la population et

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parviennent à faire partager leur point de vue quant à l’aménagement du village. En cette occasion et en bien d’autres, ces acteurs locaux démontrent leur capacité à agir pour le bien public, de sorte qu’ils rassemblent de plus en plus de monde autour d’eux et consti- tuent de cette manière une opposition structurée à la municipalité, jusqu’au renversement de celle-ci lors des élections suivantes.

2.1.3. Analyse critique des cas de figures

Ces quatre situations montrent que la gestion du territoire peut fort bien être différente d’une commune à l’autre, elles permettent surtout d’affirmer que l’existence d’un cadre réglementaire ne peut pas être considérée comme la seule solution pour assurer une ges- tion démocratique du territoire. Par contre, l’absence d’application de cette législation laisse plus ou moins libre court à l’expression de groupes de pression, minoritaires comme dans le premier cas. De ces mêmes cas, il ressort que cette gestion locale tient compte de l’histoire des localités, de la construction sociologique de celles-ci et des dynamiques qui s’y manifestent. Enfin et surtout, elles autorisent à poser que la confiance (Lorenz E., 1996) est essentielle à la mobilisation collective, tant vis-à-vis de la cohésion des groupes en présence que pour mener à bien la contestation.

Si dans tous les cas de figure, la gestion du territoire fait l’objet de négociations, leurs modalités divergent largement. C’est particulièrement patent dans trois cas sur quatre.

- Dans le premier, une confiance réciproque entre propriétaires, entrepreneurs agrico- les et le maire, acquise sur la base de relations courantes et de références partagées, permet une concertation entre partenaires de longue date. Ce faisant, cette gestion en bon père de famille assure de faibles dépenses en équipements municipaux et répond en cela à des impératifs budgétaires grâce à une faible dispersion de l’habitat. La contrepartie accordée aux propriétaires vendeurs est la multiplication des terrains à bâtir dans une commune jusque là relativement préservée de la périurbanisation.

Face à cette réalité, le reste de la population est opposé aux divers changements en cours ; modification du paysage par la multiplication des constructions, l’apparition d’équipements urbains, etc. Mais en raison de la dispersion de l’habitat, de l’absence de lieu de rencontre et des différences sociales entre les familles, ces gens ont peu de relations, ne peuvent pas débattre de leurs inquiétudes communes et se mobiliser pour s’opposer aux transformations actuelles. Dans ce cas de figure l’absence de proximité géographique et de proximité socioculturelle constitue une réelle carence pour engager une quelconque action collective.

- Le second cas de figure fait apparaître deux sortes d’enjeux ; la préservation du site et le développement de la vie économique locale via l’essor de la fréquenta- tion touristique, basé justement sur les qualités patrimoniales et environnemen- tales des lieux. Autour de ces deux objectifs, la municipalité d’une part, d’autre part les professionnels du tourisme appuyés par les familles qui sont employées dans ce secteur, établissent un accord pour ne rien changer à la situation exis- tante. Le respect de leurs intérêts communs sert ici d’engagement, car le contrat reçoit le soutient d’une majorité de la population, attachée aux qualités de son cadre de vie. En face, les propriétaires cherchant à vendre leurs parcelles en terrain à bâtir constituent un groupe minoritaire qui ne parvient pas à mobiliser

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en dehors de ses membres car sa démarche est perçue comme la défense d’inté- rêts particuliers, celle des gros propriétaires, et constitue un risque d’aliénation collective aux yeux de l’immense majorité des villageois. Ici, l’adhésion d’une majorité de la population au statut quo négocié par la mairie et les professionnels du tourisme repose sur une importante interconnaissance entre les familles et la confiance que ces dernières mettent depuis trois mandats dans la municipalité. La proximité géographique et la proximité socioculturelle entre les habitants de ce village et ses représentants agissent comme éléments fédérateurs pour assurer la sauvegarde de l’intérêt commun et s’opposer à des velléités particulières.

- L’intérêt de la quatrième situation réside dans le mouvement collectif que sait initier une minorité de départ vis-à-vis d’une majorité soutenant a priori la muni- cipalité en place. L’origine du conflit remonte aux élections. Au cours de celles- ci, la municipalité, élue en liste complète au premier tour un an et demi plutôt, propose de réaliser des aménagements dans le bourg visant à améliorer les condi- tions de vie des habitants et à promouvoir l’attrait touristique des lieux, sans en préciser les modalités. Une fois les élections passées, les travaux commencent sans plus de concertation avec les habitants. Mais rapidement, les orientations prises froissent une partie minoritaire de l’électorat municipal qui entame des démarches auprès du maire. Fort des résultats de son élection, celui-ci ne tient pas compte des remarques qui lui sont faites. Prenant conscience qu’un affronte- ment frontal risque fort de le desservir, le nouveau groupe d’opposants emprunte des voies de traverse. L’inscription au concours national des villages fleuris est le prétexte pour mobiliser la majorité des habitants et démontrer par là qu’il agit pour le bien commun. Par la suite, l’enchaînement de plusieurs événements ; suppression de subventions aux associations dirigées par cette opposition et évic- tion de locaux communaux, absence de soutien à des manifestations communales organisées par les mêmes personnes, refus de prendre en compte les intérêts des membres du groupes ou de familles soutenues par le groupe , confrontés à des problèmes de voisinage, etc., l’ensemble rendu public par la voie d’une lettre d’information et la création d’un site Internet, conduit peu à peu les différents soutiens municipaux à passer dans l’opposition jusqu’au renversement du pou- voir municipal sortant lors des élections suivantes. Ce cas révèle les mécanismes qui président au renversement des alliances et des relations de pouvoir entre indi- vidus autrefois relativement liés. Le prétexte à l’origine de ce mouvement peu paraître simpliste au premier abord. Il montre cependant le rôle de la confiance dans tous mouvements d’adhésion ou de rejet. Pour ne pas avoir su entretenir le lien avec une partie de son électorat, le maire et son conseil font à terme l’objet d’une éviction de la scène politique locale. Inversement, parce que l’opposition a su gagner la confiance d’une majorité d’électeurs, elle s’empare de la mai- rie. Dans ce cas, la proximité géographique a permis aux habitants de la com- mune de prendre conscience de la nature du conflit et de juger en conséquence.

Sanctionnant la municipalité sortant, le corps électoral s’est rallié aux idéaux socioculturels défendus par l’opposition.

- Le troisième cas de figure reste incertain. A l’heure actuelle, il est impossible de dire si la confiance jusqu’alors partagée entre les acteurs locaux permettra de

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surmonter le conflit sous-jacent ou si des intérêts particuliers vont conduire à une redéfinition des alliances entre la municipalité et les propriétaires candidats à la vente de leurs patrimoines fonciers au détriment l’unité du conseil municipal et des soutiens de chacun de ses membres. La question est de savoir si les facteurs liés à la proximité géographique et à la proximité socioculturelle l’emporteront sur des intérêts à long terme.

2.2. Rivalités associatives en milieu rural, une recherche d’hégémonie

Les conflits entre groupes, entre une collectivité et son extérieur, possèdent les mêmes fondements que les conflits entre individus. Il s’agit d’empiétements sociaux et spatiaux mettant en cause l’identité et la possession d’un bien, quelle que soit la nature de celui-ci.

C’est pourquoi, les conflits sont toujours violents, révélateurs des relations de pouvoir et des mutations socioculturelles de la société en question.

La vie associative culturelle et sportive est souvent le support d’une concurrence entre des identités groupales. Cette rivalité correspondant à des conceptions différen- tes de la ruralité contemporaine, s’affirme à travers des manifestations et des prises de positions visant à définir la vie collective locale. Si toutes les associations ont en commun de chercher à fédérer les énergies et participent de la sorte à accroître la cohésion sociale des villages, l’objet autour duquel elles rassemblent, les moyens techniques et financiers dont elles disposent, diffèrent largement. Cet état de fait influence directement le nombre de leurs adhérents et, par voie de conséquence, la reconnaissance de leur utilité. Les enquêtes menées sur ce thème ont mis en évidence qu’il existe une forte rivalité entre associations, accentuée par la proximité des projets qu’elles défendent. Deux modèles principaux entrent néanmoins en concurrence.

- Le premier, correspondant principalement aux associations les plus anciennes, a pour fonction d’assurer la pérennité de l’identité villageoise. Pour cela, les associations invoquent les « traditions » locales et se réfèrent à une continuité intergénérationnelle idéalisée. Pour ceux qui défendent ce modèle, l’âme du pays et l’esprit de clocher restent relativement vivants, imposant une sorte de clôture vis-à-vis de l’extérieur communal (Durkheim E., 1986). Tout ce qui provient de cet extérieur communal, propositions et revendications portées par des acteurs qualifiés d’étranger, issus ou non de la collectivité d’origine, est ainsi perçu comme une menace ou un risque vis-à-vis de l’ordre établi. Inversement, tout ralliement de la part de nouveaux acteurs aux idéaux de la tribu est accueilli posi- tivement car il renforce la dynamique du groupe et consacre cette division entre l’intérieur et l’extérieur de la communauté.

- Le second vise à offrir aux habitants un cadre relationnel et des activités en adé- quation avec leurs aspirations. Sans négliger le passé, les associations de ce type sont davantage ouvertes à de nouvelles initiatives et accueillent aisément de nou- veaux membres et leurs propositions. Par contrecoup, leurs adhérents sont plus indépendants, plus prompts à la critique et en cas de désaccord n’hésitent pas à quitter une association pour une autre. La durée de vie de ces structures est donc fonction de leur effectif et de l’engagement des membres qui en forment le noyau central, capables d’attirer et de retenir de nouveaux membres.

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